Quel Etat après la guerre ?

On parlera ici de l'échec quasi total de l'Etat malien ces dernières années, et donc de ses politiques. Quelques données…

On parlera ici de l’échec quasi total de l’Etat malien ces dernières années, et donc de ses politiques. Quelques données suffisent pour en évoquer les dégâts : un IDH (indice de développement humain) qui reste scotché dans les bas-fonds du classement mondial (même s’il augmente depuis les années 1990), une émigration continue des populations, fuyant la déliquescence des différents secteurs comme l’éducation, la santé, l’économie… Une fois la vitrine démocratique écroulée, minée par des présidences corrompues, cédant au clientélisme et à  la gabegie, l’ampleur des défaillances s’est faite jour, planquée derrière une façade que la communauté internationale feignait de prendre pour un édifice solide. C’est notamment à  l’occasion du coup d’Etat du 22 mars 2012 du capitaine Sanogo – à  quelques semaines de l’élection présidentielle (premier tour prévu le 29 avril 2012 !) – que l’on a compris ce qui se cachait derrière les murs blancs du palais de la colline de Koulouba. On se dit à  Bamako et ailleurs que le professeur Alpha Oumar Konaré, président de la République du 8 juin 1992 au 8 juin 2002, a notamment réussi à  mettre par terre le secteur de l’éducation malienne, et que le militaire Amadou Toumani Touré, président du pays du 8 juin 2002 au 22 mars 2012, n’aura réussi qu’à  faire voler en éclats une armée si peu républicaine, et dont les hommes de troupe et les sous-officiers sont prêts à  décamper devant l’ennemi… et à  fondre sur le palais de la présidence. Les résultats de ces dernières années ne sont pas glorieux. Comme le précise Marie-Françoise Durand, professeur agrégé de géographie à  Sciences-Po et auteure de L’Atlas de la mondialisation, le constat est amer et peut se résumer en trois points. – Un Etat en décomposition, favorisant une culture de prédation, de corruption et une défaillance notoire au développement. Sans oublier une incapacité à  dialoguer avec des Touareg, en rébellion armée pratiquement toutes les décennies, à  avancer vers une solution politique. – Une société civile en souffrance, fatiguée de l’échec des politiques de développement depuis plusieurs décennies. Une jeunesse importante sans beaucoup de perspectives, vouée au chômage, qui n’a comme recours que l’émigration (de plus en plus difficile vers l’Europe), le « business » (on pourrait dire trafic) en tout genre (il faut bien avoir « le prix des condiments »), la violence parfois ou la religion (ou du moins une interprétation de cette dernière qui permet une fiction d’égalité). – L’apparition du grand banditisme transnational, qui se développe d’autant plus que l’Etat s’écroule et que les populations souffrent. Trafic de haschich marocain, de cocaà¯ne colombienne, de voitures, de cigarettes, d’armes, d’êtres humains (migrants)… parfois en connexion avec des réseaux salafistes, eux aussi transnationaux et déterritorialisés. Sans oublier des mobilisations qui se font, crise oblige, sur des bases ethniques ou religieuses et qui mettent à  bas l’idée de concorde nationale, d’ouverture, privilégiant le repli sur soi. Lorsque la guerre se terminera, ou du moins sera circonscrite au fin fond du nord-est du pays, au niveau de l’Adar des Ifoghas, il sera temps de penser à  refonder cette démocratie que l’on avait eu tort de croire en marche. Evoquée lors du triomphant passage éclair du président français François Hollande à  Tombouctou et à  Bamako le 2 février, l’élection présidentielle malienne devrait se tenir avant la fin du mois de juillet prochain. Du moins, c’est l’objectif annoncé. Car il s’agit notamment de convaincre les centaines de milliers de Maliens de « rentrer au pays », après avoir fuit l’obscurantisme islamique moyenâgeux en Mauritanie, en Algérie, au Niger, au Burkina, d’établir de nouvelles listes électorales, d’organiser toute une logistique au moment o๠les pluies de l’hivernage inonderont le pays… Un travail titanesque. Quelques hommes s’y préparent déjà . Ibrahim Boubacar Keà¯ta (IBK) est de ceux-là . Ancien premier ministre d’Alpha Oumar Konaté de 1994 à  2000, ancien président de l’Assemblée nationale de 2002 à  2007, réputé homme à  poigne, candidat malheureux à  l’élection présidentielle de 2007 et à  celle avortée de 2012, il vient de passer quelques jours à  Paris, rencontrant probablement ce qu’il faut de personnalités influentes. Il aurait les faveurs de la France et des Etats-Unis. Demeure une inconnue de taille : que manigancent le petit capitaine Sanogo et sa bande, celui qui se prend pour le De Gaulle du Sahel !? Après avoir lancé ses sbires à  l’assaut du palais de Koulouba le 21 mai 2012, qui a failli coûter la vie à  Dioncounda Traoré, le président par intérim, après avoir arrêté et fait démissionné Cheick Modibo Diarra, le premier ministre par intérim le 11 décembre 2012, il vient d’essayer de régler ses comptes avec les « bérets rouges ». La garde prétorienne de l’ancien président Amadou Toumani Touré, qu’il a chassé du pouvoir lors du coup d’Etat du 22 mars 2012, a été attaquée en plein Bamako, près de son camp militaire dans le quartier de Djicoroni. La guerre des bérets continue donc, minant la vie politique malienne déjà  si fragile. Responsables d’arrestations arbitraires avec son lot de « mauvais traitements » envers des civils et des militaires, de disparitions inexpliquées, les « bérets verts » de Sanogo n’ont pas supporté l’arrivée des troupes françaises lors du déclenchement de l’opération Serval. Cantonné à  Kati, à  quelques kilomètres de Bamako, Sanogo négocierait avec la Cédéao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) quelques postes diplomatiques juteux pour ses compagnons. Ce dernier coup de force contre les « bérets rouges » serait-il un moyen de faire comprendre qu’il rêve d’être incontournable ? Le pire pour le Mali… Enfin, quid des rapports entre les autorités de Bamako et le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) ? Au moment o๠les deux parties semblent enfin pouvoir se parler, la justice malienne vient de lancer des mandats d’arrêt envers certains chefs des groupes narco-djihadistes d’Ansar Dine et du Mujao, mais aussi à  l’encontre de certaines personnalités du MNLA. Comme amorce au dialogue, on peut rêver mieux… Revenu sur la scène politique et militaire après avoir été balayé par les groupes narco-djihadistes, le MNLA a mis de l’eau dans son thé, parlant maintenant d’autodétermination dans le cadre d’un Etat fédéral, après avoir déclaré unilatéralement l’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2012. Un fait semble clair : même sous couvert de la communauté internationale, la volonté sincère de dialogue ne pourra se faire si l’une ou l’autre des deux parties n’est pas réellement prête à  parler, à  négocier. Aucune solution pérenne ne pourra venir de l’extérieur des frontières du Mali. Depuis l’indépendance du Mali, les rébellions dites touarègues ont secoué pratiquement toutes les décennies le nord du pays, se révélant de plus en plus fortes au fil des années, toujours d’abord matées dans le sang par Bamako, pour enfin trouver un accord précaire. Faudra-t-il de nouveaux drames, supportés essentiellement par les populations civiles, pour qu’une véritable solution politique partagée émerge ? Ce chantier colossal devra faire partie de l’une des toutes premières priorités du nouveau pouvoir à  Bamako. A la charge du MNLA de prouver qu’il est un mouvement supporté par la majorité des populations du nord, prêt à  participer au profit de tous les peuples de l’Azawad, sans exclusive, comme le déclarait Bilal Ag Achérif, secrétaire général du MNLA, à  Africamix.