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Moubarak est parti…

L'armée aux manettes Communiqué après communiqué, depuis ce vendredi et la démission d'Hosni Moubarak vers 17h, c'est l'armée qui préside…

L’armée aux manettes Communiqué après communiqué, depuis ce vendredi et la démission d’Hosni Moubarak vers 17h, c’est l’armée qui préside aux destinées égyptiennes. C’est elle qui, par communiqué toujours, annonce ce samedi que le gouvernement nommé il y a quelques jours reste en place provisoirement pour assurer la gestion des affaires courantes en Egypte. Ce n’est plus la rue qui décide, ce sont les militaires Pendant les manifestations, un slogan était repris en boucle: « Le peuple et l’armée, main dans la main, le peuple et l’armée ne font qu’un! » Mais aujourd’hui, « ce n’est plus la rue qui décide, ce sont les militaires », estime Tewfik Aclimandos, chercheur au CNRS. Les militaires, au C’œur du bras de fer égyptien, « se sont donnés les pleins pouvoirs. Et la source de ce pouvoir est le conseil suprême des forces armées ». Mohammed Anouar Moghira, auteur deL’Egypte, clé des stratégies au Moyen-Orient (Ed. L’âge d’homme, 2009), apporte quelques précisions. « Ce conseil suprême se compose d’une quinzaine de dirigeants et dignitaires de l’armée (air, terre, mer, etc.), sous la tutelle du chef de l’Etat. Aujourd’hui c’est en réalité le haut comité militaire qui dirige le pays. Issu de ce même conseil supérieur, il a été créé dans le cadre de la révolution entamée le 25 janvier et se compose de cinq hommes. » Pour les deux spécialistes, c’est bien l’armée qui a poussé Hosni Moubarak vers la sortie. Après le discours de jeudi soir, dans lequel il a transféré ses prérogatives présidentielles à  Omar Souleimane, son vice-président, mais sans démissionner, « l’armée a vu en lui un boulet ingérable et lui a sans doute forcé la main », suggère Tewfik Aclimandos. Mohammed Anouar Moghira ajoute que les militaires « ont craint le chaos et le retournement de la population contre eux, alors qu’ils étaient jusqu’à  présent respectés et assez populaires ». Et le nouvel homme fort du Caire est… Pilier du régime depuis des décennies, l’armée se trouve aujourd’hui « en position de faiseuse de roi », estime Tewfik Aclimandos. Il rappelle que, techniquement, si l’on s’en remettait à  l’article 84 de la Constitution égyptienne, « le nouveau président devrait être le président de la Cour constitutionnelle ». Mais d’autres noms sont davantage cités dans la presse. Alors qui l’armée couronnera-t-elle? S’il en fallait un, Mohammed Anouar Moghira le chercherait parmi les cinq hommes du haut comité militaire. Il écarte rapidement deux d’entre eux, deux généraux des forces armées dont l’un dirige les renseignements, pour ne garder que les trois autres. Mohamed Hussein Tantaoui. Le maréchal, ministre de la Défense, dirige le conseil suprême des forces armées. Pour l’anecdote, son nom et son visage sont déjà  associés à  la fiche Wikipédia sur la présidence égyptienne. D’après Mohammed Anouar Moghira, il est sans doute de ceux qui ont fait le plus pression pour que Moubarak démissionne, pour « éviter un bain de sang ». Omar Souleimane. Le vice-président nommé par Hosni Moubarak fin janvier, en pleine tourmente, est l’ancien chef des renseignements. C’est lui qui a lu le texte de la démission du président déchu. Pour Mohammed Anouar Moghira, c’est Souleimane « l’homme fort du Caire », notamment à  cause de son « assise internationale » et ses liens avec les Etats-Unis, Israà«l et l’Autorité palestinienne. Jeudi soir, l’ambassadeur égyptien aux Etats-Unis le qualifiait de « président de facto » du pays. Sami Enan. Le chef d’Etat major des forces armées est le moins connu des trois à  l’étranger, il est issu de l’armée de l’air (comme Hosni Moubarak) et les experts de Washington le disent bien en vue… Pour Tewfik Aclimandos, c’est peut-être lui, ce fameux « homme fort du Caire ». Encore une fois, s’il en fallait un. Qu’en disent les manifestants? Seule certitude: « Ces hommes sont tous issus de l’ancien régime, de la même génération, et étaient proches de Moubarak », ajoute Mohammed Anouar Moghira. Un exemple: un télégramme diplomatique américain révélé par WikiLeaks, datant de 2008,décrit Mohamed Hussein Tantaoui en ces termes: « Moubarak et lui se focalisent sur la stabilité du régime et le maintien du statu quo. Ils n’ont tout simplement pas l’énergie, l’inclination ou la vision du monde pour faire les choses différemment ». En outre, même si « l’armée est la seule institution capable de mener la transition », reconnaà®t Mohammed Anouar Moghari, beaucoup de manifestants, dont la poussée a débouché sur la démission du raà¯s, « ne veulent pas d’un régime militaire ». L’armée est populaire et respectée, mais cela ne lui donne pas pour autant un blanc-seing. Pour l’heure, les militaires ont déjà  annoncé plusieurs pistes de travail, afin de répondre aux demandes du mouvement de contestation: prévoir des élections anticipées pour août sans doute, lever l’état d’urgence imposé depuis 1981, encourager l’émergence d’une opposition moins éclatée que sous l’ère Moubarak, libérer les prisonniers politiques de tous bords, et étudier la nature et l’ampleur de la révision de la Constitution. Mais l’armée a donné au pays tous ses présidents depuis près de 60 ans.  » Liée au régime, l’institution militaire a profité de cette consanguinité pour mettre sous sa coupe des pans de l’économie nationale », écrivait notre correspondant en Egypte Tangi Salaà¼n récemment. Alors l’armée fera-t-elle passer la sauvegarde du régime et de ces intérêts, avant la transition, dans la liste de ses priorités? Et la rue, déçue, pourrait-elle de nouveau gronder? « Pour l’instant les gens rentrent chez eux. Mais ils peuvent très bien redescendre et manifester à  nouveau », avertit Tewfik Aclimandos. « l’armée est populaire et respectée, mais cela ne lui donne pas pour autant un blanc-seing ». Même mise en garde du côté de Mohammed Anouar Moghari: « Ils ont réussi à  faire chuter un régime. Si un autre ne leur convient pas, ils peuvent recommencer. Une page est tournée mais le pays ne reprendra pas vie sans heurts et cela prendra des années. »