Politique




Révision constitutionnelle : que dit le Mali de l’intérieur ?

Depuis presqu’un mois le sujet de la révision constitutionnelle tient en haleine la société civile et les partis politiques à…

Depuis presqu’un mois le sujet de la révision constitutionnelle tient en haleine la société civile et les partis politiques à Bamako. Meetings et débats se succèdent, illustrant, si besoin en était, la passion soulevée par le sujet, qui cristallise les émotions, et ce même après le report à une date ultérieure du scrutin qui aurait dû se tenir ce dimanche 9 juillet 2017. A l’intérieur du pays cependant, il n’est que très peu, voire pas du tout, question de la révision constitutionnelle, pourtant d’intérêt national. Hormis dans les capitales et quelques grandes agglomérations régionales, la relecture de la Constitution semble donc bien loin des préoccupations des Maliens. L’intérieur se sent-il exclu de la grande discussion nationale autour de cette réforme ? Tour du Mali des opinions sur la question.

Mercredi 21 juin, les autorités locales de Tombouctou, avec à leur tête l’Honorable Aziza Ben Kattra, élue de la région, invitent les populations à une séance d’explication et d’information sur le projet de loi relatif à la révision constitutionnelle. Contre toute attente, les jeunes se mobilisent pour faire obstacle à la réunion. « C’est une première dans la région. Les jeunes montrent aujourd’hui publiquement qu’ils sont contre l’avis d’un élu local », explique Mohamed Salaha, porte-parole du collectif Yermatoun, qui signifie « Levons-nous ». Pour empêcher la tenue de la séance, les membres du collectif prennent d’assaut la salle du nouveau CEDRAB à Sankoré, munis d’écriteaux sur lesquels on peut lire : « Non à la monarchie », « Non au tripatouillage de la Constitution » ou encore « La démocratie, c’est le peuple ». La réunion se tiendra quand même et durera plusieurs heures. Les jeunes du collectif quittent la salle. Un camp du « Non » à la révision constitutionnelle est créé et entend se faire entendre par tous les moyens. Pendant ce temps, à Bamako, les manifestations, meetings et marches se multiplient.

Opération communication A l’intérieur du pays, la réalité diffère d’une région à une autre, avec des disparités notoires. Entre les risques d’attentats, les accrochages dans les régions du nord et les conflits communautaires entre éleveurs peuls et sédentaires au centre du pays, le sujet de la révision occupe peu les esprits. Les avis, quant à eux, sont mitigés. A Kayes, première région du pays, le sujet de la révision constitutionnelle ne passe pas inaperçu. Dans les grins, en famille et sur les lieux de travail, les discussions vives ne cessent pas, bien que les protagonistes ne comprennent pas véritablement le nouveau projet de texte. Boubacar Niane, journaliste, est convaincu que la majorité de la population ne sait pas grand chose du projet de loi. Et pour cause, « les députés de la région, qui ont entrepris des séances d’information et d’explication de la nouvelle Constitution, ne maîtrisent pas eux-mêmes tout le texte du projet. Il est donc difficile de convaincre les gens dans ces conditions », affirme-t-il. Un avis que partage Harouna Soumaré, entrepreneur. Selon lui, « les populations veulent en savoir davantage. Sinon, elles se contentent des rumeurs et finissent par rejoindre un camp, généralement celui du « Non ».

Alors qu’à Kayes, la société civile prépare une marche pacifique pour le samedi 8 juillet, afin de dire non à la révision constitutionnelle, à Gao, au nord du Mali, on multiplie les séances d’étude du texte afin de mieux l’expliquer à la population. Pour Moussa Yoro, membre de la société civile de Gao, « la révision constitutionnelle est nécessaire pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation ».

Au centre du pays, notamment à Ségou et à Mopti, l’adhésion au projet de révision constitutionnelle est loin d’être unanime. La séance d’information entreprise par les députés de la région dans la ville de Ségou, le 21 juin dernier dans la salle du Gouvernorat, a pourtant porté ses fruits. C’est du moins l’avis de Koni Coulibaly, président du Mouvement de la jeunesse pour le développement. « Ils ont vraiment expliqué le texte, point par point. Les participants ont avoué être satisfaits à la fin de la séance. Tous ont finalement rejoint le camp du Oui ». Seydou Daou, président de la section locale de l’Union des jeunes musulmans du Mali (UJMA) et maître coranique, n’a pas le même point de vue. « Nous ne savons rien du projet. Nous n’avons pas participé à la séance parce que nous n’avons pas été informés de sa tenue. Nous attendons donc que l’on vienne nous expliquer le contenu du texte », tranche-t-il.

Un peu plus loin, dans le cercle de Djenné, région de Mopti, on estime que les populations n’ont pas été consultées à la base. Pour Samba Cissé, consultant, le discours des jeunes s’articule autour d’un seul argument, « Mopti a été oubliée dans la nouvelle Constitution ». Compte tenu de la situation sécuritaire dans cette région du pays, où des affrontements se multiplient sur les questions de foncier, les populations se sentent laissées pour compte et bien loin « des problèmes de Bamako. Nous ne faisons que survivre. Les débats de politiciens ne me regardent pas », s’insurge Ismaël Traoré, de Markala, à quelques centaines de kilomètres de Ségou. Les populations sont convaincues que seul Bamako compte pour le gouvernement. A Sikasso, le constat est le même. Selon Mamadou Tangara, ancien maire de la ville, les gens disent non parce qu’ils voient qu’à Bamako des manifestations du camp du « Non » ont lieu presque chaque semaine. C’est « une occasion pour eux de dire non à la gouvernance actuelle », déplore-t-il.

Un non-événement ? À Aguelhoc, dans le cercle de Tessalit, au nord de la région de Kidal, où les récentes élections municipales ne sont pas tenues pour des raisons de sécurité, les populations se préoccupent plutôt de leur survie. Pour Ag Abdallah, le maire, « le sujet de la révision constitutionnelle ne dit rien à personne ici. Ce qui nous préoccupe, c’est notre sécurité. A Ansongo, dans la région de Gao, où les populations vivent la peur au ventre parce que craignant chaque jour une attaque djihadiste, le sujet de la révision constitutionnelle est un non-événement. Selon Amadou Cissé, maire sortant, ni la société civile, ni les partis politiques ne s’intéressent à ce sujet. Selon une autre source, un grand risque d’affrontement communautaire plane. « On préfère s’occuper de ces problèmes que d’autres choses pour le moment », assène-t-il. Dans les villes de Tessalit et de Kidal, la révision constitutionnelle passe également inaperçue. « Vous ne verrez personne en parler ici. C’est un non-évènement pour les populations », explique une source kidaloise qui a requis l’anonymat. Selon Alkassim Ag Alhouchel, président des jeunes de la CMA, le sujet est  pourtant évoqué timidement dans la région. « Les populations en parleraient davantage si le gouvernement déléguait des autorités pour venir expliquer le contenu du projet de loi.

Le déficit de communication est le seul point qui fait l’unanimité dans les régions. Tous s’accordent en effet sur le fait que le contenu de la nouvelle Constitution est méconnu  du plus grand nombre.

A Bamako, le gouvernement pourrait rendre publique très bientôt la nouvelle date retenue pour le référendum constitutionnel, après l’avis de la Cour constitutionnelle sur la requête introduite par l’opposition. Si on ne votera pas dans certaines régions, d’autres en revanche seront appelées à exercer leur droit civique. Voteront-elles « Oui » ou « Non » ? S’abstiendront-elles ? La question demeure pour le moment sans réponse !