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Mali: « Les djihadistes ont laissé des cellules capables de harceler les militaires »

Les attaques des groupes armés se multiplient depuis quelques jours. Les difficultés commencent pour l'armée française ? Nous ne devons…

Les attaques des groupes armés se multiplient depuis quelques jours. Les difficultés commencent pour l’armée française ? Nous ne devons pas en être surpris. L’adversaire avait compris qu’il ne pouvait pas affronter l’armée française frontalement. Il a adopté une stratégie d’évitement. Celle-ci a permis à  l’armée de remonter très rapidement de Bamako jusqu’à  Tessalit. Mais les djihadistes ont laissé des cellules capables de harceler les militaires. Nous ne sommes pas en mesure de sécuriser une zone qui s’étend sur 1500 km. L’armée française a bien sûr fait évoluer ses techniques de renseignement et de protection pour limiter les risques. Mais il est presque impossible d’empêcher des attentats suicide. Les terroristes ont toujours l’avantage de la surprise; et ce type d’attaque est très peu coûteux pour eux. Pour les actions menées à  Gao ces derniers jours, il est difficile de savoir si elles représentent le chant du cygne des groupes armés ou le début de quelque chose de nouveau. Quelles sont les différences avec l’intervention en Afghanistan ? La principale différence tient au fait que les Talibans en Afghanistan étaient à  100% des Afghans, alors que la plupart des djihadistes d’Al Qaà¯da au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ne sont pas des Maliens. Ils bénéficient donc moins du soutien des populations locales. « On peut gagner une bataille et perdre la guerre » Par ailleurs, la géographie n’est pas du tout la même. Alors qu’en Afghanistan, le relief est très montagneux, facilitant les embuscades, le Mali est un espace ouvert et vaste. Il faut utiliser des véhicules pour s’y déplacer et il est beaucoup plus délicat de le faire discrètement. Les groupes armés sont donc plus facilement repérables. En dehors des villes, il leur est difficile de mener des opérations majeures. Sécuriser complètement Gao, une ville de 100.000 habitants, demanderait le déploiement de milliers de soldats. Ce n’est pas à  la portée de la France. Et même si on y parvenait, cela ne suffirait pas. La guerre d’Algérie a montré qu’on peut gagner une bataille -comme celle d’Alger- et perdre la guerre. Quelles leçons a-t-on tiré de l’expérience en Afghanistan? L’enseignement majeur de onze ans de guerre en Afghanistan est que les dépenses sécuritaires ne suffisent pas. Ce genre de conflit ne se règle pas par la voie militaire mais par la voie politique. On a réuni dans ce pays l’équivalent des deux tiers des budgets militaires du monde… sans parvenir à  défaire les Talibans. Au Mali, non plus, on ne l’emportera pas si on ne s’attaque aux racines de la crise. « L’armée française est là  pour très longtemps » Un autre enseignement à  retenir de la crise afghane, sur le plan politique cette fois, est qu’on ne doit pas faire abstraction d’une partie de la population. Quand on a organisé, en 2001, la conférence de Bonn destinée à  préparer la transition après avoir chassé les Talibans du pouvoir, on a fait une conférence des vainqueurs. les Pashtouns, qui constituent pourtant la plus importante minorité du pays, ont été laissés de côté. Il ne faut pas reproduire cette erreur. Il faut permettre le dialogue de toutes les composantes de la société malienne, et tout particulièrement inclurer les Touaregs. Il faut aussi très rapidement rétablir l’unité de l’armée malienne, en proie à  de graves luttes intestines actuellement. Le nouveau pouvoir doit être doté d’une vrai légitimité pour sortir de cette crise. L’armée française est-elle au Mali pour longtemps ? Oui, l’armée française est là  pour très longtemps. Dès lors qu’elle s’est engagée, la France est responsable de ce qui se passe dans ce pays. Si elle part trop tôt et que, dans la foulée, la situation se dégrade, Paris en portera la responsabilité. La France a fait une erreur stratégique en Libye qu’elle ne doit pas répéter au Mali. Quand on fait le choix de déclencher une guerre, il faut pousser jusqu’au bout la logique impliquée par cet engagement. En Libye, il aurait fallu soit s’en tenir à  la mission initiale prévue par la résolution de l’ONU, c’est à  dire protéger la ville de Benghazi face aux menaces de l’armée libyenne, soit s’engager au sol et désarmer les milices. L’entre-deux adopté par la France a détruit le pouvoir politique et ne l’a remplacé par rien. On en paie maintenant les conséquences au Sahel.