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Naffet Keita sur RFI: «Au Mali, le report de voix n’est pas automatique»

RFI : Etes-vous surpris par les résultats de ce premier tour de l'élection présidentielle malienne ? Naffet Keita : Pas…

RFI : Etes-vous surpris par les résultats de ce premier tour de l’élection présidentielle malienne ? Naffet Keita : Pas du tout. Je ne suis pas surpris. Je suis davantage surpris par le fait que le nombre de bulletins nuls est sérieusement important. Comment expliquez-vous les 400 000 bulletins nuls de ce premier tour ? Les bulletins nuls s’expliquent par le fait que les gens ne sont pas très bien éduqués, les gens ne savent pas voter. Pour cette élection, on a opté pour un format unique de bulletin sur lequel il y avait la photo des 28 candidats. Donc, sûrement, nombre d’électeurs ont voté deux ou trois fois sur le même bulletin, ce qui explique le nombre de bulletins nuls. Au-delà  de ces bulletins nuls, il y a une très forte participation, avec plus de 53% de votants. C’’est un niveau historique ? Absolument. Surtout avec cette crise actuelle que le Mali vient de traverser, le coup d’Etat, la prise des trois régions du Nord et l’application de la charia. Il y a déjà  une réalité de citoyenneté, un besoin de se sentir citoyen d’un pays et participer aux activités politiques de l’Etat. Ibrahim Boubacar Keà¯ta arrive largement en tête, avec 39,02 % des voix. Mais le soir du dimanche 28 juillet, ses partisans à  Bamako criaient « Takokélen », ce qui veut dire en bambara, « la victoire dès le premier tour ». Ne sont-ils pas un petit peu déçus ? Non, C’’est ça aussi, la fracture entre le Mali profond et la capitale. Nombre de gens résument la capitale à  tout le pays. Or la capitale n’est qu’une partie du pays. C’’est vrai, IBK a largement gagné dans le sud de Bamako, mais Bamako n’est qu’une partie du Mali. Avec 27 candidats, il y a eu un émiettement des voix. Et la multiplication des candidats a fait en sorte qu’on pourrait difficilement réussir « Takokélen », « l’élection au premier tour ». Mardi, le ministre de l’Administration du territoire, Moussa Sinko Coulibaly, a annoncé une probable victoire d’IBK dès le premier tour. Aujourd’hui, il annonce le contraire. Comment expliquez-vous ce changement de pied ? Mais il a utilisé le conditionnel. Donc à  mon avis, il ne s’est pas dédit. A Bamako, on dit que s’il y a deuxième tour, C’’est parce qu’il y a eu un bras de fer entre le ministre de l’Administration territoriale, Moussa Sinko Coulibaly, et le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), Mamadou Diamoutani, qui aurait mis en avant ses propres chiffres et qui aurait dit qu’une victoire d’IBK dès le premier tour était impossible… Non […], IBK a eu à  battre Soumaà¯la Cissé dans toutes les régions, sauf les trois régions du Nord, à  savoir Tombouctou, Gao et Kidal. Mais l’émiettement des votes [a fait] que les candidats ne pouvaient passer au premier tour. Vous dites qu’IBK est en tête dans cinq des huit régions du pays, les cinq régions les plus peuplées. Quels sont ses fiefs ? Au terme de ce premier tour, on peut dire que IBK a engrangé plus de voix à  Bamako, à  Koulikoro [à  une soixantaine de kilomètres au nord de Bamako, ndlr], à  Kayes [ouest du Mali], Ségou [dans l’ouest, sur les bords du fleuve Niger], et à  Sikasso [sud du Mali]. Soumaà¯la Cissé arrive loin derrière IBK, avec près de 20 points de retard. Derrière les deux finalistes, arrivent deux partisans de Soumaà¯la Cissé. Si l’on additionne les voix de Dramane Dembélé de l’Adéma et de Modibo Sidibé du parti Convergence pour un nouveau pôle politique (CNPP), cela fait 14%. C’’est un apport qui peut être intéressant pour le candidat Soumaà¯la Cissé ? à‡a peut être un apport très intéressant pour le candidat Soumaà¯la Cissé, mais au Mali le report de voix n’est pas automatique, en réalité. Il n’est pas mécanique. Certains peuvent préférer Modibo Sidibé et voter pour Modibo, mais au deuxième tour ils ne vont pas voter pour le candidat pour lequel Modibo a appelé à  voter. La discipline de vote n’est pas ancrée. Pourquoi ? A ce jour, aucun parti ne peut vous dire : « J’ai à  mon actif 5 000 militants qui paient régulièrement leur cotisation ». La vraie surprise de ce premier tour, C’’est peut-être Housseini Guindo, le « candidat de la brousse » comme il se décrit lui-même, à  la tête de Convergence pour le développement du Mali (Cogem), qui arrive cinquième avec un joli score de 4,6%. Comment expliquez-vous cette percée ? D’abord il a retourné l’argent que le contribuable malien a donné à  son parti pour l’effort de guerre… Oui, C’’est un joli coup politique : il a refusé l’argent public en faveur de son parti… Beaucoup plus de gens se reconnaissent en lui et davantage de jeunes. De quel côté pourrait voter Housseini Guindo au second tour ? C’’est vrai […] Housseini Guindo a commencé son parcours politique au RPM, le parti d’IBK… Après il a pris ses distances. Donc, il suit sa trajectoire.