Opération de sécurisation du Nord: quel impact dans la zone des 3 frontières ?

Depuis Anéfis, au sud de Kidal, les groupes armés du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement  (CSP-PSD) ont lancé le 20 février une vaste opération de sécurisation des régions du Nord, deux semaines après la fusion en une seule entité militaire et politique des mouvements de la CMA. Objectif : contrer la récurrence d’attaques de groupes armés terroristes et de bandits armés dans les zones sous leur contrôle. Cette opération pourra-t-elle stabiliser la Zone des 3 frontières, en proie à l’insécurité depuis plusieurs années ?

C’est une grande première : près de 2 500 hommes et plus de 300 véhicules mobilisés. Les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 issu du processus d’Alger ont déjà mené des patrouilles communes dans certaines régions du Nord, mais jamais ils n’avaient mobilisé autant d’hommes et de moyens. Tous les mouvements de la CMA, de la Plateforme du 14 juin d’Alger et de certains Mouvements de l’inclusivité y prennent part et ont fourni chacun du matériel roulant et des hommes armés. Avec pour centres de gravité Anéfis dans la région de Kidal et Ber dans celle de Tombouctou, l’opération couvrira particulièrement les endroits où les mouvements évoluent et les différentes localités sous leur contrôle.

« C’est pour faire face à toute menace ou inquiétude, que ce soit lié au banditisme ou aux groupes terroristes. Obligatoirement, l’opération  va aller dans les zones où il y a un peu plus de populations, qui font face à des menaces, laissées à leur propre sort », précise  Mohamed el Maouloud Ramadane, porte-parole du CSP-PSD. Quant à la durée des patrouilles, cela va s’étaler sur plusieurs mois, assure-t-il.

« Vues l’étendue territoriale et la distance qui sépare les bases des mouvements, l’opération va prendre du temps, d’abord pour les regroupements et puis pour les départs à partir des points de regroupements », dit-il, n’écartant pas la possibilité qu’elle soit prolongée pour atteindre ses objectifs si le temps qui lui a été accordé n’était pas suffisant.

Freiner l’avancée terroriste

L’opération de sécurisation a été lancée pour freiner l’avancée de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), qui mène une offensive dans la Zone des 3 frontières, notamment dans la région de Ménaka, où plusieurs civils ont été tués depuis bientôt un an. Elle vient suppléer la riposte que tentaient de mener les combattants du MSA et qui avait occasionné à plusieurs reprises des affrontements avec les terroristes de l’EIGS, sans l’implication de l’armée malienne.

Le CSP-PSD espère contribuer à l’amélioration de la situation sécuritaire dans les régions concernées pour créer un climat de tranquillité au sein des communautés de ces différentes zones. Mais « le danger reste un affrontement armé qui pourrait coûter des vies humaines de plus. Nous avons déjà perdu beaucoup de vies humaines dans ce conflit », craint Abdoul Sogogodo, Vice-doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako.

En effet, de son côté, le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) se prépare à des combats dans la région de Tombouctou. Dans une récente lettre adressée au chef du village d’Acharene (30 km à l’ouest de Tombouctou), l’émirat de la région appelle les habitants de la zone à s’éloigner de 10 km des bases militaires et à ne coopérer en aucune façon avec l’armée ou d’autres groupes armés « ennemis ».

Selon Abdoul Sogogodo, malgré les bonnes volontés affichées de certains groupes armés, le CSP-PSD ne dispose pas des ressources humaines et économiques nécessaires pour engager une lutte à long terme contre les groupes terroristes. « Il faut que l’État malien et ses partenaires s’appuient sur les groupes engagés dans la lutte pour le retour de l’État, mais ces groupes armés n’ont pas pour vocation de se substituer éternellement aux forces maliennes de défense et de sécurité », tranche cet analyste.

Selon lui, les actions récentes des groupes armés signataires de 2015, y compris le lancement de l’opération de sécurisation, sonnent comme un appel à la négociation pour la mise en œuvre de l’Accord.

Mali – Burkina Faso : les enjeux d’une coopération militaire renforcée

Pour contrer la menace terroriste à laquelle font face les deux pays, le Mali et le Burkina Faso sont dans une dynamique de renforcement de leur coopération bilatérale militaire depuis la prise de pouvoir du Capitaine Ibrahim Traoré.

Le 2 novembre 2022, pour son premier déplacement à l’étranger après sa désignation à la tête de la transition burkinabé, le Capitaine Ibrahim Traoré avait choisi le Mali pour échanger avec son homologue malien, le Colonel Assimi Goita, sur « comment renforcer notre coopération militaire et pouvoir mieux mener nos opérations pour sécuriser nos populations ». Un choix « normal » porté sur « un pays frère avec lequel nous partageons une très large frontière et avons beaucoup d’échanges de populations », s’était justifié le Capitaine Traoré.

Dans la foulée de cette visite, le 11 novembre le ministre de la Défense et des Anciens combattants, le Colonel Sadio Camara, accompagné du Chef d’État-major général des armées et de plusieurs officiers, a effectué une visite d’amitié et de travail à Ouagadougou.

« Nous avons reçu des instructions de nos chefs d’États de nous mettre ensemble, de mutualiser non seulement les efforts mais aussi les moyens pour faire face à cet ennemi commun (le terrorisme, ndlr) pour le bien-être de nos populations », a indiqué le Colonel Sadio Camara au sortir de la rencontre avec son homologue burkinabé.

Un rapprochement « gagnant – gagnant »

Pour plusieurs observateurs, depuis le retrait du Mali du G5 Sahel, un renforcement des relations bilatérales sur le plan militaire avec ses voisins que sont le Burkina Faso et le Niger était devenu indispensable. Selon le chercheur Mahamadou Sawadogo, spécialiste des questions sécuritaires, avec la mort programmée du G5 Sahel il était difficile que le fuseau central Mali – Burkina – Niger, qui constitue d’ailleurs l’épicentre de la menace terroriste, survive sans le Mali.

Pour lui, dans ce sens, le renforcement en cours de la coopération bilatérale militaire entre le Burkina Faso et le Mali est « gagnant – gagnant ». Il permettra d’une part au Burkina Faso de sécuriser ses frontières avec le Mali et d’autre part au Mali de prendre à revers les groupes armées terroristes qui attaquent le centre du pays.

« Le Mali est dans la traque des groupes terroristes depuis une dizaine d’années et le Burkina Faso pourrait bénéficier de son expérience et aussi des moyens techniques et des vecteurs aériens dont dispose le Mali dans ce domaine. De l’autre côté, le Burkina Faso est soutenu par la communauté internationale, ce qui pourrait, de façon indirecte, bénéficier au Mali si toutefois il continue à être ostracisé. Le Mali a besoin de partenaires et ne peut pas continuer à s’isoler. Le Burkina Faso peut donc lui servir un tant soit peu de bouclier », analyse M. Sawadogo.

« C’est une obligation de part et d’autre. En mettant en commun les capacités militaires, cela ne peut que renforcer la lutte anti-terroriste. Le Burkina Faso a une majeure partie de son territoire située dans la zone des 3 frontières. Ce renforcement est donc d’abord au bénéfice du Burkina, même si le Mali y a aussi une partie non négligeable de son territoire », souligne pour sa part Boubacar Salif Traoré, analyste politique et sécuritaire, Directeur du Cabinet Afriglob Conseils.

Rendre la lutte anti-terroriste plus efficace

Pour que la dynamique de renforcement de la coopération sur le plan sécuritaire entre le Mali et le Burkina Faso aboutisse à des résultats probants, Boubacar Salif Traoré pense que les deux pays doivent partager des renseignements. « Il va falloir travailler assez rapidement sur cette question afin que les deux pays mettent en place des canaux d’échange assez dynamiques et des relations de confiance », suggère l’analyste, pour lequel des formations communes doivent également être envisagées au niveau des deux armées, qui doivent travailler ensemble, afin qu’elles se comprennent dans les différentes unités.

Dans le cadre de cette coopération militaire renforcée entre le Mali et le Burkina, les opérations conjointes des deux armées au niveau des frontières, arrêtées il y a plus d’un an, pourraient reprendre dans la zone. Toutefois, pour Mahamadou Sawadogo, « il est impératif que les opérations conjointes dans cette zone impliquent le Niger. Sans quoi il sera difficile d’engranger des résultats ».