Économie




Secteur aérien : multiples zones de turbulences

À l’instar de nombreux autres secteurs, celui du transport aérien a fait les frais de la crise qui a résulté…

À l’instar de nombreux autres secteurs, celui du transport aérien a fait les frais de la crise qui a résulté de la pandémie de Covid-19.  Pour le Directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), après un bel été, les prochains mois devront confirmer la bonne santé du domaine. En dépit de ces bons espoirs, le transport aérien tousse, avec notamment la récente grève de l’ASECNA qui a paralysé plusieurs aéroports africains. Au Mali, les défis sont récurrents, compliqués par un contexte national toujours instable qui empêche de profiter du potentiel et un contexte international où la crise du kérosène rend difficile la reprise.

Au mois de juillet 2022, les compagnies mondiales avaient déjà retrouvé 87% de leur trafic domestique et les 2/3 de leur trafic international. Si ce dernier n’a pas encore atteint les souhaits, il a doublé depuis une année. Et les progrès pour ces deux types de trafic sont les plus significatifs en Amérique du Nord et en Europe. L’Asie – Pacifique est encore à la traîne en raison de certaines restrictions encore en vigueur.

Au Mali, le secteur a aussi été confronté à diverses crises, dont celles du Covid-19 en 2020. Les impacts dans ce domaine doivent être regardés sous deux angles, estime M. Oumar Kouyaté, Directeur  général d’Air Promotion Groupe – Central West Africa (APG-CWA) : celui des agences de voyage et celui des compagnies aériennes elles-mêmes. S’agissant des premières, il faut rappeler que plusieurs d’entre elles ont fermé durant la période de pandémie et que celles qui « survivent » sont à « l’agonie » parce que confrontées à des difficultés financières énormes. Avant la crise, les compagnies aériennes avaient déjà diversifié leurs canaux de distribution. Si environ 80% à 90% se faisaient auparavant par les agences de voyage, avec le développement du numérique, les compagnies font de la vente via internet, ce qui constitue un manque à gagner pour ces acteurs.

La pandémie de Covid-19 a aggravé cette situation. Après des chômages techniques, certains ont fini par licencier une bonne partie de leur personnel. Pour les compagnies, l’effet de la crise s’est ressenti à travers les restrictions de voyage. Mais la reprise a été amorcée dès 2021 avec la levée de ces suspensions. La situation des compagnies s’améliorant par rapport à celle des agences, avec une progression des ventes. Le besoin de se déplacer a repris le dessus et les impératifs des échanges ont permis un redémarrage des voyages.

Reprise difficile

Mais l’augmentation du coût du kérosène survenue récemment risque d’entraver cette reprise et pourrait décourager certains voyageurs, le coût final étant à la charge du  consommateur. Selon l’IATA, le coût du kérosène a connu une augmentation de 55% par rapport au baril de pétrole brut, avoisinant 140 dollars début septembre 2022.

Une augmentation des coûts du carburant qui représente de 20 à 25% des coûts des compagnies aériennes. Même si les compagnies ont fait le plein cet été, elles redoutent cette augmentation qui participe fortement au renchérissement des billets d’avion.  Même si on doit prendre l’avion ou si on n’a pas le choix, le pouvoir d’achat du consommateur a quand même ses limites, admet M. Kouyaté.

Menace supplémentaire sur le secteur en Afrique, la grève de l’Union des syndicats des contrôleurs aériens de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA), lancée le 23 septembre 2022 pour 48 heures, qui concernait 17 pays membres sur le continent, dont le Mali. L’Union réclamait notamment une amélioration des conditions de vie et de travail des contrôleurs, ainsi que de meilleures perspectives dans la gestion de leur carrière. Les négociations tenues le jour même entre plusieurs gouvernements et les grévistes avaient permis d’aboutir, à la mi-journée du deuxième jour, à des engagements concernant les revendications et la suspension de la grève pour les dix prochains jours.

Pour l’Union des syndicats des contrôleurs aériens de l’ASECNA, des accords ont été trouvés sur 11 des 19 points de revendication. Mais des blocages subsistent au sujet de la rémunération, des problèmes d’effectifs et des plans de carrière. Le 24 septembre dans l’après-midi, le trafic avait repris peu à peu dans plusieurs aéroports, notamment celui de Bamako, avec Air Côte d’Ivoire, où aucun vol commercial n’avait décollé ou atterri depuis le vendredi matin, selon un témoin.

La grève avait fortement perturbé le trafic dans de nombreux aéroports, suivie dans 17 pays, avec 39 tours de contrôle vidées, selon l’Union des syndicats. Pour l’heure, après les dix jours de suspension, aucun nouveau mouvement de grève n’a encore été décrété.

Tirer les leçons du passé

Les restrictions de voyage ont engendré des pertes de revenus, selon Abderhamane Berthé, Secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA). Pour 2022, la perte est estimée à 3,5 milliards de dollars. Une perte qui représente 20% de perte de chiffre d’affaires des compagnies membres de l’AFRAA. Mais l’activité cargo s’est bien développée pendant la Covid et a augmenté de 33% par rapport à 2019, ajoute M. Berthé.

La reprise est progressive et, en septembre 2022, le niveau du trafic est de 82,5% par rapport à la même période en 2019. Malheureusement compromise par la crise ukrainienne et l’augmentation du prix du kérosène, avec un prix moyen du baril de pétrole à 142 dollars depuis janvier 2022 alors qu’il était inférieur à 80 dollars en 2019.

Le carburant représentant environ 35% du coût d’exploitation des compagnies, la répercussion sur les prix des billets est importante, même si les compagnies ne peuvent pas tout répercuter, assure M. Berthé. La majorité des dépenses des compagnies sont en dollar, avec un coût actuel élevé, alors que les revenus sur les billets sont en monnaie locale. Le dollar étant fort, il y a un impact financier direct et il est à craindre que cette hausse remette en cause la reprise des activités.

La viabilité des compagnies aériennes sur le continent est un sujet de préoccupation pour les acteurs. Air Sénégal a par exemple décidé cette semaine d’abandonner les destinations d’Afrique centrale, peu rentables pour la compagnie. L’Association des compagnies aériennes africaines a organisé en juin un « laboratoire » réunissant les experts de tous les horizons, l’objectif étant de mettre en place une feuille de route. Les problèmes identifiés sont essentiellement les taxes et charges élevées, dont celles sur le carburant dans certains pays, ou les prix des pièces de rechange.

Envisagée en 2018, la question de la mise en œuvre du Marché unique du transport aérien africain n’est pas encore effective. Son objectif est de libéraliser le transport entre les compagnies aériennes africaines et de réduire les coûts sur la chaîne pour rendre le billet accessible au pouvoir d’achat du consommateur africain, ainsi que de lever les restrictions sur les droits de trafic. Le Marché unique a été signé par 34 États et l’objectif est donc d’accélérer sa mise en œuvre, précise le Secrétaire général de l’AFRAA.

L’intérêt principal est d’améliorer la connectivité et d’augmenter le trafic afin d’aboutir à une réduction des coûts et des temps de voyage. Ce qui pourra permettre d’éviter au voyageur d’aller hors du continent pour rallier deux points en Afrique. Car le continent, où le revenu moyen est le moins élevé, est celui où les billets d’avion sont les plus chers, paradoxalement. Pour suivre la mise en œuvre des conclusions du « laboratoire », un Comité de pilotage a été mis en place,  coordonné par l’AFRAA et la Commission africaine de l’Aviation civile.

Des raisons d’espérer

Pour Boubacar Coulibaly, ancien Directeur général d’Air Mali, de 1981 à 1988, créer une compagnie sans la participation de l’État est un défi énorme. Même si cette participation doit rester minoritaire, il est normal de mettre en avant la collaboration public – privé. Le transport aérien au Mali peut et doit être mis au service du Mali, tranche-t-il. « Nous sommes un pays enclavé et ce transport reste le meilleur outil de désenclavement. Sky Mali, qui a lancé ses activités en septembre 2020, assure des dessertes intérieures et extérieures, par exemple ». Selon certains acteurs du secteur, il est possible de sortir du cycle récurrent de création puis de fermeture des compagnies en créant un environnement viable. Ceci passe notamment par une baisse des coûts afin de généraliser le recours au transport aérien.