FAMa : la dynamique offensive

Depuis plusieurs mois, les Forces armées maliennes (FAMa), engagées dans la sécurisation de l’ensemble du territoire national, multiplient la traque des groupes armés terroristes. Ces opérations, qui ont permis la neutralisation d’importants chefs terroristes ces dernières semaines, s’intensifient dans la zone des trois frontières, où ces groupes armés radicaux semblent de plus en plus acculés.

Le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, avait donné le ton le 14 novembre 2023, après la reprise de Kidal par l’armée malienne à la suite d’un raid déclenché quelque jours plus tôt en direction de la ville, contrôlée depuis plusieurs années par les groupes armés rebelles.

« Notre mission n’est pas achevée. Dans les jours qui viennent, nos FAMa poursuivront leurs interventions et bénéficieront de toute la confiance de notre vaillante peuple », avait averti Assimi Goïta, rappelant que cette mission consistait à « recouvrer et à sécuriser l’intégrité du territoire, sans exclusive aucune, conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité ». « Cette opération n’a pas d’autres buts que la lutte contre le terrorisme et la sécurisation de notre pays », avait assuré le Président de la Transition.

Depuis, dans cette lutte contre le terrorisme, les Forces armées maliennes maintiennent une dynamique offensive, avec des résultats significatifs.

Chefs terroristes neutralisés

Au moins cinq importants chefs terroristes ont été neutralisés au cours des deux derniers mois dans les régions du nord et du centre du pays. Le 29 avril 2024, l’armée a annoncé avoir tué Abou Houzeifa, alias Hugo, haut responsable de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), au cours d’une opération de grande envergure dans le Liptako-Gourma. La tête de ce terroriste étranger, « auteur de plusieurs exactions sur les populations civiles innocentes et d’attaques contre les Forces armées des pays de l’AES et des forces étrangères », avait été mise à prix par les États-Unis pour sa responsabilité dans la mort de quatre soldats américains des Forces spéciales au Niger en 2017.

« Sa disparition pourrait être un coup dur pour l’État islamique au Grand Sahara, tant sur le plan moral que logistique, c’est-à-dire la capacité de l’EIGS d’organiser et d’élaborer de nouvelles embuscades contre l’armée », estime l’analyste sécuritaire Dr Ahamadou Touré. Pour ce chercheur en Sciences politiques, paix et sécurité, la neutralisation d’ Abou Houzeifa pourrait également impacter l’architecture militaire de l’EIGS. « Cette architecture pourrait connaitre une déstabilisation temporaire durant le temps de deuil et avant la nomination d’un nouveau chef militaire », analyse-t-il.

Une semaine avant la mort d’Hugo, un autre terroriste, Akalifa Sawri, a été neutralisé entre Douetiré et Acharane, dans la région de Tombouctou. « Ce redoutable criminel impliqué dans toutes les attaques contre les FAMa, y compris des tirs d’obus et des braquages contre les civils le long de la route Tombouctou – Goundam, était vivement recherché », a indiqué dans un communiqué l’État-major général des FAMa le 22 avril.

Dans un autre communiqué, en date du 18 avril 2024, l’armée a annoncé la neutralisation le 12 avril d’Ali Sékou alias Diouraydi, chef terroriste du secteur de Dogo, dans la zone de Youwarou, ainsi que de plusieurs autres terroristes aux environs de Laounia, dans la région de Mopti. À en croire l’État-major général des armées, ce terroriste vivement recherché, qui était l’adjoint d’un autre chef terroriste, Hassane Alias Cheik Oumar, était responsable de plusieurs exactions sur les populations et de pose d’engins explosifs improvisés (EEI) dans le secteur.

La mort d’Ali Sékou alias Diouraydi a été suivie quatre jours plus tard, le 16 avril, de l’interpellation à Niono d’Almahdi Ag Almahmoud, un autre « chef terroriste de renommée ». L’offensive, menée au nord-est de Niono, a également permis la découverte de deux refuges des groupes armés terroristes et la saisie d’un important lot de matériel de guerre, composé entre autres de grenades artisanales, de munitions 12,7mm, de tenues et rangers militaires, de batteries et de détonateurs, a indiqué l’armée.

Un mois plus tôt, le 18 mars, les FAMa neutralisaient un autre chef terroriste, Boura Lobbi, originaire du village de Tana, qui sévissait dans une grande partie de la région de Douentza, particulièrement au nord, jusqu’à Diona. « Il a été tué ainsi que plusieurs de ses gardes au cours d’un accrochage avec les FAMa dans la forêt de Niabi. Ce chef terroriste, auteur de plusieurs exactions sur les populations et d’attaques contre les FAMa dans la région de Douentza et activement recherché, a été formellement identifié parmi les terroristes neutralisés », précise un communiqué de l’armée en date du 8 avril.

En janvier dernier, Aboul Wahab Ould Choghib, l’un des plus grands dirigeants de l’EIGS, ainsi que deux de ses lieutenants avaient été également neutralisés par l’armée malienne. La mort de ce chef terroriste, principal instigateur du massacre de plusieurs centaines de civils dans la région de Ménaka entre 2022 et 2023, ayant occasionné le déplacement de milliers d’autres civils, est intervenue après celles d’autres figures de ce groupe, survenues au début du mois de décembre 2023. Parmi elles, l’émir militaire de l’EIGS Oussama Dallo alias Modallo.

Zone des 3 frontières ciblée

Dans la nouvelle dynamique enclenchée depuis quelques mois par l’armée malienne dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation du territoire national, les offensives se multiplient dans la Zone des trois frontières, avec le Burkina Faso et le Niger, dans le cadre des opérations de la Force conjointe de l’Alliance des États du Sahel (AES).

Si des opérations conjointes, d’une part entre le Mali et le Burkina Faso et de l’autre entre le Mali et le Niger, se menaient déjà ces dernières années, elles se ont intensifiées, avec des résultats plus probants depuis la création de la Force conjointe de l’AES, en mars dernier, même si jusqu’à présent ces opérations ne sont pas menées sous un commandement commun.

En avril, au moins trois grandes opérations coordonnées des trois armées dans cette zone ont conduit à la neutralisation de plusieurs groupes terroristes et à la destruction d’importantes bases logistiques.

Selon les informations de l’État-major général des armées du Mali, le 13 avril 2024 dans le secteur de Douna, à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, une action conjointe impliquant des vecteurs  maliens et burkinabé a permis de démanteler une importante base logistique.

Le même jour, une importante quantité de matériels de guerre a été détruite, ainsi que plusieurs terroristes neutralisés, aux environs du village de Hourara, situé à environ 12 km au nord-ouest de Labbezanga, à la frontière entre le Mali et le Niger.

Trois jours plus tôt, le 10 avril, la coordination entre les armées malienne et nigérienne a permis de procéder à une frappe nigérienne qui a détruit un important lot logistique et neutralisé plusieurs terroristes dans la zone de Amalawlaw, dans le secteur de Labbezanga.

« C’est dans cette partie frontalière que l’on a une présence marquée des hommes de l’État islamique. Donc il faut comprendre que les trois armées veulent réduire de façon drastique les capacités de nuisance de ce groupe terroriste. Jusqu’ici, c’est Al-Qaïda qui a le plus subi de pertes. Les récentes opérations se concentrent davantage sur l’État islamique », expliquait récemment dans nos colonnes Dr Aly Tounkara, Directeur exécutif du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S).

Mais si les FAMa enchainent et réussissent des opérations portant des coups durs à l’organisation et à la capacité de nuisance de l’État islamique dans le Liptako-Gourma, elles ne sont en retour pas à l’abri des ripostes, mais aussi d’autres attaques venant du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans ( JNIM) et de la menace des groupes rebelles du CSP-DPA.

Sans actions d’envergure depuis leur défaite à Kidal, ces derniers, désormais tournés de nouveau dans une lutte indépendantiste, préparent activement leur retour au combat contre l’armée malienne et sur tout le territoire malien.

Alliance des États du Sahel : la pleine opérationnalisation en marche

Instituée le 16 septembre dernier par la signature de la Charte du Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans l’objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes, l’Alliance des États du Sahel (AES) vient d’amorcer à Bamako sa pleine opérationnalisation.

Un peu plus de deux mois après sa création, l’opérationnalisation de l’Alliance des États du Sahel est en marche, conformément aux dispositions de la Charte du Liptako – Gourma qui prévoyait à son article 15 qu’elle serait « complétée par des textes additionnels, en vue de la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 3 », qui lui-même stipulait que « les Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement ».

Aller vite et bien. Tel semble être le mot d’ordre des plus hautes autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la mise en place de cette nouvelle Alliance, dont la phase de concrétisation est enclenchée depuis le 23 novembre 2023, avec des concertations ministérielles à Bamako.

Accélérer l’intégration économique

Une première réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel sur le développement économique dans l’espace du Liptako-Gourma s’est tenue le 25 novembre 2023 dans la capitale malienne, réunissant les ministres chargés de l’Économie et des Finances, de l’Énergie, du Commerce et des Industries des pays membres. Cette réunion ministérielle sur les questions de développement économique visait à créer une synergie d’actions pour l’accélération du processus d’intégration économique et financière de l’Alliance.

Précédée de la rencontre des experts, les 23 et 24 novembre, qui ont échangé sur différentes thématiques telles que les échanges commerciaux, la circulation des personnes et des biens au sein de l’AES, la sécurité alimentaire et énergétique, la transformation industrielle, les potentialités et perspectives, le financement,  l’intégration économique, l’arsenal réglementaire et les réformes nécessaires, elle a accouché de plusieurs recommandations.

Celles-ci portent sur l’accélération de la mise en place de l’architecture juridico-institutionnelle et des mécanismes de financement des instances de l’AES, l’amélioration de la libre-circulation des personnes dans l’AES et le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement, en luttant notamment contre les pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES.

Les ministres ont aussi opté pour l’accélération de la mise en œuvre de projets et programmes énergétiques, agricoles, hydrauliques, de réseaux de transport routier, aérien, ferroviaire et fluvial dans les États de l’AES, la création d’une compagnie aérienne commune, le développement des aménagements hydro-agricoles d’intérêt commun, pour booster la production agricole, la construction et le renforcement des projets d’infrastructures et la mise en place d’un dispositif de sécurité alimentaire  commun aux trois États de l’AES à travers des organes dédiés.

Ils ont en outre recommandé la réalisation d’infrastructures adaptées pour le développement du cheptel et la mise en place d’abattoirs modernes pour l’exportation de la viande et des produits dérivés de l’espace AES, le développement des stocks de sécurité pour améliorer les capacités de stockage en hydrocarbures, la mise en place d’un fonds pour le financement de la recherche et des projets d’investissements énergétiques et en matière de substances énergétiques, notamment à partir de l’exploitation des ressources minières.

Parmi les autres recommandations figurent la réalisation des projets de centrales nucléaires civiles à vocation régionale, l’élaboration d’une stratégie commune d’industrialisation des pays de l’Alliance, la promotion du financement d’infrastructures communautaires par la diaspora, la mise en place d’un Comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’Union économique et monétaire, la promotion de la diversification des partenariats et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES.

Les ministres de l’Économie et des Finances des pays membres ont également décidé de la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre de toutes les recommandations issues de leur réunion. « Il y a de bonnes idées, comme le G5 Sahel. Maintenant, il s’agit de les matérialiser. C’est cette matérialisation qui pose beaucoup de problèmes. Il ne s’agit pas de se réunir ou de seulement planifier », estime Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema.

Une architecture institutionnelle en gestation

En prélude à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel qui s’est tenue le jeudi 30 novembre, toujours à Bamako, les experts des trois pays se sont réunis les 27 et 28 novembre et se sont penchés sur des propositions pour une structure institutionnelle de l’Alliance, avec les différents organes à mettre en place et l’articulation entre ces organes, à travers des mécanismes de fonctionnement et d’articulation clairement établis.

Ils ont en outre eu pour tâche de compléter la Charte du Liptako-Gourma, texte constitutif de l’AES, pour intégrer aux aspects de défense et de sécurité la dimension diplomatique et les questions relatives au développement économique de l’espace commun aux trois États. « Nous vous chargeons de nous proposer les bases pour faire de l’AES cette Alliance que nos populations attendent, cette Alliance qui leur fera sentir et vivre des conditions améliorées, en œuvrant à la paix et la stabilité ainsi qu’au développement harmonieux de nos États », a dit le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à l’ouverture des travaux.

« Nous attendons de vous des recommandations pour que le Burkina, le Mali et le Niger, liés par une histoire, une culture et des valeurs communes, mais surtout liés par une relation stratégique particulière, puissent parler d’une seule et même voix partout où cela sera nécessaire », a-t-il ajouté.

Les travaux des experts étaient organisés en différents sous-comités, dont « Diplomatie et questions institutionnelles », « Défense et Sécurité » et « Questions de développement économique ». Selon une source au ministère des Affaires étrangères du Mali, leurs recommandations, qui n’ont pas fait l’objet de communication, seront soumises à l’examen des ministres des Affaires étrangères lors de la réunion de ce jeudi, avant d’être rendues publiques à la fin de la session ministérielle.

Bras de fer en vue avec la CEDEAO ?

Le processus d’opérationnalisation de l’AES est enclenché à quelques jours de la tenue du prochain sommet ordinaire de la CEDEAO, avec laquelle sont en froid les 3 pays membres de l’Alliance. D’ailleurs, l’AES, née dans un contexte où l’institution sous-régionale ouest africaine brandissait la menace d’une intervention militaire au Niger pour réinstaller le Président déchu Mohamed Bazoum, s’apparente pour certains observateurs à une organisation « rivale » de celle-ci.

« L’alliance des États du Sahel est en train de prendre une autre forme, qui peut peut-être sembler être une substitution à la CEDEAO ou une alliance qui accepte ceux qui ne sont pas forcément en ligne droite avec les principes démocratiques. Cela me semble très circonstanciel », glisse le politologue Cheik Oumar Doumbia.

Selon nos informations, au cours du sommet de la CEDEAO prévue le 10 décembre prochain à Abuja, au Nigéria, les Chefs d’États vont à nouveau se pencher sur la situation dans les pays en transition et exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans les délais convenus. Les sanctions contre le Niger pourraient être maintenues et le Mali pourrait en subir de nouvelles, suite au report sine die en septembre dernier de l’élection présidentielle, initialement prévue pour février 2024.

Mais, selon certains observateurs, l’opérationnalisation enclenchée de l’AES pourrait contribuer à freiner les ardeurs des Chefs d’États de la CEDEAO dans la prise de sanctions contre les trois pays de l’Alliance, qui pourraient alors claquer la porte de l’organisation sous-régionale.

« Un éventuel éloignement de l’Alliance des États du Sahel pourrait remettre en question la cohésion et la solidarité au sein de la CEDEAO. Ces trois pays sont géographiquement situés en plein cœur de la région et leur intégration est essentielle pour la mise en œuvre des projets régionaux, tels que les infrastructures de transport et le commerce transfrontalier. Leur départ pourrait donc ralentir ou compromettre ces projets », avertit un analyste.

Sécurité : la guerre entre dans une nouvelle phase

La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre, avec la multiplication des attaques terroristes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils. Par ailleurs, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de son côté, est déterminée à garder les zones sous son contrôle.

49 civils et 15 militaires tués, des blessés et des dégâts matériels. C’est le bilan provisoire donné par le gouvernement de la double attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) le 7 septembre 2023, contre le bateau « Tombouctou » reliant Gao à Mopti et la base militaire des FAMa à Bamba, dans la région de Gao.

407 rescapés de cette attaque sont arrivés le jour suivant à Gourma-Rharous, où dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils appelaient les autorités de la Transition à l’aide. « Tous mes enfants sont morts, ma famille entière, il ne me reste plus que mon petit-fils, que vous voyez avec moi », se lamente un vieil homme devant un groupe de rescapés qui scande : « nous voulons quitter ici ». « Nous avons perdu beaucoup de personnes, des enfants tout comme des adultes et des personnes âgées. Nous sommes fatigués. Nous n’avons ni à manger ni à boire, nous avons tout perdu dans cette tragédie. Nous voulons rentrer chez nous », confie, très remontée, une femme. Ce sont les affres, les dernières d’une guerre qui s’étend et devient de plus en plus meurtrière.

Le 8 septembre, au lendemain de cette double attaque, le camp militaire de Gao a été à son tour la cible d’une attaque terroriste faisant une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes, suivie 3 jours après, le 11 septembre, de tirs d’obus à l’aéroport de Tombouctou occasionnant des dégâts matériels dans le camp de la MINUSMA s’y trouvant.

Guerre ouverte

Au même moment où les attaques du JNIM se multiplient, la CMA, de son côté, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays. Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, « tout en désignant la junte au pouvoir à Bamako comme seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu », déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».

« Le CSP-PSD appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les assure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces », poursuit le communiqué, signé du Président Alghabass Ag Intalla. Mais le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger s’en sont désolidarisés pour n’avoir pas été associé à la rédaction de la déclaration.

Le 11 septembre, dans une « communication en temps de guerre », la cellule d’information et de communication des affaires militaires de l’Azawad, créée quelques jours plus tôt, demandait « à tous les habitants de l’Azawad de se rendre sur le terrain pour contribuer à l’effort de guerre dans le but de défendre et protéger la patrie et ainsi reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national azawadien ». Pour concrétiser ses menaces, la CMA est passé à l’acte le 12 septembre en s’attaquant à une position de l’armée malienne à Bourem, dans la région de Gao. Selon certaines sources, le dispositif de l’armée malienne qui doit reprendre les camps de la MINUSMA dans la région de Kidal est stationné dans cette zone. Les combats violents ont duré plusieurs heures et la CMA s’est repliée suite à l’intervention des vecteurs aériens de l’armée, qui ont effectué de nombreuses frappes. L’État-major général des armées, qui n’évoque pas la CMA dans son communiqué, parle « d’une attaque complexe aux véhicules piégés de plusieurs terroristes à bord de plusieurs véhicules et motos ». Bilan, « 10 morts et 13 blessés dans les rangs des FAMa et 46 terroristes neutralisés, plus de 20 pickups détruits, y compris ceux équipés d’armes ». Signe que la collusion réelle entre la CMA et le JNIM, comme ce fut le cas en 2012, est désormais bien intégrée dans la communication de l’armée. Ces affrontements directs entre les deux principaux protagonistes signent aussi la « mort cérébrale » de l’Accord pour la paix signé en 2015, du moins en l’état, à moins que la communauté internationale, en l’occurrence l’Algérie, chef de file de la médiation, jusqu’alors silencieuse, ne tente de faire rasseoir les parties autour de la table.

Nouveau tournant

En attendant, pour l’analyste politique et sécuritaire Moussa Djombana, la montée des tensions dans le nord s’explique par une combinaison de facteurs, notamment la volonté d’occupation de l’espace laissé par le départ progressif de la MINUSMA et le renforcement des capacités militaires des FAMa, qui envisagent des offensives, y compris dans les zones couvertes par le cessez-le-feu de 2014. « Cela a provoqué la colère de la CMA, qui interprète cela comme une violation du cessez-le-feu et une agression », souligne-t-il.

La reprise des hostilités, qui semblait inévitable entre les deux camps, fait basculer la situation sécuritaire dans le pays dans une nouvelle phase depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation en 2015.

À en croire M. Djombana, elle risque de se détériorer davantage par la suite. « Pour les autorités maliennes, les opérations visent les groupes armés terroristes, pas la CMA. Cependant, pour la CMA, la violation du cessez-le-feu de 2014 et la caducité de l’Accord pour la paix sont une réalité depuis quelque temps. Les FAMa ont pris Ber grâce à une opération militaire d’envergure, un bastion de la CMA depuis 2012, ce qui augmente la probabilité de nouveaux affrontements », analyse-t-il.

Même son de cloche chez le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna. « On sait qu’aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l’armée s’installer confortablement dans certaines zones qu’ils prétendent être leurs fiefs. Ber était l’une d’elles. Aujourd’hui, l’armée est aussi déterminée à occuper Aguelhok, Tessalit et plus tard Kidal. S’il n’y a donc pas de négociations, il est fort probable que des affrontements aient lieu », avance-t-il.

Pour Dr. Koïna, la position et la posture actuelle des groupes armés s’expliquent par le fait que la MINUSMA étant en train de partir, « ils essayent d’occuper le plus tôt possible le terrain et d’harceler l’armée avant qu’elle ne puisse se positionner. Pour y parvenir, il est important pour ces groupes armés et terroristes de terroriser la population et de faire peur à l’armée ». « La CMA a tout à perdre si l’armée malienne récupère Kidal. Il est tout à fait normal qu’elle essaye de tout faire pour rester sur ses positions », glisse-t-il.

Opération de sécurisation du Nord: quel impact dans la zone des 3 frontières ?

Depuis Anéfis, au sud de Kidal, les groupes armés du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement  (CSP-PSD) ont lancé le 20 février une vaste opération de sécurisation des régions du Nord, deux semaines après la fusion en une seule entité militaire et politique des mouvements de la CMA. Objectif : contrer la récurrence d’attaques de groupes armés terroristes et de bandits armés dans les zones sous leur contrôle. Cette opération pourra-t-elle stabiliser la Zone des 3 frontières, en proie à l’insécurité depuis plusieurs années ?

C’est une grande première : près de 2 500 hommes et plus de 300 véhicules mobilisés. Les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 issu du processus d’Alger ont déjà mené des patrouilles communes dans certaines régions du Nord, mais jamais ils n’avaient mobilisé autant d’hommes et de moyens. Tous les mouvements de la CMA, de la Plateforme du 14 juin d’Alger et de certains Mouvements de l’inclusivité y prennent part et ont fourni chacun du matériel roulant et des hommes armés. Avec pour centres de gravité Anéfis dans la région de Kidal et Ber dans celle de Tombouctou, l’opération couvrira particulièrement les endroits où les mouvements évoluent et les différentes localités sous leur contrôle.

« C’est pour faire face à toute menace ou inquiétude, que ce soit lié au banditisme ou aux groupes terroristes. Obligatoirement, l’opération  va aller dans les zones où il y a un peu plus de populations, qui font face à des menaces, laissées à leur propre sort », précise  Mohamed el Maouloud Ramadane, porte-parole du CSP-PSD. Quant à la durée des patrouilles, cela va s’étaler sur plusieurs mois, assure-t-il.

« Vues l’étendue territoriale et la distance qui sépare les bases des mouvements, l’opération va prendre du temps, d’abord pour les regroupements et puis pour les départs à partir des points de regroupements », dit-il, n’écartant pas la possibilité qu’elle soit prolongée pour atteindre ses objectifs si le temps qui lui a été accordé n’était pas suffisant.

Freiner l’avancée terroriste

L’opération de sécurisation a été lancée pour freiner l’avancée de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), qui mène une offensive dans la Zone des 3 frontières, notamment dans la région de Ménaka, où plusieurs civils ont été tués depuis bientôt un an. Elle vient suppléer la riposte que tentaient de mener les combattants du MSA et qui avait occasionné à plusieurs reprises des affrontements avec les terroristes de l’EIGS, sans l’implication de l’armée malienne.

Le CSP-PSD espère contribuer à l’amélioration de la situation sécuritaire dans les régions concernées pour créer un climat de tranquillité au sein des communautés de ces différentes zones. Mais « le danger reste un affrontement armé qui pourrait coûter des vies humaines de plus. Nous avons déjà perdu beaucoup de vies humaines dans ce conflit », craint Abdoul Sogogodo, Vice-doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako.

En effet, de son côté, le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) se prépare à des combats dans la région de Tombouctou. Dans une récente lettre adressée au chef du village d’Acharene (30 km à l’ouest de Tombouctou), l’émirat de la région appelle les habitants de la zone à s’éloigner de 10 km des bases militaires et à ne coopérer en aucune façon avec l’armée ou d’autres groupes armés « ennemis ».

Selon Abdoul Sogogodo, malgré les bonnes volontés affichées de certains groupes armés, le CSP-PSD ne dispose pas des ressources humaines et économiques nécessaires pour engager une lutte à long terme contre les groupes terroristes. « Il faut que l’État malien et ses partenaires s’appuient sur les groupes engagés dans la lutte pour le retour de l’État, mais ces groupes armés n’ont pas pour vocation de se substituer éternellement aux forces maliennes de défense et de sécurité », tranche cet analyste.

Selon lui, les actions récentes des groupes armés signataires de 2015, y compris le lancement de l’opération de sécurisation, sonnent comme un appel à la négociation pour la mise en œuvre de l’Accord.

GSIM – MSA : ce qui se joue derrière « l’alliance» de circonstance

Un peu plus de deux ans après sa dernière apparition, le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda, Iyad Ag Ghaly, s’est montré dans une vidéo le 22 janvier dans la région de Ménaka. Selon plusieurs sources, il y était pour accepter l’allégeance de notables issus de tribus de la zone et membres du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). Ce ralliement, qui conforte un peu plus l’ancrage Al-Qaïda dans la zone, pourrait affaiblir le MSA et présager de nouveaux combats contre le groupe État islamique.

Selon nos informations, ces nouveaux membres du GSIM sont des notables de la communauté Daoussahak de la région de Ménaka. Une communauté issue de la tribu Tamasheq géographiquement présente dans une grande partie de la région de Ménaka et une partie du cercle d’Ansongo.

L’État islamique au Grand Sahara Sahel (EIGS) mène une offensive dans la région de Ménaka depuis mars 2022. Cette offensive, qui a conduit à des affrontements armés avec le GSIM, a occasionné des attaques non seulement contre les civils daoussahaks mais aussi contre les groupes armés, dont le MSA.

Systématiquement ciblés par l’État islamique depuis mars dernier (plusieurs tués) ceux-ci auraient préféré s’allier à « l’ennemi de leur ennemi », le GSIM, pour se défendre contre ces attaques.

L’analyste sécuritaire Ibrahim Maiga expliquait dans nos colonnes en avril dernier que les divergences entre les Daoussahaks, qui constituent le fer de lance du MSA, et la communauté peul Tolebe, fortement représentée au sein de l’EIGS, alimentaient le conflit entre le MSA et l’EIGS, au-delà des querelles d’ordre idéologique entre les deux camps.

« Ces derniers mois, ils (la communauté Daoussahak, ndlr) ont été meurtris par les attaques des groupes djihadistes, en l’occurrence l’État islamique. Pour sauver leur tête ils ont adhéré au GSIM. Iyad Ag Ghaly serait dans la zone depuis un moment et ils ont profité de cette présence pour lui prêter allégeance », explique Abdoul Nassir Idrissa, journaliste de la région. Il précise que ce n’est pas l’aile politique du MSA, mais plutôt « des notables, des chefs de tribus et fractions qui se sentent chaque jour persécutés ».

Le MSA impacté ?

Cette allégeance d’anciens membres du MSA au chef du GSIM n’a que peu surpris. Mais elle aura plusieurs implications dans l’évolution de la dynamique des forces en présence sur le terrain dans cette zone en proie à des combats pour son contrôle depuis des mois.

« Iyad Ag Ghaly marque sa présence à Ménaka. On sait tous qu’Al-Qaïda y était présent, mais d’une manière très timide, et c’est à la faveur de la guerre avec l’État islamique que le groupe s’est impliqué de plus en plus là-bas, à cause des échecs des autres factions face à l’État islamique. C’est sa façon à lui de montrer qu’il est soutenu dans la guerre contre l’État islamique », analyse une source spécialiste des mouvements djihadistes.

Si le chef terroriste y gagne dans l’ancrage d’Al-Qaïda dans la région de Ménaka, le MSA en revanche risque de s’affaiblir et de voir son influence réduite sur le terrain. Selon Abdoul Nassir Idrissa, la jeunesse daoussahak, qui constitue la branche armée du MSA, pourrait le déserter au profit du GSIM et le MSA pourrait devenir une coquille vide.

« Ces notables vont donner la majorité des jeunes daoussahak du MSA au GSIM et donc à Iyad Ag Ghaly », craint-il, soulignant aussi que le ralliement aux groupes terroristes de certains membres des groupes armés pro-gouvernement va créer « d’autres situations plus compliquées » sur le terrain.

Combats en vue

En relative accalmie depuis quelques semaines, les combats entre le GSIM et l’EIGS dans les régions du Nord pourraient reprendre très prochainement. Ce qui justifierait le renforcement des rangs du GSIM, qui, tout comme le groupe rival, a perdu beaucoup de combattants.

Dans une lettre attribuée à l’émir du GSIM de la région de Tombouctou en date du 16 janvier, ce dernier demande aux habitants de la localité d’Acharane (10 km de Tombouctou) de quitter les lieux pour ne pas être des victimes collatérales lors d’éventuels futurs affrontements.