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Télé-enseignement : Interrogations sur un dispositif à construire

Dans le cadre de la « continuité pédagogique » envisagée par le gouvernement, les premiers cours à l’intention des élèves de 9ème année…

Dans le cadre de la « continuité pédagogique » envisagée par le gouvernement, les premiers cours à l’intention des élèves de 9ème année fondamentale ont été diffusés sur la télévision nationale ce 14 avril 2020. Constatant l’absence de « supports pédagogiques directement utilisables, en collaboration avec les ministères de la Communication et de l’Économie numérique, nous nous sommes organisés pour mettre en place ce dispositif de formation à distance », expliquait notamment le ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique sur l’ORTM1, le 13 avril. Mais cette éventualité de cours à distance soulève pour le moment plus de questions qu’elle n’en résout. La faisabilité de ce dispositif, qui reste à mettre en place, pose la question des moyens techniques et technologiques, de leur accessibilité et des ressources humaines chargées de la mettre en œuvre. C’est pourquoi plusieurs  acteurs sont sceptiques, et même opposés, vis-à-vis de ce système, qui présente de nombreux défis à plusieurs niveaux.

« Aujourd’hui, nous avons déjà sur les bras des contenus pédagogiques élaborés au niveau de la Direction nationale de l’Enseignement fondamental (niveaux 1 et 2), surtout en ce qui concerne la classe d’examen qu’est la 9ème. Ainsi, toutes les matières retenues à l’examen du DEF sont disponibles en termes de contenus pédagogiques », a détaillé le ministre de l’Éducation.

Avant d’ajouter que les « équipes sont à pied d’œuvre pour faire la même chose pour les classes de terminale, toutes séries » et d’inviter les parents d’élèves à s’impliquer dans l’encadrement nécessaire au suivi de ce programme.

Les cours à distance seraient « salutaires, car ils permettraient aux élèves et aux étudiants de ne pas rester trop longtemps sans formation », mais seulement s’ils sont réalisables, prévient Mamoutou Karamoko Tounkara, docteur en sociologie, enseignant – chercheur à l’université de Ségou. M. Tounkara,  chef du département de Sociologie de la même université, est « dubitatif par rapport à la réalité du Mali ».

La difficulté d’accès aux médias et à Internet et la diversité des programmes au Mali constituent les premières entraves à ces cours à distance. Comment, dans ces conditions, dispenser des cours aux élèves de même niveau ?

À cette difficulté s’ajoute celle des ressources humaines qui seront chargées d’animer ces cours. Si les enseignants de l’école publique ne sont plus en grève depuis le 13 mars 2020, leur dernier préavis de débrayage ayant été retiré suite à la déclaration de la pandémie du coronavirus au Mali, ils ne sont cependant pas « dans les dispositions pour accompagner le gouvernement ».

« Pédagogiquement, cela n’a aucun effet sur les enfants. Faire des cours par la radio ou la télévision ou par Internet, c’est ignorer les réalités du Mali », déclare Ousmane Almoudou du Syndicat national des enseignants fonctionnaires des Collectivités territoriales (SYNEFCT). S’associer au gouvernement dans cette initiative, c’est se rendre complice d’une situation de « tromperie du peuple », ajoute le syndicaliste. Cette solution discriminatoire, qui n’offrira pas l’égalité des chances à tous les enfants du Mali, est peut-être une façon de « sauver l’année scolaire de leurs enfants », s’indigne M. Almoudou.

Fortement impactée par une situation sécuritaire compliquée depuis plusieurs années,  l’école se caractérise par la fermeture des classes dans plusieurs localités. Comment alors donner des cours aux élèves de ces sites, qui n’ont pas suivi de cours depuis le début de l’année ? s’interroge M. Tounkara de l’université de Ségou. « Autant de zones d’ombres et d’incertitudes » qui font planer le doute sur ce programme, qui ne sauvera pas une « année scolaire déjà compromise ». Serait-ce « une mesure destinée à contenter les bailleurs pour qu’ils ne coupent pas les financements au niveau de l’école ?».

Déjà expérimenté par plusieurs universités à travers le monde, l’enseignement à distance représente une alternative à la suspension des cours. Cependant, cette méthode ne peut s’improviser et demande la mise en place de moyens conséquents.

Faisabilité à différentes échelles

Si la méthode n’est pas « impossible » à mettre en place, sa mise en œuvre au Mali dans les conditions actuelles relève d’une gageure, avouent les acteurs. Surtout au niveau de l’enseignement secondaire et fondamental, où il sera difficile de sauver l’année scolaire. En effet, alors que certaines écoles privées ont effectué les évaluations du deuxième trimestre, les écoles publiques n’ont même pas pu correctement boucler le premier trimestre. Peut-on dès lors envisager des évaluations annuelles communes dans ces ordres d’enseignement ?

Pour l’université, même si la mesure peut être envisagée, de nombreux problèmes subsistent. S’il est vrai qu’avec le système LMD et la division de l’année en semestres les cours peuvent être prolongés au-delà de l’année scolaire classique, l’accès aux outils de cette méthode s’avèrera compliqué pour plusieurs raisons. Nombreux sont les professeurs qui ne sont pas forcément à niveau sur l’utilisation de ces nouvelles technologies. Donc la mise en place de ces cours « demandera une préparation particulière et une concertation préalable entre les professeurs sur quels contenus mettre et comment les mettre afin d’en assurer l’accessibilité aux étudiants », explique le Docteur Bouréima Touré, enseignant – chercheur à la faculté des Sciences humaines et des sciences  de l’éducation(FSHSE). Un travail préalable qui prendra du temps.

Alors même que ce programme d’enseignement à distance, qui est un volet du Programme de développement de l’enseignement supérieur (PADES), financé en partie par la Banque mondiale, existe depuis quelques années, le nombre d’enseignants initiés reste largement en deçà des besoins.

Au niveau de l’université, l’année peut être encore sauvée, à condition que l’État  s’investisse pour mettre l’ensemble des décanats au même niveau d’information et faire en sorte de pouvoir atteindre les étudiants afin qu’après la mise en place du programme les enseignants puissent leur expliquer la méthode, suggère le Docteur Touré.

Opportunité ?

Ce nouveau dispositif, auquel il faut s’adapter, est aussi un nouveau défi, selon M. Mohamed Gakou, Directeur général de l’Institut des sciences politiques, relations internationales et communication (ISPRIC), qui a déjà déclenché son dispositif de cours en ligne. « Les premiers examens ont même eu lieu. Certains ont fini leur programme de l’année et les licences en sont à 90% d’exécution », détaille M. Gakou.

Les apprenants devront désormais aller au-delà de ce que l’enseignant dit. Les supports mis à disposition permettent à « ceux qui avaient perdu l’habitude de lire  de le faire et les poussent à faire des recherches », ajoute M. Gakou, l’université ayant opté pour des cours semi-directs pour éviter les contraintes du direct. En plus des cours enregistrés, il existe des plateformes interactives qui permettent aux étudiants d’échanger avec les enseignants.

Aux examens de table se sont également substitués des « examens de recherche et de production ». L’école, où chaque étudiant avait déjà son casier électronique et où  même les résultats étaient disponibles dessus, a juste profité de cette fenêtre.

Les cours en ligne représentent surtout « une belle opportunité de profiter des avantages du numérique au niveau du public, où le ratio enseignant – étudiant est faible », ajoute M. Gakou. Cela permettra de gérer cette pléthore, d’aider les enseignants à être à l’aise dans la transmission du savoir et d’amener l’étudiant à  être acteur de sa formation.

Au moment où l’on parle de modernisation de l’administration, il est indispensable de faire le lien et de rendre les études plus modernes. Il s’agit donc d’une « opportunité pour tout le monde de se mettre à jour et de transformer cette situation en challenge ». Il faut « prévoir le dispositif et évoluer, ne pas en être victime », conclut M. Gakou.

Fatoumata Maguiraga