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Répressions de juillet 2020 : Une année après, la longue reconstruction des victimes

Du 10 au 13 juillet 2020, la désobéissance civile enclenchée par le M5-RFP, contestataire du régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta, a…

Du 10 au 13 juillet 2020, la désobéissance civile enclenchée par le M5-RFP, contestataire du régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta, a tourné aux affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. Selon un bilan des Nations Unies au Mali, 14 civils ont été tués par balles et 40 blessés. Une année après, les victimes portent toujours les stigmates de ces jours de violence. Et se reconstruisent peu à peu.

Une année après, Ibrahim Ballo traîne toujours les deux balles logées dans sa cuisse droite. Ce 11 juillet-là, ce vendeur de jouets pour enfants rentre de la ville. À Badalabougou, il rencontre dans la rue son ami Mody Dicko. Tous les deux partent faire la prière du Maghrib, vers le petit soir. Ibrahim Ballo reçoit un appel de sa femme l’informant que leur fille souffre de rhume. Les deux amis décident d’aller chercher des médicaments dans une pharmacie, non loin de la mosquée de l’Imam Mahmoud Dicko. La pharmacie est fermée. Plusieurs personnes sont attroupées aux abords de la mosquée, motivées par une rumeur sur l’arrestation de l’Imam. Soudain, c’est la débandade. Des forces de l’ordre « tirent dans la foule ». Ibrahim Ballo et Mody Dicko se réfugient dans une famille. Peu de temps après, ils se décident à sortir, croyant à « la fausse accalmie » qui commence à régner. C’est là que tout bascule. Une fois dehors, M. Ballo reçoit une balle dans la cuisse droite et s’effondre. Son ami M. Dicko vient à son secours. Il prend à son tour une balle au niveau des parties intimes. « Je me suis enfui pour me mettre à l’abri au bout d’une rue. C’est là qu’un homme m’a demandé ce qui n’allait pas. Je lui  ai expliqué que j’avais reçu une balle au niveau des parties intimes. Toute ma culotte était baignée de sang. Et, heureusement, un motocycliste passait. L’homme l’a arrêté et tous les deux m’ont transporté dans une clinique de Badalabougou », se souvient-il. Cruel acte du destin, puisque, fiancé, il devait se marier les jours suivants. Un mariage finalement reporté.

Pendant ce temps, Ibrahim Ballo gisait dans son sang. Abandonné à lui-même, il essaie de se relever pour se mettre à l’abri. Erreur. Il reçoit une deuxième balle dans la même cuisse et s’écroule de nouveau. C’est là qu’il comprit que se relever pouvait lui coûter la vie. « J’ai décidé de rester allongé, sinon ils allaient me tuer. Cela a duré longtemps. Si une personne voulait voler à mon secours, les forces de l’ordre lui tiraient dessus », explique-t-il. C’est finalement un enfant de seize ans, selon les estimations de la victime, qui parvient à mettre Ibrahim Ballo à l’abri. « Il m’a tiré jusqu’au bout de la rue. Je ne le connaissais pas et je ne le connais toujours pas  jusqu’à aujourd’hui. Les membres de la famille dans laquelle nous nous étions refugiés sont venus me prendre. Ils ont composé le dernier numéro de mon téléphone, qui était celui de ma femme. Ils l’ont informé de ce qui s’était passé et à son tour elle a alerté ma famille. Puis ils m’ont pris à moto et emmené dans une clinique du quartier », se remémore-t-il.

Là-bas, Ibrahim Ballo a été stupéfait d’apprendre que son ami Mody Dicko avait également été blessé. À cause de la complexité de leurs interventions, tous les deux ont été évacués à l’Hôpital Gabriel Touré où, après les premiers soins, ils ont subi des opérations chirurgicales « très tardives ».

Précarité

À l’instar de ces deux amis, ils sont environ une quarantaine de blessés graves et de familles endeuillées à traverser une expérience traumatisante. Ils sont regroupés au sein du « Collectif des victimes des 10, 11 et 12 juillet ». Seydou Doumbia en est le Président. «Le petit frère de ma femme a été tué devant le domicile de l’ancienne Présidente de la Cour constitutionnelle, Manassa Danioko, le 10 juillet. En outre, le fils de ma grande sœur est l’une des victimes. Le 11 juillet, une balle lui a transpercé l’épaule aux abords de la mosquée de l’Imam Dicko. Donc nous nous sommes organisés pour rendre visite aux différentes victimes, qu’on commençait à oublier dans les hôpitaux. Au regard de ces efforts, les victimes et leurs parents ont bien voulu faire de moi le Président du Collectif», explique-t-il.

Le regroupement a pour but d’être solidaire des victimes, de faciliter leur prise en charge, de demander réparation et d’œuvrer pour que justice soit rendue. Seydou Doumbia et son bureau de huit membres ont pu asseoir un élan de solidarité autour des membres, même si certaines familles de victimes ont refusé de s’y associer préférant confier leurs espoirs à la justice divine. « Au début des événements, les malades ont passé une semaine à l’hôpital Gabriel Touré sans une prise en charge appropriée, à part les premiers soins. C’est après que nous soyons intervenus que, durant la deuxième semaine, ils ont commencé les opérations chirurgicales, qui n’ont d’ailleurs pas été une réussite. Car plusieurs des victimes sont devenues handicapées à la suite de ces interventions alors que cela pouvait être évité. Jusqu’à présent, il y a des gens qui ont des balles logées dans les jambes. Il y en a qui ont tout perdu à cause des soins qu’ils ont payés avec d’importantes sommes », détaille le Président du Collectif.

C’est le cas de Kalilou Thiam, qui a déboursé plus de 2 millions de francs CFA, à ses dires, pour soigner son fils d’une vingtaine d’année, dont la cuisse a été fracturée par balle à Badalabougou. « Ma maison est en face de la mosquée de l’Imam Dicko. Le jour des événements, j’ai appelé mon garçon pour qu’il fasse rentrer ses frères et sœurs. C’est en allant à la maison pour faire cela qu’une balle lui a fracturé la cuisse. Ses amis l’ont transporté à la maternité du Quartier Mali. Après, on l’a évacué à l’Hôpital Gabriel Touré. Une fois là-bas, il y a une femme qui a demandé aux médecins de ne pas toucher aux blessés et que c’était une instruction qui venait d’en haut.  C’est là que j’ai décidé d’emmener mon petit dans une clinique à Lafiabougou, où il a été opéré pour 700 000 francs CFA. Sans compter d’autres frais. Le coût total des soins s’est élevé à plus de 2 millions de francs CFA. Déjà, on se débrouillait pour gagner notre vie. Dire que cet événement s’en est mêlé en plus », soupire-t-il, la voix tremblotante, avant de partir s’acheter quelques mèches de Marlboro.

 

Solidarité

C’est conscient de ces difficultés que plusieurs personnes et mouvements se sont manifestés pour soutenir les victimes, dont le Mouvement populaire du 4 septembre 2020, les Maliens de la diaspora, le M5-RFP, etc. Il en est de même de l’ancien Premier ministre Boubou Cissé, aux commandes de la Primature à l’époque des évènements. « Lors de notre premier appel à l’aide envers les victimes, un envoyé de Boubou Cissé m’a demandé de passer récupérer 5 millions de francs CFA et 10 tonnes de riz. Cependant, je n’ai pas voulu y aller au risque de plus tard m e faire accuser, peut-être, d’avoir empoché 100 millions. Je leur ai fait savoir qu’on voulait que l’opération de remise des dons se fasse devant les médias, chose qu’ils ont refusée, arguant qu’ils agissaient en tant que dignes fils du Mali et non à des fins de récupération politique. C’est alors que j’ai informé le Président du Collectif. On s’est réunis et c’est l’Imam de la Primature, l’Attaché de l’ancien Premier ministre et son Chef de cabinet qui sont venus remettre les 5 millions de francs CFA et les 10 tonnes de riz au Collectif, devant tout le monde », explique Abdoulaye Sidibé, porte-parole du Collectif.

Il poursuit en attestant que l’ancien Premier ministre a également aidé dans la prise en charge des interventions « ratées » au niveau de l’hôpital Gabriel Touré. « C’est encore Boubou Cissé qui nous a demandé d’aller avec cinq victimes à l’hôpital Le Luxembourg. Il avait décidé de la prise en charge des blessés par quotas de cinq. C’est ainsi qu’Ibrahim Ballo et Mody  Dicko ont pu bénéficier d’autres soins ».

Une autre aide, des plus précieuses, est celle d’Adama Diarra, dit Ben le Cerveau.  Membre du Conseil national de transition (CNT), il avait promis de donner de ce qu’il gagnerait aux victimes. « C’était une promesse et je vous confirme qu’il s’acquitte de cet engagement », confirme Abdoulaye Sidibé. Chaque mois, c’est au total 1 500 000 francs CFA que le parlementaire de la transition verse au Collectif. La somme est partagée entre les différents membres.

En outre, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga va donner à chacune des victimes et aux familles endeuillées un mouton pour la fête de la Tabaski. « Il nous a appelé pour parler de la situation des malades, le vendredi 2 juillet. Il a déclaré qu’il va faire une priorité de l’enquête sur les tueries, afin que les auteurs soient identifiés, jugés et arrêtés. Il nous a aussi fait savoir qu’il allait tout faire pour que les victimes soient mises dans leurs droits en termes de réparations », déclare Seydou Doumbia. Le Premier ministre va d’ailleurs prendre part à  une journée de bénédictions pour les morts du Collectif, ce 11 juillet à Badalabougou.

Imam Dicko, le mal aimé

S’il y a bien « un manque de solidarité » qui étonne les victimes, c’est celui de l’Imam Mahmoud Dicko. Celui pour lequel les jeunes de Badalabougou ont « donné leur vie ». Plusieurs lui reprochent notamment son « absence de compassion ». « Les gens ont été tués à la porte de l’Imam, parce qu’ils lui vouaient une grande confiance, contrairement aux politiciens. Et qu’une année s’écoule sans que lui ne se déplace, ne serait-ce que pour voir ce que deviennent ceux qui ont été blessés ou les familles endeuillées, même un politicien ne ferait pas cela. À plus forte raison un religieux politique», lance Abdoulaye Sidibé. « D’abord, la plus grande des aides que l’Imam Dicko pouvait faire, c’était juste de venir nous voir. Cela nous aurait suffi », enchaîne Ibrahim Ballo. « Ils ont fait du peuple un escalier pour se hisser en haut », regrette  pour sa part le Président du Collectif Seydou Doumbia.

Quant à Karamoko Sylla, frère d’Aly Sylla, un jeune homme tué aux abords de la résidence de Manassa Danioko, ancienne Présidente de la Cour constitutionnelle, les événements de juillet 2020 lui ont « ouvert les yeux ». « Les événements de juillet 2020 m’ont permis d’être au courant de beaucoup de choses. Le jour où je suis sorti pour prendre part aux manifestations, je pensais que c’était par amour du pays. Mais finalement, avec la tournure que les choses ont prises, je me suis découragé ». Loin de tout cela, la plupart des victimes ne demande que justice et réparations.

Boubacar Diallo

Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°326 du 08 juillet au 14 juillet 2021