Lutte contre les stupéfiants : Encore du chemin à faire

 

La série « Narcos » du géant américain Netflix a tenu en haleine des millions de téléspectateurs. Basé sur la traque du baron colombien de la drogue Pablo Escobar et la lutte contre le cartel de Cali, le divertissement télévisuel a surligné les moyens souvent colossaux mis en oeuvre pour lutter contre ce trafic. Chez nous, au Mali, les services en charge de cette lutte ne s’appellent ni Drug Enforcement Administration (DEA), ni encore « Los Pepes », mais plutôt l’Office central des stupéfiants, qui coordonne les actions menées par plusieurs structures. En dépit de moyens « rudimentaires », le combat contre le trafic des stupéfiants est un combat de tous les instants

L’Office central des stupéfiants (OCS) a procédé le mardi 27 mars à l’incinération de plusieurs produits narcotiques. 8 tonnes de cannabis, 10 kg d’héroïne et cinq de cocaïne ont, entre autres, été détruits par ce service, chargé de la lutte contre les stupéfiants. « Des échanges que nous avions avec la population, la question qui revenait le plus souvent était de savoir quelle était la destination finale de ces produits. Il était donc de notre devoir de mettre la lumière dessus afin que tout le monde sache que la lutte est une réalité », assure le magistrat colonel Adama Tounkara, directeur de l’OCS. Une réalité qui s’intensifie. Par rapport aux opérations menées en 2016, les saisies ont doublé et des réseaux entiers ont été démantelés. Le travail des services de répression a permis de mettre hors circulation des produits d’une valeur de plus d’un milliard de FCFA. Échaudés par les récentes pertes, les narcotrafiquants ont été contraints de changer de modus operandi. Les Sotrama et minibus étant désormais dans la mire, depuis mi-2016 l’acheminement se fait dans des semi-remorques spécialement aménagés. « Chaque fois que nous avons connaissance de leur mode opératoire, le temps qu’ils le changent, cela nous permet d’effectuer un certain nombre de saisies ». Un véritable chassé-croisé donc entre trafiquants et agents de lutte. En dépit de ces « victoires », les défis demeurent. Les champs de cannabis découverts en 2017 à Sikasso et Yanfolila rappellent que la vigilance ne saurait faiblir. Nichés dans des zones difficiles d’accès, ils rendent les interventions complexes. Qui plus est, de nouvelles routes, en plus des classiques, voient le jour. En janvier 2018, la gendarmerie a saisi quatre tonnes de cannabis à la frontière ivoirienne. « Les forces de sécurité ont toujours un léger retard. Ceux que nous traquons ont plus de moyens que nous et sont bien informés », reconnaît le directeur de l’OCS.

Crise sécuritaire ou contrôle des routes ?

Ghana – Burkina Faso – Mali, tel est l’itinéraire le plus souvent utilisé par les trafiquants de cannabis pour faire passer leurs produits. « Nous devons aller au-delà des frontières. Nous avons besoin d’une véritable coopération. Il faut que les services de répression de ces pays se consultent pour obtenir plus de résultats. Dans le cas contraire, nous n’aurons pas les moyens de contrôler cette longue ligne frontalière », affirme le directeur de l’OCS. Les groupes djihadistes opérant le long de ces frontières rendent également plus difficile leur contrôle. Certains acteurs en charge de la lutte contre les stupéfiants l’assurent d’ailleurs, l’essence même de la crise du Mali réside dans le trafic de drogues. « Il n’y a pas de terrorisme sans trafic. C’est la lutte pour protéger les routes de la drogue qui a conduit le Mali dans cette situation. Le contrôle de ces routes est primordial pour le trafic. Au-delà de volonté séparatiste qu’ils veulent laisser transparaitre, ce ne sont que des trafiquants de drogue », assène le commissaire principal Mamoutou Togola, chef de la brigade des stupéfiants au sein de la police. Allusion à peine voilée aux différents groupes armés. « Avec la présence de toutes les forces étrangères dans le nord du pays, nous n’avons pas reçu d’informations concernant des passages importants de drogue dans cette zone du Mali. Nous ne pouvons donc pas dire que des groupes armés protègent ces routes. Par contre, nous avons reçu des renseignements affirmant que certains acteurs de ces groupes sont impliqués dans le trafic de drogue », relève Tounkara.

Nécessaire coordination

Toutes les unités de police et de gendarmerie ont compétence à lutter contre la drogue. Mais la coordination entre ces différents services s’avère parfois difficile. Pour mieux mutualiser les efforts, une nouvelle dynamique a été impulsée en 2016. L’objectif visé étant d’enregistrer plus de solidarité et de partage d’informations et de ressources afin d’aboutir à de meilleurs résultats. La volonté est manifeste mais, néanmoins, le verre s’affiche à moitié vide. «Le pays est dans une phase où nous avons besoin de faire des concessions. L’information doit être mieux partagée entre nous, les populations plus impliquées. A défaut, nous ne pourrons les contrer. Il nous faut fédérer tout le monde pour mener à bien ce combat », exhorte le commissaire Togola. L’opérationnalisation de la mission interministérielle annoncée depuis un certain temps et devant prendre en compte tous les aspects de la lutte (sanitaire, économique, juridique…) se fait attendre… impatiemment.

Moyens limités

Son effectivité est appelée à donner une nouvelle dimension à la lutte. Et elle en a besoin. Face à des trafiquants à la pointe des dernières technologies et trônant sur des montagnes de billets, les moyens des forces répressives sont dérisoires. Les ressources humaines sont insuffisantes. L’OCS n’a que 150 agents pour tout le Mali. « Il nous faudrait ce personnel rien que pour Bamako », souligne le premier responsable de la structure, créée il y a huit ans pour coordonner la lutte contre les stupéfiants. « Nos besoins sont connus, nous n’avons toujours pas d’unité cynophile (chiens renifleurs). Les chiens sont très utiles, en peu de temps ils peuvent localiser le produit. C’est pratique, surtout au niveau des aéroports, où  il y a des tentatives pour faire passer de la drogue », ajoute-t-il. Des améliorations qui faciliteraient sensiblement le travail de structures anti-stupéfiants, mais des demandes restées pour l’heure lettre morte. Le gel des avoirs, tant voulu par les acteurs de la lutte « pour porter un coup au portefeuille » des trafiquants n’est qu’une aspiration à l’heure actuelle. « Confisquer tous les biens générés par les activités illicites et avoir un œil sur le blanchiment, qui est très souvent réinjecté dans l’immobilier. Malheureusement, nous rencontrons beaucoup de problèmes avec le cadastre et d’énormes efforts restent à faire pour améliorer la traçabilité et la collecte de ces informations », dit le magistrat colonel Tounkara.

Éviter les récidives des usagers

Que faire pour ceux qui veulent décrocher, se sevrer ? La question est d’importance, mais la réponse proposée insatisfaisante. Selon le commissaire principal Togola, aucun centre de réhabilitation n’existe au Mali. Dans les faits, Il existe bien le Point G, victime de sa réputation de repaire de fous. La culture du paraitre étant fort partagée, les familles refusent d’y envoyer leurs toxicomanes. Les consommateurs appréhendés, une fois leurs peines purgées, reviennent inexorablement vers la drogue. A y regarder de près, la lutte prend des allures de mythe de Sisyphe sans centres destinés à la réhabilitation des toxicomanes. Sevrage, soins médicaux et discours sensibilisateurs seraient leur quotidien. « La seule barrière qui pourrait les refréner est la prison, mais une fois qu’ils y ont goûté, ils n’ont plus peur. Ils y rencontreront de grands consommateurs qui les conforteront dans leurs pratiques » regrette un ancien de l’OCS.

 

Il y a quand même de l’espoir. Une relecture du code de procédure pénale pour autoriser des techniques spéciales d’enquête est à l’étude. Cela élargira les horizons des agents, grâce à des écoutes téléphoniques, façon « The Wire » par exemple, qui vont permettre d’obtenir plus d’éléments de preuves à fournir à la justice. Des dossiers « béton » afin que les trafiquants ne profitent plus des imperfections du système pour passer entre ses mailles. Sauf dans les zones où le contexte sécuritaire limite fortement la marge de manœuvre de l’OCS et de ses partenaires.

 

Drogue : qui consomme quoi ?

Ils ont entre 15 et 45 ans pour la plupart. Ils viennent de milieux différents, mais ont un point en commun, la consommation de drogue. Pour tenir le rythme au boulot, oublier son quotidien monotone ou tout simplement « planer », de nombreuses raisons mènent à cette addiction.

Les semaines se suivent et se ressemblent toutes. De nombreux stupéfiants sont saisis par les différents services en charge de la lutte contre le trafic des drogues. Plusieurs trafiquants utilisent le Mali comme zone de transit, mais cette tendance tend à évoluer et le Mali fait sa mue d’espace de transit à espace de consommation. Celle-ci prend des proportions inquiétantes et touche, selon le Directeur de l’Office central de lutte contre les stupéfiants, le magistrat colonel Adama Tounkara, « toutes les couches de la société ».

Pour se faire une idée  des profils des consommateurs, il faut s’intéresser aux prix. Le cannabis (chanvre indien, haschich), qui est la drogue la plus consommée, est très accessible. 100 francs CFA suffisent pour s’en procurer. Une aubaine pour de nombreux jeunes, en dépit de leur situation précaire.

Consommation en développement

Au-delà des idées préconçues, Bamako n’est pas la seule ville concernée par la consommation de drogue. Les régions de Sikasso et de Kayes sont particulièrement touchées, en partie à cause des activités d’orpaillage. « Ceux qui travaillent sur ces sites en consomment le plus souvent pour lutter contre la fatigue, oublier le stress et créer une certaine euphorie dans leurs têtes, ce qui leur fait oublier leur quotidien », explique notre interlocuteur. « Le marché du cannabis est devenu une activité malienne. Le trafic et la consommation sont l’apanage de Maliens et une brique de chanvre indien ne coûte que 30 000 francs CFA », ajoute-t-il. Pour le même prix, vous n’aurez droit qu’à un gramme de drogue dure (cocaïne, héroïne…). Dès lors, on change de dimension. La clientèle est plus « select » et la dépendance plus forte. « Le pouvoir d’achat ne permet pas à beaucoup de Maliens de se procurer ces produits. Heureusement, parce que, dans certains pays développés, les trafiquants sont capables d’en offrir gratuitement à de potentiels clients pour les tenter et les rendre dépendants ». Une très forte addiction se crée alors, et le client, même avec la meilleure volonté du monde, se départira difficilement de cette emprise.

« Nous nous attelons à réduire l’offre. Cela passe par l’arrestation des dealers et par la réduction de la demande, en sensibilisant efficacement les éventuels consommateurs », conclut le directeur de l’OCS.

 

L’Afrique de l’Ouest, plaque tournante du trafic de drogue

Le trafic de drogue dans les pays sahéliens, dont le Mali, est un fléau qui ne cesse de proliférer et qui constitue une menace importante pour la paix, la sécurité ainsi que le développement du pays.

Les Nations unies célèbraient, dimanche 26 juin, la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogues. Le Mali et l’Afrique de l’Ouest, à mi-chemin sur l’axe majeur du trafic de drogue : entre l’Amérique Latine qui produit et l’Europe qui consomme, sont devenues une plaque tournante du trafic de drogue international. La porosité des frontières maliennes, la corruption et la faiblesse du gouvernement à contrôler efficacement le territoire, ont permis aux trafiquants de se développer et de faire transiter, via des voix clandestines, les stupéfiants et en particulier la cocaïne. « Nous avons acquis des preuves que deux flux de drogues illicites, l’héroïne dans l’Est de l’Afrique et la cocaïne dans l’Ouest, se rejoignent désormais dans le Sahara, empruntant de nouveaux itinéraires à travers le Tchad, le Niger et le Mali », affirmait, déjà, en 2010, Antonio Maria Costa, l’ancien directeur exécutif de l’ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime).

Ce trafic entre les pays de l’Afrique de l’Ouest et les villes européennes, est estimé à plus de 50 tonnes annuelles, pour la cocaïne, et sa revente en Europe génèrerait environ 2 milliards de dollars par an. De plus en plus, la drogue tend à être consommée sur le territoire de transit. La stratégie des trafiquants pour développer ce marché emergeant est de pratiquer des prix très bas pour « accrocher » cette nouvelle clientèle au produit.

Malgré un accroissement notable des saisies de drogue, le trafic est en perpétuelle augmentation, car beaucoup des pays manquent de moyens pour endiguer le problème. L’instabilité politique qui règne dans une partie des pays d’Afrique Subsaharienne pérénnise aussi cette situation. Selon l’ONU, une partie des bénéfices engendrés par le trafic de stupéfiant en Afrique de l’Ouest financerait des activités criminelles, les réseaux de recrutement djihadistes et la sphère politique et judiciaire. Ces liaisons, sulfureuses, entre le monde du narco-trafic et celui de la politique ou du judiciaire ont un impact dévastateur sur la gouvernance et l’État de droit, dans ces pays.