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Sékou Dolo : « Le pays dogon a reculé de 50 ans … »

Le Point.fr : Comment, dans ce Mali en crise, le pays dogon survit-il sans tourisme ? [b Sékou Dolo :…

Le Point.fr : Comment, dans ce Mali en crise, le pays dogon survit-il sans tourisme ? [b Sékou Dolo : La situation économique a reculé de 50 ans en arrière. Nous étions au début d’un développement touristique qui s’est arrêté brutalement. Tous les acteurs du secteur l’ont senti dans leur niveau de vie, mais les avis sont partagés, car certains parviennent à  garder un relatif équilibre grâce aux relations avec une clientèle fidèle qui envoie des aides. Nous avons eu ainsi la visite d’un couple du sud de la France, très attaché au pays, qui a fait le trajet jusqu’à  Paris pour nous voir. C’est très touchant, pour toute la troupe des danseurs. La population quitte-t-elle la région ? Il faut une grande sécheresse et de mauvaises récoltes pour provoquer l’exode. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, mais la crise du Nord a donné une grande leçon au pays : les Dogon ont compris qu’ils ne pouvaient pas dépendre d’une activité exclusive, comme le tourisme. Et ceux qui vivaient des auberges et des restaurants, mais également les porteurs ou encore les guides, comme l’est un des danseurs de la troupe, sont revenus à  l’agriculture locale. Sur l’un des masques de la troupe figure une jeune fille de chaque ethnie, bambara et peule, liée à  celle des Dogon. Dans quelle mesure les bonnes relations entre les ethnies au Mali vous semblent-elles en danger avec le problème touareg ? Le rapport est resté le même entre les Dogon et les autres ethnies du Mali, car ils ont gardé le respect des autres, et inversement. Mais l’un de nos adages dit : « On ne peut pas abattre un serpent sans frapper la terre. » Les Dogon, qui sont une ethnie du pays, ne peuvent donc pas complètement échapper à  cette situation de dimension nationale. Il m’est difficile de me prononcer en restant à  la surface, car nous avons des versions différentes d’une histoire dont nous nous demandons s’il en existe une vraie… Comment les musulmans du pays dogon réagissent-ils au visage extrémiste de l’islam ? Même ceux qui se sont convertis à  l’islam ont été complètement bouleversés par ce qu’ils ont vu. Ils ont choisi cette religion pour tout autre chose. Beaucoup se demandent s’ils ne vont pas y renoncer et revenir à  la religion d’origine. Je constate ainsi de la part des nouvelles générations un retour aux sources de la tradition. Il faut dire aussi qu’islam devait rimer avec prospérité et bonheur… La religion est là  pour améliorer les conditions d’existence de notre passage sur terre entre les deux mondes. Dans ce contexte, la troupe que vous dirigez a-t-elle davantage d’occasions de se produire à  l’étranger, en France notamment ? Je dois dire que c’est très difficile. Je tourne depuis vingt ans, et vous avez vu, au Mali, comme du plus petit au plus grand, tout le monde a acclamé la France venue sauver le pays et les Maliens innocents. Mais la crise a ses conséquences sur nos vies d’artistes. Depuis quelques années déjà , les visas sont de plus en plus difficiles à  obtenir. Pour cette tournée à  Cayenne et à  Paris, nous avons obtenu un visa de dix jours. Or, un retard d’avion nous a fait rester un jour de plus avant le départ pour Cayenne, hébergés par la Maison des cultures du monde. Mais si un incident se produit au retour, comment rentrerons-nous au pays après l’expiration du visa ? C’est calculé au plus serré. Bien sûr, certains artistes africains sont venus tourner en France et ont disparu. Je comprends la méfiance suscitée par le comportement de certains confrères, mais il ne faut pas en conclure que tous les artistes de notre continent sont à  leur image. Et pour nous qui tournons depuis tant d’années, la marginalisation est sévère. Quel message voudriez-vous faire passer aujourd’hui pour le pays dogon et pour le Mali ? Je pose la question : à  qui désormais peut-on demander quelque chose ? Il faut plutôt demander qui peut écouter. Qui écoute ? Je mets tout l’espoir en Dieu, pour la pluie et effectuer de bonnes récoltes. Après un enlèvement à  Hombori, dans un pays dogon si loin de tout danger, les touristes ne sont pas revenus et nous sommes contraints à  cultiver de nouveau la terre. Mais vous qui nous avez connus chez nous, à  Sangha, regardez-moi et dites-moi si vous sentez ce changement en moi. Et chez les autres ? Nous restons ce que nous sommes. (Sourires.) Un autre adage dogon dit : « Le mauvais vent qui souffle, un moment arrive o๠il s’arrête. » Je l’attends. Et ne compte que sur le Bon Dieu qui est le même pour nous, et sur nous-mêmes. Propos recueillis par VALà‰RIE MARIN LA MESLà‰E