Société




Les Sotrama : Un pis-aller pour les Bamakois

Les « Sotrama », comme on appelle ces minibus verts de transport en commun, sont l’un des symboles de la capitale malienne.…

Les « Sotrama », comme on appelle ces minibus verts de transport en commun, sont l’un des symboles de la capitale malienne. Une activité qui fait vivre des milliers de personnes, mais qui reste sujette à de nombreuses controverses. L’état des véhicules, le non-respect des règles du Code de la route et le manque de courtoisie envers les passagers et autres usagers sont les reproches régulièrement faits aux conducteurs et autres « apprentis », ces assistants qui font la pluie et le beau temps à l’arrière du véhicule. A cela s’ajoutent de récurrentes poussées de fièvre, qui donnent une image plutôt négative de ce moyen de transport, cependant indispensable pour la vie dans la Cité des 3 caïmans.

Ils sont partout. Dès les premières lueurs du jour, ils prennent d’assaut les rues de la capitale et de sa périphérie pour transporter les Bamakois vers leurs activités quotidiennes. Ils ont fait leur apparition dans les années 80, après les fameux « dourou-dourouni ». Depuis, les minibus ont damé le pion aux bâchées qui sont cantonnées sur quelques trajets. Leur grande capacité (entre 19 et 22 passagers) et leur robustesse leur permettent de résister au temps et à la concurrence des bus de transport en commun, qui tentent régulièrement, et en vain, une percée dans le secteur. On considère que plus de la moitié des déplacements motorisés dans la capitale est assurée par les « Sotrama », du nom de la Société des transports du Mali disparue depuis des lustres, mais dont le nom est resté pour désigner les véhicules de transport en commun urbains, reconnaissables à leur couleur verte.  La grande majorité des passagers de ces véhicules les emprunte par « manque de moyens ou de choix. Il y a des quartiers de la banlieue où les taxis ne vont pas et ce n’est que le Sotrama qui peut transporter les habitants vers la ville. C’est le cas de Niamacoro Courani, où presque tout le monde se déplace grâce aux Sotrama, quitte à prendre le taxi une fois en ville », témoigne Bakary Sanogo, habitant dudit quartier, situé dans la banlieue nord de Bamako. C’est donc un « pis-aller » pour les usagers des transports que d’emprunter les fameux Sotrama. Mauvais état des véhicules, dont certains ne tiennent que par des rafistolages ingénieux, comportements indélicats des chauffeurs et apprentis… pour ne citer que ceux-là, tels sont les griefs des usagers. « Mais il faut aussi parler de leur violence. Quand ils sont mécontents, quand ils ne barrent pas la circulation, nous obligeant à marcher des kilomètres, ils se tapent dessus et il y a même des morts, souvent », poursuit M. Sanogo.

Selon les statistiques de la Direction régionale des transports du district (2016), 2 690 Sotrama sont en activité dans le district de Bamako. Ils sont regroupés au sein de syndicats qui couvrent chacun une zone géographique de la capitale. Entre la coordination des syndicats de Sotrama et celui de « l’anneau Sotrama » (centre-ville commercial), le torchon brûle depuis quelques mois. En l’espace de deux ans, des violences internes ont causé une mort d’homme (1 chauffeur en 2015) et plus de 80 blessés graves, la plupart par armes blanches. Le dernier évènement en date s’est produit le samedi 27 mai 2017. Pourquoi ?

Au cœur des tensions, la gestion de l’anneau Sotrama. Cette ligne spéciale, exclusivement réservée à la circulation des Sotrama depuis octobre 2011, est gérée par le syndicat de la zone, dirigé par le jeune Souleymane Diallo. Une mainmise qu’il espère bien garder, n’en déplaise à la Coordination générale et à son premier responsable, le Secrétaire général Marafa Touré. Ce dernier, dont le deuxième mandat de cinq ans a pris fin en septembre 2016, continue à son poste, qu’il n’entend pas non plus lâcher. Il n’en fallait pas plus pour que les partisans de l’un et de l’autre s’affrontent régulièrement. L’ancien commerçant, choisi par les chauffeurs de Sotrama pour diriger leur syndicat du fait de sa proximité avec leur milieu, brandit son bilan et dit attendre que l’UNTM lui signifie la fin de son mandat. A son actif, le regroupement de tous les chauffeurs conducteurs de Bamako, mais aussi dans les régions, en collectif, pour les sensibiliser et leur faire connaitre leurs devoirs envers les usagers et les autorités routières. « Des formations, avec le FAFPA, l’ANPE, l’APEJ, l’ANASER, ont été organisées pour les chauffeurs conducteurs, mais, malheureusement, leur nombre est encore insuffisant par rapport aux besoins », affirme le Secrétaire général. A l’en croire, la souscription à l’Assurance maladie obligatoire (AMO) est en cours de négociation et une convention collective devrait être signée bientôt avec les autorités pour permettre aux chauffeurs d’être mieux protégés.

Quid des 30 millions de francs CFA du fond Microcred pour le financement de l’achat de véhicules ? Marafa Touré renvoie la balle à celui que l’on peut appeler son adversaire dans cette guerre de leadership. « C’est Souleymane Diallo qui était responsable de ce projet. Comment puis-je avoir touché cet argent ? » interroge-t-il.  « Son mandat est fini, les chauffeurs ont voulu qu’il organise une élection, il n’a pas accepté. C’est la guerre entre chauffeurs », reprend Diallo, qui veut désormais succéder à Touré à son poste. Pour changer quoi ? « Tout », répond le jeune responsable, plein d’ambitions. « Nous sommes conscients de l’image que les gens ont de notre métier et de notre corporation. Il nous faut une réorganisation complète de notre secteur », poursuit-il. « Nous allons également aménager la gare des Sotrama sise derrière l’Assemblée Nationale. Ce lieu n’est pas digne de nous aujourd’hui. Nous allons travailler avec la mairie pour en faire un lieu propre et agencé. Des coopératives seront aussi créées pour aider les chauffeurs dans leurs projets. Il y en a plusieurs qui veulent passer aux taxis mais n’en ont pas les moyens. Plusieurs autres actions sont en cours, notamment des formations et sensibilisations pour aider les jeunes apprentis en ce qui concerne leur comportement envers les passagers et les autorités routières ». Les relations avec ces dernières, en particulier la Compagnie de circulation routière (CCR), étant souvent tendues.

Autre chantier, la mise en place de contrats de travail avec les propriétaires de Sotrama, les véhicules n’appartenant pas pour la plupart aux chauffeurs. « Il faut comprendre que les gens courent derrière la recette. Plus tu fais de rotations, plus tu rapportes de l’argent. L’augmentation des tarifs des transports et des Sotrama en particulier n’a pas suivi celle des prix des carburants. Il nous faut donc faire plus pour gagner comme avant. Or les patrons ne l’entendent pas de cette oreille et veulent récupérer l’argent investi dans le véhicule », explique Boubacar, chauffeur. « C’est pourquoi on est obligé de conduire toute la journée. On tient en prenant notre café renforcé, que certains qualifient d’excitant », poursuit-il. « C’est aussi nécessaire pour gagner un peu d’argent au-delà de la recette. C’est cela qui nous permet de joindre les deux bouts, le salaire mensuel étant largement insuffisant ». Il faut souligner que le montant de la recette et la rémunération d’un chauffeur font généralement l’objet d’une convention signée avec le propriétaire. « La recette peut être versée de manière quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle. Les salaires tournent autour de 50 à 75 000 francs CFA par mois ».

Quant aux usagers, qui suivent en victimes impuissantes et résignées les péripéties de la corporation, ils espèrent qu’à défaut d’une alternative durable aux Sotrama, ces derniers apprennent surtout le respect du client. « J’emprunte les Sotrama depuis que leur tarif était de 25 francs. A l’époque, on nous traitait comme des rois » se souvient, nostalgique, Binké Koné. Mariam Koné vendeuse au centre-ville, exprime tout haut ce que pensent souvent les passagers. « Je sors de chez moi pour venir vendre. Je n’insulte aucun client. Je respecte mes ainés. Je ne supporte pas qu’on insulte quelqu’un qui a le même âge que mon père ou ma mère ». Elle espère que des mouvements en cours sorte une direction des chauffeurs qui travaille « dans la cohésion et par le consensus au lieu des machettes », pour que les choses changent. Dans le bon sens.