Société




Paysage médiatique : la fin du désordre

Installée en décembre 2015, la Haute autorité de la communication (HAC) est en charge de la régulation du paysage médiatique…

Installée en décembre 2015, la Haute autorité de la communication (HAC) est en charge de la régulation du paysage médiatique malien qui compte plus de 300 radios, une centaine de titres de presse écrite et une trentaine de télévisions privées. Ses membres ont élaboré les textes permettant d’ « assainir » le secteur. Les premières conventions autorisant des médias et sociétés de distribution d’images à opérer sur le territoire malien ont été signées le 12 juin, ouvrant la voie pour tous les autres organes qui désirent se conformer aux nouvelles dispositions. Comment va se poursuivre cette opération de nettoyage du paysage médiatique ? Quels sont les acteurs concernés ? Pour quels résultats ? Entretien exclusif avec le président de la HAC, le magistrat Fodié Touré.

 À quel besoin répondait la création de la HAC, il y a près de 18 mois ?

La Haute autorité de la communication a été mise en place il y a bientôt 18 mois pour répondre à un besoin crucial de mise en ordre de l’espace médiatique au Mali. Parce que depuis les premières heures de l’ère démocratique, cet organe de régulation avait été annoncé mais la Constitution de 1992, qui est aujourd’hui en révision, a endossé un organe chargé de l’égal accès aux médias d’État. Vous savez que ceci, par sa conception même, est très restrictif. Le besoin s’est donc fait sentir de mettre en place un organe de régulation dont les missions sont plus étendues et surtout plus pragmatiques, pour œuvrer au quotidien à la régulation. Parce que lorsqu’on parle de l’égal accès aux médias d’État, c’est vrai que ça concerne les médias, mais surtout ceux qui ont besoin d’avoir accès à ces médias à une période bien déterminée. Alors qu’un organe de régulation comme cela existe dans tous les pays a pour mission d’embrasser tous les secteurs. Voici ce qui a amené les autorités à impulser la création de l’organe que je dirige.

Quel contexte avez-vous trouvé à la création de la HAC ?

Un désordre. Mais aussi une situation de désolation. Pourquoi désordre ? Tout le monde était installé, chacun faisait ce qu’il voulait, sans aucun contrôle. Désolation, parce que ceux qui sont les vrais acteurs, les vrais professionnels des médias étaient envahis par ceux qui n’y connaissaient rien mais qui venaient les concurrencer, les empêcher d’évoluer normalement et de façon saine. C’est pourquoi je parle de désolation et je pèse mes mots. Le désordre s’expliquait par une situation qui a caractérisé un moment l’administration malienne. On a délivré dans le cadre d’un début timide de régulation, pour la création de radios privées, des arrêtés interministériels. Ceux-ci annonçaient des conventions, des cahiers de charges qui ne sont jamais venus, au bout de 25 ans. Aucune autorité n’a élaboré quelque texte que ce soit pour venir renforcer ces amorces. La nature ne s’accommodant pas du vide et certains étant toujours prompts à en profiter, ils se sont installés. Et lorsque ce désordre a été constaté au bout de quelques années d’exercice, personne, et là aussi je pèse mes mots, personne n’a eu le courage de les arrêter. Chacun selon sa position, son option du jour, a laissé faire et a encouragé. Et on est venu, pour compliquer la situation, délivrer ce qu’aucun texte n’a prévu : des autorisations provisoires. En attendant quoi ? Rien du tout, parce que la HAC n’était même pas annoncée. Mais lorsque cela a été le cas, on a trouvé le soin de dire qu’on attendait sa mise en place, puis en attendant qu’elle ne valide les autorisations provisoires. Il fallait faire face à tout cela, de façon méthodique et avec beaucoup de tact. Voilà pourquoi nous avons pris tout ce temps, pour évaluer la situation avec calme mais aussi avec une approche technique, administrative et juridique.

Revenons sur l’approche avec laquelle vous avez évolué jusqu’ici. Quelle a été la réaction de vos partenaires et des autres acteurs du monde des médias ?

Il fallait d’abord mettre notre propre règlement intérieur en place. Puis nous avons pensé aux conventions et aux cahiers de charges. Mais ces conventions sont signées avec les partenaires. Ils ont donc été conviés à la HAC pour discuter sur les premiers projets qui ont été partagés avec eux, nous avons pris leurs observations. Certains ont fait des contributions qui ont été intégrées. C’est pourquoi aujourd’hui, au grand étonnement de certains, tout le monde a accepté. Les cahiers des charges n’ont pratiquement fait l’objet d’aucune contestation parce que leur contenu a été partagé, les conventions ont été signées et on remettra les conventions à tous ceux qui voudront suivre la procédure de mise en conformité. Je peux vous garantir que, sauf tremblement de terre, il n’y aura pas de contestation, parce que tout le monde connait le contenu.

Et pourtant, le ton est monté quand la HAC a publié la liste des médias concernés par ses mesures de fermeture.

Ces contestations, on s’y attendait un peu. Mais je me dis qu’objectivement, certains gagneraient à rester modérés dans leurs réactions. Parce que lorsqu’on prend sur soi la responsabilité, dans une république, d’acquérir des fréquences, par d’autres voies que celles autorisées, d’aller s’installer dans un immeuble d’une certaine valeur et de commencer à exploiter une chaîne de télévision, alors que l’on n’a même pas une feuille de papier d’une quelconque autorité, et qu’on se rebiffe quand on vous dit que vous êtes illégal, je dis qu’on frise le ridicule. C’est simple, la HAC demande de produire un document d’une quelconque administration. C’est beau de dire que la HAC veut restreindre la liberté de la presse, mais c’est quand même difficile d’expliquer comment on en est arrivé là. Autre chose : aujourd’hui, on compte une trentaine de chaînes de télévision qui émettent sans autorisation. Lorsqu’on parle d’acte administratif tenant lieu d’autorisation et qu’on tend une feuille de papier ! Pensez-vous qu’on puisse engager la responsabilité de l’État sur une feuille de papier ? Les conventions que nous avons signées hier (12 juin 2017, ndlr) ont un minimum de 44 articles, parce que l’on prend tout en compte. Les promoteurs avec qui nous avons signé étaient à l’aise parce que les vrais acteurs des médias veulent évoluer dans la légalité, ils veulent savoir comment leur secteur est régulé. Ce sont ceux qui ne sont pas du secteur qui essaient de saper notre mission. Et ils resteront à quai parce que le train va aller.

Et ceux-là justement que va-t-il en advenir ?

Il y a des moments où il faut prendre des mesures sans états d’âme. Les radios qu’on a fermées, les fréquences sont retirées, point. Il y a des fréquences qui ont été attribuées à des opérateurs qui ne les ont pas exploitées, on les a aussi retirées. Nous allons faire un appel à candidature. Si vous échouez, c’est clos et ceux qui présenteront les meilleurs dossiers seront retenus.

Il va alors y avoir une redistribution des fréquences ?

Non. Ceux qui ont déjà des fréquences ont l’option de la mise en conformité. Vous avez un arrêté ou une autorisation provisoire ? On vous donne, selon le cas, 4 à 6 mois, et vous venez signer la convention en respectant les règles et en payant les redevances. Alors vous gardez votre fréquence, le nom de votre station de radio et vous continuez à travailler. Dans le cas contraire,  on vous retire l’autorisation.

Y aura-t-il un traitement particulier pour les radios confessionnelles ?

Dans les cahiers des charges que nous avons élaborés, il y a des dispositions particulières pour ce type de médias et dans les conventions également. Celles que nous allons autoriser vont respecter ces dispositions. Parce que ça les arrange mais aussi parce que cela leur permet de renforcer leur identité confessionnelle. Tout le monde aujourd’hui fait du confessionnel parce que c’est ce qui rapporte, mais nous n’allons plus permettre à une radio commerciale ou une radio communautaire de le faire. Ce que veulent ces radios, c’est être différentes des autres, et on leur en donne l’occasion. Elles ne vont pas se mêler de politique. Ces dispositions ont fait l’objet de plusieurs semaines de réflexion au niveau de la HAC. Celles qui ne vont pas les respecter, on va les fermer.

On parle beaucoup de radio et de télévision. Qu’en est-il de la presse écrite ?

Quand nous sommes arrivés, on a trouvé une situation qui a été créée par une mesure très simpliste : pour créer un journal, il fallait aller faire la déclaration auprès d’un procureur et c’était tout. C’est une fonction que j’ai remplie pendant 17 ans. Je vous donne l’autorisation et vous allez exercer. Mais moi je ne suis pas du métier. À part la loi de 2000 sur les délits de presse, il n’y avait pratiquement rien. Il y avait un texte qui régissait l’aide à la presse. Mais tout cela a été revu au cours de la session qui s’achève. Nous avons fait des propositions au gouvernement pour encadrer la presse écrite qui est aussi importante que la presse audiovisuelle. Mais l’urgence était aux mesures à prendre pour réguler cette dernière, parce qu’il faut reconnaitre qu’il y a plus de problèmes. D’ici la fin de l’année, il y aura du changement.

Lors d’un récent Conseil des ministres, il a été question du changement des critères et de la procédure pour l’obtention de la carte de presse. Qu’est-ce qui va changer ?

Le texte dont il est question nous a été envoyé par le gouvernement pour avis. Nous avons donné notre avis à un moment où je ne suis pas sûr qu’il ait été pris en compte dans la version qui a été adoptée par le gouvernement. Vous me permettrez donc de ne pas répondre à cette question.

La HAC va-t-elle également réguler les réseaux sociaux ?

On ne peut pas y échapper. C’est un secteur sur lequel il n’y a jamais eu d’approche et ce n’est pas en un clin d’œil qu’on peut trouver une solution. Même pour la presse en ligne, dans l’UEMOA où nous avons regardé, aucun pays n’a véritablement de texte pour la régulation. En Europe, il y a la même situation. Selon mes renseignements, les serveurs des médias en ligne maliens ne se trouvent pas ici, mais à des milliers de kilomètres. Donc demander à une jeune institution comme la HAC d’en faire le contrôle, d’empêcher telle ou telle publication, c’est lui demander l’impossible. Il n’y a pas dix pays au monde capables de faire cela. La réflexion est en cours à la HAC pour qu’on trouve un moyen de réguler.

Quels sont les projets à venir de la HAC ?

Notre priorité est la mise en ordre de l’espace médiatique au Mali. Nous mettrons tout en œuvre pour ce faire. Le deuxième objectif, c’est la régulation de la presse écrite. Nous avons un grand chantier avant la fin 2017. Nous allons organiser une rencontre pour planifier comment nous allons procéder au suivi des médias durant l’année 2018 qui est une année électorale. Nous savons que nous sommes en train de sortir d’une crise et le pays est dans une situation fragile et l’accompagnement de l’espace médiatique est important. Une seule phrase sur un média peut avoir des conséquences incommensurables…