Réorganisation territoriale : une reforme qui ne fait pas l’unanimité

Initié depuis 2012, la Loi N°2012-017du 02 mars 2012 n’a jamais autant été proche d’être totalement appliquée au Mali. Malgré des contestations, elle a été adoptée par le Conseil National de Transition et est en phase d’être promulguée par le Président de la Transition.

C’est une ambition de plus de 10 ans de l’État du Mali qui est en passe d’être réalisée. Convoqués par le Président de la transition en session extraordinaire, le 20 février 2023, les membres du Conseil National de Transition (CNT) ont adopté avec des amendements six projets de loi portant réorganisation administrative du Mali. Ouvrant ainsi la voie à la mise en œuvre d’une réforme territoriale datant de 2012.

Les raisons de la réforme

Selon le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, initiateur du projet de loi, la Loi N°2012-017du 02 mars 2012 portant création de Circonscriptions administratives en République de Mali a opéré une grande réforme administrative en créant 19 régions et le District de Bamako, mais n’a pas créé les circonscriptions administratives de région que sont les cercles et les arrondissements.

Ainsi les nouvelles régions de Nioro, Kita, Dioïla, Nara, Bougouni, Koutiala, San, Douentza et Bandiagara n’ont pas été dotées de cercles et d’arrondissements alors qu’à leur tête ont été nommés des gouverneurs et les membres de leurs cabinets, ce qui posait le problème de leurs ressorts administratifs.

« Dès lors, il devient nécessaire de déterminer les circonscriptions administratives et les collectivités territoriales des 19 régions. L’objectif est ainsi d’opérationnaliser et d’assurer le fonctionnement régulier de chaque région en déterminant ses circonscriptions administratives (cercles et arrondissements) et ses collectivités territoriales (régions et communes) dans un cadre spatial dynamique permettant de promouvoir le développement économique, social et culturel des différents terroirs », se justifie le département de l’Administration territoriale dans son projet de loi, lequel, indique-t-il, permettra d’assurer le maillage du territoire dans le respect des équilibres territoriaux et socioculturels en tenant compte des questions sécuritaires et garantira la présence de l’administration et des services sociaux de base sur toute l’étendue du territoire national.

D’autres enjeux majeurs de la réforme sont de doter chaque région des moyens humains, matériels et financiers nécessaires à son fonctionnement et de permettre aux citoyens de jouir pleinement de leurs droits à travers l’exercice de leurs compétences territoriales et leur participation aux compétitions électorales, gage de bonne gouvernance locale.

Il s’agit également pour le gouvernement de « rapprocher les populations de l’administration, facilitant leur accès aux services sociaux de base », ainsi que de renforcer la sécurisation des populations par la présence effective de l’administration à travers un maillage raisonné d’occupation de l’espace.

La nouvelle réorganisation territoriale devra aussi garantir « une meilleure représentation des populations à l’exercice de la démocratie locale », à travers leur présence dans les instances de décision des collectivités territoriales.

Sur un autre plan, le vote des projets de loi était aussi attendu pour rendre opérationnelle l’Autorité indépendante des gestions des élections (AIGE) sur l’ensemble du territoire national. « Sans ces textes, il était très difficile d’opérationnaliser l’AIGE, parce qu’elle n’arrivait pas à mettre en place ses démembrements dans les différentes régions. Ces projets de loi se rapportaient au Code des collectivités territoriales. Les régions ne connaissaient pas leurs limites, surtout les nouvelles. L’AIGE ne pouvait donc pas connaître le nombre de régions et de circonscriptions électorales nouvellement créées pour déployer ses démembrements », explique Youssouf Z. Coulibaly, Président de la Commission de l’Administration territoriale, de la décentralisation, du culte et de la réconciliation nationale du CNT.

Les changements

La carte administrative du Mali se retrouve entièrement chamboulée avec la création de nouvelles circonscriptions administratives et collectivités territoriales. Outre le nombre de régions qui augmente de 9, celui des cercles passera de 58 à 159, les communes de 748 à 825 et les arrondissements de 330 à 475. Cela aura comme conséquence  l’accroissement du nombre d’élus, actuellement de 147 pour les députés et de 703 pour les maires.

Autre innovation majeure, les 6 communes de Bamako seront remplacées par 7 arrondissements. « Au CNT, nous avons jugé nécessaire d’ajouter un septième arrondissement à Bamako : l’arrondissement de Kalaban-Coro. Il y avait des localités qui étaient à Bamako mais rattachées à Kati et relevant de la région de Koulikoro. Les populations avaient des difficultés à aller auprès des administrations. On a donc pensé qu’il fallait rapprocher l’administration des populations. C’est ainsi qu’on a rattaché à Kalaban-Coro les quartiers qui sont dans sa périphérique. Et tous les autres quartiers relevant de lui et situés ailleurs dans Bamako ont été rattachés aux arrondissements les plus proches », justifie le membre du Conseil national de transition.

Un quartier comme Sirakoro Méguetana, par exemple, qui relevait de Kati et est situé entre les quartiers de Sénou et Yirimadio en Commune VI du District de Bamako, a été ainsi raccordé au 6ème arrondissement de la ville. Aussi et surtout, la capitale est devenue une collectivité unique, avec un seul Maire. Les arrondissements seront dirigés par des sous-préfets, avec des Maires délégués désignés par le Maire principal. « Bamako érigé en District avec un Maire résout énormément de problèmes, parce que dans les textes actuels qui régissent la décentralisation il n’y a pas de hiérarchie entre les collectivités territoriales. Cette disposition a fait que dans la ville, il n’y a pas de hiérarchie entre le Maire du District et les Maires des 6 Communes. Nous avons constaté durant des années des problèmes à cause de cela », atteste Yacouba Traoré, le Président de l’Association des municipalités du Mali (AMM). Ce dernier se réjouit aussi de l’augmentation du nombre de communes, car, rappelle-t-il, malgré leur nombre croissant, l’État du Mali est resté sous-administré.

« Si aujourd’hui, en tenant compte de ces difficultés, nous allons au nombre de 825 communes, je trouve la réforme salvatrice. Elle va permettre non seulement de répondre à la sous-administration mais également de responsabiliser davantage les communautés et les citoyens autour des objectifs de développement », affirme-t-il.

La matérialisation

Si promulguées par le Président de la Transition, les lois relatives à la nouvelle réorganisation seront effectives au Mali, mais leur matérialisation suscite toutefois des inquiétudes. Tant à cause de la situation sécuritaire du pays qu’à cause des ressources financières qu’il faudra mobiliser pour rendre opérationnelles les nouvelles circonscriptions administratives et collectivités territoriales. Des difficultés qui ont nui à cette réforme, engagée et adoptée sous l’ancien Président de la République Amadou Toumani Touré, qui prévoyait alors le passage de 8 régions à 19. Depuis, même les régions de Taoudénit et de Ménaka, qui ont été créées en 2012 et leurs gouverneurs nommés en 2016, ne sont pas réellement opérationnelles. Pour preuve, les autorités administratives de la Région de Taoudénit sont toujours installées et travaillent depuis Tombouctou.

Pour la réussite du processus, sur le plan financier, le ministère en charge de l’Administration territoriale a annoncé d’ores et déjà qu’une enveloppe financière de 263 milliards est prévue pour l’opérationnalisation de la nouvelle réorganisation territoriale « de façon séquentielle, selon les moyens de l’État ». Elle servira dans un premier , sur une période trois ans, d’entre autres, à construire des bureaux et logements, à acquérir  des équipements pour ces bureaux et du matériel roulant et à prendre en charge le  personnel.

Des remous

Alors que la réforme est considérée indispensable par certains, son effectivité crée cependant des remous dans certaines localités, qui estiment être « lésées » dans le découpage. Comme à Niafunké, où la population a battu le pavé ce mardi pour protester contre « un découpage qui affaiblit la localité ». Cercle depuis 1905, la collectivité de 8 communes qui sollicitait d’être érigée en région, voit son territoire réduit à 2 arrondissements (Niafunké et Soumpi).

« La pilule est d’autant plus difficile à avaler qu’avant notre cercle, à l’époque rattaché à la région de Mopti, comptait 15 communes. Après, rattaché à Tombouctou en 1977, on s’est retrouvé à 8 communes. Maintenant, à 2 arrondissements avec ce nouveau découpage. Niafunké se retrouve affaibli et fortement réduit », estime Hamadoun Cissé, le Président de la jeunesse communale de la localité.

Plusieurs localités de la région de Gao (Haoussa Foulane, Taboye, Tacharane etc.) s’indignent également contre la réforme. Une centaine de personnes ont manifesté aussi dans la ville de Gao le 28 février pour contester le projet.

Autre localité, autre revendication. À Mahou, dans la région de Sikasso, les habitants ont barricadé les entrées du village pour exiger leur rattachement au Cercle de Koury, à 27 km d’eux, plutôt qu’à Yorosso, situé à 57 km.

Des manifestations attendues par les autorités de la Transition ? Lors de l’adoption du projet au CNT, le ministre de l’Administration territoriale, le Colonel Abdoulaye Maiga, a indiqué « qu’il s’agissait d’un dossier explosif, car touchant quelque part à l’identité de nos populations », et prôné « il est important de dire qu’il n’y a pas de gagnant ou de perdant. Je pense que c’est le Mali qui gagne ».