Ménaka et Taoudeni : les enjeux de la régionalisation en marche

Décentralisation, régionalisation, voire libre administration, en 55 ans d'indépendance, le Mali n'est qu'à  mi-parcours de ces processus, qui s'imbriquent les…

Décentralisation, régionalisation, voire libre administration, en 55 ans d’indépendance, le Mali n’est qu’à  mi-parcours de ces processus, qui s’imbriquent les uns dans les autres. Pour comprendre la régionalisation, il faut d’abord comprendre la décentralisation : « La régionalisation est une étape du projet de décentralisation », rappelle Ousmane SY, ancien ministre de l’Administration territoriale sous Alpha Oumar Konaré. Vingt ans plus tard, les à‰tats généraux de la décentralisation, tenus en octobre 2013 à  Bamako, ont permis de faire le point de ce processus de dévolution du pouvoir central vers les collectivités territoriales, d’en tracer les acquis, mais aussi les échecs. « Elle aura permis d’améliorer l’accès à  l’éducation, à  l’eau, à  la santé, aux services de base pour les populations des communes urbaines et rurales du Mali, même si elle n’a pas toujours été effective sur le plan humain et sur celui du transfert de ressources qui est un vieux débat», poursuit l’expert. Mais cela ne suffit pas. Pour s’en rendre compte, un voyage au nord du pays ou au sud, à  Diéma par exemple (région de Kayes), permet de mesurer le retard immense à  rattraper. Accélérer la régionalisation doit permettre de résorber ce déséquilibre entre le Nord et le Sud, cet écart trop grand entre Bamako et les régions, cercles, et villages du Mali. C’’est en 1996, que le Mali passe de 19 à  703 communes en vertu de la loi du 16 octobre. Poursuivant le processus, le gouvernement d’Amadou Toumani Touré (ATT) adoptera en 2011 un projet de loi portant création de circonscriptions administratives en République du Mali. Ce projet prévoit le redécoupage administratif du Mali, le nombre de régions passant de huit à  dix-neuf sur une période de 5 ans. Sur le plan pratique, le Mali compte désormais dix régions administratives pour un territoire de plus de 1,2 millions de km2. Aux régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Gao, Tombouctou et Kidal, il faut désormais ajouter celles de Ménaka (nord-est) et de Taoudéni (nord-ouest) créées depuis 2012, et qui viennent d’être dotées de deux gouverneurs nommés lors du Conseil des ministres du 19 janvier 2016. Accélérer la mise en œuvre de l’Accord Les nominations d’Abdoulaye Alkadi, membre de l’aile « pro-gouvernementale » du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) à  Taoudeni, et de Daouda Maà¯ga, qui dirigeait jusqu’ici le Programme intégré de développement rural de la région de Kidal, à  Ménaka, entrent très clairement dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, et non plus dans une logique seule de régionalisation. « Il fallait nommer ces gouverneurs avant la mise en place des autorités transitoires en vertu de cet accord », soutient un acteur du processus. Pour Moussa Mara, ancien Premier ministre, ce n’est que la suite logique d’un processus, interrompu par la crise. « Ces nominations prévues dans la loi de 2012 faciliteront la mise en œuvre de l’accord négocié à  Alger. Et l’à‰tat trouvera les moyens pour asseoir les prérogatives de ces gouverneurs de régions ». Des gouverneurs pour le moins connaisseurs des problématiques du Nord et des attentes des populations, qui sont vastes. Ces attentes se cristallisent surtout sur l’accès aux services sociaux de base dans de nombreuses zones o๠il n’y a toujours ni écoles, ni dispensaires, mais surtout sur un retour complet et effectif de l’administration. La création de nouvelles régions doit aussi, selon Aminata Dramane Traoré, altermondialiste et intellectuelle malienne, poser la question de la redynamisation économique de ces régions : « nommer des gouverneurs répond, je suppose dans un premier temps, à  une tentative de pallier ce qui peut être considéré comme l’absence d’institutions au nord du pays. Au-delà  de cela, il faut pouvoir répondre à  la demande des populations et particulièrement des jeunes, qui réclament de l’emploi tout en créant de la richesse locale et exportable partout sur le territoire national». Pour Taoudéni et Ménaka, deux régions situées dans le nord immense et riche en ressources minières, l’enjeu est immense. Connu pour l’extraction du sel gemme, la région de Taoudéni, situé à  l’extrême nord du pays à  750km de Tombouctou, avec près de 120 000 habitants, constitue une zone de non droit sous contrôle du MAA dissident, un mouvement hostile à  Bamako et o๠s’exercent toutes sortes de trafics et d’activités liées à  AQMI : « Avec un gouverneur, on va pouvoir accroà®tre la sécurité, pallier les insuffisances, établir les cercles, et sous-préfectures, rapprocher les administrateurs et les administrés », se félicite le maire d’une localité proche. à€ Ménaka, l’autre bastion traditionnel des touaregs irrédentistes, et qui fut le point de départ de plusieurs rébellions, il n’y a tout à  faire. Avec plus de 150 000 habitants, Ménaka constitue un tournant pour la pacification d’une zone, o๠la CMA a plusieurs fois tenté d’exercer un contrôle, mais s’est heurtée aux milices locales ou pro-gouvernementales avec l’influence des Ifoghas de Kidal, plus enclins à  l’idée d’autonomie. Pour le gouverneur Maà¯ga, le défi sera d’apaiser une zone que sécurisent désormais l’armée malienne et les casques bleus de la MINUSMA, en faisant de Ménaka une région socle pour la consolidation de l’unité nationale. La régionalisation pour promouvoir la diversité dans l’unité Avec la nomination de gouverneurs, l’élection à  terme des présidents des conseils régionaux (à  qui plus de pouvoir et de ressources seront donnés) mènera plus loin le processus de régionalisation en attendant la création d’autres régions. Les ressources qui seront allouées et qui représentent environ 30% des recettes de l’à‰tat, avec priorité sur le Nord, devront compléter le travail de ces gouverneurs. La question s’est invitée tout au long du processus des négociations d’Alger. l’idée étant de déplacer cette administration au nord o๠elle existait sporadiquement et de façon militaire, pour régler une partie du problème. « Donnez-nous l’envie d’être Maliens, C’’est à  l’à‰tat de venir à  nous, pas l’inverse », affirme Amar, un habitant de Ménaka, qui attend beaucoup du nouveau gouverneur. Avec la régionalisation en marche, ce qui est en jeu, ce n’est plus tant le nombre de régions à  créer, mais le partage du pouvoir tant réclamé par les populations de ces régions, et une meilleure représentativité de leurs besoins face à  l’à‰tat central. Expert de la gouvernance locale, Ousmane Sy (voir interview page 7), qui préside l’Alliance pour la Refondation de la Gouvernance en Afrique (ARGA), va plus loin en affirmant qu’une refondation complète de l’à‰tat malien, tel qu’il existe aujourd’hui, est plus que nécessaire, afin de faire de la diversité ethnique du Mali des richesses pour construire une unité nationale forte : « Tant que nous ne réglerons pas ce problème, le doute persistera dans la construction de la paix…»