Économie




Levée des sanctions : l’heure de la relance économique

Soumise à une crise multiforme depuis plus d’une décennie, l’économie malienne doit faire face à de nouveaux défis qui contrarient…

Soumise à une crise multiforme depuis plus d’une décennie, l’économie malienne doit faire face à de nouveaux défis qui contrarient sa croissance. À la crise politico-sécuritaire se sont ajoutés les effets de la pandémie de Covid-19, aggravés par une crise institutionnelle, en 2020, qui a conduit à un embargo imposé par la CEDEAO et l’UEMOA le 9 janvier 2022. Si sa levée, le 3 juillet 2022, a constitué une bouffée d’oxygène, l’embargo a encore remis en cause les espoirs d’une reprise économique dans un contexte de crise internationale à laquelle le Mali doit s’adapter.

Les défauts de paiement occasionnés notamment par le gel des avoirs de l’État du Mali, les entraves à la libre circulation des biens et des personnes à la suite de la fermeture des frontières, les pertes en termes de dépenses sociales ou d’investissements public, le renchérissement du coût de la vie sont quelques-unes des conséquences auxquelles ont abouti les sanctions économiques et financières imposées par la CEDEAO au Mali le 9 janvier dernier. Elles ont duré près de six mois. Le Mali vit aussi depuis 2012 une crise humanitaire, avec plus d’un million de déplacés internes et près de 3 millions de personnes en insécurité alimentaire. Le pays, qui avait connu une récession économique en 2020 suite à la pandémie de Covid-19, a enregistré un léger mieux en 2021 avec 3,1% de croissance et des prévisions de 5,2% pour 2022 compromises suite aux sanctions et révisées à environ 3%.

L’inflation a atteint 6,8% dans la Zone UEMOA, en raison notamment de la hausse du carburant, qui détermine généralement les autres prix à la consommation. Selon la note mensuelle de conjoncture économique des pays de l’UEMOA et de la BCEAO datée de juin 2022, il faut noter « une accélération du rythme de progression de l’inflation, en glissement annuel, à 6,9% en juin et juillet 2022 ». Une remontée des tensions inflationnistes qui « s’expliquerait par la persistance du renchérissement des produits pétroliers et alimentaires induit par l’envolée des cours mondiaux, aggravée par la crise russo-ukrainienne ». Des prix des carburants qui ont enregistré une seconde hausse en juin 2022. La note mensuelle précise que le litre de super au Sénégal a grimpé de 15%, contre 5,8% en Côte d’Ivoire. Au Mali, cette hausse était de 6,5% et 6,4% respectivement pour le super et le gasoil en juin 2022.

Effets à long terme

Si la levée effective des sanctions financières imposées par la CEDEAO et l’UEMOA au Mali a mis un terme au gel des avoirs de l’État malien et des entreprises publiques et parapubliques auprès de la BCEAO, ainsi qu’au blocage des transferts de même que l’accès de l’État malien aux systèmes de paiement de la zone, ces «  sanctions économiques, financières et commerciales ont paralysé l’économie du pays durant 6 mois et empêché l’État et les banques maliennes d’honorer leurs engagements vis à vis de leurs créanciers », rappelle M. Modibo Mao Makalou, économiste. Ainsi, après la mise en place des sanctions, la dette intérieure s’élevait à 346 milliards de francs CFA pour les titres des marchés publics (TMP) en 2022.

Particulièrement touché, le secteur des transports, considéré à juste titre comme névralgique pour le système économique d’un pays enclavé comme le Mali, continue d’envisager les voies idoines pour faire face à ses défis. Au cœur de tout l’économie malienne, il a vécu « avec beaucoup de difficultés la fermeture des frontières, qui a crée des préjudices énormes, provoqué l’immobilisation de véhicules et s’est ajoutée à la crise de Covid-19 », témoigne M. Djibril Tall, Secrétaire général de la Confédération patronale des transporteurs et Conseiller spécial de son Président.

Cette situation, qui a fortement impacté l’exploitation du parc automobile, a aussi porté un coup dur à « la politique de renforcement des capacités des transports du Mali, dont 80% sont des transports inter États ». S’ils ont accueilli avec « beaucoup de joie la levée de l’embargo », c’est avec responsabilité que ses acteurs s’apprêtent à faire face aux défis de l’approvisionnement du Mali. Sans occulter les difficultés occasionnées. En effet, assujettis à la fiscalité, les transporteurs soulignent que 6 mois d’inactivité ont sérieusement impacté « le compte d’exploitation des véhicules et les engagements envers les services financiers », l’immobilisation des véhicules étant préjudiciable à leur qualité technique. Et, au delà de l’embargo, la crise mondiale, qui a engendré l’augmentation du coût du carburant, constitue un facteur supplémentaire de difficultés, alors que les huiles de pétrole sont le premier produit d’importation du pays et représentaient 27% en 2020. Derrière, le ciment, avec 4%, principalement importé du Sénégal. Ses prix ont pris l’ascenseur avec les sanctions, atteignant même 150 000 francs CFA par endroits la tonne. Les prix ont certes baissé, mais ne sont pas revenus à la normale, soit 95 000 francs CFA avant l’imposition des sanctions. Ce retour à la normale, les hôteliers le projettent pour dans quelques mois. Eux dont le secteur a beaucoup souffert également du fait de la fermeture des frontières et de la non desserte du pays par de nombreuses compagnies aériennes de la sous-région.

Relance problématique

L’économie du Mali est la 5ème de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur 15 et la 3ème de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) sur 8 pays. Pour l’économisme Modibo Mao Makalou, la relance de l’économie malienne doit essentiellement passer par l’utilisation de « la politique budgétaire ou fiscale, qui constitue le meilleur instrument de politique économique conjoncturelle ». Il s’agira notamment, à travers les dépenses publiques, de cibler les secteurs-clés et les services de base essentiels, comme l’agriculture, l’éducation, la santé, la protection sociale, l’eau potable, l’industrie, les logements, le développement urbain et l’assainissement. Or, pour y parvenir, il faut des changements structurels profonds, qui prennent du temps, plusieurs années souvent. Avec les sanctions, le Mali s’est tourné vers les ports de Nouakchott et de Conakry pour acheminer son coton, qui passait principalement par Abidjan. Certains spécialistes dans ce domaine ont pris note des solutions alternatives mais n’y ont pas forcément adhéré, la faute aux difficultés et aux coûts supplémentaires de ces changements de ports. L’économie du pays est fortement dépendante de l’extérieur. Selon la Banque mondiale, en 2020 le commerce international représentait 65% du PIB du Mali, avec comme trio de tête à l’exportation l’or, à plus de 72,9% en 2019, le coton et les animaux vivants, dont les flux de déplacement ont sévèrement pâti des sanctions. Ces dernières ont pesé sur nos voisins également. Près de 23% des exportations sénégalaises sont destinées au Mali. Elles étaient estimées à 62 milliards de francs CFA en janvier dernier et ont baissé de 30 à 60%. Ces conséquences pourraient s’étendre à long terme aux entreprises sénégalaises, redoutent ces dernières

Quelles pistes ?

Plutôt qu’un changement de partenaires, les économistes préconisent un renforcement et une amélioration des partenariats du Mali. Enclavé, mais entouré de pays bénéficiant d’une façade maritime, le pays devrait s’appuyer sur des partenariats riches et diversifiés. D’autant que les économies des pays qui appartiennent aux mêmes communautés économiques régionales sont interdépendantes. Pour transformer ces moments de crise en opportunités et « afin de se prémunir contre les chocs exogènes, le Mali devrait diversifier son économie, en créant plus de valeur ajoutée, tout en favorisant le désenclavement intérieur et extérieur et en multipliant les corridors au sein de la CEDEAO », conclut M. Makalou. Des choix structurels s’imposent pour notamment transformer certaines des matières premières du pays, comme l’or, dont le niveau de transformation n’atteint pas 1% aujourd’hui, et aussi le coton, qui en est à environ 2%, ce qui est jugé famélique. Des spécialistes jugent que certains secteurs très touchés, comme le transport et le BTP, doivent bénéficier de subventions pour vite se remettre en selle. « Quand le BTP va, tout va », a-t-on coutume d’entendre. Pour les transports, Djibril Tall espère un système intégré, regroupant tous les acteurs concernés, pour faire face aux tracasseries ainsi qu’à l’influence négative « d’intermédiaires dans la chaîne faisant que les produits au port font l’objet de spéculations et génèrent des coûts supplémentaires ».

Fatoumata Maguiraga