Vers une suspension de l’aide humanitaire à Kidal ?

Lundi 6 juin, à Kidal, au nord du Mali, un entrepôt de vivre stockant des denrées humanitaires du Programme alimentaire…

Lundi 6 juin, à Kidal, au nord du Mali, un entrepôt de vivre stockant des denrées humanitaires du Programme alimentaire mondial (PAM) a été pillé par des habitants. Ces denrées devaient répondre aux besoins alimentaires d’environ 11 000 personnes peuplant les 11 communes de Kidal. Les tensions entre groupes armés, sur place, mettent aujourd’hui en péril l’aide humanitaire vitale pour les populations.

À Kidal, tout le social est géré par des commissions (commission santé, commission énergie, etc.) dirigées par la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) monopolise certaines de ces commissions, comme celle des œuvres sociales qui gère la distribution des dons humanitaires, qui proviennent d’ONG ou de l’État. Cette gestion constitue un point de tension entre le groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) appartenant à la Plateforme et la CMA. Quand le GATIA a fait son retour à Kidal, il y a quelques mois, le mouvement a exigé une gestion à part égale des commissions administrées par la CMA, cette répartition était convenu entre les deux mouvements depuis les accords d’Anéfis. Dans un premier temps, des membres de la Plateforme ont été placés dans chaque commission. Il devait y avoir une représentativité à part égale entre les deux mouvements, mais la CMA a continué à monopoliser certaines commissions, comme celle en charge de l’humanitaire.

Avec l’échec du Forum de Kidal et la méfiance que se portent ces deux mouvements la situation est rapidement devenu explosive, et les tensions larvées entre les deux mouvements ce sont déplacées sur le terrain humanitaire. « La CMA détourne une majeure partie des dons alimentaires qu’elle revend sur les marchés locaux ou par camion jusqu’à Gao », révèle cette source, « Ça constitue une grande manne pour eux, ils ont pu se faire pas mal de liquidités, on dit qu’ils l’utilise pour payer leurs combattants » ajoute-t-il. Le GATIA de son côté lutte pour que les dons soient partagés en part égale pour les démunis. Deux secteurs qui sont peuplés par des Imghad (la tribu dont sont majoriatirement issus les membres du mouvement GATIA) ne reçoivent pas les dons alimentaires comme les autres secteurs de Kidal, « ils ne sont pas parvenus à s’entendre, ils se sont opposés plusieurs semaines là-dessus jusqu’au pillage de l’entrepôt lundi dernier », explique cet habitant.

Lundi 6 juin au matin, des pick-ups de la Plateforme sont partis se positionner devant l’entrepôt, rapidement rejoint par des combattants de la CMA. Les échanges ont été très tendus. Ne parvenant pas à s’entendre avec la CMA, des combattants du GATIA ont ouvert les portes de l’entrepôt et ont laissé les gens piller les vivres. Hommes, femmes, enfants et même certains combattants de la CMA se sont précipités et se sont servis. « C’est le besoin qui a amené les gens à faire ça, surtout en ce début de ramadan. Ces aides sont destinées aux gens mais finalement, avec la CMA, il n’en bénéficie pas et quand c’est partagé les gens ne reçoivent que quelques kilos. J’espère que ça ne va pas continuer comme ça, les gens ont apprécié, mais ça ne doit pas continuer », déclare un commerçant.

Une réunion devait se tenir vendredi dernier, entre les différents mouvements pour établir les mesures à prendre, dans la concertation. Cette réunion n’a pu avoir lieu et a été repoussée à une date ultérieure, les tensions demeurant très vive entre les deux mouvements. « la violence est contenue, mais si une coup de feu échappe entre eux, c’est la garantie d’un conflit », explique cette source. La Plateforme a créé, fin de semaine dernière, sa propre coordination qui s’occupera de l’aide humanitaire en parallèle à celle de la CMA. Les organisations humanitaires, sur le terrain, ne s’y retrouvent plus, ils sont à présent obligés de passer par deux commissions rivales, plus une autre association créée par le député de Tin-Essako, pour la gestion et l’acheminement des vivres. Sur place, la situation est très confuse, et certains organismes humanitaires menacent de suspendre leurs aides s’ils n’ont pas des garanties de pouvoir travailler de façon efficace et en toute sécurité.

Les tensions entre CMA et Plateforme se crispent à un moment où les pourparlers entre mouvement armés et gouvernement sont en dents de scie, concernamant l’application de l’Accord de paix et réconciliation, notamment sur les autorités intérimaires et la Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). De plus, la situation dans le région de Kidal reste fragile, depuis la mort de plus d’une dizaine de soldat appartenant à la mission onusienne et à l’opération barkhane. Ces derniers ont d’ailleurs entrepris, depuis plusieurs semaines, la construction d’un camp dans le fief même des djihadistes à Abeibara, « La pression mise par l’opération barkhane a permis d’arrêter de nombreux djihadistes, mais la situation est très tendu là-bas , des gens ont fui la zone, et à cause de l’action des forces françaises les djihadistes seraient en train de de se déplacer vers Tombouctou », conclut cette source.