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Radisson : 9 heures sous les balles des terroristes

Vendredi 20 novembre 2015, Bamako a vécu dans l’incertitude et l’effroi, alors qu’une prise d’otages était en cours dans l’établissement…

Vendredi 20 novembre 2015, Bamako a vécu dans l’incertitude et l’effroi, alors qu’une prise d’otages était en cours dans l’établissement le plus chic de la ville, l’hôtel Radisson Blu. Des terroristes ont ouvert le feu et pris en otage 170 clients et employés de l’hôtel. C’est au bout de 9 heures d’âpres combats, qu’une opération conjointe et massive a fini par neutraliser les terroristes. Retour sur une prise d’otages sanglante.

Il est 6h45 quand Mohamed, 25 ans, serveur au sein du “service banquet”, pénètre dans l’enceinte de l’hôtel Radisson, situé dans le quartier ACI 2000. Comme tous les jours, il prend son service à 7h. Tout est calme. Il gagne le vestiaire, en sous-sol, avec d’autres collègues, pour enfiler sa tenue de service. À 6h50, des membres du personnel font brutalement irruption dans le vestiaire. « Sortez, sortez, il y a des hommes en haut, ils sont en train de tirer ! », hurlent-ils. Mohammed se fige, effaré, ses collègues paniqués, se ruent vers l’extérieur. Ne manquant pas de sang-froid, le jeune homme décide d’aller voir ce qui se passe. Il remonte le couloir, entrouvre la petite porte de service et glisse sa tête à l’extérieur : « c’est à ce moment que j’ai vu un Blanc (NDLR – client de nationalité russe) se faire égorger. À l’intérieur il y avait des cris partout, ceux des clients, des djihadistes criant « Allahou akbar », partout des coups de feu, ils tiraient sur tout ce qui bougeait, tout était mélangé. Je n’ai plus cherché à savoir… J’ai refermé la porte et je suis redescendu en courant». À ce moment, la prise d’otages meurtrière du Radisson vient de débuter, il est 7h du matin. Tandis que Mohamed ressort à l’air libre, Konaré, un autre employé qui travaille au room service, se cache pour tenter de sauver sa peau. Il n’oubliera jamais le moment où il s’est retrouvé face à face avec deux des terroristes : « quand j’ai entendu les coups de feu, je me suis réfugié dans la salle des bagages, j’ai éteint les lumières et mon portable, et je suis resté dans l’ombre sans bouger. Ils sont entrés. Ils avaient la peau noire, étaient vêtus de chemises et de pantalons jean, et parlaient en anglais. L’un a aperçu mon pied qui dépassait de l’ombre et m’a tiré vers lui. J’ai pensé que c’était la fin ! Je me suis relevé, je me suis présenté à eux en récitant des sourates du Coran. Ils m’ont regardé sans ciller, puis l’un à parlé à l’autre dans une langue que je ne connaissais pas, et l’a tiré par le bras pour sortir de la pièce. Ce dernier a hésité, puis l’a suivi. Je les ai entendu partir, puis de nouveau des coups de feu. Je me suis enfermé, silencieux, dans l’obscurité, sans bouger ». L’attente sous les balles, pour les otages du Radisson pris au piège, durera 1h30 avant l’arrivée des premières forces de sécurité.

Une opération policière d’ampleur  L’alerte est donnée peu après 7 h, les premières forces de police à être sur place sont celles du commissariat du 14ème arrondissement, qui gère la commune IV où se trouve l’hôtel. Ils sont rapidement rejoints par les hommes de la BAC, les forces d’intervention de la police nationale (FIPN) et le peloton d’intervention de la gendarmerie nationale (PIGN). Pour ces unités surentraînées, c’est une première. «Nos forces d’intervention étaient physiquement et mentalement prêtes à intervenir sur le terrain malgré l’inconnu des lieux, ils étaient parés pour s’adapter à la situation», explique un gradé des forces de sécurité. En une vingtaine de minutes, les forces maliennes bouclent le périmètre de l’hôtel et commencent à planifier l’assaut.

Du côté du Radisson, des employés qui ont pu s’échapper se réfugient dans le salon de coiffure qui jouxte l’hôtel et tentent tant bien que mal d’aider les forces de sécurité. « Ils m’ont demandé si je pouvais localiser les issues de secours pour eux, et j’ai fait un schéma. On a essayé de leur donner un maximum d’informations sur l’hôtel, les clients », témoigne un serveur. Vers 8h, un important dispositif composé de la garde nationale, d’officiers de police et d’éléments d’intervention de la MINUSMA, de la protection civile, et de la brigade spéciale d’intervention a rejoint les unités déjà présentes. Ils sont appuyés par des forces spéciales française et américaine. Ces dernières apportent un appui logistique et de renseignement, permettant de se faire une idée plus précise de ce qui se passe à l’intérieur du bâtiment. Un PC de sécurité, une cellule de première urgence, pour assurer la prise en charge médicale des blessés ainsi qu’un soutien psychologique aux personnes évacuées, sont mis en place non loin du théâtre d’opération par la MINUSMA. Un centre de gestion de crise est constitué sous l’autorité directe du ministre de la Sécurité intérieure et du ministre de la Défense. Le Palais des sports de Bamako est réquisitionné pour accueillir et regrouper les otages qui seront exfiltrés lors de l’opération. Sur le terrain la tension est palpable, les véhicules blindés et les pick-up de la police arrivent et démarrent en trombe. Les premiers journalistes sont sur place, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. De nationale, la prise d’otages du Radisson de Bamako devient une information internationale, dont les rédactions mondiales se font l’écho. Le nombre et l’identité des terroristes, restent confus. La gorge serrée, l’angoisse et la peur dans le regard, des rescapés de cet enfer échangent avec les forces de l’ordre, sur ce qu’ils ont vu : «j’ai pu apercevoir au moins 3 terroristes différents », « ils venaient de plusieurs directions, ça tirait dans tous les coins, ils devaient être au moins une dizaine !». « Ils devaient avoir des complices qui étaient déjà à l’intérieur! ». Officiellement, les autorités font état de 2 à 3 terroristes dans l’établissement.

Top assaut  À 9 h, l’assaut est donné. L’objectif principal des forces d’intervention est la libé- ration des otages. En première ligne, ils investissent les lieux, bouclier pare-balles en avant, le sang macule les rangers, les victimes jonchent le sol. « Dès qu’ils sont arrivés les terroristes ont commencé à tirer. Nos forces d’intervention les ont repoussés dans les étages. La configuration des escaliers de l’hôtel et leur position en hauteur, leur permettaient de tirer sur tout ce qui se présentait dans l’escalier », confie une source appartenant aux forces de sécurité maliennes. Les unités d’intervention parviennent à se tailler un passage dans les premiers niveaux de l’hôtel, forçant les djihadistes à se retrancher aux derniers étages. Cette action permet l’exfiltration progressive des otages. Les informations arrivent au compte-gouttes. Les rumeurs vont bon train. Les bilans divergent sur le nombre de morts de part et d’autre : 10, 18 puis 27 victimes. Selon les médias, les terroristes se trouveraient reclus au 7ème étage de l’hôtel Radisson, qui n’en compte que 5… Les caméras retransmettent au monde entier la situation en direct. À 11h, on dénombrait déjà 80 otages exfiltrés, mais aucune nouvelle quant au sort des terroristes. Pendant 3 heures, la situation semble figée. Un officier malien s’énerve: « l’opération a pris du temps parce que les Français ont fait appel à quarante éléments des forces spéciales françaises positionnées à Ouagadougou. L’ordre implicite était d’attendre pour pouvoir conjointement terminer l’opération ». Ce n’est qu’à 14h30 qu’ils arrivent sur le théâtre d’opération, 133 otages ont déjà été exfiltrés par les forces maliennes. À 15h les deux terroristes, quelque part dans les étages de l’hôtel, n’ont plus aucun otage à exécuter entre leurs mains. L’étau peut se resserrer. Dans le même temps, la chaîne de télévision pan-arabe, Al-Jazeera, diffuse la revendication de l’assaut par le groupe djihadiste Al-Mourabitoune dans une opération avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). À 16 h, tout s’accélère. Un assaut conjoint est lancé. Les Maliens montent les escaliers pour se porter au-devant des deux forcenés, acculés au quatrième étage devant une porte bloquée menant sur une terrasse. Les Français les prennent à revers, passant par l’extérieur, et les balles pleuvent. Les terroristes, criblés d’impacts, s’écroulent morts, sans avoir pu utiliser les grenades offensives qu’ils portaient sur eux.

Le bilan de l’attaque est lourd. Officiellement on dénombre 22 morts : 18 clients, 3 membres du personnel de l’hôtel, 1 gendarme malien et deux terroristes, et 7 blessés dont 3 policiers. La majorité des victimes sont d’origine étrangère: six Russes, trois Chinois, deux Belges, une Américaine, un Sénégalais et un Israélien. L’épisode sanglant de la prise d’otages de l’hôtel Radisson s’achève à la nuit tombée. Pour les forces de sécurité maliennes c’est une réussite. Ils accusent des pertes mineures et grâce à leur courage, 133 otages ont pu être sauvés. Le président IBK sur l’ORTM, décrète 10 jours d’état d’urgence et un deuil national de 3 jours.

Le calme revient peu à peu dans les rues de Bamako, et avec lui un malaise lancinant, mélangeant choc et peur de l’avenir. Une seconde séquence commence, celle de l’enquête, qui devra amener des réponses, sur de nombreux points.