Politique




Mali – Organe unique de gestion des élections : En quête de la bonne formule

La recommandation avait été faite dans les conclusions du Dialogue national inclusif, en décembre 2019. Un organe unique de gestion…

La recommandation avait été faite dans les conclusions du Dialogue national inclusif, en décembre 2019. Un organe unique de gestion des élections était demandé de manière consensuelle à moyen terme. Mais le cadre politique et institutionnel normal a changé avec le coup d’État d’août 2020. Avec la transition, des acteurs de la classe politique et de la société civile demandent la mise en place immédiate de cet organe pour l’organisation des futures élections. Devant cette forte exigence à son endroit, le gouvernement multiplie les rencontres avec la classe politique et la société civile. Organe unique autonome et indépendant de gestion des élections ou maintien en l’état des organes actuels, il lui reviendra en dernier ressort de trancher.

La dissolution de la Commission nationale électorale indépendante (CENI) rendu publique le 1er février 2021 par le Décret N°2021-0003/PT-RM du 8 janvier 2021, portant abrogation du Décret N°2017-0214/P-RM du 13 mars 2017 portant nomination de ses membres, a sonné la fin de la course de cette institution dans l’organisation des futures élections. Désormais, il ne reste plus que le ministère de l’Administration territoriale et la Délégation générale aux élections (DGE)

Il est vrai que cette CENI était légalement arrivée au terme de son mandat depuis le 31 juillet 2020, mais cette dissolution, qui ne fait que mettre fin à une illégalité au vu de la loi électorale, suscite beaucoup d’interrogations au sein de la classe politique quant à un premier pas vers la mise en place d’un organe unique, autonome et indépendant de gestion des élections au Mali.

Mais au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation aucun rapport direct entre la dissolution de la CENI et l’éventuelle mise en place de l’organe unique n’est établi. « Aujourd’hui nous sommes dans une situation telle que même si nous voulions garder la CENI, ce n’est pas légalement possible, pour la simple raison qu’elle est bâtie essentiellement sur les concepts de majorité parlementaire et d’opposition. Avec  la nouvelle donne politique, cela n’existe plus. Nous sommes donc obligés de mettre fin au mandat de cette CENI, d’autant plus que personne de la classe politique ne se reconnait en elle », explique Mamani Nassiré, Conseiller technique chargé des questions juridiques au ministère.

D’ailleurs, selon lui, la CENI est « hors jeu » dans l’éventualité de la mise en place d’un organe unique de gestion des élections, parce qu’il sera très difficile d’asseoir une commission basée sur les partis politiques avec la pléthore actuelle. « Personne n’acceptera d’être exclu et tout le monde ne peut pas y être non plus », craint-il.

Forte focalisation

L’exigence de la création d’un organe unique, autonome et indépendant de gestion des élections est partagée depuis un moment par la quasi-totalité de la classe politique et la société civile malienne. Elle s’est accrue avec la transition. Le Consortium des Organisations de la société civile spécialisées dans les questions électorales a, dans une déclaration, le 30 janvier 2021, invité les autorités de la transition à mettre en place un Organe de gestion des élections (OGE) unique, indépendant et pérenne.

« La société civile estime qu’au vu des récents défis électoraux constatés, relatifs notamment à la tenue des élections par le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation et la gestion du contentieux électoral par la Cour Constitutionnelle, la mise en place d’une structure unique et indépendante, conformément au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, s’impose, en vue d’éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets », souligne le Consortium.

Plus tôt, du 25 au 27 janvier, lors de l’atelier proposé par le gouvernement aux acteurs de la classe politique et de la société civile sur la relecture des textes de loi sur le cadre juridique des élections au Mali, tous les participants avaient recommandé la mise en place d’une structure unique, autonome et indépendante.

Si le principe en soi a fait l’unanimité lors des discussions, certains ont toutefois proposé, compte tenu des « contraintes de temps », que les élections à venir soient organisées par les acteurs actuellement en charge de la question, en renforçant la transparence requise pour rassurer toutes les parties quant à la crédibilité des résultats.

Dr. Brahima Fomba, juriste et enseignant-chercheur à l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB) est des plus catégoriques. « Il est tout simplement impossible en 18 petits mois de créer de toutes pièces et de rendre fonctionnelle une administration électorale autonome. Prôner cela, c’est faire preuve d’irréalisme et tendre au gouvernement de transition le piège du fiasco électoral du siècle, ce dont on ne voit pas comment il pourrait se relever », s’offusque-t-il.

« Nous pensons que ce sera un peu difficile, si nous voulons rester dans les 14 mois restants, de mettre en place un tel organe et d’asseoir ses démembrements dans les régions, cercles et communes », ajoute Bissiry Coulibaly, Président de l’Association malienne pour le relèvement du taux de participation aux élections (AMRTPE).

Pour le M5-RFP par contre, la mise en place d’un « organe unique et indépendant de gestion du processus électoral » est une exigence immédiate. Le mouvement qui a mené la contestation contre l’ex-président IBK appelle à convenir d’ores et déjà des modalités de création de cet organe, « tel que convenu entre la quasi-totalité des acteurs politiques, afin de réussir la tenue d’élections transparentes, régulières et crédibles et d’éviter le scénario d’une simple formalité pour  une cession du pouvoir par la junte à des complices».

Opérationnalisation

Pour l’heure, les modalités de création de l’organique unique, autonome et indépendant de gestion des élections ne sont pas définies et arrêtées de manière consensuelle entre le gouvernement, les partis politiques et les organisations de la société civile.

« Nous savons qu’il y a beaucoup de défis qui y sont liés, notamment les contraintes de temps, les moyens matériels qu’il faut mettre en place, l’appropriation du dispositif, les questions sécuritaires d’aujourd’hui, qui font que l’implantation d’une nouvelle structure pour organiser les élections devient difficile », relève Mamani Nassiré.

Certains participants à l’atelier sur la relecture des textes avaient recommandé la mise en place d’un comité d’experts en vue de l’élaboration du cadre réglementaire régissant le futur organe, dont les résultats des travaux feraient l’objet de validation par le cadre de concertation du gouvernement avec les partis politiques et les organisations de la société civile.

« Il était prévu une restitution aux partis politiques et à la société civile et, après qu’ils auraient pris connaissance des recommandations et au vu des observations, des propositions auraient pu être faites pour avoir une idée précise de l’organe qui va être mis en place, avec son statut juridique, ses modalités de fonctionnement, son ancrage institutionnel, etc. », indique le conseiller technique, précisant que tous ces points ne sont « pas d’actualité aujourd’hui », mais restent dans le domaine des réflexions.  Celles-ci vont être soumises à discussion avec la classe politique et, en dernière instance, « le gouvernement va décider ». La CENI étant « hors course » dans l’organisation des futures échéances électorales, M. Nassiré n’écarte pas l’éventualité de l’attribution de la gestion des élections à l’un des deux organes restants.

« Aujourd’hui, l’organe unique de gestion pourrait se résumer tout simplement à transférer toutes les attributions au ministère de l’Administration territoriale ou à la DGE. Il est toujours possible d’avoir un organe unique de gestion des élections. Même si c’est le ministère ou la DGE », avance-t-il.

Une option que réfute l’ancien Président de la CENI dissoute. Pour Amadou Ba, les partenaires internationaux et les partis politiques sont unanimes sur le fait que le ministère de l’Administration territoriale ne doit plus organiser les élections. La bonne formule consensuelle est encore loin d’être trouvée.

Germain Kenouvi