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Loi d’entente nationale : Une prime à l’impunité?

Le 13 décembre prochain, l’Assemblée nationale devra adopter ou rejeter le projet de loi d’entente nationale visant à restaurer la…

Le 13 décembre prochain, l’Assemblée nationale devra adopter ou rejeter le projet de loi d’entente nationale visant à restaurer la paix et à faciliter la réconciliation. Mais, déjà, plus de quarante organisations de défense de droits de l’homme s’y opposent. Elles craignent que les auteurs de crimes, même les plus graves, bénéficient d’amnistie.  Quid des victimes ?

« Nos organisations, au nombre d’une quarantaine, ne sont pas contre une loi d’entente nationale dans le cadre des mesures d’apaisement et de sortie de crise, mais nous nous opposons à ce projet en l’état », précise Drissa Traoré, Coordinateur du programme conjoint AMDH – FIDH. Depuis quelques jours, 47 associations de défense des droits de l’homme montent au créneau. Elles s’opposent à l’adoption du projet de loi d’entente nationale initié par le gouvernement, qui devrait être débattu par l’Assemblée nationale le 13 décembre.

Que dit le projet ?

Dans le cadre de la restauration de la paix et de la réconciliation nationale, le projet prévoit  : « l’exonération des poursuites pénales engagées ou envisagées contre les personnes ayant commis ou ayant été complices de faits (…) pouvant être qualifiés des crimes ou délits, prévus et punis par le Code pénal malien, les autres lois pénales et les conventions et textes internationaux ratifiées par le Mali ; l’adoption de mesures d’apaisement et d’indemnisation en faveur des victimes des douloureux évènements survenus (…) dans le cadre de la crise et qui ont gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et à la cohésion sociale ». Il est aussi prévu, « pour conforter les bases de l’entente nationale », une « Journée du pardon national », « une Semaine de la réconciliation nationale » et « la rédaction de l’Histoire générale inclusive du Mali ».

Nombreuses objections

Même si l’article 4 souligne que les auteurs des « crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des viols et tout autre crime réputé imprescriptible » ne sont pas couverts par cette loi, les organisations craignent qu’ils ne puissent bénéficier eux aussi de l’amnistie. « Nous estimons que si ce texte venait à être voté ce sont presque tous les auteurs qui vont bénéficier de ces mesures. Nous sommes sceptiques quant à la poursuite des personnes pour les crimes des guerres et crimes contre l’humanité », indique Drissa Traoré.

En plus de ces ambiguïtés, la Directrice exécutive d’Amnesty International Mali, Mme Ramata Guissé, estime que « ni le contenu de la loi,  ni le contexte actuel du pays ne favorisent une entente nationale », avançant que « le Mali est encore en pleine crise ». Au même moment, la commission d’enquête internationale sur les graves violations des droits de l’homme prévue par l’Accord vient de commencer son travail.  À l’exception d’Aliou Mahamar Touré, « aucun auteur de crimes n’a été puni, un déni de justice pour les victimes », précise la directrice d’Amnesty. Elle s’inquiète des répercussions négative et de « l’esprit de vengeance entre les communautés » si la loi est validée comme telle. « S’il y a cet esprit, il n’y aura jamais de paix ni d’entente », prévient-elle. Ce projet, élaboré sans les victimes et les organisations, ne prend pas non plus en compte les réparations psychologiques, selon ses détracteurs. Son retrait est donc exigé afin d’opérer « des consultations sur la base des observations que les uns et autres fourniront », demande le coordinateur Drissa Traoré. Selon lui, « le texte bafoue les droits des victimes » et, s’il venait à être adopté, « il fera la promotion de l’impunité ».

Malgré ces objections, le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga affirmait récemment « qu’il était hors de question » d’y renoncer. Selon le politologue Salia Samaké, il y a bien des zones d’ombres à éclaircir et il se demande si cette loi est opportune aujourd’hui. Il souligne que, dans le projet, « il y a des catégories qui sont exemptées et d’autres qui échappent à la justice ». Des passages à revoir, à son avis. « Dans toute réconciliation, il faut que celui qui a tort soit reconnu coupable et que celui qui a raison se le voit reconnaitre. On peut pardonner à quelqu’un qui a tort, mais quand celui-ci échappe à la sanction par le biais des lois, alors qu’on sait qu’il est coupable, le problème reste entier, parce que les victimes ne sont pas obligées de l’accepter », décortique le politologue, appelant à un dialogue mais non un retrait pur et simple du texte.