Youssouf Tapo : l’artiste toujours détenu en Côte d’Ivoire

L’artiste, chanteur et compositeur malien Youssouf Tapo a été arrêté le 11 novembre 2023 à Bouaké, en Côte d’Ivoire, avec 7 membres de son équipe. Une détention qui s’inscrit dans un climat de tension où les relations artistiques et culturelles entre le Mali et la Côte d’Ivoire sont de plus en plus mises à l’épreuve.

À Bouaké pour un concert qui était prévu au Centre culturel Jacques Aka, le chanteur Youssouf Tapo a été interpellé le même jour par les forces de sécurité. Et, depuis près d’un mois, l’incompréhension règne. Le manager de l’artiste, Papa Konta, affirme toujours aujourd’hui ne pas connaitre les raisons de cette interpellation, car elles n’ont pas été divulguées. Le 30 novembre 2023, la Team Maliba a organisé un point de presse afin de fournir plus de détails sur cette interpellation en terre ivoirienne et solliciter l’implication de tous pour une libération. Le manager s’est rendu durant une semaine à Bouaké sans avoir eu accès à l’artiste. Les proches de Youssouf Tapo dénoncent un manque de transparence sur les raisons de son arrestation. Selon une source sécuritaire ivoirienne, les organisateurs ont fait appel à des videurs (gros bras) d’Abidjan pour sécuriser le concert à Bouaké. Ce qui a soulevé des questions au niveau des agents de la sécurité nationale, qui ont décidé de mettre aux arrêts l’artiste, l’organisateur et les gros bras pour enquête.

Aly Inèba Guindo, Chargé de Communication du ministère de la Culture, affirme que le département est au courant de la situation de Youssouf Tapo et travaille avec le ministère des Affaires étrangères, en collaboration avec l’ambassade du Mali en Côte d’Ivoire, qui lui fait parvenir régulièrement des rapports sur la situation. Selon lui, tout est mis en œuvre pour avoir des explications sur son arrestation et obtenir sa libération. En Côte d’Ivoire, silence radio du côté des autorités, ce qui donne libre cours aux interprétations. Certains proches et internautes lient cette affaire à celle des 49 militaires ivoiriens arrêtés au Mali en juillet 2022, qui avait considérablement refroidi les relations entre les deux pays. Même si, comme le confient certains observateurs, Youssouf Tapo et son staff n’ont pas cette envergure. Toutefois, les relents de cette affaire sont toujours présents. Pour rappel, le concert de Salif Keïta  prévu pour le 17 novembre dernier à Abidjan a été aussi annulé après plusieurs semaines d’appel au boycott. L’artiste ivoirien Didi B, qui devait effectuer un concert à Bamako en septembre 2022, avait dû l’annuler à cause des tensions autour des 49 militaires, quelques jours après l’artiste malienne Mariam Bah, qui devait se produire en Côte d’Ivoire.

Affaire des 49 militaires ivoiriens : dans l’attente du dénouement

Arrêtés le 10 juillet dernier à leur arrivée à l’aéroport de Bamako, 49 militaires ivoiriens ont été inculpés et placés sous mandat de dépôt les 10, 11 et 12 août 2022. Une nouvelle tournure qui semble prolonger le délai de dénouement de cette affaire, qui tend les relations entre les États de Côte d’ivoire et du Mali depuis plusieurs semaines.

Cela semble être une suite logique à l’enquête judiciaire ouverte le 18 juillet 2022 par le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako pour « faire toute la lumière sur cette affaire ».

Mais le placement sous mandat de dépôt des 49 militaires ivoiriens, pour des « faits de crimes d’association de malfaiteurs, d’attentat et complot contre le gouvernement, d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État, de détention, port et transport d’armes de guerre et de complicité de ces crimes », alors que les négociations entre États malien et ivoirien sont toujours en cours, n’était pas, pour le moins, attendu par la partie ivoirienne.

Pour certains observateurs, ce retour au dossier judiciaire serait une conséquence de l’absence de progrès à l’issue des premières discussions entre les deux parties, sous la supervision du médiateur togolais, le Président Faure Gnassingbé, à Lomé le 28 juillet dernier.

« Dans les négociations, chaque pays joue en fonction de ses intérêts stratégiques. Il est clair aujourd’hui que le Président Ouattara est l’aile dure de la Cedeao et que les autorités de la transition malienne veulent exercer une certaine pression sur lui pour l’amener à reconsidérer ses positions vis-à-vis de la transition malienne et à accepter et accéder à leur demande d’échange de prisonniers », analyse le politologue Bréhima Mamadou Koné.

Selon des sources diplomatiques relayées par plusieurs média internationaux, Bamako aurait demandé, avant la libération des soldats ivoiriens, qu’Abidjan présente officiellement des regrets pour les avoir déployé sur le territoire malien sans cadre légal et que certains ressortissants maliens en Côte d’Ivoire, recherchés par la justice malienne, lui soit livrés. Deux demandes que, selon les mêmes sources, Abidjan n’a pas acceptées. En attendant, des deux côtés, les réseaux sociaux s’enflamment, avec des appels à la haine à certains endroits. La Coalition nationale pour le sursaut (CONASU), un collectif qui regroupe plusieurs associations de Côte d’Ivoire, a réussi à faire annuler les concerts des artistes maliens Toumani Diabaté, Mariam Bah et Prince, qui était prévu à Abidjan le week-end dernier. La CONASU avait dans une déclaration annoncé une série d’activités jusqu’à la libération des militaires détenus, notamment une rencontre avec l’ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire ou encore avec la diaspora malienne, selon certaines sources. Par mesure de réciprocité, le Collectif pour la défense des militaires (CDM), proche des autorités de la transition, a annoncé faire de même et appelé les autres « soutiens de la transition » à se joindre à lui.

Issue diplomatique compromise ?

Pour l’analyste en diplomatie et stratégie internationale Birahim Soumaré, si les 49 militaires ivoiriens ont été placés sous mandat de dépôt, c’est parce que « les autorités maliennes ont évoqué plusieurs infractions qui selon elles tranchent avec le droit. Entrer dans un territoire sans y être invité, armé, sans identification très claire et avoir un contrat présumé avec la Minusma, ce que cette dernière a contredit ».

Pour autant, affirme-t-il, le processus diplomatique doit continuer « pour déboucher sur un terrain d’entente, avec la possibilité d’une grâce ou d’une amnistie présidentielle de la part du Colonel Assimi Goïta à l’endroit de ces soldats, même si, vu la séparation des pouvoirs, ce dernier ne va certainement pas intervenir dans la procédure judiciaire ».

Le Président sénégalais Macky Sall, Président en exercice de l’Union Africaine, en visite de quelques heures le 15 août à Bamako, s’est également entretenu de la question avec le Président de la transition.

« Je lui ai demandé de faciliter le règlement de ce contentieux avec les militaires ivoiriens, dans le cadre d’une solidarité africaine, de trouver des solutions africaines », a indiqué Macky Sall à l’issue de sa visite, notant toute la disponibilité du Colonel Assimi Goïta à dialoguer.

« Le Mali reste disponible, donc nous allons poursuivre avec la Côte d’Ivoire également. Je pense, et je ne désespère pas, qu’on y arrivera », a ajouté le Chef de l’État sénégalais, épaulant ainsi la médiation togolaise pour une issue rapide et heureuse de cette situation.

Selon une source proche du dossier, un second round de négociations à Lomé entre les délégations malienne et ivoirienne n’est pas exclu. « Le Togo garde toujours la main dans la médiation, mais le Sénégal vient en appui pour « africaniser » le dossier », nous confie-t-elle. D’après ces informations, le président togolais devrait très bientôt se rendre à Bamako.