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Tous tunisiens, tous ivoiriens….

Et pas seulement dans les pays arabes! Il n'est pas tout à  fait certain que la "révolution du jasmin" soit…

Et pas seulement dans les pays arabes! Il n’est pas tout à  fait certain que la « révolution du jasmin » soit bel et bien une révolution. Il est incontestable, en revanche, qu’elle a eu lieu en terre d’Afrique. Zine El-Abidine Ben Ali appartenait à  cette catégorie de chef d’Etats représentée aussi bien au nord qu’au sud du Sahara – et aussi ailleurs dans le monde -, régnant sur des systèmes pourris jusqu’à  l’os, défendus par une combinaison d’autoritarisme et de bons chiffres macroéconomiques. Comme si un taux de croissance (environ 4 % en 2010) à  faire pâlir d’envie l’Europe avait la possibilité de nourrir les affamés et d’étancher leur immense soif de liberté, cette denrée non négociable qui ne change pas de valeur selon les régions ou les coutumes locales. Les pays ne sont pas seulement peuplés d’estomacs, même vides. Dans la petite planète globalisée, il serait temps de s’en rendre compte, avant que la rue ne se charge de mettre les choses au clair. « Pain, liberté, dignité », clament les slogans de Tunis, manière de rappeler que, dans un contexte o๠les prix s’envolent, être pauvre devient, encore un peu plus, une douleur. La douleur, on le sait, n’a pas de fond. On ignore en revanche à  quel moment elle devient intolérable. En Egypte, oà¹, depuis la fin 2010, le prix du pain augmente de 10 % par mois, et o๠l’écrasante majorité de la population peine à  se nourrir, on a peut-être atteint ce seuil. Allongeant le pas à  son tour pour aller à  grandes enjambées vers les émeutes salutaires, la jeunesse égyptienne brandit des pancartes calquées sur celles de Tunis pour tenter d’obtenir, elle aussi, le départ d’un chef de l’Etat détesté : « Moubarak, dégage ! » Dans d’autres pays, comme au Soudan, on rêve aussi de voir un régime corrompu, paralysé, finir par prendre l’avion pour fuir la colère de sa propre rue. Le continent éclate de jeunesse, il n’en peut plus d’être mené par des dirigeants qui se disputent les records de longévité au pouvoir, du Burkina Faso au Tchad, en passant par le Cameroun, avant de songer à  passer la main à  un de leurs enfants, comme au Sénégal. Combien de temps les vieillards tiendront-ils la maison Afrique ? Se souvient-on qu’en mai 1968 l’exaspération d’étudiants du Quartier latin, à  Paris, étouffant dans la France gaulliste, avait déclenché une onde de choc mondiale ? « A la fin tu es las de ce monde ancien », écrivait Guillaume Apollinaire (Zone) en 1913. De cette lassitude extrême, il y a déjà  eu deux précédents au Soudan, en 1964 et en 1985, lorsque le pouvoir fut renversé par des mouvements insurrectionnels. Des régimes à  bout de souffle, une corruption vertigineuse, une nomenklatura qui s’approprie les ressources et les leviers de l’Etat, tandis que les prix montent en même temps que la colère. Voilà  qui doit rappeler quelque chose à  d’autres peuples du continent. Se souvient-on que, en septembre 2010, des émeutes graves ont éclaté au Mozambique, pays prisé des touristes en raison de ses plages et prisé des bailleurs de fonds en raison de l’orthodoxie budgétaire de ses dirigeants ? Le Mozambique aligne des chiffres de croissance plus impressionnants encore que ceux de la Tunisie (plus de 6 % en 2010), et les bailleurs de fonds, apparemment, avaient choisi d’ignorer les dérives d’un pouvoir qui tient convenablement ses livres de comptes mais flirte avec des narcotrafiquants, entre autres turpitudes. C’est finalement l’inflation qui a jeté la population dans les rues de Maputo, en attendant des répétitions ailleurs. La vie chère est le fruit de l’envolée des cours des denrées sur les marchés mondiaux, à  commencer par celui des céréales, dont la flambée pourrait être comparable à  celle de 2008, l’année des « émeutes de la faim » en Afrique. Ces émeutes ne parlaient pas que de panier de la ménagère, mais de tout un monde devenu insupportable. Faim de pain, faim de liberté et faim de dignité mélangées. Tous tunisiens ? En Afrique, o๠se perpétuent des présidents maà®trisant l’art de transformer les élections en crampons neufs pour se visser un peu plus au pouvoir, il y a de quoi méditer. C’est sur cette base que, à  la suite de l’élection en Côte d’Ivoire, et du drame noué autour de son résultat, des mouvements naissent à  travers le continent. Ici, un groupe de jeunes responsables, essentiellement du secteur économique, originaires de plus de 20 pays d’Afrique, ont lancé un appel sur Facebook : « Nous sommes tous ivoiriens », pour réclamer que la victoire d’Alassane Ouattara, certifiée par les Nations unies, soit aussi reconnue dans son propre pays. L’initiative, à  peine lancée, a été tuée dans l’oeuf par des inconnus, soutenant de toute évidence le camp de Laurent Gbagbo, lequel s’appuie sur une inversion des résultats réalisés par le Conseil constitutionnel pour s’affirmer réélu. Page bloquée. Les animateurs du groupe d’origine ont dû aller chercher un « développeur de site Web béninois en Pologne », raconte Mamadou Touré, l’un des animateurs, pour lancer dans le même esprit le Sursaut citoyen africain (www.sursautcitoyenafricain.org), avant de découvrir un mouvement similaire en Afrique de l’Est (www.vote4africa.org). Leur point commun : que la volonté des citoyens soit écoutée, notamment lors des élections. Avant qu’ils ne finissent dans la rue. Ou pire encore.