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Transition : Le CNT vu de l’intérieur

Organe législatif de la transition, le Conseil national de transition (CNT) a longtemps suscité la polémique. Mis en place par les…

Organe législatif de la transition, le Conseil national de transition (CNT) a longtemps suscité la polémique. Mis en place par les militaires qui en ont choisi les membres, le CNT ne se départit point des soupçons de caisse d’enregistrement au profit de la transition. Une accusation que de nombreux membres réfutent. Un an après le coup d’État, focus sur cet organe censé  contrôler les actions de l’Exécutif.

Pour combler le vide institutionnel occasionné par le coup d’État du 18 août 2020, le Conseil national de la transition (CNT) fait partie des institutions d’exception qui ont vu le jour pour assurer la continuité de l’État. Organe législatif de la transition, le CNT a pour rôle de voter et de proposer des lois et de suivre et de contrôler l’action gouvernementale. De décembre 2020 à juin 2021, les membres du CNT ont voté 46 lois, mais n’ont pas encore adopté de propositions de lois. Plusieurs questions orales et écrites ont été adressées au gouvernement et, en outre, des missions de contrôle de l’action gouvernementale, à travers des visites de terrain des commissions Éducation, Santé, Développement rural, Finances, entre autres, ont été effectuées. C’est l’administration de l’Assemblée nationale qui assure le service administratif et technique de l’organe législatif de la transition. « Rien n’a changé par rapport à mon travail. Il s’agit de légistique. Ce que je faisais à l’Assemblée nationale, c’est la même chose ici et il en est de même pour le personnel d’appui, constitué de fonctionnaires mis à la disposition de l’Assemblée nationale, donc du CNT, de personnes recrutées sur un contrat à durée indéterminée et aussi de beaucoup de stagiaires », explique Modibo Makanguilé, assistant parlementaire. Le CNT a donc les mêmes attributs qu’un Parlement normal, à une différence près, perceptible dans sa structuration et dans sa composition.

Le nombre des membres est fonction de la taille des différents organes de direction et des organes de travail. Par exemple, la 5ème législature était composée de 147 députés, avec un bureau de 23 membres, 11 commissions générales et des groupes parlementaires. Quant au CNT, il est officiellement composé de 121 membres, avec un bureau de 15 membres, 10 commissions générales et aucun groupe parlementaire.

Une autre différence de taille réside dans l’appellation des membres du CNT. « La Cour constitutionnelle n’a pas accepté qu’on appelle les membres du CNT députés de la transition parce qu’ils n’ont pas de mandats électifs. Les députés viennent par le truchement des élections, alors que les membres du CNT ont été désignés », explique Bakary Ballo, Directeur de la communication du CNT.

Composition

Le CNT est composé de 121 membres, répartis entre les militaires, le M5-RFP, la société civile et ses faîtières, les mouvements signataires de l’accord de paix d’Alger, les partis politiques et d’autres secteurs socioprofessionnels. Il y a eu deux démissionnaires, qui ont été tous remplacés, et un décès, celui d’Abraham Ould Youba, non encore remplacé pour le moment. Il y a également une membre qui n’a pas démissionné, mais qui ne s’est jamais présentée, une certaine Kadidiatou Haïdara. Au départ, il y avait une volonté manifeste des nouvelles autorités militaires de mettre la main sur l’organe législatif de la transition. Un décret fixant la clé de répartition du CNT, signé par le Président Bah N’daw, a donné le plus grand quota de membres, 22, aux miliaires. Et lorsqu’il s’est agi de rendre publique la liste des membres, c’est une série de noms alignés, sans rattachement aucun à une quelconque structure, qui a été dévoilée, créant une situation de confusion quant à l’identité de certains membres.

Très vite, on accusera les autorités d’avoir violé la clé de répartition qu’elles avaient fixée.« Pour les faîtières de la presse on nous avait donné un quota de quatre personnes. Mais au final nous nous sommes retrouvés avec deux membres seulement. Nous avons écrit à la transition pour demander des explications, mais nos correspondances sont restées lettres mortes. C’est pourquoi nous avons tardé à siéger », témoigne l’un des membres du CNT choisi par les faîtières de la presse.

L’un des plus grands mystères du CNT, c’est le nombre exact de militaires qui le composent. Même si la clé de répartition leur octroie un quota de 22 membres, le flou demeure. « Je pense qu’ils sont entre 12 et 15. Mais certains sont à la retraite », estime l’un des membres du CNT.

Cependant, selon certaines informations, le quota des militaires dans le CNT n’est pas exclusivement composé de membres des forces armées. « Nous avons vu le décret de nomination comme tout le monde. Il y a des militaires qui sont même venus sous la bannière de certaines associations, comme certains civils sont venus sur le quota des militaires. Le Président de la commission des lois, par exemple, Souleymane Dé, un universitaire, est venu dans le lot des militaires », explique un membre de l’administration du CNT.

En dépit de toutes ces polémiques, le CNT est considéré comme un organe législatif « inclusif », qui prend en compte différentes sensibilités, avec notamment la présence de plus de femmes, de jeunes ou de personnes vivant avec un handicap. « Il y a eu un rajeunissement au niveau de l’âge moyen et une élévation du niveau d’éducation. Depuis qu’on a commencé, il n’y a personne qui a demandé à avoir un interprète. Il y a plus de représentants des Maliens de la diaspora qu’il y en a jamais eu. En 1992, il avait été décidé de rallonger le nombre de députés à 147 pour qu’il y ait beaucoup plus de représentants des Maliens de la diaspora, mais ça n’a jamais été fait. Là il ont des représentants. Au CNT, il y a un responsable de l’UMAV (Aveugles). Vous avez aussi une responsable de la FEMATH (Handicapés physiques) et la présidente de l’association des personnes de petite taille. Il y a quand même une meilleure forme de représentation des Maliens vivant avec un handicap », tient à préciser un membre du CNT. Une diversité qui se ressent aussi lors des débats entre les membres de l’organe au sein de différents groupes WhatsApp où les discussions sont souvent passionnées.

En outre, à part la 6ème et dernière législature, aucun Parlement malien n’a enregistré plus de femmes que le CNT depuis l’ère démocratique. Sous la dernière législature, il y avait 41 femmes à l’Assemblée nationale, soit un taux de 27,89%. Au CNT, il y a 31 femmes, soit 25,61%. Le quota des 30% de postes électifs ou nominatifs dévolus aux femmes institué par la loi 2015-052 du 18 décembre 2015 n’est donc toujours pas respecté.

Des béni-oui-oui ?

Le CNT ne serait-il qu’une caisse de résonance pour les autorités de la transition et le gouvernement ? Entre des membres désignés par des militaires et une présidence assurée par un militaire, la question mérite d’être posée. « Il y a effectivement un souci par rapport à comment a été gérée la clé de répartition. Mais il y a deux choses à souligner : si on te dit que tu as droit à tel quota et que tu dis que tu ne viendras pas, c’est ton problème. Si ensuite ton quota est attribué à quelqu’un d’autre, tu ne pourras pas te plaindre. Ensuite, certes, au départ, le Vice-président de la transition de l’époque et d’autres ont voulu faire les choses à leur bénéfice. Mais je constate avec plaisir que malheureusement pour eux ça ne se passe pas comme cela. Et je ne suis pas plus attaché aux quotas qu’à la qualité des personnes nommées », répond un membre du CNT.

Il poursuit que lors de la mise en place des commissions, certains avaient voulu imposer leurs bureaux, chose que les membres ont refusée. « Karim Kéïta à la tête de la Commission défense n’est pas mieux que le général à la retraire Minkoro Kané. Lui, il sait de quoi il parle », se réjouit-il.

« On a interdit au gouvernement de faire passer par ordonnance, en profitant de l’intersession, la loi d’amnistie pour les auteurs du coup d’État ou encore celle sur la police territoriale, entre autres. On a dit : hors de question de toucher aux projets de loi déjà déposés sur la table du CNT. Donc il y a quand-même un fonctionnement qui est différent de ce qu’on a vu avant », explique un autre membre requérant l’anonymat.

Un président bien entouré

Son élection à la tête du CNT, le 5 décembre 2020, était tout sauf une surprise. Plébiscité par 111 voix sur 121, il était la dernière pièce pour compléter le puzzle de l’ex CNSP, qui s’était arrogé les postes clés de la transition. Pas vraiment comme un poisson dans l’eau, comme constaté lors des ses premières prises de parole, balbutiantes, en tant que Président du CNT, le colonel Diaw s’est depuis entouré d’une équipe étoffée.

Un cabinet d’une vingtaine de membres, directeur de cabinet, chef de cabinet, chef du protocole, conseillers spéciaux, conseillers, chargés de mission, aide de camp, sécurité particulière, nous apprend un membre de l’administration du CNT. Mais il est aussi et surtout conseillé par trois anciens dignitaires du régime défunt d’IBK. Mamadou Diarrassouba, Diarra Racky Talla et Assarid Ag Imbarcawane sont ceux qui murmurent à l’oreille de Malick Diaw. Les deux derniers cités sont aussi respectivement les 1er et 5ème Vice-présidents de l’organe et le premier le Président de la Commission de contrôle.

Outre le Président du CNT, d’autres membres sont aussi entourés pour des raisons différentes. « En prévision des élections générales de février 2022, des membres du CNT sont approchés par des politiques en vue d’une cooptation. Il y a aussi des responsables de partis politiques parmi les membres du CNT. Ils pourraient proposer à certains d’être investis sous leurs couleurs pour les élections prochaines. On est beaucoup à avoir déjà été approchés », glisse un membre du CNT.

Boubacar Diallo

Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°332-333-334 du 19 août au 08 septembre 2021