Tal B : sa nouvelle vie

Des gestes de solidarité à l’endroit des couches vulnérables, des voyages aux lieux saints ou encore des conseils pour ses proches, Youssouf Traoré alias Tal B a définitivement troqué le micro pour « servir Dieu ». Un choix résolu dont il entend faire profiter les gens de son milieu.

« J’ai pris cette décision il y a longtemps. Cela était aussi le souhait de ma mère de ne pas me voir chanter toute ma vie », a expliqué Tal B, lors d’un entretien accordé à Ouverture media. Même si certains n’y croyaient pas trop, il dit pourtant avoir averti son « entourage du changement de vie que je pourrais avoir. Certains y croyaient,  d’autres non ».

Jusqu’au jour où il s’est rendu à la Mecque pour la Omra (petit pèlerinage). Pour tout vœu, il demande au Bon Dieu d’arrêter de chanter et  de vivre d’autre chose. Une activité qu’il n’aura pas trop de mal à mener, car ayant « d’autres compétences », notamment dans la promotion et la publicité pour divers produits. Il dit d’ailleurs avoir déjà des demandes avant même de lancer sa société.

En outre, accompagner les gens à la Omra est devenu l’une de ses activités, même si elle n’est pas à but lucratif. C’est désormais pour lui une occasion de partager ce qu’il a avec les autres. Tal B est désormais porteur de « Dawa » et consacre son temps et son énergie à appeler les gens à la religion.

Assurer la transition

S’il continue à faire parler de lui, c’est souvent suite à des conversions médiatisées, comme celle d’une dame chrétienne ayant fait grand bruit. Critiqué pour avoir dévoilé une histoire a priori intime, il se justifie par son enthousiasme, qu’il voulait partager. Sinon, il a été témoin de plusieurs cas dans la discrétion. « Nous faisons beaucoup de cas, mais celui de la dame m’a interpellé. Lorsque j’en ai parlé avec des religieux, ils m’ont conseillé de l’appeler à se convertir. J’accompagne des gens sur le bon chemin, mais cette dame convertie fut la première ».

Sans les fustiger, Tal B invite les jeunes rappeurs « à choisir le bon chemin ».  Estimant que ce choix personnel peut prendre du temps mais doit venir d’une conviction profonde. « Mon appel s’adresse généralement  aux gens de mon milieu. Plusieurs personnes veulent venir mais ont peur », avoue aussi l’ex rappeur, qui, sans minimiser qui que ce soit, estime qu’il faut « aider ceux qui ont choisi de changer à s’adapter à la transition ».

Festival Bamako Hip-Hop : Changer de regard

Du 27 au 30 juin se tiendra à Bamako, au Champ hippique à l’Hippodrome,  la 1ère édition du  festival international Bamako Hip-Hop. Cet évènement culturel est organisé par le nouveau label du rappeur Tal B,  Djagueleya Music.  En plus de spectacles variés, ce festival traitera de la place du rappeur dans la société.

Deux concerts, des ateliers de formation, une conférence, une session de slam, une exposition au village du festival etc. Tel est le menu que propose le festival Bamako Hip-Hop des cultures urbaines. En outre, les organisateurs proposeront une projection des matchs de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) Égypte 2019, une session graffiti, une after party et un tournoi de bras de fer. « Notre objectif est de mettre en avant la culture Hip-hop malienne. En plus de ces activités, il y aura une conférence sur le thème : « Rap et citoyenneté » pour expliquer le rôle du rappeur dans la société, car un bon rappeur c’est aussi un bon citoyen », explique le rappeur Tal B.

Cette figure du hip-hop malien tient à lever les préjugés qui pèsent  sur sa passion.  Dans leurs « flows » et comportements, certains adeptes de ce genre musical heurtent les normes sociales de référence. « Le rap est un outil très aimé de la jeunesse, surtout  urbaine. Il permet de faire de la conscientisation et draine plus de public que la musique classique, parce que c’est une question de génération. Mais il y a l’envers de cette pratique, parce qu’il y en a qui prennent des excitants et baissent leurs pantalons sous les fesses », souligne Adama Traoré, président de  l’association culturelle Acte 7.

Raison de plus pour celui qui pratique le genre depuis près dix ans année d’améliorer son image. « Le combat est que les gens considèrent le rap comme une partie de la culture malienne. Qu’on ne le voit pas seulement  comme une musique de la rue, il a sa place dans la société et c’est un facteur de sensibilisation et de conscientisation », ajoute Tal B.

Le label Diagueleya Music ouvre une nouvelle porte aux jeunes qui souhaitent faire découvrir leur talent et réaliser leurs rêves artistiques. « C’est à nous de montrer l’exemple aux autres. Moi je suis diplômé en télécommunications, mais je fais de la musique et je m’en sors bien. Les jeunes qui exploitent le rap pour véhiculer des messages négatifs n’ont simplement pas été encadrés. Le label est là pour les coacher », dit cette célèbre voix de la musique malienne.

Les enfants terribles du rap malien

Longtemps boycotté par la presse, incompris, voire réprouvé par la société, et en manque de moyens, le mouvement rap du Mali revient de loin. De sa naissance dans les années 90 à nos jours, le nombre de rappeurs et groupes a explosé, pour le plus grand bonheur d’un public jeune. De conscient, le rap est devenu « festif » ou « egotrip ». En dépit du peu de bien qu’en pensent ses détracteurs, et malgré les attitudes parfois excessives de ses enfants terribles, il n’en demeure pas moins que ce mouvement, né dans les ghettos new-yorkais, conforte sa position de genre majeur au Mali.

Mars 2006. Le premier titre de l’album « Révolution » du groupe Tata Pound, intitulé « Monsieur le maire », fait fureur dans les rues de Bamako. Le trio Ramsey, Dixon, Djo Dama, s’en prend aux maires qui, à peine élus, se lancent dans toutes sortes de commerces illicites et mettent ainsi au placard les promesses faites aux électeurs. Le même registre de la dénonciation est repris dans le second titre « Yèlèma » (changement), où sont indexés, la crise du football malien, l’emploi des jeunes, la santé. Cet album marquera un tournant pour le mouvement rap malien, grâce à ses textes engagés. qui caractérisaient le début du mouvement rap, né avec les contestations populaires de mars 1991 et l’avènement de la démocratie. « Ces deux concepts, démocratie et hip-hop, sont arrivés au Mali quasiment en même temps et très vite, l’un a commencé à dénoncer les imperfections, les travers, les manquements, les tares et surtout la mauvaise application de l’autre », selon Abba Samassekou, ancien animateur de l’émission Génération 21 sur l’ORTM, qui a accompagné le rap malien.

Mouvement en évolution Parmi les pionniers, des noms connus comme Rokia Traoré, Lassy King Massassi. Mais aussi les groupes Zottos Boys, Rabba Boys, Tata Pound, Diata Sia, Fanga Fing, les Pharaons, les Escrocs, Magic Black Men, Rage… Plus tard viendront les Buba Djim, Ménez, Kisto Dem, Amkoullel, One Dog et autres Doudou Soul. « Ce qui caractérisait la première génération, c’était la soif de démocratie et d’expression. C’était une jeunesse positive, qui croyait en l’avenir. Aujourd’hui, avec l’éducation qui a baissé, le rap n’est que l’expression de la désespérance », explique Yéli Mady Konaté dit Yéli Fuzzo, leader du groupe Fanga Fing. Le paysage du rap a depuis explosé, et la jeune génération compte des noms comme Mylmo, Master Soumi, Penzy (qui ont formé Frère 2 la rue), Iba One, Tal B (qui sont à la base du groupe Génération Rap Respect ou GRR), Gaspi (ancien membre de Ghetto K’fry) et Weii Soldat. La liste est loin d’être exhaustive, et aujourd’hui ces jeunes sont sous les feux des projecteurs. L’influence du rap au sein des couches défavorisées, principalement chez les jeunes, s’est accrue grâce aux textes dont la plupart touchent à la réalité sociale.

Les « conscientiseurs » De son vrai nom Mamadou Soumounou, Mylmo, 29 ans, vise les politiques et la société. Avec son concept « Rameur » (rap moraliste), il prône un rap qui « suscite l’éveil de conscience, construit, et éduque. » En 2014, dans l’album « Le retour de Bandiougou », il s’en prend pourtant à cette jeunesse qu’il dit dévoyée, devenue experte dans l’art de consommer de l’alcool, qui se livre à la débauche et se fourvoie dans les dédales de la médiocratie. L’ « Occident » est aussi une cible régulière, comme dans le single « Pompier pyromane » : « Tu as poussé Kadhafi dans le dos, étouffé les Libyens, accaparé tout le pétrole de Tripoli (…) Depuis que tu es venu au Nord, tu as remonté le MNLA contre nous, sinon au temps de Moussa Traoré, nous, nous ne négocions pas avec les rebelles ! (…) », rappent Mylmo et Master Soumi en 2014.

Clashs et rivalités « Le rap malien a évolué depuis un certain temps, explique Master Soumy, 32 ans, de son vrai nom Ismaël Doukouré, qui s’est assigné comme mission d’éveiller les consciences et de provoquer des réflexions. Et selon lui, le rap va aujourd’hui droit dans le mur. « La plupart des textes sont dépourvus de message, de contenu ». Une allusion directe aux « clashs », dans lesquels deux ou plusieurs rappeurs s’affrontent par joutes verbales, portés à leur paroxysme par les groupes GRR et Ghetto K’fry avec des textes crus et des paroles vulgaires. « C’est violent, vilain et agressif parfois, mais cela démontre les frustrations de la jeunesse », estime Yéli Fuzzo. Le clash a créé une rivalité féroce qui a opposé plusieurs rappeurs, Gaspi, Iba One et Talbi, Oxbi, Moobjek, et a viré à une confrontation physique dont le jeune rappeur Snipper (Saïbou Coulibaly) a fait les frais en 2014. La rivalité a été particulièrement rude entre Youssouf Traoré, alias Tal-B, et Mamadou Gassama, dit Gaspi, véritable icône du genre.

Professionnalisation Ancien du groupe Ghetto K’fry, nominé rappeur de l’année 2015, « Wara Gaspi » se caractérise surtout par son originalité. Lui, qui ne fait que des singles, accapare l’attention, surtout des plus jeunes, fait le plein des stades et des salles des grandes villes maliennes. Résultat, difficile d’échapper dans les rues de Bamako à des expressions comme « je suis dableni », « je m’en kidada » (titres de ses morceaux) que certains arborent sur des t-shirts ou des casquettes. Son dernier single « An tayan bobara yé » a fait polémique, mais Gaspi répond qu’« il ne s’agit pas de s’accrocher au titre, mais plutôt au contenu du morceau, à ce qui se dit dedans. Ce sont des conseils et beaucoup de choses importantes ». Dans la même veine, Dounanguè Coulibaly, alias Weii Soldat, 23 ans, membre du collectif Morroco Gang, semble prêt à prendre le relais, avec le tempo de ses sons, mélange de rap et de beat propre à la « trap ». « Avec de plus en plus de studios d’enregistrement, la conception d’albums et de singles est facilitée, surtout grâce à l’arrivée de labels qui ont permis au mouvement de se professionnaliser », conclut Boubacar Dia, dit Boolby, créateur du site consacré au Hip-Hop malien « RHHM ». Grâce à ses stars d’aujourd’hui, il continue de faire rêver les jeunes, tant pour sa liberté de parole que pour les ouvertures qu’il offre sur le monde. Le rap fait aussi vivre son homme, grâce notamment aux concerts et contrats avec les entreprises comme Orange et Malitel. À en croire Tal B, les cachets peuvent aller de centaines de milliers à des millions de francs CFA.