Faut-il en finir avec le franc CFA ?

Héritage colonial, le Franc CFA divise encore 75 ans après sa création. Quand on lui tend plusieurs pièces de monnaies africaines, Fatou n’en reconnaît qu’une seule. Cette vendeuse de cacahuètes, dans une rue de Dakar, capitale du Sénégal, désigne cette monnaie comme « argent du Sénégal ».

Fatou n’a pas vraiment tort, mais n’a pas tout à fait raison. Le franc Cfa qui lui sert de monnaie d’échange et de paiement dans son pays est aussi utilisé par les citoyens de treize autres pays africains. Certains en Afrique de l’Ouest, d’autres en Afrique Centrale.

Les premiers réunis au sein d’une Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) sont le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Leur Institut d’émission est la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), créée en 1962 et dont le siège est à Dakar.

Les seconds organisés dans le cadre d’une Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) sont le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Eux aussi disposent d’un l’institut d’émission : la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), créée en 1972 et dont le siège est à Yaoundé.

Les billets et pièces de monnaie en usage dans ces deux zones sont distincts. Mais les perceptions au sein des opinions dans les deux aires de cette monnaie qui doit son nom initial au Francs des Colonies Française en Afrique (CFA), ont toujours été les mêmes, malgré la mutation opérée après les indépendances du Cfa en francs de la communauté financière africaine.

Entre partisans et adversaires de cette monnaie, la polémique est souvent rude. Ce « symbole de servitude », selon les mots des détracteurs les plus virulents de cette monnaie, est d’ailleurs aujourd’hui un sujet central dans les grands débats qui agitent les sociétés africaines concernées.

La preuve : même les chefs d’Etats naguère très pudique sur le sujet, n’hésitent plus à l’aborder sans tabou. Dans une récente interview sur France 24, le président béninois, Patrice Talon a par exemple créé la surprise en demandant à ce que le Trésor français qui garantit le franc Cfa ne puisse plus garder les réserves de change des pays membres.

Avant lui, Idriss Déby Itno, le président tchadien pointait du doigt en 2017 la « parité fixe du CFA avec l’euro » qui, à ses yeux est un « frein au développement des pays membres ».

Dans ce contexte, l’idée d’une nouvelle monnaie longtemps oubliée a brusquement surgi un peu partout dans les deux zones monétaires du franc Cfa. La dernière fois, c’était lors d’une réunion entre les chefs d’Etats des six pays de la (CEMAC), réunis en sommet extraordinaire à Yaoundé le 22 novembre dernier. Les présidents de ces pays ont alors affiché de leur volonté d’aboutir à une indépendance monétaire en disposant d’une monnaie commune stable et forte.

Discours de circonstance ou déclaration sincère ? Habitués aux déclarations sans lendemain de leurs hommes politiques, les africains croient-ils à cette promesse ?

Créée par la France alors puissance coloniale en 1945, le franc Cfa s’appelait initialement franc des Colonies Françaises d’Afrique. 15 ans plus tard, à la faveur des indépendantistes de ces colonies, il devient le franc de la Communauté financière africaine en Afrique de l’Ouest et franc de la Coopération financière en Afrique centrale dans cette région.

Avant l’apparition de l’euro en 2001, le franc CFA était indexé sur le franc français avec une parité fixe, qualité dont il bénéficie aujourd’hui auprès de la monnaie commune européenne. Comme à l’époque du franc français, les réserves de change des pays utilisant le franc Cfa sont déposées auprès de la Banque de France. Ce dépôt garantit une convertibilité illimitée du franc Cfa avec l’euro. Les pièces et les billets du franc Cfa sont imprimés à la Banque de France près de Clermont-Ferrand dans le centre de la France.

.Ce « paternalisme » de l’ancienne puissance coloniale dénoncé aujourd’hui par une grande partie des africains trouve pourtant ses défenseurs. Selon eux, le Franc Cfa est un gage de stabilité monétaire dans la zone parce qu’elle facilite les échanges entre les pays membres et présente une crédibilité internationale du fait de son arrimage à l’euro.

Est-ce suffisant comme arguments ?

APA

L’Economie Scientifique, la solution au problème du Franc CFA selon Dr Lamine Kéita

Lamine Kéita est docteur en Sciences Economiques et ingénieur statisticien économiste. Selon lui, ni le spécialiste ni la rue ne peuvent trouver une solution au problème du Franc CFA. La solution, dit-il, c’est « l’économie scientifique ».

L’économie scientifique est l’économie dotée de la théorie de la mesure. Elle est pour le Dr Lamine Kéita, la porte de sortie  de «l’empirisme aveugle» qui cause déjà tant de mal  dans les pays africains de la zone franc. Dans l’un de ses articles publiés, « L’A.B.C DU FRANC CFA ou le franc CFA en 10 points », le docteur en science économique explique que le franc CFA est la création de l’écu, la seconde monnaie du Roi de France, dans les colonies sous un nouveau nom. Par conséquent, ce franc CFA ne peut que jouer le même rôle que l’écu jouait dans le Royaume de France, au moyen-âge, jusqu’à son abolition en 1795.

Si la manipulation frauduleuse à laquelle l’écu était soumis a été supprimée le 7 avril 1795 en France métropolitaine, elle est redevenue possible dans les colonies françaises, 150 ans plus tard en 1945. Quinze ans après, cette pratique a été également étendue aux pays africains de la zone franc devenus indépendants à partir de 1960. « Vous comprenez que si on connait le bilan du fonctionnement de l’écu au moyen âge français, rien n’est plus facile que de comprendre ce que sera l’expérience du fonctionnement du franc CFA qui fait aujourd’hui polémique », expose l’économiste Lamine Kéita.

 

Des problèmes réels, mais à qui la solution

« En réalité,  soutient Lamine Kéita, le problème du franc CFA n’est pas une question que la rue va résoudre. Ni même le spécialiste puisqu’il fait partie lui-même du problème, étant donnée qu’il se trouve être victime de la limite de sa propre connaissance en économie, phénomène dont il est inconscient. » En effet, en suivant ces spécialistes, ils proposeront sans le savoir la dépréciation du franc CFA, conduisant à la diminution des poids et mesures en économie ; Une pratique dangereuse et interdite dans toute civilisation humaine, rapporte Nicola Copernic dans ses analyses sur les causes de décadence des Royaumes.

Les consciences doivent être éveillées sur cette pratique pernicieuse. « C’est pourquoi il y a lieu de porter plainte contre la France qui a institué ce mécanisme de fraude sur les pays africains », soutient Kéita Lamine lors d’une conférence de presse à la maison de presse de Bamako. A défaut de cette plainte qui contraindrait les experts à l’atteinte de meilleurs résultats, ceux-ci continueront pour l’avoir fait une  fois, à causer encore la décadence de ces pays africains comme révèle Nicolas Copernic dans le reportage de l’étude sur les causes des décadences des royaumes. Lorsqu’il écrit « quatre fléaux causent d’ordinaire la décadence des royaumes : la discorde, la mortalité, la stérilité de la terre et la dépréciation de la monnaie. » le quatrième ne ruine pas les Etats de façon violente et d’un seul coup mais peu à peu et d’une manière presque insensible.

La France est mieux placée pour comprendre les effets néfastes de la politique de dépréciation de l’écu, pour l’avoir expérimentée chez elle au moyen âge puis abolir en avril 1975 par le décret du 18 germinal an III.

Dr Lamine Kéita lors de la présentation de son étude sur l’économie scientifique

au Symposium Malien sur les Sciences Appliquées, 29 Juillet 2019

 

La proposition finale

« Après avoir établi que la théorie économique officielle souffre de défaillances multiples à travers l’empirisme de sa méthode, nous proposons l’Economie scientifique en lieu et place » soutient l’ingénieur statisticien économiste, Lamine Kéita. Cette discipline scientifique, dotée de la mesure permet de dire clairement et avec précision, ce qui est autorisée et interdire au regard des normes sociales et de l’éthique. Une théorie nouvelle, peu connue mais qui d’après les analyses du chercheur s’avère la « clé de sortie » de la misère endurée par les pays africains de la zone franc depuis plus d’un demi-siècle.

Kémi Séba : « Le franc CFA permet à l’oligarchie française et aux serviteurs de la Françafrique de prospérer »

Alors que jeudi 31 août, à l’Élysée, les présidents français et ivoirien ont réaffirmé leur attachement à la zone franc et souhaité son extension à tout l’espace CEDEO, Kémi Séba, militant anti-impérialiste relaxé la semaine dernière pour avoir brûlé un billet de CFA, appelle à une gigantesque mobilisation en réponse aux « vautours » qui défendent cette « servitude monétaire ». Il a répondu aux questions de Journal du Mali mardi dernier, alors qu’il venait d’apprendre que le ministère de la justice sénégalais faisait appel de sa décision de relaxe. Le lendemain, 06 septembre, il était de nouveau arrêté par la justice sénégalaise qui l’a expulsé manu militari vers la France.

 Le ministère de la Justice sénégalais à fait appel mardi matin de la relaxe décidée par les tribunaux à votre endroit. Comment réagissez-vous à cette nouvelle ?

C’est à mon sens lié à l’appel à la mobilisation que nous avons lancé pour le 16 septembre prochain, qui sera la plus grosse mobilisation de l’histoire contre le franc CFA sur le continent africain, mais aussi dans la diaspora, pour protester contre le néo-colonialisme émanant des élites politiques françaises. Quand j’ai été relaxé, ils pensaient que j’allais cesser le combat. Mais, à partir du moment où le Président ivoirien Alassane Ouattara, en partenariat avec le Président Macron, ont clamé leur volonté d’étendre le franc CFA à la CEDEAO, méprisant par là même les peuples qui s’opposent à cette servitude monétaire, cela nous pousse à lancer une nouvelle mobilisation et à faire notre possible pour que les voix des peuple soient entendues. C’est de la légitime défense.

Pourquoi, selon vous, le Président Alassane Ouattara, ainsi que d’autres, se posent-ils en défenseurs du franc CFA ?

Le franc CFA est quelque chose qui apporte à ces vautours un certain nombre de recettes substantielles, via les comptes d’opérations, et en aucun cas ils ne voudront couper le cordon. Car c’est ce cordon du franc CFA qui permet à l’oligarchie française et aux serviteurs de la Françafrique de prospérer, sur bon nombre de plans.

La solution pourrait-elle passer, comme évoqué par le Président Macron, par une « modernisation » du franc CFA ?

C’est comme moderniser les chaînes qu’ils nous font porter, en y mettant de la peinture dorée. Le peuple africain ne veut plus de servitude. Nous ne voulons pas de modernisation de la servitude, nous voulons la briser. C’est pour cela que la proposition de Macron, qui est peut-être vu comme progressiste, contrairement à celle de son serviteur Alassane Ouattara, qui est scandaleuse, n’est pas acceptable. Nous voulons une rupture définitive et complète d’avec ce franc CFA, une monnaie frappée chez nous, qui ne soit plus liée à la France, une monnaie africaine. Nous nous battrons pour cela.

Certains avancent que sortir du franc CFA pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les économies de ces pays ?

Il y a évidemment des scénarios catastrophiques, parce que le franc CFA est stable, qu’il est garanti par la France, qu’il a une homogénéité, une stabilité, sur un certain nombre de points. De la même façon, à l’époque de l’esclavage, il y avait une stabilité pour les esclaves, trois repas garantis, ce qui pouvait leur faire redouter de prendre leur liberté de peur de ne pas parvenir à se nourrir eux-mêmes. Mais il mieux vaut vivre libre dans l’incertitude que vivre dans le silence en étant dans un régime d’oppression.

Le projet de monnaie unique de la CEDEAO a été de nouveau repoussé. Y souscriviez-vous ?

On attendait de voir ce que cela allait apporter, s’il y allait avoir une rupture réelle d’avec le franc CFA, mais il y avait un grand manque de transparence. C’était un problème central. Mais, pour l’instant, on a aucun élément de réponse, a fortiori maintenant que ce projet a été de nouveau repoussé, alors que Alassane Ouattara veut étendre le franc CFA aux pays anglophones. Comme si on avait besoin de ça aujourd’hui !

Il y aura une grande mobilisation anti-CFA le 16 septembre. Nous ne comptez pas brûler des billets de CFA de nouveau ?

Ce n’est pas le projet. On a mis sur nos affiches un billet brûlé parce que c’est devenu le symbole d’une révolution. Le but n’est pas de lancer un appel à brûler des billets, mais de se mobiliser, avec toute la force et la pression sociale nécessaires, contre ce satané franc CFA et la servitude monétaire qu’il symbolise.