Dialogue doctrinal : Une piste pour la réconciliation nationale ?

Alors que les attaques et les pénuries rappellent la fragilité du pays, l’idée d’un dialogue doctrinal refait surface. Entre réalités sécuritaires et quête de réconciliation, de nombreuses voix appellent à désarmer les esprits avant les armes.

Les longues files devant les stations-service de Bamako reflètent la pénurie de carburant causée par les attaques contre les camions-citernes, paralysant une partie du pays. Cette recrudescence des violences perturbe les échanges économiques et la sécurité des populations, ravivant le débat sur la nécessité d’un dialogue avec les groupes armés.

C’est dans ce contexte que le Professeur Ali Nouhoum Diallo, ancien Président de l’Assemblée nationale, s’est récemment exprimé avec insistance sur la nécessité d’un dialogue doctrinal. Dans une tribune  largement relayée, il appelle à une clarification religieuse conduite par les érudits maliens pour déconstruire les interprétations erronées du Coran qui servent de fondement idéologique aux violences. Selon lui, le retour à la paix passe par la réappropriation du discours religieux et par la parole de ceux qui détiennent l’autorité spirituelle.

L’idée d’un tel dialogue a trouvé un écho particulier lors de plusieurs rencontres nationales, y compris le Dialogue inter-Maliens de 2024, dont le rapport final recommande l’ouverture de discussions doctrinales et communautaires avec toutes les parties, notamment les mouvements armés se réclamant du Jihad.

Les participants y ont vu une étape vers la réconciliation nationale, à condition que le processus soit conduit par des acteurs crédibles et proches du terrain. Des chercheurs jugent cette approche pertinente, mais difficile à mettre en œuvre dans un climat marqué par la méfiance et la fragmentation des acteurs.

Des exemples à dupliquer

Sur le continent, plusieurs pays ont adopté des approches comparables. En Mauritanie, dès 2010 des théologiens ont dialogué avec des détenus radicalisés, permettant à certains de renoncer à la violence et de se réinsérer. En Algérie, la réconciliation nationale après la décennie noire des années 1990 a favorisé des amnisties encadrées et une désescalade durable.

Au Maroc, le programme Moussalaha lancé en 2017 combine rééducation religieuse, accompagnement psychologique et réinsertion socioéconomique. Au Nigeria, Operation Safe Corridor propose un parcours de déradicalisation et de formation professionnelle pour d’anciens membres de Boko Haram. Ces initiatives démontrent qu’un dialogue fondé sur la foi et la raison peut efficacement compléter l’action militaire.

Au Mali, le prêtre allemand Ha-Jo Lohre, enlevé à Bamako en 2022 puis libéré un an plus tard, a partagé son expérience et ses échanges avec de jeunes ravisseurs animés d’un idéal religieux mal compris. Il estime qu’un débat doctrinal mené par des érudits dans les langues locales pourrait les amener à douter de leurs convictions. Il préconise aussi l’usage des médias et des réseaux sociaux pour promouvoir des messages de paix, à l’image des vidéos d’érudits maliens répondant aux discours extrémistes.

Des pistes à explorer

Sur le plan économique, la crise sécuritaire a aggravé les difficultés du pays. Le Président du Conseil national du Patronat, Mossadeck Bally, a récemment souligné les effets de l’insécurité et de la pénurie de carburant, rappelant que la paix ne se conquiert pas par les armes. Il appelle à un dialogue national réunissant gouvernement, secteur privé, société civile et groupes armés pour traiter les causes profondes du conflit et rétablir la confiance. Il estime que la survie du pays passe par une mobilisation collective et une refonte économique et sociale pour combattre la précarité.

Mécanismes endogènes

Pourtant, le ministère des Affaires religieuses, du Culte et des Coutumes dispose d’un Secrétariat permanent chargé d’appliquer la Politique nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme (2021 – 2025). Cette structure forme Imams et enseignants coraniques, promeut la tolérance religieuse et encourage des prêches axés sur la paix et la cohésion sociale, établissant ainsi un cadre institutionnel favorable à un futur dialogue doctrinal.

Ce mécanisme pourrait, en collaboration avec le Haut Conseil islamique et avec l’appui de personnalités indépendantes ou de leaders communautaires respectés, constituer un cadre privilégié pour initier et encadrer ce dialogue doctrinal.

Les appels au dialogue se multiplient parmi les leaders religieux, politiques et économiques, unanimes sur un point : la réponse militaire, bien que nécessaire, ne suffit pas à instaurer une paix durable.

Le dialogue doctrinal s’impose alors comme une voie essentielle pour comprendre et désamorcer l’idéologie de la violence, redonner sens à la foi et restaurer les liens communautaires. En alliant parole religieuse et raison politique, cette approche pourrait restaurer la paix par la connaissance et l’écoute, là où les armes ont échoué.

MD

Extrémisme violent : sortir de l’engrenage

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a lancé ce 7 février 2023 son rapport sur le « Voyage vers l’extrémisme violent ». Il s’agit non seulement de résoudre les atteintes qui peuvent conduire certains à choisir cette voie mais aussi de faire sortir ceux qui ont été pris dans l’engrenage. Dans cette quête, l’organisation travaille non seulement avec les dirigeants et responsables politiques, mais également avec les acteurs locaux, confessionnels et la jeunesse, qui sont « les gardiens des solutions nationales à l’extrémisme violent ».

Phénomène assurément mondial, l’extrémisme violent ne connaît pas de frontières, selon le rapport. Et partout ce sont les mêmes facteurs qui contribuent à son expression : pauvreté, inégalités, exclusion, manque d’opportunités et perceptions d’injustice.

Face à ce fléau dont l’ampleur ne cesse de s’étendre, le PNUD préconise une approche différente, basée sur « les solutions de développement ». En effet, des alternatives complémentaires doivent être trouvées au « tout sécuritaire » afin que ceux qui sont censés être protégés contre le recours à l’extrémisme violent ne soient pas les victimes de « mesures de sécurité excessive ». Le rapport, qui estime que les personnes radicalisées sont aussi souvent celles qui se sentent en insécurité, redoute qu’elles ne soient davantage marginalisées et donc plus vulnérables à la radicalisation.

Alternatives positives

En Afrique subsaharienne, le PNUD mène des programmes dans 25 pays pour essayer de contrer les facteurs d’émergence de « la région comme nouveau épicentre de l’extrémisme violent ». « Au Mali, le projet a contribué à renforcer la radio communautaire en tant que plateforme pour défier les stéréotypes, résoudre les tensions et diffuser des messages de cohésion sociale ».

Pour recruter de nouveaux adhérents, les groupes extrémistes surfent sur les échecs des politiques de développement. En effet, le manque d’emplois ou d’opportunités de subsistance, les inégalités ou l’exclusion sociale sont autant de maux exploités par ces groupes.

C’est pourquoi, le PNUD a entrepris de « travailler avec 40 pays pour améliorer la gouvernance et la prestation de services et renforcer la confiance entre les gouvernements et les citoyens ». Prévenir l’extrémisme violent, c’est aussi donner la chance à ceux qui ont basculé d’en sortir. « La réintégration, bien que difficile », semble être la voie la mieux indiquée pour la réconciliation et une stabilité à long terme, selon le rapport.

Pour faciliter le processus, le PNUD encourage les autorités dans la sensibilisation des communautés aux défis des rapatriés. Ces « survivants », grâce au partage de leurs expériences, peuvent aider à travers des informations cruciales sur les déclencheurs et les signes avant-coureurs.