Kayes : des « esclavagistes » condamnés à la peine de mort

Un grand pas a été franchi dans la lutte contre l’esclavage dans la région de Kayes. Au cours de la session spéciale de la cour d’Assises de la région au titre de l’année judiciaire 2023, ouverte depuis le 27 février et toujours en cours,au moins sept « esclavagistes » ont été condamnés à mort et à cinq ans de prison  pour les meurtres de Youssouf Cissoko, Mountaga Diarrisso, Gossi Cissoko et Djané Cissoko, quatre militants anti-esclavagistes, qui ont été battus à mort dans le village de Djandjamé le 1er septembre 2020.

Il s’agit de Djibril Badiaga, Moussa Sissoko dit Papi, Ousmane Diarrisso dit Tamba, Hameye Diarrisso, Mohamed Diawara, Mohamed Diaby dit Hameye, tous condamnés à mort et Lamba Cissé qui a écopé de cinq ans.

Si les associations de lutte contre l’esclavage par ascendance se félicitent des verdicts, les charges retenues contre les condamnés (associations de malfaiteurs, assassinats, complicité d’assassinat, coups et blessures volontaires) ne leur convient pas pour autant.

« Nous espérons toujours que le gouvernement va adopter une loi spécifique pour criminaliser l’esclavage par ascendance qui fait des ravages dans nos localités. Elle n’est pas spécifiée actuellement dans les lois existantes », regrette Mikhailou Diallo, le président régional Kayes de la fédération malienne des associations de lutte contre l’exclusion, la discrimination, l’esclavage par ascendance et les inégalités sociales (FMALEDEI).

Selon les organisations, les crimes liés à l’esclavage sont considérés comme des problèmes de terre, des conflits entre clans, des coups et blessures… par la justice.

« Il ne pourrait en être autrement en absence de loi criminalisant la pratique de l’esclavage par ascendance au Mali », atteste Me Lury Nkouessom, chef de file de la composante accès à la justice du projet Mali Justice Project (MJP).

Cependant d’autres mesures sont en vigueur au Mali pour lutter contre la traite des personnes. En février 2011, le gouvernement a créé le Comité national de coordination de la lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées (CNLTP). Cela a été suivi par l’adoption de la loi n°2012-023 du 12 juillet 2012, relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées (elle prévoit des sanctions pénales pour les individus coupables de traite des personnes pouvant aller de 5 ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité selon les circonstances), et le lancement d’un Plan d’action national (2018-2022) en février 2019. Le Plan d’action national 2018-2022, qui fait actuellement l’objet d’une révision par les parties prenantes, prévoit, entre autres, de promouvoir la coordination et la coopération des acteurs dans la lutte contre la traite des personnes. Le Ministre de la justice Mamadou Kassogué a, en outre, appelé, en décembre 2021, les procureurs généraux « à prendre des dispositions pour que des poursuites soient engagées pour tous les cas de violences physiques et d’atteintes aux biens exercées contre ces personnes en considération de leur statut ».

Au Mali, l’esclavage a été abolit par l’administration coloniale depuis décembre 1905. Las, il persiste toujours dans le pays notamment dans la région de Kayes où plusieurs cas ont été recensés récemment. Rien qu’en juillet dernier, le cadavre brulé et mutilé de Djogou Sidibé, 71 ans, a été retrouvé près de son champ, non loin de son village, Lany Mody, dans le cercle de Kayes. La raison de l’assassinat, à en croire, plusieurs organisations de lutte contre l’esclavage est liée au refus de la vieille femme de se soumettre au statut d’esclave.

 

Traite des personnes : « A Kayes, c’est accepter d’être esclave ou vivre l’enfer »

Il y a 117 ans, l’administration coloniale a aboli l’esclavage en Afrique occidentale. Mais, il existe toujours au Mali, principalement dans la région de Kayes où des personnes continuent à souffrir des affres à même à mourir du phénomène.

 

La violence due à l’esclavage a atteint un paroxysme dans la région de Kayes. Le 29 juillet 2022, le cadavre brulé et mutilé de Djogou Sidibé, 71 ans, a été retrouvé près de son champ, non loin de son village de Lany Mody dans le cercle de Kayes. Cet acte comme l’expliquent plusieurs organisations de lutte contre l’esclavage, est dû au refus de la vieille femme de se soumettre au statut d’esclave.

Le fils de la défunte (relayé sur les réseaux sociaux) témoigne qu’elle a été tuée pour avoir refusé de moduler sa plainte afin qu’une femme qui l’avait battue le 10 juin dernier, puisse bénéficier d’une liberté provisoire. La mort de Djogou Sidibé est le point d’orgue de mauvais traitements qui se multiplient dans les contrées de la première région administrative du Mali comme en témoigne Farda, 65 ans, installée à Makana Toubaboukané, un village situé à 60 Km de Kayes. Le 6 juillet dernier, sur le chemin du champ, la vieille femme « toute joyeuse », écoutait une chanson à la gloire d’Ousmane, un riche commerçant de la localité qui venait d’offrir un forage au village, raconte-t-elle. Sur la route, elle croise le septuagénaire Samba, un membre de la famille royale du village qui lui interdit d’écouter cette musique « à la gloire d’un esclave indigne de louanges ». Face à son refus, le vieillard abat son bâton sur la tête de Farda puis la roue de coups. Le bras avec lequel elle tentait de se protéger est fracturé tandis que de sa tête s’écoulait du sang. « Ensuite, il a fait appel à des jeunes de sa famille pour aller tabasser nos familles et brûler nos maisons », raconte la victime. Coumba, 50 ans, (traumatisme crânien), Lassana, 24 ans, (bras cassé) et Adama, 50 ans (coude démis) comptent parmi les victimes supplémentaires.

Ces violences en rappellent d’autres pas si éloignées que cela. Le 21 novembre 2019, 110 personnes, en majorité des femmes et des enfants, fuient leur village de Khérouané pour se réfugier à Diéma pour avoir refusé le statut d’esclaves. Le 1ER septembre 2020, Youssouf Cissoko, Mountaga Diarrisso, Gossi Cissoko et Djané Cissoko, 4 militants anti-esclavagistes, sont battus à mort dans le village de Djandjamé. Le 4 juillet 2021 : des habitants du village de Makhadougou considérés comme des « esclaves » sont empêchés de travailler dans leur champ. 12 d’entre eux (parmi lesquels 3 femmes) sont blessés par des machettes et des coups de fusil. Le 28 septembre 2021 : une vidéo montrant des jeunes ligotés et torturés avec des armes blanches fait le tour des réseaux sociaux. La scène filmée à Oussoubidiagna fait 1 mort, 77 blessés et 3000 « esclaves » déplacés, selon un bilan de l’ONU dont des experts ont lancé une alerte en 2021 contre l’intensification du phénomène dans la région. « N’empêche, à Kayes, c’est accepter d’être esclave ou vivre l’enfer », s’exclame Mikhailou Diallo, le président régional Kayes de la Fédération malienne des Associations de lutte contre l’exclusion, la discrimination, l’esclavage par ascendance et les inégalités sociales (FMALEDEI).

Personnes capturées

Traditionnellement ont été considérées comme esclaves au Mali, des personnes capturées au cours des razzias ou échangés par des guerriers lors de conflits tribaux à l’époque précoloniale. La transmission du statut aux enfants se fait via la mère quelque soit celui du père. « Mais dans nos localités de Kayes actuellement, tous ceux qui ne sont pas de la lignée des fondateurs des villages sont considérés comme esclaves », corrige Mikhailou Diallo.

Le système pour devenir esclave est tout simple, dit-il. « Si un étranger s’installe dans un de ces villages, au bout d’un certain temps, les chefs traditionnels te donnent une de leurs filles en mariage en disant que tu es une bonne personne. Mais dès que tu commences à réussir ta vie, ils t’annoncent que c’est une de leurs esclaves que tu as épousé en réalité et, du coup, tes enfants deviennent leur propriété. Si tu décides de quitter le village, on te retire les enfants », explique-t-il. Dans la zone, les « esclaves » n’ont droit à aucun poste de responsabilité (maire, imam, prêtre…), à leur mort, leurs corps sont enterrés à l’écart de ceux des « nobles », leurs épouses sont astreintes à un veuvage de 2 mois et 5 jours au lieu des 4 mois et 10 jours prescrits par l’islam…

« 105 personnes inculpées »

L’administration coloniale a aboli l’esclavage au Mali par un décret daté du 12 décembre 1905. « La pauvreté, le manque d’éducation, la demande de main-d’œuvre bon marché, la demande de sexe et l’absence de droits de l’homme pour les groupes vulnérables sont des principales causes qui perpétuent encore la pratique dans le pays », regrette Nouhoum Cherif Haïdara, membre du Comité national de coordination de la lutte contre la traite des personnes et des pratiques assimilées (CNLTP).

Autre motif de la persistance de l’esclavage par ascendance : il est perçu dans les localités de Kayes comme une tradition qu’il faut respecter. C’est dire la difficulté de l’éradiquer malgré les tentatives de l’Etat malien.

Le 3 février 2011, le gouvernement crée le CNLTP. Dans la foulée, il fait adopter la loi n°2012-023 du 12 juillet 2012, relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées (elle prévoit, pour les individus reconnus coupable de traite des personnes, des peines s’échelonnant de 5 ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité selon les circonstances), et lance un Plan d’action national (2018-2022) le 1er février 2019. Ce Plan d’action qui fait actuellement l’objet d’une révision par les parties prenantes, prévoit, entre autres, de promouvoir la coordination et la coopération des acteurs dans la lutte contre la traite des personnes.

Le ministre de la justice, Mamadou Kassogué, a également appelé, en décembre dernier, les procureurs généraux « à prendre des dispositions pour que des poursuites soient engagées pour tous les cas de violences physiques et d’atteintes aux biens exercées contre ces personnes en considération de leur statut ».

Une injonction utile car le système judiciaire s’est révélé particulièrement actif en 2021 dans la poursuite des affaires de traite des personnes dans la cité des rails.

« 105 personnes ont été inculpées de traite des personnes et/ou de trafic de migrants. Elles sont actuellement en attente de leur procès. Les tribunaux de Kayes à eux seuls ont jugé 36 affaires liées à la traite des personnes et à l’esclavage l’année dernière », explique Me Lury Nkouessom, chef de file de la composante accès à la justice du projet Mali Justice Project (MJP). Un projet financé par l’USAID qui fournit un appui technique et financier à plusieurs ONG pour porter assistance aux victimes de la traite des personnes et de l’esclavage par ascendance.

Ces mesures ne convainquent cependant pas les associations de victimes qui relèvent que « les crimes d’esclavage sont considérés comme des problèmes de terre, de conflits entre clans, de coups et blessures… par la justice ». Elles dénoncent en plus le fait que la loi sur la traite des personnes (TIP) de 2012 en vigueur se concentre fortement sur les poursuites judiciaires mais n’accorde que très peu de place à la protection et à l’assistance aux victimes. Comme en atteste dramatiquement le cas de « l’esclave » Djogou Sidibé.

Mali : sit-in devant l’ambassade da la Libye à Bamako

Depuis quelques jours, le monde entier découvre une pratique obscurantiste. Il ne s’agit pas du commerce triangulaire, mais d’une vente aux enchères des migrants d’Afrique subsaharienne en Libye. Un pays effondré. Au Mali, des voix protestent et l’appel à la mobilisation est donné pour ce lundi 20 novembre.

« Indignation », « inhumain », « intolérable », « révoltant ». Un vocabulaire qui inonde les réseaux sociaux de par le monde. La découverte de la vente des Africains sub-sahariens en Libye a heurté bien des consciences. En ce 21e siècle, sur un territoire africain, des hommes sont vendus comme du bétail. Des vidéos circulant sur internet montrent des jeunes africains aux visages meurtris. D’autres témoignent de leur calvaire dans ce pays pourtant jadis « défenseur » d’un panafricanisme viril. L’émotion a été immédiate, face à des images glaçantes et souvent insoutenables. Des Maliens, parmi ces sub-sahariens seraient parmi ce lot d’infortunés. 

Protestation à Bamako

Pour montrer sa désapprobation face à une telle pratique, le mouvement Trop c’est Trop qui a appelé à une mobilisation à l’échelle continentale monte au créneau. À Bamako, des manifestants se sont retrouvés aux environs de dix heures, ce matin, devant l’ambassade de la Libye. Sur des banderoles qu’ils exhibent, des slogans dénonçant l’esclavage. « Non à l’esclavage », « l’homme noir n’est pas une valeur marchande », « En Libye nous ne sommes que des esclaves !!! », peut-on lire. Selon le président du mouvement Malick Konaté, l’objectif est d’arrêter la situation en Libye. « Nous voulons interpeller les autorités et les acteurs pour mener des enquêtes, il faut aussi libérer immédiatement tous ceux qui ont été vendus et les mettre dans leurs droits » proteste-t-il. Selon lui, c’est toute la jeunesse malienne qui est mobilisée. « Ce sont des Africains qui sont vendus, qu’il y ait des Maliens ou pas, c’est ce qui est important chez nous pour nous. Nous sommes tous interpellés, par ce que ce sont des peaux noires comme nous », poursuit-il l’air révolté. Des artistes et hommes politiques étaient aussi au sit-in, parmi lesquels, Master Soumi et Tieblé Dramé du Parena. À l’issue de ce rassemblement des associations, société civile et partis politique, un projet de déclaration est assorti. Ce projet « condamne avec rigueur les exactions et les traitements inhumains » que subissent les ressortissants des pays africains en Libye. Ils interpellent par conséquent le gouvernement du Mali, les Nations unies et toute la communauté internationale à prendre les mesures nécessaires pour le respect des instruments juridiques internationaux. Face au choc engendré, plusieurs internautes ont été déçus des timides réactions des chefs d’Etats africains.

Du côté des politiques 

Le gouvernement du Mali dans un communiqué s’est dit « profondément préoccupé et indigné par les informations faisant état de traitement inhumain et dégradant réservé aux migrants africains en Libye.» Tiken Jah, l’artiste ivoirien, invite lui, à arrêter les ‘’blabla politiques ’’. La star du reggae propose en effet dans une publication sur son compte Facebook, le renvoie de tous les ambassadeurs de la Libye des pays de la CEDEAO. Une mesure selon lui qui pousserait les « dirigeants de la Libye, à accélérer l’enquête et la libération de nos frères et sœurs détenus par des esclavagistes », s’indigne-t-il.

Libye : indignation et mobilisation sur le sort des migrants réduits en esclavage

C’est au cours d’un reportage diffusé cette semaine  sur la chaîne américaine CNN que le monde s’est vraiment rendu compte de l’existence d’un trafic d’êtres humains en Libye. Les migrants y sont vendus comme esclaves alors que ces derniers ont fui des conditions de vie difficiles. Ces images ont suscité de vives réactions qui ont entraîné une vague de mobilisations.

Une vérité éclate au grand jour ! Depuis le début de la semaine, c’est le monde entier qui est stupéfait de la situation des migrants en Libye. Le pays est l’une des étapes incontournables pour atteindre l’Europe via l’Italie. Autrement dit « l’eldorado » tant fantasmé. Pourtant, leur sort est connu depuis assez longtemps, mais le voir et l’entendre a provoqué un électrochoc. Cela a pu se produire à la suite d’un reportage réalisé par deux confrères de la chaîne américaine CNN. Ce qu’on y voit ? Des migrants d’Afrique sub-saharienne réduits en esclavage et vendus aux plus offrants. Les sommes allant de 500 à 700 dinars libyens (soit environs 285 000 francs CFA)

« Qui a besoin d’un mineur ? C’est un mineur, un grand homme fort, il va creuser », assure un passeur. Voilà ce que l’on peut entendre dans les images diffusées par CNN.

 

Les instances internationales

L’Union africaine, par la voix du Président en exercice, Alpha Condé, s’est indigné de la situation. « J’invite instamment les autorités libyennes à ouvrir une enquête, situer les responsabilités et traduire devant la justice les personnes incriminées et à revoir les conditions de détention des migrants », exhorte le Président guinéen. « Ces pratiques modernes d’esclavage doivent cesser et l’Union africaine usera de tous les moyens à sa disposition pour que plus jamais pareille ignominie ne se répète », prévient M. Condé.

Zeid Ra’ad Al-Hussein, le Haut Commissaire des Nations unies (ONU) aux droits humains n’a pas hésité à qualifier d’« inhumaine » la coopération de l’Union européenne avec ce pays. Cet « esclavage des temps modernes » est un « outrage à la conscience de l’humanité », a-t-il poursuivi.

Manifestations devant les ambassades libyennes

Du côté de la société civile, on assiste à des élans de mobilisations aussi bien sur le continent qu’en Europe. « Non à la discrimination et au marchandage des migrants sub-sahariens en Libye », est l’intitulé de la conférence de presse qui s’est tenu, ce samedi 18 novembre, au sein des locaux de la Radio Libre de l’artiste engagée Tiken Jah Fakoly. Pour les circonstances, il était accompagné d’Ousmane Diarra, Président de l’Association Malienne des Expatriés (AME) et de Malick Konaté, porte-parole du mouvement Trop c’est trop.

Chez nos voisins guinéens, en plus du chef de l’État qui s’est exprimé, certains de ses concitoyens se sont levés pour se rassembler devant l’ambassade de la Libye à Conakry.

En France, également, des personnalités appellent à la mobilisation pour dénoncer ce fléau. À l’instar des chanteurs Mokobé et Cheick Tidiane Seck et de l’acteur Omar Sy.

La Libye est le piège qui se referme sur ces migrants en quête d’un « eldorado » qui s’apparente à un enfer, au vu de ce qu’ils subissent. Ces conditions déplorables, vécues par les migrants sub-sahariens, ne datent pas d’aujourd’hui. Des politiques avaient été mises en place pour sensibiliser les potentiels candidats à la traversée sur les risques encourus. Au Mali, la chanteuse Rokia Traoré n’a pas hésité à user de sa notoriété afin de prêter mains fortes à l’Organisation Internationale pour les migrations (OIM) ainsi qu’aux autorités italiennes lors de la campagne Aware Migrants. Son message, elle le diffuse à travers un clip vidéo tourné entre Bamako et Bruxelles. Nous sommes en 2016.

Des témoignages d’hommes et de femmes viennent renforcer le message de l’artiste. Ces derniers déplorent, entre autres, ce qui se passe dans un pays « frère ».

Cette nouvelle forme d’esclavage est possible, car les bateaux qui réussissent à franchir la Méditerranée sont de moins en moins nombreux. Ce qui fait que les passeurs se retrouvent avec des personnes « sous le bras ». Que faire alors ? Les vendre pour soutirer encore plus d’argent sur le dos de la misère humaine.

Esclavage : Les chaines invisibles de la servitude

 

800.000 ! C’est le nombre effarant de personnes qui se trouvent dans des conditions d’esclavage au Mali, selon TEMEDT, la principale association anti-esclavagiste du pays. Un chiffre qu’elle estime n’être qu’approximatif, pensant que le chiffre est beaucoup plus conséquent. La question de l’esclavage au Mali semble n’avoir jamais été abordée par les autorités. Elle gêne apparemment jusqu’au sommet. Sa complexité et sa sensibilité font qu’elle n’est abordée qu’en privé. 57 ans après l’indépendance, des hommes et des femmes sont atteints dans leur dignité, privés de leurs droits naturels à la liberté et assujettis à des services dégradants.

En 2013, Ninhaye Walet Almouloud voit sa vie basculer. Esclave, elle devint veuve suite au décès de son mari, lui-même esclave. Depuis sa naissance, elle n’a connu qu’une vie de servitude, vivant « dans des conditions pénibles, voire inhumaines », décrit-elle. Après le décès de son mari, le maitre de ce dernier s’est présenté chez elle pour réclamer tous les biens qu’il avait laissés en héritage. Mais, présent ce jour-là, le frère du défunt, arrivé de Côte d’Ivoire quelques jours plus tôt, s’y est opposé farouchement. Malheureusement, ce ne fut que partie remise. Aussitôt ce dernier reparti, le maitre se présenta une nouvelle fois, cette fois ci bien déterminé à spolier la famille de ses avoirs. Une vingtaine de vaches, deux chamelles, des chamelons… furent donc emportés. « Tes enfants n’hériteront pas de leur père, parce qu’il était notre esclave. Tu es également une esclave » lui lance-t-il en guise d’explication. Seulement deux vaches lui furent laissées dans un premier temps, avant que le maitre ne lui pose un dilemme. Il réclama la dot donnée à la famille de Ninhaye pour le mariage de sa fille ainée. « Soit tu payes, soit nous irons la prendre ». Ce à quoi, elle affirme avoir « préféré payer la dot que de voir sa fille sous leur joug ». Ainsi donc, elle fut également dépossédée des deux vaches restantes. Affectés par la perte d’un être cher, elle et ses onze enfants sont toujours régulièrement persécutés. Des persécutions qu’elle espère plus que tout voir s’arrêter, afin qu’elle et ses proches puissent vivre « comme tout le monde ».

Cette histoire, aussi révoltante soit-elle, pourrait paraitre comme légère, vu d’autres cas. Certaines communautés n’hésitant à pousser l’ignominie à son extrême. « Les Daoussahaks (une communauté de Ménaka) battent leurs esclaves. Certains sont mêmes battus à mort pour une petite erreur », affirme Idrissa Aklinine (mon esclave en tamasheq), de l’association TEMEDT, qui en côtoie beaucoup.

Une plaie douloureuse

Dans les sociétés maliennes, bien que la Loi fondamentale stipule que « tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs », une réalité cependant perdure qui n’honore pas cette assertion : l’esclavage. Une pratique d’une autre époque, qui se passe sous silence en ce 21ème siècle,  dit « des droits et libertés fondamentales ». Les pratiques barbares et inhumaines qui se pratiquaient autrefois, au temps de l’obscurantisme, ne semblent pas s’être dissipées. Selon Ibrahim Ag Idbaltanat, Président de l’Association TEMEDT, une organisation  pour la consolidation de la paix, le développement, la protection et la promotion des droits humains, « l’esclavage est bien une réalité au Mali, parce que c’est l’héritage de tous les Maliens », affirme-t-il. Il n’est, ou ne fut, pas pratiqué seulement par les Touaregs, les Arabes, les Soninkés ou les Daoussahaks, mais par toutes les autres  communautés du Mali. Selon Ibrahim Ag Idbaltanat, c’est seulement le degré et les manifestations de l’esclavage qui varient selon chacune. « Il existe au Nord, au Sud, au Centre, mais sous diverses formes », souligne-t-il. « Là où vous avez des populations blanches et des populations noires et que ce sont celles qui sont blanches qui étaient les maitres, c’est facile de voir l’esclavage. Mais là où vous avez des populations où les esclaves et les maitres sont Noirs, il n’est pas très visible », explique-t-il. Le passé continue de peser sur les descendants d’esclaves, qui font  l’objet de maltraitances, d’humiliations et de sévices de toutes sortes, contre les principes de la démocratie et de la morale. La souffrance morale, au-delà de celle, physique, d’un passé pesant, apparait comme un supplice toute la vie, car il ne suffit pas seulement de se débarrasser de ses chaines pour être libre. Chez ces esclaves, les rudes conditions de vie n’ont pas concouru à les extraire d’un système où ils se sentent impuissants, marginalisés aussi bien par leurs anciens maitres que par l’État, qui contourne une plaie qui risque l’infection.

Un des cas emblématiques au Mali est celui de ceux qu’on appelle tantôt les Bellah et tantôt les Kel tamasheq noirs. Ils sont considérés par certains comme des esclaves des Touareg. Ils sont appelés d’ailleurs en tamasheq, la langue qu’ils partagent avec les Touaregs de teint clair, « Eklan » qui se traduit par « esclaves » ou » serviteurs ». Le traitement dépréciatif dont ils sont victimes et les préjugés ont produit chez certains une certaine dépréciation d’eux-mêmes.

La pratique est tellement ancrée qu’elle est devenue banale, ou même normale, aux yeux de tous. « Dire à quelqu’un « mon esclave » et le traiter comme tel est une banalité dans ces milieux », se scandalise le Président de TEMEDT, qui se bat tant bien que mal pour mettre fin à « l’esclavage par ascendance ».

Selon lui il n’y a pas de communauté originelle d’esclaves. « Ce sont des gens qui ont été volés, vaincus lors des batailles et réduits en esclavage » rappelle-t-il. 150 personnes ont été libérées par l’association depuis sa création en 2006, non pas par la force, mais par le verbe et la sensibilisation, aussi bien auprès des esclaves que de leurs maitres. Ibrahim Ag Idbaltanat dénombre au moins trois types d’esclaves. «  Le premier  vit à côté du maitre », mais ce dernier n’a pas de droits sur son héritage et ses enfants. Son travail, le plus souvent, consiste à cultiver les champs et à conduire les animaux. Le deuxième type d’esclave vit séparé du maitre, disposant d’une certaine autonomie, mais lui rend des services en cas de besoin. Quant au  troisième, il se manifeste lors des élections, par l’obtention des voix des esclaves par le maitre. Mais, en plus de ces types d’esclavage, existe, selon Ibrahim, depuis l’indépendance du Mali, le fait que les descendants d’esclaves reconnus comme tels n’aient jamais bénéficié de la considération de l’État.

Inaction

Les différentes organisations anti-esclavagistes pointent un doigt accusateur sur l’État, qu’ils estiment faire preuve de déni sur la question. Aucune loi ne criminalise l’esclavage au Mali, ce pourquoi ces organisations en veulent à l’État. « C’est malheureux. Le gouvernement fuit ses responsabilités. Nous avions travaillé avec le ministère de la Justice à une proposition de loi qui criminalisait l’esclavage. Cette loi a été inscrite à un Conseil de ministres, mais, au moment de se prononcer, elle a été retirée. Ils ont eu peur de se prononcer là-dessus », accuse notre interlocuteur.

Nos sollicitations auprès des ministères de la Justice et de celui des Droits de l’Homme pour clarifier la position de l’État sur la question sont restées vaines. « Le gouvernement attend le moment opportun pour se pencher sur la question. Cela se fera peut-être après la période électorale, parce que le sujet est devenu tabou. Et le climat actuel rend difficiles toutes les décisions qui pourraient être prises », analyse Aguissa, de l’Association du barreau américain ABA – Roli, qui œuvre pour mettre fin à la pratique de l’esclavage. Le bout du tunnel est donc encore loin et le peu de volonté affiché par l’État ne suscite que très peu d’espoirs du côté des anti-esclavagistes. « Tant que le pouvoir public malien ne fera rien contre l’esclavage, il ne va pas disparaitre. Et tant qu’il ne disparaitra pas, il n’y aura jamais d’État de droit », conclut Ibrahim Ag Idbaltanat.

 

Gorée, les chaines du retard de l’Afrique

1776, au large des côtes sénégalaises, le colon blanc érige la maison des esclaves, une des dernières captiveries de l’à®le de Gorée. Centre des rivalités entre Hollandais, Portugais, Anglais et Français, l’à®le a vu plus de vingt millions de captifs passer par cette maison devenue témoin d’un pan honteux de l’histoire humaine. Cent cinquante à  deux cents personnes y séjournaient tous les quatre mois, le temps de trouver un acquéreur. Dans des cellules de cinq mètres carré étaient entassés vingt hommes assis à  même le sol, adossés au mur avec les pieds enchaà®nés et obligés de supporter une boule en fer de dix kilogrammes trois cents. Ils sortaient une fois par jour pour aller aux toilettes. Souvent, ils se soulageaient sur place d’o๠l’épidémie de peste qui ravagea l’à®le en 1779. Gorée, à®le de neuf cents mètres sur trois cents, abritait vingt-huit captiveries. La maison des esclaves rachetée par l’Etat du Sénégal y est devenue le symbole de la traite atlantique. Cette traite consistait à  vendre des enfants, des hommes de plus de 60 kilogrammes et des femmes vierges contre des armes, des miroirs et de l’alcool. Les femmes abusées par les négriers et engrossées étaient libérées. Elles prendront plus tard le nom de mulâtresses de Saint-Louis. Murs moites, terre humide, briques silencieusement bavardes, lumière discrète, allées honteuses, vent parlant, vagues instables, la maison des esclaves avec sa porte du voyage sans retour est comme le dit son premier conservateur « le lieu qui permet de comprendre le retard pris par l’Afrique sur la voie du développement ». Gorée, aujourd’hui, est le lieu de pèlerinage de sommités mondiales. Daniel Auteuil, le pape Jean Paul II qui y a demandé pardon aux Noirs, Georges Bush, Jean Paul Belmondo et récemment Obama ont foulé le sol de cette à®le qui abrite le seul internat pour jeunes lycéennes au Sénégal, une statue de la libération des esclaves offerte par les guadeloupéens en 2002, une église datant de 1830, des vestiges de canon ayant servi à  la protection des marchands d’hommes et juchée sur une colline en face de Dakar la stèle en arcs perforés du monument Gorée- Almadies. Un modèle d’écotourisme Gorée s’ouvre à  présent au monde. Son maire, Augustin Senghor, en fait un modèle d’écotourisme. Ses rues sont propres : pas de sachets plastiques volants, pas d’ordures envahissantes, tout y est bien rangé. Les autochtones tiennent à  leur patrimoine pour avoir compris qu’il n’y a « de lutte que celle qui conduit à  la liberté » dixit le défunt conservateur Joseph Ndiaye. Son successeur, Coly, après vingt minutes de speech, conclut par « la maison des esclaves est un nouvel espace d’expression de la démocratie et des droits humains mais elle doit être le lieu de célébration et de réconciliation entre les peuples ». Ces mots du conservateur associés à  la courtoisie des résidents permettent de quitter l’à®le sans rancune mais avec la ferme détermination de combattre l’injustice et la volonté de toujours défendre l’identité du noir.

Naffet Keïta décrypte « L’esclavage au Mali »

Bien qu’ayant été condamné en des termes clairs sur le plan du droit international, l’esclavage et les pratiques assimilées continuent de persister dans de nombreuses localités de notre pays. La thématique a inspiré un livre chez un groupe de chercheurs, sous la houlette de Naffet Keà¯ta, professeur à  la Faculté des lettres, langues et sciences humaines (FLASH) de l’Université de Bamako.Publié aux éditions «Â l’Harmattan », «Â l’esclavage au Mali » est un ouvrage qui confronte plusieurs sources et données sur l’esclavage contemporain dans notre pays à  partir des mémoires locales d’esclaves, de descendants d’esclaves, d’affranchis et de maitres d’esclaves dans quatre régions o๠la pratique est réputée très développée.Il s’agit notamment des régions de Kayes, Mopti, Tombouctou et Gao. «Â Les données recueillies et analysées montrent que l’esclavage existe aujourd’hui au Mali et révèlent les processus complexes de reproduction et de maintien de groupes de personnes en situation et conditions d’esclavage. Elles montrent aussi des modes d’affranchissement en dehors des cadres normatifs de l’abolition », nous explique l’auteur au cours d’un entretien qu’il nous accordé. Le statut de l’esclave au Mali Pour Naffet Keà¯ta, la problématique de cette question réside dans la définition même du terme. Dans le contexte malien, argue l’auteur, «Â il faut faire la différence entre le statut d’esclave et la condition de l’esclavage ». Le statut, précise-t-il, est à  situer du côté des représentations, de l’idéologie qui instituent, légitiment et rendent acceptable le statut servile aux yeux de la société. Or, poursuit le chercheur, la condition, elle désigne la situation que vit la personne sur laquelle s’exerce les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux. «Â La condition et le statut d’esclave sont en passe de devenir des oublis de l’histoire du pays, faute d’espace public national réceptif, non seulement pour la restitution de ces mémoires, mais aussi à  leur actualité », remarque l’universitaire. Qui s’interroge si «Â la disparition des mémoires d’esclaves n’est pas sans doute la seule possibilité d’une vraie disparition de l’esclavage ? » Une loi à  insuffisances La publication de cet ouvrage intervient au moment o๠le projet de loi interdisant l’esclavage et les pratiques assimilées se trouve sur la table de l’Assemblée nationale. Mais pour l’auteur du livre, le texte contient d’énormes insuffisances. Car, tranche-t-il, même de son adoption, il ne faut pas s’attendre à  une réponse concrète à  la question de l’esclavage au Mali. «Â Ce projet de loi, par rapport à  sa lecture juridique, ne peux valablement lutter contre la pratique de l’esclavage. «Â On n’y parle pas de l’esclavage en tant que tel, malheureusement…Aujourd’hui, le débat est de savoir si les gens ont conscience même que la pratique existe », assène Naffet Keà¯ta. Qui rappelle deux principales recommandations pour y faire face sont de mettre fin à  la pratique de l’esclavage et lutter contre ses séquelles. Quelle solution faut-il alors adopter ? En réponse à  cette question, le chercheur recommande que la loi se serve du 1er article de la Constitution de notre pays, qui stipule que «Â les gens naissent égaux ». En clair, conclue M. Keà¯ta, la lutte contre l’esclavage n’est pas contre une communauté. Mais il faut voir la condition humaine.