Cessez-le-feu au centre : Vers la fin des violences?

Le 1er juillet, deux groupes d’autodéfense peulh et dogon ont signé à Sévaré  un document actant leur volonté d’aller vers un cessez-le feu. Les derniers massacres dans la région de Mopti interpellent la conscience de tous les acteurs. Ce pas en avant est-il synonyme de la fin des violences dans cette zone ?

Après les différents massacres qui ont particulièrement endeuillé la région de Mopti, les différentes milices qui y sont actives se mobilisent pour éviter de nouvelles tragédies. Deux groupes d’autodéfense peul et dogon, le MSA et Dana Ambassagou, convergent pour le retour de la paix dans la région. C’est dans ce cadre que les responsables de ces mouvements ont signé le 1er juillet un communiqué conjoint, qui est un préliminaire à la signature d’un accord de cessez-le feu. « Ce n’est pas un cessez-le-feu qu’on a signé, c’est juste que l’on va s’abstenir d’agir pour aller vers la signature d’un accord. Pour le moment, nous n’en sommes pas à l’accord lui-même », précise Marcellin Guengueré, porte-parole de Dana Ambassagou. La rencontre a été l’occasion d’amorcer les bases d’une accalmie dans cette partie en crise humanitaire. « Nous avons dit que désormais il faut que chacun, de son côté, reste dans son coin. Que personne ne se déplace pour attaquer. Toute paix commence par cela. S’il n’y a pas d’attaques, il n’y aura pas de ripostes et le calme reviendra », souligne le porte-parole, ajoutant « il faut d’abord faire taire les armes et ensuite négocier sur les conditions qu’il faut pour aller à la paix ».

Pour l’analyste politique Boubacar Bocoum,  ce communiqué conjoint ne signifie pas forcément la fin des hostilités, « parce que ces deux mouvements ne contrôlent pas toute la zone et ne sont pas suffisamment structurés ». Il ajoute aussi que « derrière ces attaques il y a du banditisme organisé. Il y a des gens qui étaient dans la logique de l’autodéfense et en même temps d’autres qui profitent de la situation d’insécurité et de l’absence de l’État pour créer le désordre », estime-t-il.

Cette entente est intervenue deux jours avant le déplacement pour cinq jours du Premier ministre, Dr Boubou Cissé, dans la région. Il y a annoncé le redéploiement  prochain de 3 600 hommes supplémentaires pour sécuriser les populations. Cette visite du chef du gouvernement, accompagné de plusieurs de ses membres, est perçue comme une « avancée ».

Mahamadou Savadogo : « L’État est en partie responsable de ce qui est arrivé »

Spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel, Mahamadou Savadogo est chercheur au Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD) .

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

Cette attaque vient une fois de plus rappeler que le tissu social est  vraiment très fragile et prêt à s’effriter à tout moment. La violence avec laquelle elle a été perpétrée nous laisse sans voix et perplexe. Je pense, suivant l’actualité du Mali, que les « Dogons » avaient presque prévenu de l’imminence d’une attaque, parce qu’une milice avait annoncé reprendre ses patrouilles de sécurisation dans la zone avant la saison des pluies. Il y a eu une négligence de l’État malien, qui a laissé les « Dogons » perpétrer de tels meurtres alors qu’il y en a eu d’autres auparavant sans qu’il n’y ait de sanctions. Ils se sont donné le droit  de se faire justice eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils concurrencent l’État dans le monopole de la violence physique légitime. Ce monopole, dans un État de droit, ne saurait être partagé ou remis à qui que ce soit. Donc l’État est en partie responsable de ce qui est arrivé.

Que pensez-vous des mesures apportées juste après par le gouvernement ?

Ce sont des mesures qui viennent un peu tard. À mon avis, il y avait un détachement de l’armée qui n’était pas loin du lieu de l’attaque. Malgré cela, les présumés auteurs, désignés comme étant des Dogons, ne sont jusque-là pas arrêtés et continuent de circuler dans la nature. Ce n’est pas en limogeant une partie de la hiérarchie militaire ou en dissolvant une milice que le  problème sera résolu. Peut-être que le gouvernement cherche juste à éteindre le feu, parce que la colère des gens a atteint son paroxysme. Maintenant, quelle va être la suite ? Est-ce que l’État malien va engager des poursuites contre cette milice ou même contre les gens qu’il a démis, parce que cela veut dire que ceux-ci n’ont pas fait leur travail.

Comment expliquer cet engrenage de violence ?

L’État a négligé la situation. D’une chose l’autre : ou bien il se sert de cette milice ou bien il a été négligent dans cette affaire. Parce que, comme je le dis, le monopole de la violence physique légitime ne peut être partagé avec qui que ce soit. Donc, si une fois ou deux il y a eu des violences menées par une milice ou un groupe, l’État devait prendre des mesures bien avant, même de dissolution. Cela n’a pas été fait. Maintenant, l’État doit en tirer les conséquences et assumer ce drame-là.

Est-ce une bonne idée, cette dissolution ?

Pour moi, elle n’est pas la solution. Il fallait plutôt mener des enquêtes et savoir ce qui peut pousser des Maliens à s’en prendre à d’autres Maliens à ce point. Ensuite procéder tranquillement à la dissolution de cette milice et de bien d’autres avant que cela ne dégénère. En supprimant cette milice, il y a des complices et des auteurs qui vont disparaitre dans la nature. Puisque Dana Ambassagou n’existe plus, on ne peut plus designer des auteurs en son sein. Cela veut dire qu’on prône en même temps l’impunité, parce qu’en supprimant la milice les responsabilités n’ont pas été situées. En plus, elle peut tout de suite grossir les rangs des groupes extrémistes en se disant : puisque l’État ne veut plus de nous, on va les rejoindre. Ce qui ne serait pas une bonne chose pour le Mali, vu leur nombre et leurs armes.

Décririez-vous cette situation comme  un conflit intercommunautaire ?

Pour moi c’est un conflit intercommunautaire qui ne date pas de maintenant. À l’approche des élections passées nous avons vu une exacerbation de la violence entre ces deux communautés. L’État n’a jamais tranché concernant les exactions commises. C’est un conflit qu’il va falloir résoudre. La dissolution de cette milice ne résout pas le problème, elle l’aggrave.

Faut-il craindre une guerre civile ?

Si cette mauvaise posture de l’État est reprise par les groupes terroristes, on risque d’en arriver là, malheureusement. Parce que si les Peuls décident de s’en prendre aux Dogons, il y aura un risque s’il n’y a pas de force d’interposition entre les deux communautés.

Le point de non-retour a-t-il été atteint ?

Il y a toujours quelque chose à faire. Il faut que les deux communautés s’asseyent, sur le même pied d’égalité, et discutent. La meilleure solution serait d’organiser des assises nationales et de convoquer ces communautés afin qu’elles discutent face à face et trouvent des solutions, parce qu’elles sont condamnées à vivre ensemble sur le même territoire. Et même au-delà du territoire malien, parce qu’il y a des ramifications au niveau du Burkina.

Comment voyez-vous cette situation évoluer ?

Je vois déjà une récupération qui pourrait être faite par les groupes terroristes. Déjà, Amadou Koufa avait sonné la révolte des Peuls, étant donné qu’au Mali et au Burkina,  les Peuls sont des victimes, comme au Togo, au Bénin, au Ghana. On leur donne ainsi l’occasion de voir des gens se rallier à leur cause. Manifestement, on voit qu’une communauté est persécutée et qu’aucun État ne réagit de manière forte. C’est la première conséquence. La deuxième, c’est l’effritement du tissu social, parce que les autres communautés pourraient commencer à s’armer en prévision d’éventuelles agressions. Il y a un climat de méfiance et de suspicion qui va  s’installer. Il aura des conséquences sur toute la sous-région si le problème n’est pas pleinement résolu.

Mamadou Togo : « Quand la raison devancera le cœur, nous finirons par nous retrouver »

Le président de l’association Ginna Dogon, conciliant dans sa démarche, prône le retour à la raison. Jugeant hâtive la décision du gouvernement de dissoudre Dana Ambassagou, Togo affirme que cela ne saurait mettre fin au problème.

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

C’est un acte qui n’a aucun sens. C’est injustifié, d’autant plus que nous n’en connaissons pas les auteurs. Aussitôt après la survenue de l’attaque, les responsables de Dana Ambassagou s’en sont désolidarisés, disant qu’ils n’étaient ni de près ni de loin concernés. Quand je les ai interrogés, ils m’ont rétorqué qu’ils avaient déjà fait leur communiqué et m’ont réitéré que ce n’était pas eux. Je leur ai faits savoir que leur communiqué ne suffirait pas, puisque ce sont eux qui sont soupçonnés. Nous sommes une association culturelle nous, pas une milice, mais puisque nous sommes tous Dogons, nous devons coopérer pour venir à l’apaisement. Sans la paix, pas de culture.

Que pensez-vous des réponses apportées par le gouvernement ?

Nous n’avons rien contre le communiqué du gouvernement. Nous sommes tous citoyens de ce pays, et de ce fait sous l’autorité du gouvernement. Par contre, à nos yeux, le communiqué a des failles. En ce sens qu’en dissolvant l’association des chasseurs juste après l’attaque, comme si c’étaient eux les auteurs, on voit cette dissolution comme une sanction. C’est de l’amalgame. Le gouvernement est allé trop vite en besogne. Et Dana Ambassagou n’est pas le seul mouvement armé en cinquième région, il doit y en avoir cinq ou six. Quand vous en visez un seul, vous le désignez comme fautif. C’est malheureux. Dana Ambassagou est une association de chasseurs qui s’est constituée pour défendre nos localités. Nous ne les encourageons pas, mais nous ne les condamnons pas non plus. Je suis à Bamako. Si une personne attaque ma famille au village et si une autre personne s’interpose pour la  défendre, je ne pourrai que la saluer. Dissoudre Dana Ambassagou est une chose, arrêter la violence en est une autre. Le gouvernement doit jouer le rôle de tout gouvernement vis-à-vis de sa population : la protection des personnes et des biens. Si cela se fait, il n’y aurait pas de problème.

Comment expliquez cet engrenage de la violence ?

C’est l’œuvre de personnes irréfléchies, insensées. Maintenant que tout le monde fais des efforts devant concourir à la paix, les attaques continuent et se multiplient. Il faut se poser la question de savoir « qui à quoi à gagner » dans l’escalade de la violence. Si personne n’y gagnait, je pense que l’affaire serait réglée depuis un certain temps. Il y a des gens derrière qui attisent le feu. C’est ce qui fait que les attaques perdurent.

Décririez-vous la situation au centre comme un conflit intercommunautaire ?

Non. Nous n’avons jamais employé cette formule. À notre entendement, ce n’est pas un conflit intercommunautaire. J’ai l’habitude de dire que des gens sont venus opposer Peuls et Dogons dans leur terroir. Je les invite à se donner la main pour chasser ceux qui sont venus semer la zizanie. Les Peuls ne sauraient dire pourquoi ils prennent les armes contre les Dogons et les Dogons diront qu’ils ne font que réagir après avoir subi des attaques. Les assaillants courent se réfugier dans des villages après leur forfaiture. Si vous n’êtes pas complice, quand quelqu’un se réfugie chez vous, vous devez livrer cette personne. Si une personne commet un délit dans le voisinage et viens chercher refuge dans ma maison, je me dois de la livrer. Si je choisis de la protéger et que la famille voisine vient saccager ma maison, elle aura raison, car je me serais rendu coupable de complicité.

Avec toutes ces attaques et les rhétoriques incendiaires qui s’ensuivent, craignez-vous un risque de guerre civile ?

Il n’y aura jamais de guerre civile à partir de ces événements. Nos parents et amis peuls parlent de génocide, prenant l’exemple sur le Rwanda. Je pense que nous ne pesons pas nos mots. Le génocide du Rwanda n’a rien à voir avec ce qui se passe ici. Cela s’est d’abord passé au nord, avant de descendre vers le centre, et de là ça progresse vers le sud. Le dénominateur commun de tout cela, c’est l’ethnie peule. Ils étaient d’abord aux prises avec les Tamasheqs et cela continue. Ils le sont avec les Dogons, les Bambaras, les Bozos… Quand une seule ethnie est citée dans plusieurs conflits de ce genre, elle doit faire un examen de conscience. Elle doit se demander, que faire pour arrêter ça ? C’est ce que ne font pour le moment par nos amis peuls. Au contraire, ce sont des propos incendiaires qui sont lancés. En disant par exemple que tous les Peuls d’Afrique de l’Ouest doivent cotiser et, au-delà venir physiquement les aider à combattre l’enclave dogon. Si tous les Peuls des pays d’Afrique doivent se jeter sur l’enclave comme un essaim d’abeilles, ça n’ira pas. Je l’ai dit à l’époque devant les responsables peuls et la seule personne à avoir abondé dans mon sens était le président de la Haute Cour de justice. Il a trouvé que le président de Tabital était allé trop loin dans ses propos. Quand on est responsable, à ce niveau-là c’est le Mali qu’il faut voir et non son ethnie.

Estimez-vous que le point de non-retour est atteint?

C’est un feu-follet. C’est éphémère. Quand les esprits vont recommencer à raisonner, quand nous allons cesser de voir ethnie, quand la raison devancera le cœur, nous finirons par nous retrouver et faire comme si rien ne s’était passé. Je dis à certains amis peuls, demain nous serons face-à-face. L’un de nous baissera la tête, ne pouvant regarder l’autre dans les yeux. Faisons notre possible pour éviter cela.

Que préconisez-vous ?

Il y a lieu que les cercles du pays dogon organisent chacun un forum. Seront invités tous les chefs de villages, imams, pasteurs ou évêques, toutes les notabilités, féticheurs reconnus et toute personne disposant d’un crédit dans la zone. Une rencontre au cours de laquelle les uns et les autres se diront la vérité. Ce sont toutes les ethnies qui se trouvent dans le cercle qui doivent participer, pas seulement les Peuls et les Dogons. Là, nous discuterons de la paix. Que faut-il pour que tout cela cesse ? Quand nous confronterons toutes ces idées, il y aura une démarche commune, et la situation sera plus apaisée. Mais si les Dogons se réunissent à part et que les autres font pareil, ce n’est pas la solution.

Vous avez l’année dernière signé une déclaration commune avec Tabital Pulaaku vous engageant à ramener la paix au centre. Qu’en est-il aujourd’hui?

Après la déclaration, nous devions tenir une conférence de presse commune. Quelle n’a été notre surprise quand nous avons vu Tabital rencontrer la presse sans nous. Nous sommes donc dit qu’il y avait eu rupture. Les Peuls n’ont pas respecté l’entente. Quelle en est la cause ? Nous ne le savons pas. Nous nous sommes dits qu’il fallait que nous disions certaines vérités aussi. Nos amis peuls ont beaucoup parlé et quand vous vous exprimez beaucoup tout ce que vous dites n’est pas forcément vrai. C’est ce qui a amené à dire que, contrairement à ce que les gens pensent, nous sommes une association culturelle. Nous sommes loin d’être des va t-en guerre.

Hamadoun Dicko : « C’est l’absence de l’État qui est à la base de tout cela »

Président de la jeunesse Tabital Pulaaku, Hamadoun Dicko indexe Dana Ambassagou et les autorités comme responsables de la tuerie. Il estime que la milice doit être mise hors de combat et le gouvernement démissionner.

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

Un carnage. C’est un nettoyage ethnique, un génocide, puisque ce sont les Peuls  les victimes. Des enfants, des femmes enceintes, des vieillards, incendier des greniers pour provoquer la famine. Des corps ont été jetés dans le seul puits du village, ce qui fait qu’il est inutilisable.

Que pensez-vous des réponses apportées par le gouvernement ?

Ce ne sont pas les chefs militaires les responsables, ils ne sont que des exécutants. C’est le pouvoir politique, c’est-à-dire le gouvernement, le Président et le Premier ministre qui sont responsables. C’est eux qui commandent. Ce sont eux qui donnent les ordres. À mon sens donc, ils ne devaient pas être relevés. Je dirais qu’ils ont fait les frais de l’attaque de Dioura, c’est probable. La dissolution de Dana Ambassagou n’est en rien une solution. Ils auraient dû d’abord les arrêter. Avec cette décision, c’est comme si on leur donnait l’autorisation de tuer impunément les Peuls. À ma connaissance, Dana Ambassagou a un récépissé délivré par l’État malien. C’est une milice qui est très proche du gouvernement. Dans chaque village où vous avez un camp militaire, vous trouverez une base de Dana Ambassagou à côté. Et, dans toutes les communes du plateau dogon excepté Douentza, nous avons recensé plusieurs camps. Ces camps sont connus de l’État malien et des militaires. Les éléments de Dana Ambassagou circulent à moto, pourtant cela a été interdit, ils disposent d’armes de guerre, ils ont une bonne formation. En ce qui concerne Ogossagou, nous avions alerté depuis le 28 février que le village risquait de subir une attaque, mais aucune mesure n’a été prise. Donc ils avaient la bénédiction de l’État. C’est le gouvernement qui devait démissionner, le Premier ministre, le ministre de la Défense, celui de la Sécurité, celui de l’Administration Territoriale et même celui de la Justice. Aucun d’eux ne joue son rôle et ils sont directement concernés.

Comment expliquez cet engrenage de la violence ?

C’est très facile. Tout d’abord, l’absence de l’État, qui a conduit à cela. Ensuite l’impunité. Il n’y a aucune poursuite judiciaire. Youssouf Toloba, qui est le chef de la milice Dana Ambassagou, a été invité à Sévaré, à Bamako. Le gouverneur de Mopti et le Premier ministre savent où le trouver. Quand tu sais que tu peux poser un acte en toute impunité, c’est à cela que ça conduit.

Décririez-vous la situation au centre comme un conflit intercommunautaire ?

C’est le gouvernement qui chante cette formule. Ils ont voulu que cela soit un conflit intercommunautaire, parce que c’est une ethnie qui en tue une autre. Il n’existait pas de conflit intercommunautaire avant, mais aujourd’hui oui, c’est palpable.

Avec toutes ces attaques et les rhétoriques incendiaires qui s’ensuivent, craignez-vous un risque de guerre civile ?

Bien sûr. Une connaissance m’a raconté que la mère de l’un de ses amis dogon l’a appelé pour lui enjoindre de quitter la maison qu’il habite. Parce qu’elle appartient à un Peul et qu’il enrichit un Peul. La tension est présente, même à Bamako. Les débats peuvent très vite s’envenimer dès que ça parle de Peul et de Dogon. Et une fois que ça s’embrase à Bamako, c’est fini. Chacun a un parent dans d’autres ethnies, Dogon comme Peul. Nous devons donc faire très attention.

Estimez-vous que le point de non-retour est atteint?

Si les Maliens développent une certaine conscience, nous pourrons trouver des solutions, arriver à une accalmie et arrêter les violences. Mais les séquelles resteront toujours. Imaginez un village où l’on tue plus de 170 personnes. Comment ces villageois vont-ils appréhender la situation ? Ce sera difficile. Nous sommes allés très loin et si rien n’est fait c’est sûr que ça peut s’embraser pour véritablement atteindre un point de non-retour.

Que préconisez-vous ?

Il faut d’abord combattre tous les criminels, dont les terroristes génocidaires de Dana Ambassagou. Un terroriste, qu’il soit Peul, Dogon ou Bambara, doit être combattu. Ceux qui sèment la terreur doivent être arrêtés et conduits devant la justice. Des enquêtes doivent être menées pour situer les responsabilités, qu’importent les coupables. Si c’est l’État qui l’est, il devra être traduit devant la CPI ou les juridictions compétentes. Il faut  combattre toute force de terrorisme, mais aussi faire de la sensibilisation, approcher les ethnies, les associations, sensibiliser les populations afin qu’elles ne se livrent pas à des guerres inutiles. Il n’y a pas plus d’une semaine, le gouverneur de Mopti état à Bankass, où il a réuni tout le monde, mais cela n’a servi à rien. Simplement deux jours après, tout un village était massacré. Nous devons être pragmatiques : le gouvernement doit partir, il a montré ses limites. Il faut de nouvelles personnes, plus aptes à mener un débat. À l’heure où nous parlons, beaucoup ne sont plus disposés à s’entretenir avec les dirigeants actuels.

Vous avez l’année dernière signé une déclaration commune vous engageant à ramener la paix au centre. Qu’en est-il aujourd’hui?

Il n’y a pas eu de suivi. Les autorités ne prennent rien au sérieux. C’était sous la bienveillance de l’État malien. Le gouvernement a certainement été amené à penser à un moment que c’étaient les associations la base même du problème. Il s’est donc mis à la recherche d’autres acteurs pouvant apporter la paix. Mais c’est se tromper. Ils minimisent ces associations alors que la solution pourrait venir d’elles.

(Défis de 2019 – 1/7) Sécurité : Briser la spirale des violences

Six ans après le début de la crise au Mali, la situation sécuritaire reste préoccupante. L’insécurité au centre s’est embrasée depuis quelques années, au point de faire de l’ombre au nord, qui a pourtant été sous le joug djihadiste. Outre le terrorisme, les conflits communautaires et le banditisme ont détérioré la situation jusque dans des zones encore épargnées. Les autorités sont à la manœuvre pour résoudre les problèmes.   

37 morts. Des blessés et des habitations incendiées à Koulogon, cercle de Bankass, dans la région de Mopti. Le massacre a été perpétré le 1er janvier 2019, jour de l’An, sur des civils peuls, par « des hommes armés habillés en tenue de chasseurs traditionnels dozo », selon le gouvernement. Épicentre de la violence depuis 2015, la région de Mopti est devenue le point névralgique de toutes les tensions communautaires. Selon les Nations Unies, en 2018 elles ont coûté la vie à plus de  500 civils. Plus tôt en décembre, 49 civils de la communauté Daoussahak avaient été assassinés à l’est de Ménaka. Les victimes s’accumulent et il est difficile d’avoir une compilation précise. Contredisant les ONG et l’ONU, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, assure que le gouvernement n’a enregistré que 203 victimes de violences.

Les persécutions continues des groupes terroristes se transposent désormais au sud-est du pays, dans la région de Koulikoro. Une vingtaines d’écoles ont été fermées en novembre sous la menace djihadiste. Le chef du gouvernement multiplie les tournées, aussi bien au nord qu’au centre, pour stabiliser la situation. Mais sa volonté est mise à l’épreuve par les violences, tantôt de groupes terroristes, tantôt de milices locales. « Lorsqu’on regarde la cartographie sécuritaire dans le contexte malien, on s’aperçoit que les raisons profondes de l’insécurité ne sont pas suffisamment questionnées à certains égards. Qu’on soit à Tombouctou, à Ménaka ou à Mopti, il est important de se questionner sur la manière dont l’État central arrive à trancher les crises entre les populations », affirme Aly Tounkara, sociologue et enseignant – chercheur à l’université des Lettres et des sciences humaines de Bamako.  « Quand une partie de la population a le sentiment qu’elle est lésée dans ses droits fondamentaux, que la justice n’est pas rendue de façon équitable, elle finisse par légitimiter le recours à la violence », poursuit-il.

La tuerie de trop ?

« Koulongo est une tragédie. Je pense que cela doit cesser. Et, étant à Koulongo,  j’ai une pensée très profonde également pour nos parents de Ménaka. Ils ont souffert et ont été violentés (…). Le cycle infernal doit s’arrêter et il faut que le Mali se dédie de nouveau à sa seule mission de paix et de développement… », a témoigné dès son retour de Bankass le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita. Car la tuerie de Koulongo a mis en émoi tout le pays. Le déplacement du Président sur les lieux du désastre a été salué aussi bien par les rescapés que par les responsables de diverses associations. « Nous avons pris acte de cette visite. C’est déjà un pas, mais nous restons dubitatifs sur le contenu, car nous pensions qu’il allait agir plus fort parce qu’il a vu ce qui s’est passé et que cela n’a rien avoir avec la lutte contre  le terrorisme », déplore Abderrahmane Diallo, secrétaire administratif de l’association Tabital Pullaku. Selon lui, il y a des amalgames qui pèsent depuis longtemps sur la communauté peule qu’il urge de lever. « Nous avons toujours demandé que le Président parle sur cette question du centre. Qu’il dise ouvertement, comme il l’a fait avec nos parents touareg, que tout Peul n’est pas djihadiste et que tout djihadiste n’est pas Peul, qu’on ne s’en prenne pas aux civils, mais il ne l’a jamais fait », regrette-t-il, inquiet.

Depuis le début de la crise, en 2012, jamais la situation socio-sécuritaire n’a été aussi préoccupante. Les différentes dénonciations de responsables de la communauté peule alertent sur l’urgence d’une solution adéquate. Ils  n’hésitent plus à dénoncer la complicité de l’État dans ce qu’ils qualifient « d’épuration ethnique ». Pour Abderrahmane Diallo, l’attaque de Koulogon constitue un évènement   « malheureux » de plus. « La milice Dana Ambassagou est connue du gouvernement et ils travaillent de concert. Elle a un récépissé délivré par le préfet de Bandiagara. C’est un permis de tuer », se plaint-il. Le gouvernement, de son côté, a toujours rejeté toute connivence avec ce groupe d’autodéfense dit de « dozos ».  Des arguments qui ne le convainquent point, face à la persistance des accusations et à la force de frappe « des chasseurs ». « Ils ne se sont jamais attaqués à des terroristes, toujours à des civils. Ils veulent chasser les Peuls de tout le Seno, c’est-à-dire des cercles de Douentza, Bankass, Koro et Bandiagara », soutient le secrétaire administratif de Tabital Pulaku.

Dans un communiqué, le groupe d’autodéfense s’est défendu d’avoir commis ces crimes horribles et dit n’être « impliqué ni de loin ni de près dans cette action visant à déstabiliser le pays ». Le retour à la normale semble dépendre d’une prise de mesures nouvelles et du rétablissement de l’État auprès des citoyens. En attendant,  c’est « la raison du plus fort qui est la meilleure » dans toutes ces zones, livrées à elles-mêmes. « La sécurité des populations  incombe à l’État et c’est à lui de prendre ses responsabilités. Aujourd’hui, le problème d’insécurité ne concerne pas seulement  le pays dogon. Même à Youwarou, Tenenkou, Djenné et jusqu’au Burkina Faso, c’est la même chose. C’est le gouvernement qui doit prendre les mesures qui s’imposent », dit Mamadou Goudienkilé, président de la coordination nationale de Dana Ambassagou.

Changer de regard ?

Aussi bien au nord qu’au centre, les révoltes trouvent leurs germes dans l’abandon prolongé de l’État et l’absence de justice. Face aux vides, les communautés se replient sur elles-mêmes pour assurer leur sécurité, une mission dévolue uniquement à l’État mais qu’il peine à assurer.

« Au-delà du règne de l’injustice, par exemple à Gao, à Tombouctou ou à Ménaka, il y a dans le centre du Mali des clichés qui traversent les  communautés. Quand on demande aux Dogons ce qu’ils pensent des Peuls, et vice-versa, vous verrez que pour les Dogons les Peuls les sous-estiment et que les Peuls pensent que les Dogons veulent les exterminer parce qu’ils sont des étrangers », diagnostique le sociologue Aly Tounkara. Des dimensions sociologiques qui entrent en jeu dans les antagonismes actuels. « Les réponses exclusivement militaires ont des limites évidentes. En aucun cas elles ne peuvent aider les populations à retrouver une paix durable, car elles ne s’intéressent pas du tout à ces dimensions sociologiques », argumente-t-il.

Quelles mesures ?

La sécurité et le retour de la paix demeurent des priorités du gouvernement, malgré la dégradation de la situation sur le terrain. Pour l’année 2019, les autorités prévoient des mesures sécuritaires supplémentaires partout sur le territoire. Après l’annonce  par le Premier ministre, mi-décembre, du déploiement à Tombouctou de 350 éléments des forces de sécurité et de 300 autres à Gao, le chef du gouvernement, interpellé par les députés sur la situation au centre, s’est voulu rassurant. « Nous allons accroitre les moyens mis à la disposition de nos forces, y compris sur le fleuve, pour assurer la sécurité des populations en ayant plus de mobilité et d’efficacité (…). Nous allons renforcer la présence administrative de l’État, l’administration de la justice et continuer l’opération du désarmement jusqu’à la fin du mois de janvier », a répondu Soumeylou Boubeye Maiga. 600 éléments des forces de sécurité seront recrutés à Mopti, de même qu’à Ségou, et un quota sera accordé aux régions de Sikasso, Kayes, Koulikoro et au District de Bamako. Les ripostes militaires sont pour le gouvernement indispensables, car appelant les acteurs impliqués dans les violences à faire le choix de la paix ou celui d’être combattu. Un choix apparemment simple, mais qui soulève des réticences. « Les gens continuent de se cramponner au référent communautaire ou géographique parce qu’ils n’ont pas trouvé d’acteur qui puisse les protéger. Les fonctions régaliennes que l’État est censé remplir sont assurées par les communautés elles-mêmes, d’où l’idée d’indépendance ou de rejet de l’État », explique le sociologue Aly Tounkara.

 

 

Cet article à été publié dans le journal du Mali l’Hebdo (N°196) du 10 janvier 2019

Jean Kassogue : « Si l’Etat prend ses responsabilités, Dana Ambassagou n’a plus intérêt à faire la guerre »

Lors de la visite du Premier ministre dans la région de Mopti cette semaine, le groupe d’auto-défense Dana Ambassagou s’est engagé à déposer les armes. Après avoir combattu ceux qu’ils appellent les forces extrémistes, les responsables du mouvement affirment désormais « laisser faire » l’Etat. Enfin le bout du tunnel dans le centre ? Le nouveau porte-parole du groupe Jean Kassogué répond à nos questions.

Le mouvement s’est engagé le 2 octobre à déposer les armes. En juillet déjà, un cessez-le-feu unilatéral avait été entériné conduisant à une dissidence au sein du mouvement, quelle en était la cause ?

La première signature de cessez-le feu n’a pas permis de mettre fin au conflit. Au contraire, il s’est intensifié. Cela veut dire que les vrais acteurs n’ont pas été consultés. A l’époque Youssouf Toloba a été clair. Il a dit que depuis qu’il a commencé le combat, aucune autorité ne lui a tendu la main. Ils ont voulu le contourner, hors, c’est lui qui a créé le mouvement Dana Ambassagou. Il a nommé des personnes qui ont signé en sa place, sans le consulter, il s’estime donc trahit. Quand nous avons commencé à travailler avec lui, nous nous sommes rendu compte que ceux qui l’entouraient sur le plan politique n’étaient pas à la hauteur. Mais Toloba lui-même est une personne extrêmement intelligente. Il a dit être prêt au dialogue. Mais il a fait savoir que toute personne voulant agir au nom du mouvement sans passer par lui, il ne sera jamais d’accord. Il est le premier responsable. C’est lui qui répond en cas de problème. Toloba ne cherche qu’à défendre le pays dogon contre ceux qui l’attaque.

C’est donc le fait qu’il n’ait pas été associé qui le dérangeait ?

Ils ont fait croire à l’opinion que ceux qui ne sont pas venu signer sont des bandits, des ennemis à la paix. Ce n’était pas vrai. Le problème est que la personne derrière le mouvement n’avait pas été consultée. Mais à partir du moment où l’Etat lui a tendu la main, il s’est dit prêt pour la paix. Et cela n’a pas tardé. Il a été convaincu au bout de trois semaines de discussion. Maintenant, vu que l’armée à assurer vouloir prendre la situation à bras le corps, il a signé le document et il dit  vouloir observer la suite. S’ils ont besoin de lui, il répondra à l’appel et apportera toute l’assistance nécessaire.

Il existerait un accord tacite entre le gouvernement et le mouvement pour la sécurisation du centre ?

Je ne crois pas du tout. Avant lorsque l’armée était alertée sur la survenue d’une attaque, elle trainait des pieds pour répondre. C’est pour cela que le mouvement a pris les choses en main. Ceux qui sont payés pour assurer la sécurisation, il est grand temps de leur céder la place.

D’où proviennent donc vos armes ?                                                              

Les chasseurs sont nantis de pouvoirs magiques. Ils ont d’abord combattu avec leurs fusils de chasse, mais par la suite, ils ont gagné des butins de guerre au fil des succès contre ces terroristes.  Ces derniers acculés ont dit ne plus vouloir combattre contre les chasseurs, préférant l’armée malienne.  Quand les gens voient ces chasseurs avec des armes de dernière génération, ils y voient la main de l’Etat derrière. Mais non, au contraire l’Etat cherche à désarmer le mouvement. L’Etat n’arme ni de près, ni de loin Dana AmbaSagou. La situation était chaude et les chasseurs ont usé de leurs pouvoirs mystiques pour venir à bout de terroristes et prendre leurs armes par la suite.

Avez-vous confiance en la capacité de l’armée à sécuriser la zone ?

Toloba a dit que ‘’si’’ sa signature  peut occasionner la paix définitive, il l’apposera. Le mot ‘’si’’ est une réserve. Si l’Etat prend toutes ses responsabilités pour faire face aux terroristes, Dana Ambassagou n’a plus intérêt à faire la guerre. Nous ne pouvons pas tous dire avoir confiance, il nous faut attendre de voir les forces à l’œuvre. Nous avons entendu beaucoup de choses, ce que nous voulons maintenant c’est du concret. Le gouverneur de Mopti a assuré à Toloba que l’Etat est prêt à prendre la relève à compter du 1er octobre. Nous verrons si cela est réel ou pas. Nous avons mis en place une équipe de suivi, maintenant avoir une confiance totale dépendra de l’Etat.