Soumaïla Cissé : « Nous avons rompu le dialogue avec le gouvernement »

Journal du Mali: Vous êtes depuis quelques mois le Chef de file de l'opposition, une fonction nouvelle au Mali. En…

Journal du Mali: Vous êtes depuis quelques mois le Chef de file de l’opposition, une fonction nouvelle au Mali. En quoi consiste-t-elle et comment la vivez-vous? [b Soumaà¯la Cissé: Le décret de chef file de l’opposition est sorti depuis le mois de juin. Il y a également une loi qui consacre la position du Chef de file de l’opposition qui est reconnu leader du parti politique qui a le plus des députés. Il se trouve que c’est l’URD, membre de l’opposition, qui a le plus grand nombre des députés. En tant que chef de file de l’opposition, je dois animer l’opposition, faire en sorte que nous puissions suivre l’action gouvernementale et donc aider à  asseoir la démocratie dans tous ses fondements. Je crois que la démocratie ne peut vivre que sur trois piliers : une majorité qui gouverne, l’opposition qui s’oppose et fait des propositions, et la société civile qui surveille globalement l’ensemble de la classe politique. Nous avons donc besoin d’une opposition forte et responsable, et d’une société civile forte et qui prend ses responsabilités. Ceci dit, dans l’agencement institutionnel malien, le Chef de file est une institution comme le Haut Conseil des collectivités, la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale, ou encore la Haute Autorité de la communication. Pour mettre en œuvre la loi, il faut les décrets d’application. Le premier permet de nommer la personnalité, ce qui est fait à  travers ma personne par le choix de mes camarades de l’URD. Ensuite, un deuxième décret qui permet de travailler et remplir correctement nos fonctions. Ce décret, nous l’attendions depuis un an. Nous avons appris par un communiqué du Conseil des ministres, dans la presse, que nous aurons quatre assistants qui seront nommés en Conseil des ministres. Ce qui ne nous va pas du tout. Ensuite, il y aura des collaborateurs qui seront fournis par un ministre qui devient de facto un ministre de tutelle. Je ne vois pas en quoi une opposition peut se contenter de cela. Aucune indépendance dans le choix de nos collaborateurs, aucune idée d’un budget pour lequel on ne nous consulte pas. J’ai été moi-même, près de 7 ans, ministre du Budget et je sais qu’on ne fait jamais le budget d’une institution sans discuter avec le chef de l’institution ou son représentant. Ce qui a été fait dans ce cas est inacceptable. Je l’ai dit au cours de notre conférence nationale, C’’est un décret que nous rejetons dans le fond et dans la forme. Je crois que ce n’est pas fait pour nous permettre de travailler. Nous continuons à  faire notre travail sur nos propres moyens et avec l’appui de l’URD. Voilà  comment nous fonctionnons. Nous avons le sentiment que C’’est quelque chose qui n’intéresse pas le gouvernement. Justement, en avez-vous parlé avec l’exécutif ? Quelles sont vos relations avec le Président et le gouvernement ? Avec le gouvernement, nous n’avons aucune relation particulière. Quand nous écrivons, nous n’obtenons aucune réponse, et quand nous demandons à  être écoutés, ce n’est pas le cas. Même quand il y a menace de mort sur l’un de nos députés et que nous écrivons au Premier ministre et aux ministres concernés, nous n’avons pas ne serait-ce qu’un accusé de réception. Ceci démontre le mépris total adressé à  l’opposition, en tout cas à  travers ma personne. C’’est inacceptable dans une démocratie responsable ! Vous sentez-vous piégé par cette fonction ? Non, C’’est le gouvernement qui s’est piégé lui-même, car C’’est lui qui a initié la loi, et la majorité des députés l’a votée. C’’est maintenant au gouvernement d’appliquer cette loi. s’il ne veut pas l’appliquer, que ce soit clair, au lieu de faire la politique de l’autruche. Nous ne sommes pas demandeurs. Pour le moment, on fait semblant de donner les moyens à  l’opposition de jouer son rôle. La réalité est toute autre et les Maliens jugeront. Nous ne sommes pas mariés avec l’opposition et un jour nous serons la majorité. Ils vont donc retrouver les lois qu’ils ont faites. Regardez ce qui se fait en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie ou encore au Canada: l’opposition est mise en confort pour pouvoir travailler. Que je sois chef de l’opposition ou non, je ferais la même chose. Pour preuve, je fais le tour du pays sans un franc de l’à‰tat. Je n’accepterai pas d’être muselé parce qu’il y a un décret qui dit qu’il va nous donner des avantages. Vous êtes le visage et la voix de l’opposition. Quel regard portez-vous sur cette opposition dans le Mali d’aujourd’hui? Il faut poser cette question à  la majorité. Quand le Président de la République lui-même dit que la majorité ne fait rien et que l’opposition prend toute la place, C’’est que l’opposition se porte bien. Je crois que nos adversaires reconnaissent aujourd’hui que l’opposition fait son travail et nous en sommes fiers. Nous sommes une quinzaine de partis politiques. Nous nous réunissons régulièrement. Notre dernière réunion a amené la décision de reporter la grande marche prévue le 23 avril, après que nous ayons appris l’intervention chirurgicale qu’a subie le Président. Nous ne sommes pas une opposition irresponsable et C’’est pourquoi nous ne comprenons pas que le gouvernement nous accueille uniquement par le mépris. Nous travaillons ensemble, nous développons nos points communs, nous faisons des communiqués et des meetings. Nous nous réunissons sur les sujets d’intérêt national. Cela dit, dans l’opposition chacun vit son parti. On entend ces temps-ci parler de regroupement de partis, de centre et de gauche. Qu’en-est-il ? Gauche, centre, franchement cela ne m’intéresse pas. Dans une démocratie il y a une majorité au pouvoir et une opposition qui s’oppose, C’’est tout. Tout ce qui se met entre les deux, ce sont des gens qui n’ont pas de conviction. Ils ne choisissent pas, ce n’est responsable… Vous avez évoqué une manifestation contre le gouvernement, qui a été reportée. Quels sont vos griefs ? Ils sont connus. Depuis l’arrivée du Président au pouvoir, nous avons protesté contre un certain nombre de choses. Le premier point, C’’est le problème de la gouvernance, la corruption qui s’en suit avec entre autres les problèmes de l’avion, des engrais frelatés, des tracteurs surfacturés, la visite du Premier ministre à  Kidal qui était un non-sens… Nous avions d’ailleurs introduit une motion de censure à  ce propos. Ce sont des choses que l’histoire semble très vite oublier. Nous avons également dénoncé le manque de dialogue. En particulier sur l’Accord d’Alger que nous estimons porteur des germes de la partition du Mali. Voilà  un an que nous avons signé l’accord, rien ne se passe. On essaie de l’exécuter au pas de charge mais sans savoir o๠l’on va. La première chose que l’on devait faire, C’’est indiquer une direction, montrer le schéma institutionnel qu’on propose aux Maliens. Ce schéma, on le met dans une Constitution qui est soumise au vote et une fois qu’elle est adoptée, on fait des lois. Là , on est en train de faire des lois qui jurent avec la Constitution. C’’est une démarche que je ne comprends pas et qui n’existe nulle part. Nous avons refusé de voter pour ces autorités intérimaires car elles jurent avec la Constitution. D’abord dans la forme, on ne peut ainsi modifier la gestion des collectivités sans consulter le Haut Conseil des collectivités. La deuxième chose, C’’est que dans la Constitution, il est écrit que la collectivité s’administre librement. On ne peut donc pas prendre de loi qui va déboucher sur un décret. Nous avons vu ce décret. Il est passé en Conseil des ministres et attend la confirmation du gouvernement. Dans le texte, il est clairement écrit que toutes les collectivités du nord seront remplacées. Cela veut dire que toutes les communes des régions du nord, toutes les mairies, tous les conseillers de cercle et des régions vont être changés. Pour les diriger, il y aura à  égalité la CMA, la Plateforme et l’à‰tat. Comment se fait-il que le gouvernement se mette au même niveau que des groupes armés pour diriger le pays ? C’’est inacceptable, C’’est une partition du pays et C’’est donner une prime à  ceux qui ont pris les armes. Sans compter l’injustice qui en découle. Prenons l’exemple de Saraferé, une commune de Sitouba qui a 64 villages. La majorité des conseillers communaux sont de l’URD. Dans cette commune, ils n’ont jamais vu de CMA ni de Plateforme. Ils sont 23 dans le conseil, et on va tous les enlever sans demander leur avis. Le gouvernement a pourtant annoncé que l’installation d’autorités intérimaires serait étudiée au cas pas cas… Ce sont des histoires, J’ai vu le décret. Pourquoi le gouvernement se précipite pour prendre une loi, qui n’apporte d’ailleurs rien de nouveau ? Dans le décret, on se réfère à  l’Accord de paix, qui ne concerne que le nord du pays. Cet accord ne concerne ni Kolondieba, ni Yanfolila. Les arguments avancés ne sont qu’une façon de reculer mais Dieu nous donnera longue vie afin que l’on puisse voir ce qui va être effectivement fait. Dans le décret, il est écrit que s’il y a 11 conseillers, il y en a 3 de la CMA, 3 de la Plateforme, 3 du gouvernement et 2 autorités traditionnelles. Ils sont même allés jusqu’à  répartir les postes : si le gouvernement est président, un tel est vice président et l’autre est 2ème vice-président, etc. Si le décret est pris, qu’allez-vous faire ? Si le décret est pris, nous allons mobiliser l’ensemble de la population, car cela voudra dire que le pays sera divisé en deux. Si les Maliens veulent qu’on coupe le pays, il sera coupé. Je vous ai dit qu’il y a trois piliers fondamentaux, la société civile, la majorité et l’opposition. Nous sommes les plus petits morceaux. C’’est la majorité et la société civile qui décident, nous ne faisons qu’attirer l’attention sur ce qui ne va pas. Vous voulez dire que la société civile malienne ne joue pas son rôle ? La société civile ne joue pas son rôle. Elle doit contrôler la classe politique, l’opposition comme la majorité. Car ces deux peuvent se mettre d’accord sur le dos du peuple, en formant par exemple un gouvernement d’union nationale. C’’est à  la société civile de prévenir les dérives. Par exemple, la corruption est généralisée mais tout le monde se tait. On dit « ça ne fait rien, ils sont au pouvoir ». On vous a vu boycotter des votes à  l’Assemblée nationale, maintenant C’’est une manifestation qui est prévue. s’agit-il de vos seuls moyens d’actions ? Nous n’avons pas fait que cela. Nous avons fait des conférences de presse, nous avons déposé une motion. Nous avons écrit au gouvernement pour engager le dialogue. Il est vrai que pour le moment, nous avons nous-mêmes rompu ce dialogue parce que le secrétaire général du RPM a pris le micro pour dire que l’opposition veut faire un coup d’à‰tat. Tant qu’il n’y aura pas de preuve qu’un coup d’à‰tat est en préparation, qu’on montrera les auteurs présumés et qu’on les arrêtera, on ne pourra pas travailler avec eux. Ou alors, il présente des excuses publiquement. La deuxième chose, quand on nous parle de boycott, ce n’est pas le cas. On nous a à  nouveau refusé la parole. Ce n’est ni la première fois ni la deuxième que le président de l’Assemblée nationale refuse de nous donner la parole. Tous ceux qui suivent les débats en direct voient comment le président de l’Assemblée se comporte. Dans ces conditions, nous sommes obligés de quitter l’Hémicycle. Le Président IBK est à  mi-mandat et vous avez beaucoup de critiques. Y a-t-il cependant des choses positives dans sa gestion? Ce qu’on peut retenir de positif, ce sont nos victoires au football et en basketball. Nous avons des jeunes qui ne se préoccupent pas de politique, qui font leur travail et font honneur au pays. à€ part cela… Tenez, je suis en ce moment en tournée. Je suis dans une zone o๠depuis 50 ans, rien n’a bougé. Pour se déplacer sur trente kilomètres, on a besoin de trois guides, parce qu’il n’y a pas de route, pas de pistes. C’’est cela le Mali profond qui s’inquiète, qui se sent abandonné. Voilà  la situation dans laquelle nous sommes. J’ai été à  Tombouctou, une ville o๠il n’y a aucune autorité depuis 2013. Voilà  des raisons pour lesquelles nous disons au gouvernement : « ouvrez vos yeux », on ne sait pas o๠va le pays, le gouvernement dort, le Président ne donne pas d’indication, les groupes armés font ce qu’ils veulent, on donne 400 millions par ici, on donne 300 millions par là , et on n’a pas de résultat. C’’est dommage. Vous êtes actuellement en tournée à  l’intérieur du pays. Qu’y a-t-il à  votre agenda lors de ces déplacements ? Je reviens à  ma base. Depuis que J’ai été élu, je n’ai pas pu le faire à  cause de l’insécurité. J’ai décidé de prendre le risque. Je fais la zone jusqu’à  la fin de la semaine, et je me rendrai ensuite en Afrique du Sud o๠je siège au Parlement africain. Puis je reviendrai continuer ma tournée à  l’intérieur du Mali. Vous aurez bientôt à  voter la poursuite ou non de l’ancien Président Amadou Toumani Touré pour haute trahison. Quelle est votre opinion sur ce dossier ? Quand on accuse quelqu’un, il n’y a pas d’opinion à  avoir. à€ Mopti, J’ai rencontré des notables qui m’ont chargé de dire au Président de faire tout pour qu’ATT puisse revenir. J’ai passé le message. Nous sommes dans un à‰tat de droit et la justice a été saisie, qui a à  son tour saisit l’Assemblée nationale avec la bénédiction du ministre de la Justice, donc du chef de l’à‰tat. Cette saisine a fait l’objet d’une commission d’enquête ad hoc, qui a fini son travail depuis un mois. On attend donc le rapport qui sera soumis à  débat, puis au vote des députés. Si le vote dit de le mettre devant la Haute Cour de justice, mon opinion personnelle n’aura aucun intérêt. Comment se porte votre parti l’URD ? l’Union pour la République et la démocratie se porte très bien. Nous avons tenu notre conférence nationale en mars, précédée d’une tournée nationale dans toutes les régions du Mali, à  part Kidal, dont J’ai rencontré le gouverneur à  Tombouctou. Partout o๠nous avons été, l’engouement pour l’URD est là  et nous nous réjouissons des nouvelles adhésions lors de la conférence nationale.