Logements sociaux : les raisons de la colère

Jeudi 30 juillet, N'Tabacoro, à  la sortie de Bamako sur la route de Ségou. Le Premier ministre procède à  la…

Jeudi 30 juillet, N’Tabacoro, à  la sortie de Bamako sur la route de Ségou. Le Premier ministre procède à  la remise des clés aux heureux bénéficiaires des 1552 logements sociaux. Les chants et les sourires constatés sur place contrastent avec la grogne presque généralisée que suscite ce dossier, et ce depuis l’annonce des critères d’attribution en mai. Ils comprenaient désormais l’obligation d’un apport pour les postulants, allant de 234 000 à  2,4 millions francs CFA. La grogne s’est amplifiée à  l’annonce de la liste des bénéficiaires le 27 juillet. Les postulants, dans l’attente depuis des semaines, se sont rués sur le document affiché dans les centres de dépôts constitués par la commission d’attribution. Je ne comprends rien à  ce pays, on retire aux pauvres pour donner à  ceux qui en ont déjà  ! » se lamente Aminata Sissoko, convaincue qu’elle allait cette fois-ci recevoir une bonne nouvelle. Après une troisième candidature, elle ne décolère pas. Son sentiment de soupçons de tripatouillage est largement partagé. Raison pour laquelle, selon certains, le Président de la République Ibrahim Boubacar Keà¯ta s’est fait représenté par son Premier ministre à  la remise des clefs. C’’est en 1995 que la stratégie nationale du logement a été définie, avec comme objectif d’offrir « un logement décent aux populations à  revenus faibles et intermédiaires ». De 1960 à  nos jours, plus de 14 000 logements sociaux ont été réalisés au Mali, dont 7177 de 2009 à  2010, selon des chiffres du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat ». Même s’il y a toujours eu des déçus, le dernier contingent, composé de 1552 maisons de type F3, F4 et F5 avec toutes les commodités (électricité, eau, viabilisation), aura fait couler beaucoup d’encre. Répartir ces logements entre 15 006 postulants (10 fois plus que l’offre) était, il est vrai, une gageure. C’’est pourquoi le ministre Dramane Dembelé avait anticipé les frustrations auxquelles conduit la sélectivité des opérations, en prévenant que tout le monde ne serait pas satisfait. La colère des non bénéficiaires ne faiblit pourtant pas. à€ leurs voix se sont jointes celles de politiques et d’organisations de la société civile, qui exigent que toute la lumière soit faite sur l’affaire. t annoncés dans les régions. Double liste, doublons ou triplons « S’agà®t-il d’une erreur o๠d’une autre forme de corruption pour faire passer certaines personnes ? » Cette question posée sur Internet le 28 juillet par le transitaire Moussa Nimaga est reprise par tous. Car la liste publiée par la commission contient plusieurs incohérences. Noms et chiffres à  l’appui, Moussa Nimaga pose le problème des doublons, extraits du document officiel. « Nous avons par exemple constaté que parmi les bénéficiaires, le récépissé n°272 a eu trois logements, et le récépissé 0088‪ deux logements », assure un postulant recalé qui s’est livré au même exercice. Incompréhensible pour les candidats malheureux qui se sont réunis au sein du Collectif des demandeurs des 1552 logements de N’Tabacoro, afin de faire entendre leur colère et rétablir ce qu’ils estiment être leur droit. La commission reconnaà®t ces doublons, et les met sur le compte d’erreurs de saisie. Mais un membre d’un cabinet ministériel ayant requis l’anonymat assure que « Dramane Dembelé a apporté en Conseil des ministres la liste provisoire, dont une copie a été partagée entre tous les membres du gouvernement. Ceux qui n’ont pas vu les noms de leurs proches lui ont mis la pression, à  laquelle il a cédé, faisant ajouter les noms communiqués par ses collègues ». C’’est ce qui expliquerait les doublons et le triplons. Vraie ou fausse, cette version alimente la vindicte des recalés, notamment le Collectif qui rappelle que le même ministre avait promis de donner la priorité à  ceux qui en étaient à  leur énième candidature. Inna Diallo, enseignante et veuve vivant dans un deux-pièces avec ses enfants est révoltée et nous confie : « nous réclamons nos maisons. J’ai postulé jusqu’à  six fois, vraiment je le mérite. Nous voulons nos maisons, uniquement nos maisons. Il faut qu’ils arrêtent la corruption, le népotisme sinon ils seront pires que les rebelles qui pillent les populations au Nord ! » Au ministère on assure pourtant avoir fait l’essentiel. « 242 personnes étaient concernées par ces promesses, et 213 sont parmi les bénéficiaires. Les 29 qui restent n’ont pas présenté de dossier aux normes », explique Fabou Diarra, chargé de communication. « Et si des gens postulent avec un salaire qui ne permet pas de couvrir les prélèvements, que voulez-vous que l’on fasse ?», s’interroge-t-il. Il certifie par ailleurs qu’aucun ministre ne figure parmi les bénéficiaires, contrairement aux dire du chef de l’opposition Soumaà¯la Cissé. Il s’agirait donc d’homonymes. La commission d’attribution, qui n’échappe pas non plus aux critiques, se défend elle aussi. Ses membres, qui ont chacun reçu 1 200 000 francs CFA, étaient pourtant « mis dans les conditions pour éviter la magouille », assure-t-on au ministère. Face aux accusations, son président Issa Guindo, ancien maire de la commune IV de Bamako, fait profil bas. « Je ne suis pas quelqu’un qui aime parler. Je suis un homme qui s’assume et J’accepte tout ce qu’on dit à  propos de moi aujourd’hui», nous a t-il déclaré, sans autre commentaire. Des logements en rade ? Selon Moussa Nimaga, toujours sur la base de recoupements, ce sont 396 logements qui n’ont pas été attribués. Que va-t-il en advenir ? Fabou Diarra affirme toutefois que seule une centaine de logements sont non attribués, tout simplement parce qu’ils ne sont pas encore achevés, le contrat avec la société de construction ayant été résilié. O๠se situent donc les responsabilités ? Personne ne saurait le dire. l’ex-directeur de l’Office malien de l’habitat (OMH), Mamadou Diaby, relevé quatre jours avant la proclamation des résultats, s’en lave les mains, assurant que « l’OMH ne fait qu’abriter la commission. Nous ne sommes associés ni de près, ni de loin à  son fonctionnement et à  ses choix ». Au ministère, on semble vouloir laisser passer l’orage. D’ailleurs, l’annonce de la construction de 20 000 nouveaux logements, dont la pose de la première pierre a aussi eu lieu le 30 juillet, a été perçue au sein du Collectif comme une manœuvre de diversion. « Nous allons continuer à  réclamer que le droit soit respecté et que les logements sociaux ne deviennent pas une récompense politique ou des cadeaux familiaux. Que le pauvre malien puisse accéder, de manière équitable à  une maison, C’’est la moindre des choses », conclut l’un des membres, qui annonce leur engagement au-delà  du cas de N’Tabacoro. Cinq cents autres logements sociaux sont en effet annoncés dans les régions.