Économie




Sanctions contre le Mali : jusqu’à quand l’économie peut-elle tenir ?

Depuis le 9 janvier 2022, le Mali est lourdement sanctionné, suite au sommet conjoint réunissant la Communauté économique des États de l’Afrique…

Depuis le 9 janvier 2022, le Mali est lourdement sanctionné, suite au sommet conjoint réunissant la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Illégales et injustes, selon plusieurs observateurs, ces mesures interviennent dans un contexte déjà difficile pour le pays. Quelles sont donc les marges de manœuvres des autorités face à la hausse des prix de certains produits et au risque d’une réduction significative du pouvoir d’achat ? Au-delà se pose la question de la transformation de l’économie malienne, qui doit devenir plus inclusive, surtout au profit des couches les plus vulnérables.

La fermeture des frontières terrestres et aériennes, la suspension des transactions commerciales entre le Mali et les pays de la CEDEAO, à l’exception de certains produits (alimentaires, de grande consommation, pharmaceutiques et les produits énergétiques), la suspension de l’aide financière des institutions de la CEDEAO, notamment la BOAD et la BIDC, le gel des avoirs dans les banques centrales, les sanctions de la CEDEAO / UEMOA à l’encontre du Mali sont la manifestation d’une véritable « guerre économique ». Il nous faut donc « chercher une solution rapide », suggérait l’économiste Modibo Mao Makalou sur les ondes de Radio Kledu le 27 janvier 2022. Ces « sanctions inédites et inexpliquées » tranchent avec les objectifs d’intégration économique et de libre circulation des personnes et des biens de la CEDEAO, née en 1975 à Lagos, précisait-il.

Même si les effets à court terme peuvent être minimisés, en raison notamment des anticipations, l’augmentation subite de la demande, qui se manifeste dans ce genre de situation par un réflexe des consommateurs, peut provoquer une augmentation des prix. C’est qui est observé depuis quelques temps sur plusieurs produits dont les prix ne sont pas contenus, malgré les assurances des autorités et même des opérateurs pour garantir la disponibilité des stocks. Parmi les secteurs concernés, celui des BTP, où le prix du ciment continue de grimper, au désespoir des acteurs.

De 92 500 francs CFA, la tonne de ciment est actuellement cédée entre 125 000 et 130 000 francs par endroits. Les constructions en ont pris un coup. « Pour le moment, j’ai décidé d’arrêter mes 5 chantiers en cours. Parce qu’avec le devis réel que l’on fournit au client, cela n’est plus rentable », explique Amadou Guindo, promoteur et responsable de la société immobilière Andielou.

En ce qui concerne le sucre, le prix au consommateur pour le sucre importé a été fixé à 600 francs CFA, mais dans certains endroits de la capitale il coûte entre 700 et 750 francs CFA, au grand dam des clients et malgré les numéros verts mis à disposition pour dénoncer ces abus.

Durement touchés également, les transporteurs espèrent vivement que les autorités renouent le dialogue afin de trouver des compromis raisonnables entre le Mali et les pays de la CEDEAO, qui dépendent les uns des autres. « Cela fait plus de 2 semaines que nous souffrons en silence, parce qu’avec environ 15 kilomètres d’embouteillages jusque dans la savane, c’est très difficile », soupire Modibo Maïga, transporteur et chargé de cours de droit à l’IAM.

La première contrainte est celle des ressources humaines, les chauffeurs et leurs apprentis bloqués quelque part « dans la nature ». Pour se nourrir, ces derniers sont obligés de « louer des motos pour aller chercher à manger ». Des coûts supplémentaires pour ce transporteur, qui importe des bouillons alimentaires à l’état brut qui seront transformés et conditionnés sur place.

Pour d’autres acteurs du même domaine, les coûts sont encore plus élevés. En effet, ceux qui transportent des produits périssables doivent débourser entre 45 000 et 50 000 FCFA par jour pour assurer le carburant et continuer à faire tourner les camions frigorifiques.

Enclavement

Mais l’analyse des conséquences sur le plan économique amène à se focaliser sur la balance des paiements, qui retrace les transactions que le pays a avec les autres. « Les pays de la CEDEAO ne constituent pas les principaux clients du Mali (ceux auxquels il vend), parce que les exportations du Mali sont axées fondamentalement sur 3 produits : l’or, le coton et les animaux vivants », explique l’économiste Cheick Kader M’baye, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences économiques et de gestion (FSEG).

Les pays de la CEDEAO ne sont les principaux clients ni pour l’or, ni pour le coton, juste pour les animaux vivants, qui ont notamment pour destinations la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

« Par rapport aux importations, les pays de la CEDEAO ont pris soin d’exempter les produits qu’ils vendent au Mali », les produits pétroliers, pharmaceutiques et alimentaires entre autres. En ce qui concerne ces importations, la pression demeure, notamment sur les matériaux de construction.

L’autre aspect qui mérite d’être pris en compte et « qui amplifie les conséquences, c’est l’enclavement du pays », note M. M’baye. Une grande partie des produits que nous exportons transite par les pays de la CEDEAO, poursuit-il et il serait judicieux pour nous « de conserver des bonnes relations avec les pays voisins », au risque d’une augmentation des délais et coûts de transport et donc du prix à la consommation.

Résilience jusqu’à quand ?

La fragilité de l’économie malienne, confrontée à de nombreux défis qui entravent son développement, se trouve exacerbée suite à ces mesures. Mais des alternatives pour les autorités existent. «  Sur le très court terme, si la situation reste ainsi, l’une des options sera de compter sur le partenariat public / privé. Notamment des collaborations avec le secteur privé, les grands groupes et les grossistes sur les moyens par lesquels ils peuvent utiliser leurs stocks de marchandises pour stabiliser le marché », note encore M. M’baye.

Des solutions qui peuvent impliquer pour le gouvernement de s’engager par des subventions. Une collaboration dans ce cadre pourrait permettre d’atténuer un peu les effets de la crise. À ce rythme, difficile de prévoir ce qui va se passer demain. « Tout dépendra des anticipations des agents économiques ». Car la situation peut basculer d’un côté comme de l’autre.

En effet, la mise en place d’un mécanisme peut s’avérer très efficace au point que l’on décide finalement de renforcer l’option envisagée. Par exemple, le renforcement du partenariat public / privé peut donner des résultats tels que les idées de réforme structurelle en la matière seront désormais à l’ordre du jour.

Ainsi, on pourrait prédire des résultats positifs ou négatifs si « les agents économiques voient les choses de la même manière ». Il s’agit en tout cas de trouver une solution interne de collaboration afin de parvenir à stabiliser le pouvoir d’achat des ménages grâce à la maîtrise des prix.

Cependant, il y a un décalage entre le discours et la réalité, note M. M’baye. Les autorités ont beau annoncer des accords pour maîtriser les prix, difficile d’en assurer le contrôle. Pour l’économiste, il s’agit pour l’État d’instaurer un véritable cadre de confiance entre lui et le secteur privé afin que ce dernier assure lui-même une certaine rigueur dans le bon déroulement de la collaboration.

Même si le rôle de l’État n’est pas de réguler les prix, il peut souvent intervenir afin d’infléchir la position des acteurs du marché. Mais le défi est le maintien par les autorités d’un vrai « cadre de confiance et de collaboration ». Parce que l’État doit rassurer les acteurs privés, qui investissent de l’argent et dont la vocation est de faire des profits, même « s’il est vrai que l’on est en période exceptionnelle et que tout le monde doit faire des efforts pour la patrie ».

Opportunité ?

Les conséquences économiques, commerciales et financières de ces sanctions sont déjà visibles. Ces dernières, portant notamment sur le gel des avoirs et touchant l’État, se sont manifestées à travers l’annulation de l’Appel public à l’épargne émis par le Mali pour, le 14 janvier 2022, lever 30 milliards de francs CFA. Sa demande de liquidités auprès de la BCEAO, satisfaite à moitié, et l’absence du Mali du calendrier des émissions de titres de l’UEMOA du 1er trimestre 2022 en sont d’autres preuves.

Et, à moyen terme, le gel des avoirs pourrait compromettre la capacité de l’État à faire face à ses dépenses urgents et pénaliser sa vocation à financer ses services publics. Même si les chiffres ne sont pas encore connus, les recettes de l’assiette vont baisser. Le 1er février, le ministre de l’Economie et des Finances Alhousseini Sanou a adressé un courrier aux investisseurs leur expliquant que la Banque centrale n’a pas procédé au paiement de plus de 2 milliards de FCFA, ce qui l’empêche de faire face à ses engagements.

En plus de cette problématique, se pose « la question du risque associé à la dépendance monétaire en situation de crise, parce que les sanctions financières vont jouer sur la monnaie », avertit M. M’baye. Le franc CFA est émis par la BCEAO et le pays n’a pas de moyens d’en disposer sans elle. Et même si les banques nationales sont solidaires du gouvernement, elles dépendent de la banque centrale, qui met des liquidités à leur disposition chaque semaine. Pour les deux dernières semaines, les banques maliennes n’ont reçu que 209 milliards de francs CFA de la BCEAO, alors que les besoins exprimés étaient de 445 et 395 milliards de francs CFA. Dans cette situation, il sera très difficile pour les banques d’injecter de l’argent dans l’économie. Or, en période de crise, c’est grâce à la latitude d’utiliser la monnaie que l’État peut stabiliser l’économie. Selon l’économiste Modibo Mao Makalou, pour 2022, l’État malien a besoin de 1861 milliards de francs CFA pour faire face à ses dépenses ordinaires.

L’objectif de ces sanctions étant de contraindre l’État, cette situation limite véritablement ses capacités d’engagement mais aussi d’endettement. Un réel défi donc à relever. Et si nous avions notre monnaie ? Et donc notre banque centrale, il n’y aurait sûrement pas blocage. Mais « le problème n’est pas fondamentalement la monnaie », répond M. M’baye. « Nous échangeons avec les autres et il serait judicieux de privilégier la voie du dialogue », conseille-t-il.

En tout état de cause, cette crise serait une opportunité si nous pouvions nous poser des questions essentielles comme celle de la gestion de notre économie. En effet, si les recettes d’exportation sont gérées ailleurs, il nous faut prouver qu’une fois transférées elles seront mieux gérées. D’où la problématique de la bonne gouvernance afin de profiter des fruits des recettes du commerce extérieur au maximum, ce qui n’est pas acquis si l’on regarde les statistiques, déplore un acteur.

L’observation de notre économie montre des faiblesses structurelles qui mériteraient d’être corrigées, selon les spécialistes.

Transformation structurelle

En 2020, l’or a engrangé 82% des recettes d’exportation, le coton 6% et les animaux vivants environ 3%. Mais le secteur aurifère est loin d’être pourvoyeur d’emplois. Sa vente représente des recettes en impôts et taxes d’environ 500 milliards de francs CFA par an.

Pour une croissance inclusive qui profite à tout le monde, y compris les plus vulnérables, il faudrait plus de recettes partagées au niveau de l’agriculture, qui représente au moins 60% des emplois. Il faut donc « multiplier les recettes d’exportation des produits agricoles », suggère M. M’baye.

Selon lui, c’est la structure de la création d’emplois qui n’est pas bonne. L’Enquête nationale pour l’emploi de 2018 montre que 77% des emplois sont reçus par relations personnelles et que 17% constituent l’auto-emploi. Il n’y a donc pas d’industrialisation, ni de développement de chaînes de valeur.