Le quotidien des chercheurs d’or au Mali

Dans un pays en crise, l'exploitation de l'or affiche une croissance arrogante... L'or représente 75% des exportation du Mali, et…

Dans un pays en crise, l’exploitation de l’or affiche une croissance arrogante… L’or représente 75% des exportation du Mali, et 25% du PIB. « Les crises politiques et sécuritaires ont toujours bénéficié au secteur minier », explique Abdoulaye Pona, président de la Chambre des Mines du Mali. Si les villes, en pleine crise économique, n’offrent plus les perspectives professionnelles espérées, l’orpaillage, activité pratiquée de tous temps au sud et sud ouest du pays, voit affluer toujours davantage de candidats. Ils viennent de toutes les régions du Mali, comme des pays frontaliers : Burkina Faso, Guinée, Côte d’Ivoire. Située au sud de la capitale malienne, la petite ville de Yanfolila n’offre, en apparence, rien d’autre au visiteur que trois hôtels décrépis, datant de l’ère de Moussa Traoré. L’asphalte s’arrête net à  la sortie de Yanfolila pour faire place à  de la piste rouge et poussiéreuse, et à  des chemins qui se dispersent dans la brousse. En suivant l’un d’eux, on croise de jeunes hommes à  pied, le corps et le visage blanchis par la terre séchée, lampe de poche vissée sur la tête, pioche calée sur l’épaule. Le silence fait place au son mat, régulier, des coups de pioche. Plusieurs dizaines d’hommes creusent dans des mines traditionnelles. A 23 ans, Bakary Mariko a déjà  travaillé à  Kayes, à  la frontière sénégalaise, et au Burkina Faso. Ils sont cinq jeunes Maliens à  avoir formé une petite équipe. Ils dorment autour du trou qu’ils ont creusé de leurs mains, qui atteint plus de huit mètres de profondeur. De ce travail, ils ne tirent que de très maigres bénéfices : « les propriétaires nous paient les trois repas de la journée : 3000 francs CFA par jour », raconte Bakary. Mais le jeune homme est patient et n’envisage pas de rentrer chez lui : l’espoir, ici, confine à  la folie. Des histoires circulent, qui donnent du courage aux orpailleurs, qui creusent et remontent des sacs boueux de banco, d’o๠sera tiré le métal précieux, de 7h30 à  18 heures, cinq jours par semaine. Pour se donner du courage, les orpailleurs se rappellent les « success stories » qui les ont convaincus qu’à  Yanfolila, ils sont à  la bonne place. On raconte qu’untel y a trouvé trois kilos, l’année passée, que des gens sont repartis multimillionnaires… Depuis mai, et jusqu’au mois de novembre, les mines sont officiellement fermées, le temps de la saison des pluies. « Officiellement », car en réalité, elles continuent d’être exploitées par des orpailleurs qui, pour ne pas perdre leur emplacement, reversent la quasi totalité de leur travail aux « notables ». Juge, police, garde républicaine, maire, et enfin familles natives de la zone, autoproclamées propriétaires des lieux, se partagent sans complexe le travail de centaine de travailleurs. En fermant les yeux, l’Etat malien a laissé le champ libre à  ces nouvelles règles, auxquelles doivent se plier des orpailleurs qui n’ont ni l’envie, ni les moyens de rentrer chez eux: « Sur treize sacs remplis, on en donne dix aux propriétaires », explique Bakary. Employés par les notables, des agents de sécurité veillent au grain, fusil à  l’épaule. Certains, parmi les orpailleurs, sont bien conscients d’être exploités. Au marché et sur les sites d’orpaillage, femmes et enfants vendent de l’eau aux travailleurs, cinq fois plus cher que partout ailleurs dans le pays. Mais à  qui les orpailleurs peuvent-ils présenter leurs doléances ? En cas de révolte, comme cela fut le cas par deux fois cette année, les manifestants ont peu de chances d’être entendus par les autorités locales, qui tirent bénéfice de la situation. Ils attendent donc patiemment la fin de cette saison dont ils ne tirent aucun profit : enfin, ils pourront de nouveau travailler à  leur compte, moyennant 5000 à  10000 francs CFA l’emplacement. Souleymane est acheteur, originaire de Mopti (centre). Son « stand », une boà®te en carton sur laquelle sont posées une balance et une calculatrice, est ouvert dès 16 heures. Silhouettes blanchies par la boue séchée, les orpailleurs affluent pour lui présenter leur récolte. Ce soir-là , Souleymane a pu acheter trente grammes d’or : selon lui, une bien maigre récolte. Une fois ses frais déduits, notamment l’achat de mercure, liquide utilisé pour révéler le métal précieux (toxique, mais vendu librement au marché), et les pots-de-vin à  reverser aux autorités-, il garde 750 francs CFA pour chaque gramme acheté, grossièrement raffiné. Souleymane vend ensuite à  des grossistes, qui remontent leur manne jusqu’à  la capitale, Bamako. Là , les comptoirs raffinent encore les pépites et les transforment en lingots « locaux », qui avoisinent les 24 carats, vendus à  l’étranger. Souleymane ne saurait chiffrer la manne qu’il manipule, une fois envoyée à  Londres ou à  Dubaà¯. Les prix ont chuté les derniers mois : passant de 22000 à  16000 francs CFA au Mali, le gramme d’or est vendu le double sur le marché mondial. L’Etat avance que chaque année, entre 3 et 4 tonnes proviennent de l’orpaillage artisanal. Selon Abdoulaye Pona, ces estimations sont erronées: « On peut estimer que 15 tonnes d’or sont tirées chaque année de l’orpaillage traditionnel. » Tout récemment, la Chambre des Mines du Mali a proposé la révision du code minier, et notamment celle de l’orpaillage traditionnel. Son président, Abdoulaye Pona, a pour ambition de fédérer les chercheurs d’or en coopératives « mieux contrôlées, sécurisées, respectueuses de l’environnement »… Il n’y aura pas de place pour tout le monde. L’Etat, qui ne tire rien, officiellement, de l’orpaillage traditionnel, touchera désormais un pourcentage sur l’or, qui sera centralisé dans l’unique raffinerie du pays, « Kankan Moussa ». Cette proposition intervient alors que les multinationales qui exploitent les sols, dont l’Etat n’est qu’actionnaire minoritaire, semblent promises à  une baisse de régime. Selon le gouvernement malien, cité par l’agence Ecofin, «au rythme actuel de l’exploitation, les réserves constituées par les gisements importants de types industriels et attractifs pour les grandes entreprises internationales seront épuisées à  l’horizon d’une dizaine d’années ».