Mali – CEDEAO : quelle issue aux négociations ?

Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a déclaré le 21 avril 2022 devant le Conseil national de transition (CNT) que la durée de 2 ans pour la suite de la transition retenue par le président Assimi Goita avait débuté le 20 avril, malgré l’absence d’accord sur la question avec la CEDEAO. Cette dernière, qui demandait une transition de 12 à 16 mois au plus, n’a pas encore réagi.

« À la date d’aujourd’hui, la date incompressible pour implémenter les bases du processus du changement, des bases solides pour le rendre irréversible, montre qu’on ne peut pas aller en deçà de 24 mois », a tranché Choguel Kokalla Maïga devant les membres du CNT.

« Je dois vous dire que les discussions avec la CEDAO continuent », s’est-il empressé d’enchainer, avant d’indiquer que le Président de la transition était en « contact permanent » avec ses homologues de la CEDEAO et que les différentes équipes installées, politique et technique, discutaient en permanence.

Le Premier ministre a d’ailleurs annoncé  des « missions dans les jours prochains pour aboutir, nous l’espérons, à un accord ». Mais ces missions de la CEDEAO, qui étaient prévues depuis plus d’un mois, à l’issue du Sommet extraordinaire du 25 mars 2022 à Accra, où les deux parties n’étaient pas parvenues à trouver un accord sur la durée de la suite de la transition, tardent à se concrétiser.

Pour l’analyste politique Hamadoun Haïdara, l’annonce des 24 mois faite par le Premier ministre ne va pas arranger la situation et pourrait jouer sur l’arrivée prochaine du médiateur de la CEDEAO à Bamako. « Si déjà le Mali annonce 2 ans sans pour autant la consulter au préalable, c’est un contre-pied à la CEDEAO et cette dernière va prendre position pour analyser d’abord cette déclaration et prendre des décisions qui peuvent aller dans le sens d’un durcissement de ton ou même compromettre le dialogue. Les sanctions pourraient être également alourdies », craint-il.

« On va d’agressivité en agressivité, on se radicalise. Cela peut mettre les Chefs d’États de la CEDEAO dans une situation très remontée et les pousser à agir très gravement », poursuit celui pour lequel la décision des 24 mois est « unilatérale » et ne provient pas d’un « consensus ».

Effets de manches ?

À certains égards, la posture du Premier ministre, même si elle pourrait apparaître comme signe de défiance envers la communauté sous-régionale, participe de la volonté de respecter les conclusions des Assises nationales de la refondation (ANR) qui tablaient sur une transition pouvant aller jusqu’à 5 ans supplémentaires.

Mais, comme l’affirme Dr. Brahim Soumaré, ancien ambassadeur du Mali en Turquie, « même si le terme incompressible est utilisé pour indiquer un délai fermé, en diplomatie la dynamique reste la négociation ».

Pour l’ancien diplomate, le contexte actuel, même du point de vue sécuritaire, avec la montée en puissance de l’armée malienne, fait que le Mali est dans une position qui lui permet de se rapprocher de la CEDEAO, de discuter et de trouver une solution.

« Je suis optimiste et je pense qu’un terrain d’entente pourra être trouvé. Une approche peut être esquissée entre les 2 ans et les 16 mois. Les négociations ne s’arrêteront pas tant qu’il n’y aura pas d’accord. L’action du Président de l’UA, et de certains Chefs d’États africains comme celui du Togo, vont contribuer à trouver une issue », assure-t-il, insistant « le Mali n’a pas d’autre choix que de s’entendre avec la CEDEAO tant que le pays en sera membre ».

Par ailleurs, à en croire un observateur proche des discussions en coulisses, une entente pourrait prochainement intervenir entre les deux parties sur 18 mois. La déclaration du Premier ministre Choguel Kokalla Maiga relèverait plus, selon cette source, d’un effet de manches et l’incompressibilité des 24 mois ne serait pas en réalité non négociable. La CEDEAO devrait se prononcer prochainement sur la question. L’ultimatum lancé à la Guinée et au Burkina Faso a expiré le 25 avril. Un nouveau sommet pourrait donc se tenir dans les jours à venir et le cas du Mali être évoqué à cette occasion.

Assises nationales de la refondation : les Maliens en faveur d’une prolongation de la transition de 6 mois à 5 ans

Les conclusions des Assises nationales de la refondation (ANR) ont été rendues publiques, jeudi 30 décembre, à l’issue des travaux de la phase nationale. La recommandation la plus attendue était celle du délai de la transition, en faveur duquel les Maliens ont proposé une durée de 6 mois à 5 ans. Alors que la CEDEAO exige la tenue de la présidentielle pour le  27 février 2022, faute de quoi le pays pourrait s’exposer à des sanctions économiques.

ANR, les autorités de la transition ne jurent que par ces trois lettres afin de parvenir à un Mali nouveau. Le « diagnostic sans complaisance » a enfin été rendu public. Et l’ultime recommandation attendue par les Maliens et la communauté internationale était celle du délai de la transition, en faveur duquel les Maliens se sont exprimés pour une prolongation de 6 mois à 5 ans. Cette proposition tranche avec la position de la CEDEAO et de la communauté internationale qui presse le Mali de tenir la présidentielle le 27 février 2022.

Lors de son sommet ordinaire du 12 décembre dernier à Abuja, au Nigeria, l’organisation sous-régionale a menacé le pays de nouvelles sanctions qui pourraient être économiques, en janvier 2022 si « la situation n’évolue pas au plus tard fin décembre 2021 ».

Selon certaines informations, le ministre des affaires étrangères, Abdoulaye Diop, et le président du Panel des hautes personnalités des Assises nationales de la refondation, Zeini Moulaye, sont attendus à Accra ce vendredi 31 décembre. Sans doute pour calmer le jeu.

Lors de la cérémonie de conclusion des ANR, le président de la transition, le Colonel Assimi Goïta, a déclaré qu’un chronogramme électoral sera bientôt soumis à la CEDEAO et a appelé la communauté internationale à accompagner le Mali dans l’organisation des élections. « Conformément aux recommandations issues des Assises nationales de la refondation, le gouvernement mettra très prochainement en place un chronogramme visant à assurer le retour à un ordre constitutionnel apaisé et sécurisé. Par la même occasion, je voudrais saluer et remercier la communauté internationale et la CEDEAO en particulier pour son accompagnement du processus de la transition. C’est pourquoi je souhaite que les pays frères de la CEDEAO accompagnent davantage le Mali dans la réalisation d’actions soutenant l’organisation prochaine des élections. J’en appelle également à leur solidarité agissante en vue de permettre au peuple malien d’atteindre ses objectifs de changement et de développement harmonieux», a lancé le président de la transition.

Au-delà de la recommandation phare sur la prolongation de la transition, les  ANR ont permis aux Maliens de parcourir 13 thématiques qui ont accouché d’un document de 46 pages de recommandations comme l’élaboration d’une nouvelle constitution, l’organisation des municipales avant la présidentielle et les législatives, la mise en place d’un organe unique indépendant de gestion des élections, etc.

Les résolutions issues des ANR seront exécutoires pour le futur gouvernement qui sera installé à l’issue de la présidentielle prochaine. Un comité de suivi et d’évaluation sera mis en place ainsi qu’une « phase technique intense  qui va élaborer une stratégie cohérente pour coordonner l’action publique dans tous les secteurs, tout en engageant une estimation budgétaire du coût de la refondation. »

Les ANR se sont « tenues dans 725 communes sur un total de 759, incluant les six communes de Bamako, soit un taux de réalisation de 95,52%. Elles ont été organisées dans 51 cercles sur 60, soit un taux de réalisation de 85%. » Elles n’ont pas pu se tenir dans 9 cercles de Kidal, et de Ménaka. En outre, plusieurs politiques ont aussi boycotté les assises.

2021 : l’année de Choguel Kokalla Maïga

C’est à un moment où beaucoup le disaient en perte de vitesse, qu’il s’est retrouvé dans la lumière. Après des mois de contestation et de tribulations, Choguel Kokalla Maïga  a été officiellement nommé Premier ministre de la transition le 7 juin dernier, à la suite d’un second coup d’Etat ayant propulsé le vice-président de la transition Assimi Goïta à la fonction de chef de l’Etat.  Assises nationales de la refondation, grille unifiée des fonctionnaires, lutte contre la corruption, emprisonnement de politiques ou encore discours à la tribune de l’ONU,  le nouveau Premier ministre aura marqué l’année 2021 par sa politique et ses prises de position. 

Sécurité, politique, société. Voilà les trois piliers sur lesquels repose la gouvernance Choguel. Six semaines après sa nomination, le Premier ministre a présenté le 30 juillet le Plan d’Action de son Gouvernement devant un conseil national de la transition (CNT) qu’il jugeait auparavant illégale et illégitime. Bâti autour de quatre axes : le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, les réformes politiques et institutionnelles, l’organisation des élections générales et la promotion de la bonne gouvernance et l’adoption d’un pacte de stabilité.

De ce Plan d’action, ont découlé plusieurs décisions stratégiques qui n’ont pas manqué au Premier ministre de faire parler de lui en 2021.

« Le Mali lâché en plein vol »

Le premier axe du PAG étant le renforcement de la sécurité, Choguel Kokalla Maïga a mal apprécié la réorganisation de la Force Barkhane au Mali, dont l’objectif est de réduire la présence militaire française du pays. Et à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU le 25 septembre dernier, le président du comité stratégique du M5 n’a pas manqué de le faire savoir au monde. « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires »a-t-il lâché.

Le propos, qualifié de « honteux » par Emmanuel Macron, a contribué à altérer davantage la relation entre Bamako et Paris. Cependant, la déclaration a été saluée par des Maliens qui y voient plutôt un courage politique inédit face à « l’ancien colon ».

Voulant « explorer d’autres partenaires », le pays s’est vu accuser par la France, et d’autres pays plus tard, de recourir aux services de la société de sécurité privée russe Wagner. Accusations balayées de la main par le gouvernement qui y voit plutôt une pression sur le Mali afin de renoncer à ses desseins d’ouverture à d’autres partenariats.

Apaisement du front social   

Lorsque Choguel Kokalla Maïga venait à la primature, un mot d’ordre de grève de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) planait toujours. Les syndicalistes ont donné au nouveau Premier ministre un ultimatum de 10 jours pour entériner leur revendication, dont notamment l’harmonisation de la grille salariale. Promesse à l’appui, il a obtenu des syndicalistes un temps pour s’exécuter. Le 28 septembre, une grille salariale unifiée pour les fonctionnaires a été décrétée par le président de la transition. Si elle a scellé la paix avec l’UNTM, elle a ouvert d’autres fronts sociaux, notamment avec le personnel enseignant et ceux de plusieurs corps des forces de sécurité qui pointent du doigt une « militarisation » de la grille, favorisant largement les forces de défense au détriment d’autres fonctionnaires.

Lutte contre la corruption

En matière de lutte contre la corruption, le gouvernement Choguel a diligenté des enquêtes quant aux irrégularités financières et la corruption relevées par les rapports du bureau du vérificateur général. Plusieurs personnalités sont d’ores et déjà sous mandats de dépôts. Cependant certains soupçonnent le Premier ministre d’être dans une chasse aux sorcières et un règlement de compte politique.

Assises nationales de la refondation

Refondation. C’est le maître mot de Choguel Kokalla Maïga autour duquel s’inscrirait la logique de sa gouvernance. Pour le Premier ministre, parvenir à un nouveau Mali exige la participation de toutes les filles et de tous les fils du pays. C’est dans cette optique qu’il a tenu à l’organisation d’assises nationales de la refondation (ANR), dont les conclusions permettront d’établir un calendrier électoral. Cependant les ANR ont souffert du boycott de plusieurs partis politiques qui soupçonnent une volonté déguisée du gouvernement de transition d’avoir uniquement la « bénédiction du peuple » pour prolonger la durée de la transition.

 Un personnage contradictoire

Ce qui a le plus marqué chez Choguel Kokalla Maïga, c’est le double langage qu’il a tenu tout au long de son évolution de 2020 à nos jours. De la même façon que le porteur de bazin s’est mue en friands de boubou à base de tissus traditionnels, ses propos ont changé, mettant en branle la constance de l’homme politique.  « Ce qui m’a beaucoup frappé chez lui en 2021, c’est sa constance avant qu’il ne soit nommé Premier ministre. Il aurait pu améliorer et maintenir cette constance qui l’a caractérisée depuis le Mouvement du M5. Quand il a été nommé Premier ministre, on a eu droit à un double discours, notamment quant à la présence de la France au Mali, la durée de la transition, etc. », regrette l’analyste politique Ballan Diakité pour qui l’année 2021 pourrait également être celle du président de la transition Assimi Goïta.

Le chercheur en sciences politiques Mohamed Ag Ismaël abonde dans le même sens. « Il qualifiait le CNT d’illégal et d’illégitime, pointait du doigt la militarisation de l’administration, etc. Pourtant il a fini par tout avaler une fois à la primature.  D’où la contradiction de sa personnalité ayant abandonné ses principes du M5 RFP.»

Il poursuit que le Premier ministre aurait dû dialoguer d’avantage avec l’ensemble de la classe politique, rassembler les Maliens au lieu de « les diviser  y compris au sein du M5 RFP, sa force naturelle.»

Cependant le chercheur reconnaît que Choguel kokalla Maïga est « le Premier ministre qui exprime la pensée de la rue.»

Assises nationales de la refondation : le président de la transition lance la dernière phase

Le président de la transition, colonel Assimi Goïta, a lancé, lundi 27 décembre, les travaux de la phase nationale des Assises nationales de la refondation(ANR) qui vont se poursuivre jusqu’au jeudi 30 décembre.  

« Il était temps, même grand temps d’arrêter la spirale de la dérive. C’est pourquoi nous devons replacer notre Maliba dans une nouvelle dynamique plus soucieuse de nos valeurs et vertus. C’est à cette entreprise de refondation, qui a valeur de salubrité publique, que vous êtes conviés pour poser les fondements sérieux et les modèles de gouvernances endogènes qui s’inspirent de notre patrimoine historique et culturel », a lancé le Colonel Assimi Goïta au millier de participants venus de tout le Mali.

Durant trois jours, ils vont examiner les résolutions issues des phases précédentes des ANR, tenues du 11 au 23 décembre, et feront des propositions pertinentes pour un nouveau Mali.

Les Assises nationales de la refondation ont commencé par les phases communales, les niveaux cercles, régionales et du district de Bamako ainsi qu’au niveau de la diaspora malienne et des réfugiés et déplacés maliens. Pour  Zeïni Moulaye Haïdara, président du panel des hautes personnalités pour les ANR, la réalité du terrain et les résultats engrangés avec les précédentes phases ont « dépassé toute espérance.»

Il a expliqué que les ANR se sont « tenues dans 725 communes sur un total de 759, incluant les six communes de Bamako, soit un taux de réalisation de 95,52%. Elles ont été organisées dans 51 cercles sur 60, soit un taux de réalisation de 85%. »

Les Assises nationales de la refondation n’ont pas pu se tenir dans 9 cercles de Kidal, et de Ménaka, « essentiellement pour des raisons de sécurité. » Au niveau régional, « elles se sont déroulées dans toutes les régions et le district de Bamako à l’exception notoire des régions de Kidal et de Ménaka. Enfin, au niveau de la diaspora, les Assises se sont tenues dans 26 pays de forte concentration des Maliens à l’étranger.»

Au-delà de l’aspect sécuritaire, la participation aux ANR demeure entachée par le refus de certains politiques d’y prendre part, notamment le « Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie» qui exige le respect du délai de la transition.

Pour Zeïni Moulaye Haïdara, la chance sera donnée au dialogue afin de ramener tous les Maliens autour de la table. « A l’issue des rencontres, certains de nos interlocuteurs ont exprimé de vives voix leur refus de participer aux travaux des assises nationales de la refondation pour des motifs qu’ils ont exposés, mais aucun n’a fermé la porte au dialogue. Ce qui porte à croire que dans un proche avenir tous les Maliens se retrouveront pour construire ce Mali nouveau auquel notre peuple aspire. »

Selon le président de la transition, « la fin des Assises n’est pas une fin en soi.» C’est pourquoi à l’issue des travaux, un comité de suivi et d’évaluation sera mis en place ainsi qu’une « phase technique intense  qui va élaborer une stratégie cohérente pour coordonner l’action publique dans tous les secteurs, tout en engageant une estimation budgétaire du coût de la refondation. »

Les résolutions issues des ANR seront exécutoires pour le futur gouvernement qui sera installé à l’issue de la présidentielle prochaine.

Transition : la CEDEAO presse pour le respect strict du délai

Réunis en visioconférence le 8 septembre, les chefs d’Etat de la CEDEAO ont réclamé la publication d’un chronogramme détaillant le calendrier, les réformes et actions prioritaires à entreprendre notamment la préparation de la liste électorale, le choix de l’organe devant conduire les élections. Les gages donnés par les autorités de la transition au médiateur de la CEDEAO Goodluck Jonathan durant sa visite dans le pays du 5 au 7 septembre ne semblent pas suffire. D’autant que les réformes annoncées pourraient prendre du temps. Le 9 septembre, lors d’une rencontre avec les diplomates accrédités au Mali, le Premier ministre Choguel Maiga a reiteré sa volonté de tenir les assises nationales de la refondation, à l’issues desquelles sera déterminé le chronogramme des élections. Alors qu’il réfutait encore jusqu’alors toute velléité de prolongation de la transition, il a laissé entendre que cela dépendra aussi des assises.