Bandiagara : jusqu’où ira le mécontentement ?

Depuis plusieurs années, la région de Bandiagara fait face à des enlèvements de bus de transport en commun sur l’axe Bandiagara – Bankass de la  RN15. De nouveaux  enlèvements, le 16 avril 2024, sur le même axe ont provoqué l’ire des forces vives de la région, qui ont depuis entamé plusieurs actions dont l’arrêt est conditionné à la satisfaction de plusieurs doléances qu’elles ont soumises aux autorités.

Suite à un mot d’ordre de désobéissance civile, les populations du cercle de Bankass étaient dans les rues le 18 avril 2024, bloquant par la même occasion l’axe Bandiagara – Bankass sur la RN15. Plusieurs véhicules dont des cars, des camions et des minibus se sont ainsi retrouvés bloqués à l’entrée de la ville pendant deux jours, avant la levée du blocus dans la matinée du 20 avril 2024.

« Nous avons décidé de lever le blocus  à la demande d’un grand leader religieux de notre région. Mais les autres décisions que nous avons prises sont maintenues », explique Mamoudou Guindo, Président du Conseil local de la jeunesse du cercle de  Bankass.

En effet, ces jeunes ont décidé de boycotter la phase régionale du Dialogue inter-Maliens et de maintenir le mot d’ordre de désobéissance civile jusqu’à la prise en charge totale de leurs doléances. Même la levée du blocus de la route est temporaire, comme l’explique M. Guindo. « Le blocus est levé juste pour quelques jours. Si nous n’avons pas de réactions des autorités, nous nous réunirons le 24 avril pour nous mettre d’accord sur la conduite à tenir pour la suite ».

L’État interpellé

En plus des actions entamées dans le cercle de Bankass, l’ensemble des forces vives de la région de Bandiagara est monté au créneau dans un communiqué en date du 19 avril 2024, en dénonçant la persistance des attaques terroristes dans la région, les récents enlèvements et prises d’otages de civils au niveau de Parou  Songobia sur la RN15, le nombre croissant de déplacés dans les grandes agglomérations de la région, « l’inaction » des forces armées et de sécurité dans la région, « malgré la montée en puissance de nos vaillantes armées », et la lenteur dans le processus de dialogue avec les différents groupes armés. « Plusieurs rencontres et dénonciations ont été faites et des promesses ont été tenues par les plus hautes autorités du pays, mais le constat demeure amer », soulignent les forces vives de la région de Bandiagara.

Dans le même communiqué, transmis au Gouverneur de la région, elles demandent aux autorités de la transition d’installer un camp militaire au niveau de Parou Songobia sur la RN15, d’engager une patrouille mixte d’envergure sur tout le territoire de la région de Bandiagara, de libérer la route Koro – Ouahigouya, de diligenter les actions en vue de la libération de tous les otages et d’accélérer le processus de dialogue pour faciliter le retour des déplacés.

Enlèvements récurrents

Selon des sources locales, au moins 110 civils sont retenus en otages par des terroristes présumés suite à l’enlèvement des bus du 16 avril 2024 sur l’axe Bandiagara – Bankass. C’est la 4ème fois depuis 2021 que des enlèvements ont lieu  dans cette zone.

« Le 10 novembre 2021, 3 de nos cars ont été enlevés et jusqu’à présent les otages ne sont pas libérés, parmi lesquels un maire adjoint, un chef de village et le premier Vice-président du Conseil local de la jeunesse », raconte Mamoudou Guindo.

Pour rappel, deux ans plus tard, le 7 novembre 2023, 3 véhicules appartenant à différentes compagnies de transport avaient été également enlevés sur le même axe.  Les assaillants avaient libéré toutes les femmes à bord, avant d’amener avec eux tous les hommes. Un véhicule et ses passagers avaient été par la suite libérés sous caution. Quelques jours plus tard, un autre car avait été à nouveau intercepté au même endroit et ses passagers masculins emmenés vers une destination inconnue.

Soumaïla Lah : « Rien ne laissait présager des affrontements entre le CSP et le JNIM »

Le CSP et le JNIM se sont affrontés le 6 avril dernier à Nara, occasionnant des pertes des deux côtés. Comment comprendre cet affrontement inédit entre deux groupes que beaucoup d’experts présentaient comme alliés ? Est-ce un tournant ? Soumaïla Lah, Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la sécurité répond.

Plusieurs sources indiquent des affrontements entre le CSP et JNIM le 6 avril dernier à Nara. Comment l’interpréter ?

Ces affrontements sont difficiles à justifier quand on sait la collusion entre le CSP et le JNIM depuis la suspension par les groupes armés de leur participation à l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, sur fond de rétrocession des camps de la MINUSMA. Pour rappel, les deux entités, à plusieurs reprises, ont convergé pour s’opposer à la récupération des camps par les Famas. Pour autant, au regard de l’historique des relations entre elles, ce n’est pas la première fois que des alliances de circonstance sont nouées et dénouées selon le contexte du moment. Cependant, rien ne laissait présager ces affrontements entre le CSP et le JNIM au moment où le contexte est favorable à la logique de la continuité d’une alliance de circonstance. Des différents idéologiques ou territoriaux peuvent justifier ces affrontements. 

Alors que la collusion était avérée entre ces deux groupes, ces affrontements marquent-ils un tournant ?

Absolument, même s’il est difficile pour l’heure d’en déterminer les tenants et les aboutissants. En 2012 déjà, ce type d’alliance avait été scellé pour finalement éclater sur fond de différents idéologiques et sécuritaires irréconciliables. 

Le CSP, dont la base se trouvait au nord, notamment à Kidal, a voulu s’incruster vers Nara? Comment comprendre cette stratégie ? Pourquoi ?

Le CSP n’a plus accès à Kidal depuis un moment. Il a trouvé un point de chute aux  confins de la frontière entre le Mali et l’Algérie. Cette perte de repères, perçue comme un repli stratégique, ouvre forcément la voie à la recherche de nouvelles positions. Nara est stratégique et facilite le transit entre le Mali, la Mauritanie et l’Algérie, mais c’était sans compter sur la volonté du JNIM de ne pas laisser un mouvement, fût-il un allié de circonstance, prendre position dans une zone où il a posé ses bagages depuis un moment, sa zone de confort. 

Nara n’est pas loin de la frontière mauritanienne. Peut-on supposer que des combattants du CSP se réorganisent en Mauritanie plutôt qu’en Algérie ?

Nara constitue aujourd’hui un carrefour et le CSP est à la recherche de zones stratégiques pour se réorganiser. Cette hypothèse n’est donc pas à exclure.

Terrorisme : le JNIM multiplie les attaques dans le centre

Des terroristes du JNIM ont attaqué hier mercredi le poste FAMa de Dinangourou dans le cercle de Koro. L’armée a confirmé l’attaque ce matin mais n’a pas fourni de bilan, assurant dans son communiqué que les évaluations sont en cours. Certaines sources locales affirment qu’une dizaine de militaires ont été tués au cours de l’attaque. Le nombre de terroristes neutralisés n’est pour l’instant pas connu. Selon l’agence d’information du Burkina, les terroristes après leur attaque ont fui vers le Burkina Faso. Dans un village nommé Windeboki, ils ont marqué un temps d’arrêt, c’est là que le vecteur aérien burkinabè a procédé à des frappes toujours selon l’agence tuant plusieurs terroristes. Les rescapés sont retournés au Mali où les attendaient les vecteurs aériens des FAMa qui ont également procédé à des frappes. L’attaque du poste de Dinangourou est intervenue quelques heures seulement après l’annonce par l’armée de son entrée dans la ville d’Aguelhok. Depuis plusieurs semaines, les terroristes du JNIM multiplient les attaques contre les positions de l’armée. Le chef du groupe terroriste, Iyad Ag Ghaly, apparu pour la première fois dans une vidéo depuis deux ans, le 12 décembre dernier a annoncé une nouvelle phase dans le conflit au Sahel. Le jour de la diffusion de la vidéo, le JNIM a attaqué le camp de l’armée à Farabougou, village symbole, longtemps sous blocus terroriste. Des sources locales évoquent là aussi des victimes civiles et militaires mais dans sa communication, l’armée dit avoir mené avec succès une riposte vigoureuses qui a permis de repousser l’attaque. Toutefois, des militaires ont été fait prisonniers à la suite de cette attaque. Le groupe terroriste a diffusé le 19 décembre des vidéos de certains d’entre eux. L’armée a dénoncé un acte lâche qui a pour but de démoraliser les troupes et assure que tout sera mis en œuvre afin de permettre aux otages de recouvrer leur liberté.

Terrorisme : Iyad Ag Ghaly annonce une nouvelle phase au Sahel

Silencieux depuis août 2021, le chef du JNIM vient de réapparaitre dans une vidéo de propagande diffusée le 12 décembre 2023. Alors que la justice malienne a ouvert une enquête le visant, ainsi que d’autres chefs locaux d’Al-Qaïda et des séparatistes touaregs, le 28 novembre dernier pour « actes de terrorisme, financement du terrorisme et détention illégale d’armes de guerre », Iyad Ag Ghaly décrit un changement dans le conflit au Sahel, citant de nouvelles alliances et appelant à la mobilisation régionale. Ag Ghaly prédit également « l’échec » des gouvernements sahéliens alignés sur la Russie, semblable, selon lui, au sort de l’intervention française. Il soutient que les atrocités présumées commises par ces forces conduiront à une présence djihadiste accrue. Cette réapparition d’Iyad Ag Ghaly coïncide avec la reprise de Kidal, auparavant bastion des groupes rebelles du CSP-PSD, par l’armée malienne. Selon certains analystes, le chef du JNIM cherche à exploiter les dynamiques changeantes, les mécontentements et les réalignements géopolitiques dans le Sahel.

Alliance des États du Sahel : la pleine opérationnalisation en marche

Instituée le 16 septembre dernier par la signature de la Charte du Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans l’objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes, l’Alliance des États du Sahel (AES) vient d’amorcer à Bamako sa pleine opérationnalisation.

Un peu plus de deux mois après sa création, l’opérationnalisation de l’Alliance des États du Sahel est en marche, conformément aux dispositions de la Charte du Liptako – Gourma qui prévoyait à son article 15 qu’elle serait « complétée par des textes additionnels, en vue de la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 3 », qui lui-même stipulait que « les Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement ».

Aller vite et bien. Tel semble être le mot d’ordre des plus hautes autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la mise en place de cette nouvelle Alliance, dont la phase de concrétisation est enclenchée depuis le 23 novembre 2023, avec des concertations ministérielles à Bamako.

Accélérer l’intégration économique

Une première réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel sur le développement économique dans l’espace du Liptako-Gourma s’est tenue le 25 novembre 2023 dans la capitale malienne, réunissant les ministres chargés de l’Économie et des Finances, de l’Énergie, du Commerce et des Industries des pays membres. Cette réunion ministérielle sur les questions de développement économique visait à créer une synergie d’actions pour l’accélération du processus d’intégration économique et financière de l’Alliance.

Précédée de la rencontre des experts, les 23 et 24 novembre, qui ont échangé sur différentes thématiques telles que les échanges commerciaux, la circulation des personnes et des biens au sein de l’AES, la sécurité alimentaire et énergétique, la transformation industrielle, les potentialités et perspectives, le financement,  l’intégration économique, l’arsenal réglementaire et les réformes nécessaires, elle a accouché de plusieurs recommandations.

Celles-ci portent sur l’accélération de la mise en place de l’architecture juridico-institutionnelle et des mécanismes de financement des instances de l’AES, l’amélioration de la libre-circulation des personnes dans l’AES et le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement, en luttant notamment contre les pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES.

Les ministres ont aussi opté pour l’accélération de la mise en œuvre de projets et programmes énergétiques, agricoles, hydrauliques, de réseaux de transport routier, aérien, ferroviaire et fluvial dans les États de l’AES, la création d’une compagnie aérienne commune, le développement des aménagements hydro-agricoles d’intérêt commun, pour booster la production agricole, la construction et le renforcement des projets d’infrastructures et la mise en place d’un dispositif de sécurité alimentaire  commun aux trois États de l’AES à travers des organes dédiés.

Ils ont en outre recommandé la réalisation d’infrastructures adaptées pour le développement du cheptel et la mise en place d’abattoirs modernes pour l’exportation de la viande et des produits dérivés de l’espace AES, le développement des stocks de sécurité pour améliorer les capacités de stockage en hydrocarbures, la mise en place d’un fonds pour le financement de la recherche et des projets d’investissements énergétiques et en matière de substances énergétiques, notamment à partir de l’exploitation des ressources minières.

Parmi les autres recommandations figurent la réalisation des projets de centrales nucléaires civiles à vocation régionale, l’élaboration d’une stratégie commune d’industrialisation des pays de l’Alliance, la promotion du financement d’infrastructures communautaires par la diaspora, la mise en place d’un Comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’Union économique et monétaire, la promotion de la diversification des partenariats et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES.

Les ministres de l’Économie et des Finances des pays membres ont également décidé de la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre de toutes les recommandations issues de leur réunion. « Il y a de bonnes idées, comme le G5 Sahel. Maintenant, il s’agit de les matérialiser. C’est cette matérialisation qui pose beaucoup de problèmes. Il ne s’agit pas de se réunir ou de seulement planifier », estime Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema.

Une architecture institutionnelle en gestation

En prélude à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel qui s’est tenue le jeudi 30 novembre, toujours à Bamako, les experts des trois pays se sont réunis les 27 et 28 novembre et se sont penchés sur des propositions pour une structure institutionnelle de l’Alliance, avec les différents organes à mettre en place et l’articulation entre ces organes, à travers des mécanismes de fonctionnement et d’articulation clairement établis.

Ils ont en outre eu pour tâche de compléter la Charte du Liptako-Gourma, texte constitutif de l’AES, pour intégrer aux aspects de défense et de sécurité la dimension diplomatique et les questions relatives au développement économique de l’espace commun aux trois États. « Nous vous chargeons de nous proposer les bases pour faire de l’AES cette Alliance que nos populations attendent, cette Alliance qui leur fera sentir et vivre des conditions améliorées, en œuvrant à la paix et la stabilité ainsi qu’au développement harmonieux de nos États », a dit le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à l’ouverture des travaux.

« Nous attendons de vous des recommandations pour que le Burkina, le Mali et le Niger, liés par une histoire, une culture et des valeurs communes, mais surtout liés par une relation stratégique particulière, puissent parler d’une seule et même voix partout où cela sera nécessaire », a-t-il ajouté.

Les travaux des experts étaient organisés en différents sous-comités, dont « Diplomatie et questions institutionnelles », « Défense et Sécurité » et « Questions de développement économique ». Selon une source au ministère des Affaires étrangères du Mali, leurs recommandations, qui n’ont pas fait l’objet de communication, seront soumises à l’examen des ministres des Affaires étrangères lors de la réunion de ce jeudi, avant d’être rendues publiques à la fin de la session ministérielle.

Bras de fer en vue avec la CEDEAO ?

Le processus d’opérationnalisation de l’AES est enclenché à quelques jours de la tenue du prochain sommet ordinaire de la CEDEAO, avec laquelle sont en froid les 3 pays membres de l’Alliance. D’ailleurs, l’AES, née dans un contexte où l’institution sous-régionale ouest africaine brandissait la menace d’une intervention militaire au Niger pour réinstaller le Président déchu Mohamed Bazoum, s’apparente pour certains observateurs à une organisation « rivale » de celle-ci.

« L’alliance des États du Sahel est en train de prendre une autre forme, qui peut peut-être sembler être une substitution à la CEDEAO ou une alliance qui accepte ceux qui ne sont pas forcément en ligne droite avec les principes démocratiques. Cela me semble très circonstanciel », glisse le politologue Cheik Oumar Doumbia.

Selon nos informations, au cours du sommet de la CEDEAO prévue le 10 décembre prochain à Abuja, au Nigéria, les Chefs d’États vont à nouveau se pencher sur la situation dans les pays en transition et exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans les délais convenus. Les sanctions contre le Niger pourraient être maintenues et le Mali pourrait en subir de nouvelles, suite au report sine die en septembre dernier de l’élection présidentielle, initialement prévue pour février 2024.

Mais, selon certains observateurs, l’opérationnalisation enclenchée de l’AES pourrait contribuer à freiner les ardeurs des Chefs d’États de la CEDEAO dans la prise de sanctions contre les trois pays de l’Alliance, qui pourraient alors claquer la porte de l’organisation sous-régionale.

« Un éventuel éloignement de l’Alliance des États du Sahel pourrait remettre en question la cohésion et la solidarité au sein de la CEDEAO. Ces trois pays sont géographiquement situés en plein cœur de la région et leur intégration est essentielle pour la mise en œuvre des projets régionaux, tels que les infrastructures de transport et le commerce transfrontalier. Leur départ pourrait donc ralentir ou compromettre ces projets », avertit un analyste.

JNIM : le groupe terroriste veut-il couper le nord du reste du pays ?

Le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM, acronyme arabe) cible de plus en plus les différents moyens de transport, laissant penser à la mise en œuvre d’une stratégie visant à couper le nord du reste du pays.

En se prenant au bateau « Tombouctou » le 7 septembre et à l’aéroport de Tombouctou 4 jours plus tard, le JNIM semble être dans une stratégie globale d’isolement des régions du nord du reste du pays.  

« L’objectif est clairement de couper le nord du pays. Je pense que contrairement à 2012, où ils ont massivement et brutalement occupé les régions du nord jusqu’à Konna, cette fois-ci ils sont en train de reconquérir les mêmes zones, avec beaucoup plus de subtilité », estime le journaliste Tiégoum Boubèye Maiga.

« Le blocus au niveau de Léré, qui va jusqu’à Nampala en passant par Konna et Douentza, signifie, qu’on le veuille ou non, que le Mali est coupé est deux. Le bateau était le seul moyen ces derniers temps, les routes sont coupées et maintenant les avions sont menacés. Cela veut dire que quelque part aujourd’hui la mobilité est inexistante », poursuit-il.

L’analyste politique et sécuritaire Soumaila Lah est du même avis. « Il y a le nord aujourd’hui qui est au centre de toutes les préoccupations. Je pense que le fait de s’attaquer à ces moyens de transport dénote de la volonté du JNIM de s’affirmer d’une part et d’envoyer un message clair à Bamako de l’autre, pour dire qu’ils ont toujours une certaine préséance et qu’ils se battront jusqu’au bout », analyse-t-il.

Ces attaques surviennent par ailleurs dans un contexte où le groupe d’Iyad Ag Ghaly a placé la ville de Tombouctou sous blocus depuis quelques semaines, arrêtant les approvisionnements de l’extérieur, en provenance notamment de l’Algérie et de la Mauritanie.  

Dans cette stratégie, le JNIM a visiblement un allié de taille, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), déterminée de son côté à ne pas céder les zones sous son contrôle à l’armée malienne, qui est en train de reprendre toutes les emprises de la MINUSMA.

Pour M. Lah, la collusion entre la CMA et le JNIM dans les attaques récentes est avérée. « Ce n’est pas un fait nouveau. En 2012 il y avait déjà cela. Je pense que le fait d’être aujourd’hui en position de faiblesse oblige ces organisations à cheminer ensemble pour éventuellement prendre le pas sur les FAMa », souligne le Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité.

Sécurité : la guerre entre dans une nouvelle phase

La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre, avec la multiplication des attaques terroristes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils. Par ailleurs, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de son côté, est déterminée à garder les zones sous son contrôle.

49 civils et 15 militaires tués, des blessés et des dégâts matériels. C’est le bilan provisoire donné par le gouvernement de la double attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) le 7 septembre 2023, contre le bateau « Tombouctou » reliant Gao à Mopti et la base militaire des FAMa à Bamba, dans la région de Gao.

407 rescapés de cette attaque sont arrivés le jour suivant à Gourma-Rharous, où dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils appelaient les autorités de la Transition à l’aide. « Tous mes enfants sont morts, ma famille entière, il ne me reste plus que mon petit-fils, que vous voyez avec moi », se lamente un vieil homme devant un groupe de rescapés qui scande : « nous voulons quitter ici ». « Nous avons perdu beaucoup de personnes, des enfants tout comme des adultes et des personnes âgées. Nous sommes fatigués. Nous n’avons ni à manger ni à boire, nous avons tout perdu dans cette tragédie. Nous voulons rentrer chez nous », confie, très remontée, une femme. Ce sont les affres, les dernières d’une guerre qui s’étend et devient de plus en plus meurtrière.

Le 8 septembre, au lendemain de cette double attaque, le camp militaire de Gao a été à son tour la cible d’une attaque terroriste faisant une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes, suivie 3 jours après, le 11 septembre, de tirs d’obus à l’aéroport de Tombouctou occasionnant des dégâts matériels dans le camp de la MINUSMA s’y trouvant.

Guerre ouverte

Au même moment où les attaques du JNIM se multiplient, la CMA, de son côté, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays. Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, « tout en désignant la junte au pouvoir à Bamako comme seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu », déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».

« Le CSP-PSD appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les assure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces », poursuit le communiqué, signé du Président Alghabass Ag Intalla. Mais le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger s’en sont désolidarisés pour n’avoir pas été associé à la rédaction de la déclaration.

Le 11 septembre, dans une « communication en temps de guerre », la cellule d’information et de communication des affaires militaires de l’Azawad, créée quelques jours plus tôt, demandait « à tous les habitants de l’Azawad de se rendre sur le terrain pour contribuer à l’effort de guerre dans le but de défendre et protéger la patrie et ainsi reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national azawadien ». Pour concrétiser ses menaces, la CMA est passé à l’acte le 12 septembre en s’attaquant à une position de l’armée malienne à Bourem, dans la région de Gao. Selon certaines sources, le dispositif de l’armée malienne qui doit reprendre les camps de la MINUSMA dans la région de Kidal est stationné dans cette zone. Les combats violents ont duré plusieurs heures et la CMA s’est repliée suite à l’intervention des vecteurs aériens de l’armée, qui ont effectué de nombreuses frappes. L’État-major général des armées, qui n’évoque pas la CMA dans son communiqué, parle « d’une attaque complexe aux véhicules piégés de plusieurs terroristes à bord de plusieurs véhicules et motos ». Bilan, « 10 morts et 13 blessés dans les rangs des FAMa et 46 terroristes neutralisés, plus de 20 pickups détruits, y compris ceux équipés d’armes ». Signe que la collusion réelle entre la CMA et le JNIM, comme ce fut le cas en 2012, est désormais bien intégrée dans la communication de l’armée. Ces affrontements directs entre les deux principaux protagonistes signent aussi la « mort cérébrale » de l’Accord pour la paix signé en 2015, du moins en l’état, à moins que la communauté internationale, en l’occurrence l’Algérie, chef de file de la médiation, jusqu’alors silencieuse, ne tente de faire rasseoir les parties autour de la table.

Nouveau tournant

En attendant, pour l’analyste politique et sécuritaire Moussa Djombana, la montée des tensions dans le nord s’explique par une combinaison de facteurs, notamment la volonté d’occupation de l’espace laissé par le départ progressif de la MINUSMA et le renforcement des capacités militaires des FAMa, qui envisagent des offensives, y compris dans les zones couvertes par le cessez-le-feu de 2014. « Cela a provoqué la colère de la CMA, qui interprète cela comme une violation du cessez-le-feu et une agression », souligne-t-il.

La reprise des hostilités, qui semblait inévitable entre les deux camps, fait basculer la situation sécuritaire dans le pays dans une nouvelle phase depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation en 2015.

À en croire M. Djombana, elle risque de se détériorer davantage par la suite. « Pour les autorités maliennes, les opérations visent les groupes armés terroristes, pas la CMA. Cependant, pour la CMA, la violation du cessez-le-feu de 2014 et la caducité de l’Accord pour la paix sont une réalité depuis quelque temps. Les FAMa ont pris Ber grâce à une opération militaire d’envergure, un bastion de la CMA depuis 2012, ce qui augmente la probabilité de nouveaux affrontements », analyse-t-il.

Même son de cloche chez le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna. « On sait qu’aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l’armée s’installer confortablement dans certaines zones qu’ils prétendent être leurs fiefs. Ber était l’une d’elles. Aujourd’hui, l’armée est aussi déterminée à occuper Aguelhok, Tessalit et plus tard Kidal. S’il n’y a donc pas de négociations, il est fort probable que des affrontements aient lieu », avance-t-il.

Pour Dr. Koïna, la position et la posture actuelle des groupes armés s’expliquent par le fait que la MINUSMA étant en train de partir, « ils essayent d’occuper le plus tôt possible le terrain et d’harceler l’armée avant qu’elle ne puisse se positionner. Pour y parvenir, il est important pour ces groupes armés et terroristes de terroriser la population et de faire peur à l’armée ». « La CMA a tout à perdre si l’armée malienne récupère Kidal. Il est tout à fait normal qu’elle essaye de tout faire pour rester sur ses positions », glisse-t-il.

Gao : attaque terroriste contre le camp des FAMa

Seulement 24 heures après la double attaque terroriste contre le bateau Tombouctou de la compagnie malienne de navigation fluviale (COMANAF) et le poste de Bamba, ayant entraîné la mort de 49 civils et de 15 militaires, les groupes armés terroristes ont encore mené une attaque complexe contre le camp militaire à Gao. L’armée a annoncé l’attaque ce matin dans une publication précisant que la riposte et l’évaluation étaient en cours.

Une source sur place jointe par au téléphone affirme que les dégâts causés par les explosions étaient majeurs mais ne peut dire avec exactitude le nombre de décès, car difficile d’avoir accès à la zone aéroportuaire qui est quadrillée par les forces de défense.  D’après lui, ce sont trois véhicules kamikazes qui ont attaqué le camp Fihroun de Gao alors que d’autres sources évoquent plutôt deux voitures. Des terroristes auraient réussi à s’infiltrer dans le camp, et durant l’après-midi, trois d’entre eux auraient été neutralisés. L’aviation malienne a mené des frappes sur des véhicules suspects aux alentours du camp. Des proches de Fahad Ag almahmoud, leader déchu de la plateforme ont annoncé que deux de leurs véhicules ont été détruits.

Ces attaques surviennent dans un contexte de pression grandissante de groupes armés dans le nord du pays, faisant redouter une éruption de violence. Les tensions mettent aussi en péril la survie de l’accord d’Alger, signé en 2015 par l’État malien et les groupes armés du nord, visant à mettre fin aux hostilités ouvertes trois ans plus tôt.

Tombouctou : insécurité grandissante dans la région

Voilà bientôt un mois que l’insécurité croît dans la 6ème région administrative du Mali. Des attaques à répétition et un blocus visant les populations font vivre à Tombouctou des heures difficiles.

S’il fallait un énième incident sécuritaire sur les voies menant à Tombouctou pour prendre au sérieux la volonté des terroristes d’isoler la ville, il a eu lieu. Dans la nuit du 1er au 2 septembre dernier, le Fihroun Ag Alinsar, l’un des bateaux express de transport de passagers de la Compagnie malienne de navigation fluviale (COMANAF), a été victime d’une attaque dans le cercle de Youwarou alors qu’il venait de Mopti pour rejoindre la ville de Kabara, près de Tombouctou. L’attaque, perpétrée à l’arme lourde, a causé la mort d’un enfant de 12 ans et fait plusieurs blessés et des dégâts matériels.

La Cité des 333 Saints est depuis quelques semaines soumise à une pression de la part des Groupes armées terroristes (GAT), notamment le JNIM, qui, selon des sources locales, imposent un blocus à la ville depuis trois semaines.

« Tombouctou est bien sous blocus depuis mi-août. Les denrées de première nécessité n’entrent plus depuis maintenant deux semaines », assène Mohamed Ag Alher Dida, journaliste-blogueur local. « Ça a commencé d’abord par des menaces, à travers des messages vocaux, qui n’ont pas été prises au sérieux au début. Mais nous qui avons vécu la crise ici savons que les terroristes mettent généralement leurs menaces à exécution. Aujourd’hui, Tombouctou est prise en étau, de telle sorte que la ville ne se ravitaille plus via les zones frontalières vers l’Algérie et la Mauritanie. Les voies sont carrément bloquées », ajoute-t-il.

Les camions en provenance des pays frontaliers, mais aussi des voies routières passant par Bambara Maoudé ou Soumpi, qui ravitaillent la ville sont bloqués en pleine brousse ou même incendiés. Le 27 août dernier, l’un d’eux a été calciné en plein jour par des hommes armés à quelques dizaines de kilomètres du quartier d’Albaradjou. Depuis, ils sont nombreux à stationner dans les rues de Tombouctou, comme en attestent des images authentifiées qui ont largement circulé sur les réseaux sociaux le 2 septembre dernier. Sous blocus, la Ville mystérieuse est également prise pour cible. Le JNIM a revendiqué le 30 août dernier des tirs d’obus visant la zone aéroportuaire de la localité. Quelques jours après, le samedi 2 septembre, c’est le cœur de Tombouctou qui a subi les affres du terrorisme. Des obus lancés en pleine ville par les GAT ont fait un mort. « Certains disent qu’il n’y a pas de blocus sur Tombouctou, mais nous, qui vivons dans la ville, savons quelle réalité nous vivons. Les GAT trompent souvent la vigilance des gens. Pendant une à deux semaines ils ne font rien, mais après ils reprennent leurs attaques », explique une source locale, selon laquelle la situation s’est fortement dégradée suite à l’entrée récente des FAMa à Ber.

Face à la situation « dangereuse », les ressortissants de la région se mobilisent. Outre les dénonciations sur les réseaux sociaux, des rencontres « pour trouver une solution » sont en cours sur place et également à Bamako.

Le lundi 9 septembre 2023, l’Association des ressortissants pour le développement du cercle de Tombouctou (ARDCT) et l’ensemble des Présidents des associations de ressortissants des cercles de Diré, Goundam, Niafunké et Gourma-Rharous, avec plusieurs leaders communautaires, ont rencontré le Premier Ministre, Choguel Kokalla Maïga autour de la situation de Tombouctou. Les organisations locales réclament, entre autres, « la pleine implication des structures et des acteurs locaux dans la recherche de toutes les solutions idoines à la situation actuelle que vit la région, le ravitaillement normal des populations en denrées alimentaires et en produits pharmaceutiques, le plein soutien à la COMANAF et à SKY-Mali, en vue de leur permettre d’assurer le transport des personnes et des biens en toute sécurité, et la sécurisation des axes routiers en renforçant le dispositif sécuritaire en place ».

Enlèvements : comment se déroulent les négociations ?

Qu’ils soient Occidentaux ou Africains, les otages des groupes terroristes au Sahel sont rarement libérés sans contreparties. Avant d’aboutir aux libérations, des négociations sont menées. Parfois longues et à rebondissements, elles sont conduites dans une grande discrétion.

Dès la prise d’otages, une première revendication est généralement faite par le groupe qui détient les captifs. « Une  vidéo dans laquelle l’otage s’exprime et qui fait en même temps office de preuve de vie », explique une source proche des négociations avec le JNIM.

À l’en croire, à partir de ce moment, le pays d’où est originaire l’otage cherche un médiateur. Ce dernier se dirige ensuite vers les ravisseurs. « Cela peut être aussi des coups de téléphone, mais c’est plutôt rare, parce que tout le monde écoute tout le monde dans la zone », nous glisse-t-elle.

Les ravisseurs posent ensuite leurs conditions au médiateur, qui  rend compte à son tour à un représentant des pays concernés ou à un diplomate. Les services de renseignement de certains pays sont généralement impliqués, selon notre source.

Le médiateur repart à nouveau vers les ravisseurs, avec une réponse qui est souvent la demande d’une preuve de vie particulière des otages, à travers des questions intimes auxquelles seuls ces derniers peuvent répondre. « Par exemple, la date de son mariage, ou celle de la naissance de son premier fils ». Il revient vers ses employeurs avec les réponses et repart avec de nouvelles questions.

« Cela peut prendre des semaines, voire des mois. Généralement ça bloque sur deux choses. Le montant, parce qu’il n’y a pas de prix fixe. On fait monter les enchères. Ensuite, comme preuve de bonne foi, on peut amener des médicaments à l’otage jusqu’à sa libération ».

Une fois que les deux parties tombent d’accord, le processus de libération est enclenché. Un dispositif de sécurité est mis en place pour s’assurer que toutes les conditions sont réunies. Selon notre interlocuteur, tout est calibré. « Les djihadistes ont le temps de compter l’argent et de se mettre en sécurité et l’otage repart avec le médiateur ou l’intermédiaire ».

Dans la plupart des cas, les otages sont très peu tenus au courant de l’évolution des négociations. Olivier Dubois, otage français libéré des mains du JNIM en mars dernier après près de 2 ans de captivité, assurait dans la longue interview qu’il nous a accordée ensuite qu’il était maintenu dans le flou.

« Seul moment où je comprends qu’il y a des négociations, c’est en novembre 2021. Parce qu’ils viennent me voir pour tourner une vidéo preuve de vie. On me dit qu’ils sont en train de discuter avec les Français et que ces derniers demandent cette vidéo. Mais je n’étais pas tenu au courant de ce qui se passait ».

JNIM : le lucratif business des enlèvements

Même s’il n’en détient pas le monopole, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a érigé au fil des années les enlèvements au Sahel en modus operandi. Depuis que sa rivalité s’est accentuée, à partir de février 2020, avec l’EIGS (État islamique au grand Sahara), le groupe d’Iyad Ag Ghaly a multiplié les rapts. Expatriés européens, nationaux de divers profils, la liste des otages passés, ou qui sont encore dans les mains du JNIM au Mali, est longue. Que tire ce groupe terroriste de ces enlèvements ?

Officiellement, pour la libération le 20 mars 2023 de l’ex-dernier otage français dans le monde, Olivier Dubois, détenu pendant près de deux ans par le JNIM, et de l’humanitaire américain Jeffrey Woodke, enlevé au Niger en 2016, les autorités françaises et américaines sont catégoriques : aucune rançon n’a été versée et aucune libération de prisonniers n’a servi de monnaie d’échange.

Mais difficile de s’en tenir à ces versions quand on sait que dans la plupart des enlèvements d’Occidentaux en Afrique, la libération n’intervient qu’après des paiements de rançons et/ou la remise en liberté de terroristes prisonniers. À en croire certaines sources issues du renseignement malien et relayées par des médias locaux, au moins quelques millions d’euros auraient été versés pour obtenir la libération des deux ex-otages.

L’ancien Président François Hollande reconnaissait en 2016  que des rançons avaient été payées pour certains Français retenus en captivité, en l’occurrence les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, enlevés en Afghanistan en 2009 et libérés en 2011, et  Florence Aubenas, enlevée en 2005 en Irak puis libérée quelques mois après.

Comme pour Olivier Dubois, près de 3 ans plus tôt, Paris a toujours démenti avoir payé, en plus d’échange de prisonniers,  pour la libération de Sophie Pétronin, autre otage française longtemps détenue au Mali et libérée en octobre 2020 en même temps que l’ancien Chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et 2 Italiens, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli.

Dans la foulée, sur RFI, Ahmada Ag Bibi, ancien membre d’un groupe djihadiste qui sert quelquefois d’intermédiaire lors des négociations, affirmait que 2 millions d’euros avaient été versés comme rançon au JNIM  pour l’ancien Président de l’URD, décédé depuis.

De l’argent et des concessions

La manne financière que le JNIM et les groupes terroristes tirent des enlèvements est très importante. Une source spécialiste de ces mouvements djihadistes l’estime à « 40 à 50 milliards de francs CFA perçus de 2003 à aujourd’hui ». « La prise d’otages européens  a fait des djihadistes au Sahel des milliardaires en francs CFA, cela ne fait aucun doute », avance cette source, qui a requis l’anonymat. De son point de vue, c’est d’ailleurs pour cette raison que les Occidentaux, et plus particulièrement les Européens, sont les cibles privilégiées du JNIM, parce que les pays d’où ces derniers sont originaires entament vite des négociations pour obtenir leur libération.

« Lorsqu’ils prennent des Européens et des Africains, ils libèrent plus rapidement les Africains pour deux raisons. D’abord, parce que ces derniers n’ont pas de valeur marchande, leurs États n’ont pas d’argent pour payer. Ensuite parce qu’ils font attention à ne pas enlever des locaux dans les zones qu’ils occupent. Cela pourrait amener des relations difficiles entre eux et les autochtones », explique notre source.

En dehors de l’argent qu’il perçoit à travers les rapts, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaeda, tire d’autres avantages. « Les enlèvements rapportent soit de l’argent, soit une occasion de négocier pour aboutir à des concessions ou obtenir des accords. Souvent, ils enlèvent des chefs de villages pour faire un forcing afin d’obtenir un accord local ou un avantage quelconque », affirme un ex-otage malien.

« Dans le centre du Mali, quand le JNIM enlève des personnalités locales, politiques ou influentes dans un village ou dans une ville, il négocie des concessions qui peuvent être endogènes. Si, par exemple, on les empêche de se ravitailler en carburant dans un village qui fait de l’autodéfense, s’ils y enlèvent quelqu’un ils poussent les pions pour qu’on leur ouvre la route, qu’ils puissent quelquefois venir à la foire se ravitailler en denrées, acheter des engins ou vendre leur bétail », confie celui qui a passé deux mois au centre du Mali en 2018 dans les mains d’un groupe affilié au JNIM.

Selon lui, d’autres profils en dehors des Occidentaux intéressent le groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Administrateurs civils, militaires, politiques ou encore journalistes, « dès  qu’ils jugent pouvoir tirer contrepartie d’une cible, ils n’hésitent pas ». Dans plusieurs cas, les libérations d’otages interviennent aussi après celle de prisonniers, de certaines voies ou encore l’obtention d’une garantie de non coopération avec l’armée de la part des populations.

Manque de ressources ?

C’est inédit. Quatre vidéos de revendication d’otages enregistrées et diffusées sur les réseaux sociaux en l’espace de quelques jours (entre le 28 et le 30 mai 2023). Jamais le JNIM n’avait autant « exhibé » ses captifs dans un délai aussi court. Comme à l’accoutumée dans ce genre de vidéos, le message de fond reste le même. Les otages, 1 Sud-africain et 3 Maliens, appellent les autorités de leurs pays et leurs familles à négocier leur libération.

Dans deux vidéos enregistrées le 26 mai et diffusées deux jours plus tard, le Sud-africain Gert Jacobus van Deventer, 48 ans, demande d’urgence de l’aide ou toute forme d’assistance pour faciliter ou activer toute action qui puisse conduire à sa libération.

Pour sa part Abdou Maïga, ancien député, et proche du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga selon certaines sources, appelle également le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, et le Chef du gouvernement à tout faire pour négocier sa libération, affirmant souffrir de glaucome, de diabète et de tension.

« J’ai été arrêté par les djihadistes le 18 mars 2023 entre Koala et Nara et actuellement je suis en vie. J’étais blessé le jour où l’on m’a arrêté. Actuellement, je suis en bonne santé. Je veux que le gouvernement m’aide pour que je rentre à la maison », implore de son côté, dans une autre vidéo enregistrée le 28 mai, le Caporal Oumar Diakité, élément du 34ème Bataillon du Génie militaire.

Tout comme lui, le même jour, Abdoulaye Kanté, garde forestier enlevé fin mars dans un poste à Kita, demande dans une autre vidéo de l’aide des autorités, à ses collègues et à sa famille pour recouvrer la liberté.

La nouvelle méthode employée par le JNIM, d’autant plus avec des otages relativement peu connus, suscite des interrogations. Le groupe est-il en manque de ressources financières et est-il en train d’activer des leviers de négociations pour le combler ? Est-il en train d’expérimenter une nouvelle stratégie ? Pour l’analyste sécuritaire, spécialiste des groupes djihadistes du centre et du nord du Mali, Yida Diall, la réponse à ces deux interrogations est négative.

« Pour moi, ces vidéos ne sont  pas pour chercher de l’argent, parce que en général les otages africains ne sont pas susceptibles de faire gagner beaucoup aux terroristes. Je pense qu’ils sont en train de le faire pour un autre motif, un échange de prisonniers. Ces derniers mois, ils ont eu certains lieutenants importants arrêtés, certains, pendant que Barkhane était encore là et d’autres avec la montée en puissance de l’armée ».

Quelques otages occidentaux, dont la « valeur marchande » est réputée plus grande, sont toujours aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Parmi eux, entre autres, le quadragénaire roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso puis transféré vers le Mali, et trois Italiens, Rocco Antonio Langone et Maria Donata Caivano, 64 et 62 ans, et leur fils Giovanni, 43 ans, capturés au Mali  le 19 mai 2022.

Olivier Dubois : 20 mois de captivité

Aujourd’hui, jeudi 8 décembre 2022, cela fait vingt mois que le journaliste français, Olivier Dubois, est retenu par un groupe terroriste après avoir été enlevé à Gao le 8 avril 2021. Depuis son enlèvement il y a 609 jours, Olivier Dubois est apparu dans deux vidéos diffusées par ses ravisseurs, dans lesquelles il explique lui-même être détenu par le Jnim. Les autorités maliennes et françaises ont indiqué à plusieurs reprises être pleinement mobilisées pour sa libération, tout en rappelant la nécessité d’une grande discrétion sur les actions pouvant être entreprises. Pour les 18 mois de son enlèvement, le 8 octobre, quarante rédacteurs en chef des principaux médias français ont signé un appel à ne pas l’oublier, ont demandé aux autorités françaises de poursuivre et surtout d’intensifier leurs efforts pour le libérer. D’autres journalistes sont également retenus en otage depuis plusieurs mois, notamment Moussa Dicko et Hamadoun Nialibouly dont les familles n’ont plus de nouvelles.

 

 

Zone des trois frontières : insécurité grandissante

Entre les affrontements des groupes armés et la multiplication d’actes de banditisme, les régions de Gao et de Ménaka, dans le nord du pays, font face depuis un moment à une situation sécuritaire précaire. Si les attaques terroristes d’envergure y surviennent moins ces dernières semaines, les populations de cette partie du territoire national sont de plus en plus livrées à une insécurité grandissante.

Enlèvements, assassinats ciblés, braquages. Cela sonne comme du déjà entendu à Gao. La région croule sous le poids de l’insécurité, qui va grandissant ces dernières semaines. « Sur la route Gao – Ansongo, ce sont des braquages à n’en pas finir. C’est pareil sur la route Gao – Bourem. Dans la ville, ce sont aussi les braquages, les assassinats, les enlèvements qui se multiplient. À part la commune urbaine de Gao, aucune localité n’est en sécurité. Tout le monde peut se faire tuer ou enlever à tout moment sans qu’il n’y ait de représailles contre l’ennemi », se désole Abdoul Karim Samba, Président de la Coalition des anciens des mouvements et organisations de la résistance civile de Gao (CAMORC Gao).

Sombre atmosphère

Le 1er novembre 2022, des hommes armés à moto ont attaqué un car de transport en commun. Bilan : 3 morts, dont un enfant de 5 ans victime d’une balle perdue. Le jour suivant, sur le même tronçon Gao – Ansongo,  tous les cars à destination d’Ansongo et du  Niger ont été pris pour cibles et les passagers dépouillés de leurs biens.

Six  jours plus tard, un conducteur de moto tricycle revenant du travail a reçu une balle à l’épaule et a été dépossédé de son engin par des individus armés. Quelques jours plus tôt, le chef du village de Bara, enlevé, avait été exécuté après que les ravisseurs aient demandé une rançon de 25 millions de francs CFA et fixé une date pour que cette somme soit mobilisée. La famille avait juste quelques heures de retard, à en croire M. Samba.

« Les gens dorment avec beaucoup d’inquiétude. Même chez vous, quel que soit le lieu où vous  êtes, même dans votre chambre, on peut venir vous trouver, prendre vos biens et vous tuer », dépeint-il, assurant que même le bétail n’est pas épargné. « Tout le bétail aujourd’hui sur les tronçons Gao – Ansongo et Gao – Bourem a été enlevé par des hommes armés, vers des destinations inconnues ».

Selon Abdoul Idrissa de « Kala A Ma Harandi », un collectif de journalistes-militants de la région de Gao, la raison principale de cette insécurité est tout simplement l’absence de l’État. « Les forces armées et de sécurité sont campées uniquement dans les grandes villes, à Gao, Ansongo, Labbezanga. Quand vous quittez Gao, à partir du checkpoint c’est fini, c’est le no man’s land jusqu’à Ansongo. L’État ne parvient pas jusqu’à présent à occuper tout le territoire, à part les grandes agglomérations », regrette-t-il.

Face à cette situation « d’inquiétude et d’incertitude », des organisations de la société civile de la région de Gao ont formulé le 18 octobre dernier des recommandations à l’endroit du Président de la transition, le Colonel Assimi Goita, et aux autorités régionales. Parmi lesquelles, entre autres, l’interdiction de la circulation d’armes et de tous les véhicules non immatriculés et non identifiés dans la ville de Gao, le contrôle systématique des conducteurs de tous les motos de type 125 cylindres et la réinstallation des checkpoints sur les grandes artères des villes.

Pour protester contre « la montée en puissance de l’insécurité dans le cercle d’Ansongo, les attaques régulières de l’État Islamique au Grand Sahara contre les populations civiles sans défense, les attaques à main armée, les assassinats ciblés, les braquages sur les axes routiers et les enlèvements de personnes et bétails », le Comité local de la société civile d’Ansongo, dans la région de Gao, a appelé à une désobéissance civile de  48 heures les 8 et 9 novembre, fermant les services étatiques, les structures de l’éducation et les trois entrées et sorties de la ville d’Ansongo, les routes menant vers  Ménaka, Gao et Niamey.

Aux mêmes dates, les Coordinations régionales de Gao des centrales syndicales UNTM, CSTM et CDTM ont décidé d’un arrêt de travail de 48 heures dans la région, durant lesquels tous les services publics et privés ainsi que les écoles ont été fermés.

Réponses insuffisantes

Pour faire face à l’insécurité dans la région de Gao, les autorités prennent des mesures, même si l’entièreté des recommandations de la société civile issues de la Déclaration dite de Gao du 18 octobre 2022 n’est pas encore effective.

Le 29 octobre dernier, une patrouille mixte d’envergure, dénommée «Dougoubasigui», regroupant au total 2 018 éléments des Forces de défense et de sécurité issues de l’Armée de terre, de la Garde nationale, de la Gendarmerie, de la Police et de la Protection civile a été lancée à Gao. Les checkpoints ont été également multipliés dans la ville. Bilan, pendant ces jours plusieurs véhicules non identifiés et des armes de guerre ont été saisis.

Abdoul Karim Samba fait partie des auteurs de la « Déclaration de Gao ». Il salue cette patrouille mixte d’envergure, qui « a donné des résultats et continue d’en donner », mais estime « qu’il reste encore beaucoup à faire ».

« Les malfaiteurs ont tellement gagné de terrain et ont tellement de stratégies que quelle que soit la réponse mise en place pour les contrecarrer ils trouveront d’autres manières de mener d’autres actions, plus isolées. Ce qui fait que la panique et le désordre continuent à faire effet sur les populations », souligne-t-il.

Pour le Colonel Souleymane Dembélé, Dhef de la Direction de l’information et des relations publiques des armées (DIRPA), parler de sécurité à Gao est « un peu compliqué ». « Ce n’est pas du terrorisme. Les individus se cachent derrière le terrorisme pour s’adonner à des actes de banditisme. C’est un peu délicat », confie-t-il, appelant les populations à coopérer avec les forces de défense et de sécurité.

« L’armée ne peut pas arriver à bout de cette insécurité sans la population. On pense que la sécurité est du seul ressort des forces de défense. C’est vrai, nous, nous venons en appui, mais la sécurité commence par les individus d’abord. L’armée ne peut pas faire du porte-à-porte », poursuit le chef de la Dirpa.

Mais, vu sous cet angle, Abdoul Karim Samba souligne la complexité, voire l’impossibilité, pour les populations de la région de Gao de signaler les hommes armés aux forces de défense et de sécurité. « Les populations ont peur. Aujourd’hui, par exemple, si quelqu’un est enlevé, sa famille engage des pourparlers avec ses ravisseurs sans passer par l’État. L’État aussi ne s’intéresse pas à cela. La famille mobilise le montant réclamé par les bandits et la personne est relâchée avec pour condition que cette dernière ne parle pas. Donc la personne libérée se tait et ne peut rien dire », explique-t-il, dénonçant des « complicités internes avec les ravisseurs qui savent qui enlever pour avoir gain de cause ».

« Nous sommes dans une situation de sauve-qui-peut. L’information ne peut plus remonter au niveau des forces de défense et de sécurité. La personne qui va remonter l’information ne va pas se sentir en sécurité. Du coup, même si elle voit le danger qui guette, elle ne peut pas parler et préfère se taire. D’un autre côté, la confiance n’existe plus au sein de la population, chacun ne sait plus qui est qui », dit-il.

Affrontements de groupes armés

Si l’insécurité dans la région de Gao est caractérisée par des actes de banditisme sans attaques terroristes d’envergure ces dernières semaines, la zone est aussi en proie à des affrontements entre groupes terroristes et groupes armés défendant la région.

Le 31 octobre dernier, selon la Plateforme des Mouvements du 14 juin d’Alger, « des éléments lourdement armés de Daech ont fait irruption dans le campement d’Ahina, dans la commune d’Anchwadj (région de Gao) ». « Une unité du Groupe d’Autodéfense Touareg, Imghads et Alliés (GATIA), qui patrouillait dans la zone, aussitôt informée, a lancé une offensive sur les assaillants. Après d’intenses combats, qui ont duré plusieurs heures, les malfrats ont été défaits avec une quinzaine de morts dans leurs rangs », a indiqué son communiqué, qui déplorait également la mort de 9 de ses combattants et de 4 civils lors de ces affrontements.

Dans la région voisine de Ménaka, les mêmes affrontements sévissent depuis le mois de mars et se sont intensifiés début octobre, pendant plusieurs jours, après des semaines d’une relative accalmie. Dans des communiqués de revendication authentifiés par le site spécialisé américain SITE, l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) a indiqué avoir tué 40 combattants du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), tandis que ce dernier, qui reconnait avoir perdu une trentaine d’hommes, a affirmé avoir tué 70 hommes de l’EIGS.

L’offensive de l’EIGS, qui n’épargne pas les civils de plusieurs villages de la région de Ménaka a occasionné des déplacements massifs des populations vers les villes de Ménaka, de Gao ou encore de Niamey, au Niger. Des déplacements dans lesquels Abdoul Karim Samba soupçonne des « infiltrations d’individus mal intentionnés, parce que depuis l’insécurité a augmenté à Gao », accuse-t-il.

Ménaka: pourquoi l’EIGS et le GSIM convoitent la région ?

La région de Ménaka est le théâtre d’affrontements, depuis le mois de mars, entre deux nébuleuses terroristes, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), branche sahélienne du groupe État Islamique, et le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaeda. Les combats ont repris ces derniers jours, avec, selon nos informations, des victimes dans les deux camps. Pourquoi cette région est-elle autant convoitée par les deux groupes rivaux ?

« Des affrontements entre Jnim et Daech signalés cet après-midi au sud-ouest d’Insinsnane », a alerté sur Twitter le 29 octobre Fahad Ag Almahmoud du Groupe d’auto-défense Touareg, Imghad et alliés (Gatia), Président de la plateforme du 14 juin 2014 d’Alger.

À l’en croire, ces affrontements entre les deux organisations, qui « restent extrêmement puissantes sur le terrain et ont reçu des renforts de partout », ont tourné en faveur du GSIM, qui a fait son entrée à Anderamboukane le 30 octobre, alors que les renforts de Daech s’étaient regroupés à Tadjalalte, 30 km à l’ouest.

Zone « libre »

Pour Abdoul Nasir Idrissa de « Kala A Ma Harandi », un collectif de journalistes-militants de la région de Gao, observateur de l’évolution depuis plusieurs mois des conflits entre les deux groupes terroristes dans la zone, les affrontements s’inscrivent une logique de de positionnement. « Chacun des deux groupes veut avoir la mainmise sur Anderamboukane, ce qui fait une entrée directe sur le Niger », soutient celui qui pense que l’intérêt et la convoitise de la région de Ménaka sont dus à la libre circulation qu’elle offre.

« La zone de Ménaka est une zone carrefour, où l’on peut facilement se cacher dans des forêts. À partir de Ménaka, vous avez une ouverture sur Kidal, jusqu’à l’Algérie et également sur le Niger. La zone de Talataye, dans le cercle d’Ansongo, jusqu’à Anderamboukane, est également une zone où l’on peut circuler librement. L’espace est vide, sans présence militaire », explique-t-il.

Assurer l’autofinancement

Dr. Aly Tounkara, Directeur du Centre d’études stratégiques et sécuritaires au Sahel (CE3S) pense pour sa part que la recrudescence des conflits dans la région de Ménaka est en partie due aux mésententes entre groupes armés dans la zone. « Les groupes armés eux-mêmes, qu’ils soient signataires de l’Accord pour la paix ou pas, peinent à s’accorder sur l’essentiel dans la région de Ménaka, contrairement à des localités comme Kidal, où l’on a quand même une prééminence de la CMA », indique-t-il.

Par ailleurs, selon lui, chacun des groupes cherche à contrôler ce territoire parce que lorsque ce contrôle est acquis, « on a par ricochet les populations avec soi, la mainmise sur tout ce qui est mobilité en termes d’escorte, les cartels de la drogue, même les voies clandestines qui mèneraient à la migration irrégulière, des aspects qui permettent entre-autres aux groupes de s’autofinancer ».

Le spécialiste des questions de sécurité souligne que les clivages ethniques et les tensions entre les communautés dans cette région attisent également les affrontements, que ce soit entre l’EIGS et le GSIM ou entre l’un des deux et les groupes armés de la zone.

En avril dernier, au plus fort des affrontements qui opposaient l’EIGS au Mouvement de soutien de l’Azawad (MSA), qui tentait de contrer l’offensive de l’État Islamique, Ibrahim Maiga, spécialiste sécuritaire et ancien chercheur à l’ISS Africa, expliquait dans nos colonnes que ces affrontements se nourrissaient d’une longue conflictualité, qui s’était établie dans cette zone frontalière entre certaines communautés.

Rebondir après Talataye

Pour certains observateurs, la reprise récente des combats entre l’EIGS et le GSIM dans la zone de Ménaka s’expliquerait aussi par une volonté de revanche des hommes d’Iyad Ag Ghaly, suite à leur « défaite » à Talataye, dans le cercle d’Ansongo, début septembre.

Une défaite qui, selon une source citée par l’Agence de presse africaine (APA News), a « terni l’image du GSIM et a consolidé le mythe d’invincibilité de l’EI, d’où une mobilisation du GSIM depuis quelques semaines pour cette grande offensive, pour réarmer moralement ses combattants, affectés par cette défaite ».

Olivier Dubois : 500 jours de captivité

Le dimanche 21 août 2022 a marqué le 500ème jour de captivité d’Olivier Dubois, seul otage français connu dans le monde. Enlevé le 8 avril 2021 à Gao par le JNIM alors qu’il était en reportage, deux preuves de vie ont été diffusées depuis par vidéo, le 5 mai 2021 dans laquelle, il confirmait lui-même son enlèvement et le 13 mars 2022. Pour l’occasion, le 20 août dernier, une vidéo rassemblant plusieurs personnalités du monde des médias, des proches ou encore d’anciens otages a été diffusée en soutien à Olivier Dubois. Une vidéo réalisée à l’initiative du comité de soutien pour la libération d’Olivier Dubois. Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire lors d’une entretien hier dimanche avec Francetvinfo espère que la fin de l’opération Barkhane soit un facteur positif pour la libération d’Olivier Dubois. « C’est une question qu’on a reposée officiellement au ministère des Affaires étrangères cette semaine, il nous a été répondu que le retrait de l’opération Barkhane du Mali ne diminue en rien la mobilisation de la France et que les relations franco-maliennes n’avaient pas d’impact sur l’affaire. C’est vraiment ce qu’on espère. C’est un groupe jihadiste qui détient Olivier Dubois au Mali, un groupe jihadiste qui était, comme d’autres, la cible de l’opération Barkhane. Donc le fait que l’opération Barkhane soit terminée doit devenir un facteur positif pour obtenir sa libération. »

Intervention française au Mali : une fin au goût très amer

Arrivée en « sauveur » à Konna, le vendredi 11 janvier 2013, l’Armée française a discrètement quitté ce lundi 15 août 2022 le Mali, dans la poussière du désert de Gao. Mettant fin à neuf ans de coopération dont l’épilogue sonne comme une défaite.

L’idylle aura duré neuf ans. Après des premières années de bonheur, de gros nuages ont commencé à s’amonceler autour du couple Mali – France. Un premier coup d’État, le 18 août 2020, n’avait pas porté atteinte à cette relation, qui avait connu, certes, des bas, mais jamais assez importants pour la remettre en cause. Il aura fallu attendre un second coup, le 24 mai 2021, et le début de la « rectification » de la transition pour que la situation change rapidement. Tensions politiques, déclarations tapageuses des deux côtés, recours à Wagner selon plusieurs pays occidentaux, ce que le gouvernement malien réfute toujours, parlant d’instructeurs russes, ont, entre autres choses, conduit au divorce. Consommé depuis février 2022, il est officiel depuis le 15 août 2022. Les derniers soldats de Barkhane ont quitté le Mali, mettant ainsi fin à neuf années de présence militaire française dans le pays, débutée en janvier 2013 par l’opération Serval, remplacée par Barkhane en août 2014. Près de 125 000 soldats français ont servi au Sahel, selon des données avancées par Florence Parly, alors ministre des Armées, en février dernier. N’ayant pas réussi à éradiquer le terrorisme au Mali, l’intervention française a été pour de nombreux analystes un échec. Pis, les autorités maliennes accusent désormais officiellement la France de complicité avec les terroristes. Dans un courrier adressé au Conseil de sécurité des Nations unies le 15 août, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, accuse la France de « violations répétées de l’espace aérien malien » et de «fournir des renseignements» à des groupes terroristes, auxquels l’Hexagone aurait également livré des armes et des munitions. Des accusations dont le chef de la diplomatie malienne assure détenir les preuves. Elles donnent plus d’éclairage aux conclusions de l’Armée malienne suite à l’attaque de Tessit du 7 août dernier (42 morts et 22 blessés). Une note publiée le 8 août par sa cellule de communication indique que « les terroristes ont bénéficié d’un appui majeur et d’une expertise extérieure », sans préciser toutefois d’où et de la part de qui. Même après le départ des forces françaises, le bras de fer va donc se poursuivre entre le Mali et la France. Sur le terrain des Nations unies, où les deux pays avaient déjà eu des confrontations et où le discours du Premier ministre Choguel Maïga à la tribune de l’ONU, le 25 septembre 2021, avait été un élément déclencheur des lendemains qui déchantent entre les deux pays. Une source française nous a confié que Paris, ainsi que la représentation française à l’ONU s’activaient déjà par rapport aux accusations, sans plus de détails. Mais déjà, ce mercredi 17 août, l’ambassade de France au Mali a réagi sur ses comptes facebook et twitter assurant que la France n’a jamais « soutenu directement ou indirectement ces groupes terroristes qui demeurent ses ennemis désignés sur l’ensemble de la planète ». Dans sa lettre, le Mali demande à la France de cesser « immédiatement ses actes d’agression », et, qu’en cas de persistance, le Mali se réserve le droit de faire usage de la légitime défense.
«Problème kidalois
»
 Un point de non-retour semble être atteint entre les deux autorités, alors que les relations étaient précédemment relativement bonnes. Autre temps, autre contexte, autres acteurs. Le 2 févier 2013, le Président français d’alors, François Hollande, s’était offert un bain de foule, accueilli en grande pompe à Bamako. Sur la place de l’Indépendance, lors de son discours, il avait assuré : le Mali « va connaître une nouvelle indépendance, qui ne sera plus cette fois la victoire sur le système colonial, mais la victoire sur le terrorisme, sur l’intolérance et sur le fanatisme ».
Mais, après cet épisode heureux, même si les parties évitaient de faire part de leurs états d’âmes publiquement, la question de Kidal aura toujours été une épine dont personne n’aura jamais vraiment su se départir.
Lors de la libération de Kidal, l’opinion malienne n’a pas digéré le fait que les soldats français soient entrés dans la ville sans aucun militaire malien à leurs côtés. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a d’ailleurs révélé que le Colonel Assimi Goita faisait partie des soldats auxquels l’entrée à Kidal avait été refusée.
« Il faut reconnaître que Serval est arrivé à un moment assez critique. À cette période, il y avait une colonne de djihadistes qui descendait vers le sud après l’occupation des régions du nord. L’opération Serval a permis de stopper ce processus, mais il était convenu que l’armée malienne reprenne le dessus et, dès le départ, le fait de ne pas avoir accès à la ville de Kidal avait déjà posé un problème », rappelle l’analyste Boubacar Salif Traoré, Directeur d’Afriglob Conseil.
Toute comme lui, Dr. Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13 trouve que l’opération Serval a été couronnée d’une pleine réussite. Du fait qu’elle a été une intervention ponctuelle qui visait une cible précise, identifiée et déterminée entre les parties malienne et française.
« Par contre, avec le passage à Barkhane, la France a changé la nature, les objectifs, le périmètre et les moyens de l’opération, qui est passée d’une intervention à une présence. Les objectifs français n’étaient plus ceux du Mali. Au même moment, la menace contre laquelle la France est intervenue se propageait et le « problème kidalois », qui, pour le Mali, a été l’élément déclencheur de l’instabilité, a été considéré dans le cadre de Barkhane comme une opportunité », explique Dr. Amidou Tidiani, selon lequel « le schisme entre autorités maliennes et françaises est né de cet élément et s’est exacerbé avec l’arrivée de Takuba, un conglomérat de forces spéciales répondant à un vieux rêve européen qui vise à rendre opérationnelle une Europe de la défense face aux nouvelles menaces venant de la Russie, de la Turquie et éventuellement de la Chine ».
« Cet agenda n’était pas celui du Mali. C’est pourquoi, alors que l’armée française parlait de réussite, les Maliens, qui voyaient leur pays sombrer, ne comprenaient pas. En réalité, ce qui se jouait au Mali dépassait les enjeux liés à la sécurité et à la stabilité du pays. Pour la sécurité et la stabilité du Mali, les 9 ans de présence française sont globalement un échec, mais du point de vue du renforcement militaire de la France (et de l’Europe) dans le monde, c’est une réussite », assure-t-il.
En outre, certains observateurs reprochent à l’Armée française de n’avoir pas atteint ses objectifs : « permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale » pour Serval et « lutter contre le terrorisme » en ce qui concerne Barkhane. Et, malgré sa présence, le terrorisme s’est métastasé au centre et au sud du Mali.
« Il a été dit que Barkhane allait permettre à l’armée malienne de se reconstruire de manière convenable. Mais, au fur et à mesure, on s’est aperçu qu’il y avait toujours des non dits dans ses opérations. Et beaucoup de zones d’ombre questionnent les Maliens : on ne connaissait pas le déroulement des certaines opérations et on ne dissociait pas le plan militaire du plan politique français », explique Boubacar Salif Traoré, faisant référence à des propos « déplacés » tenus par le Président français à l’encontre de la transition malienne.
Plusieurs bavures de l’armée française ont également contribué à tenir son image dans le pays. En octobre 2017, l’une de ses opérations a conduit à la mort de 11 militaires maliens retenus en otages par un groupe terroriste, présentée d’abord comme une opération ayant permis de neutraliser plusieurs terroristes par la France, qui se « refusait » à commenter la « propagande djihadiste» alors que des informations faisaient état de bavure. C’est le gouvernement malien qui confirmera la mort des soldats lors de cette opération, près de 15 jours après. De même, en septembre 2020, des tirs de sommation de soldats français sur un bus ont coûté la vie à un civil à Gao et, en janvier 2021, selon l’ONU, « 19 civils réunis pour un mariage près de Bounty ont été tués par une frappe militaire de la force Barkhane ».
Par ailleurs, l’intervention française a également eu des côtés positifs. À Konna, dans la région de Mopti, une rue porte toujours le nom de Damien Boiteux, le premier soldat français mort au Mali, et témoigne de l’importance de l’assaut des forces spéciales du COS (Commandement des opérations spéciales) de Serval, en 2013.
Barkhane, qui l’a remplacé, a permis de « neutraliser » plusieurs cadres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) (dont son chef emblématique, Abdelmalek Droukdel, et son chef militaire, Bah Ag Moussa) et des cadres de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) (en particulier Adnan Abou Walid al-Sahraoui, « émir » de l’EIGS).
«La France n’est pas partie»
Avec 5 100 hommes au plus fort de son engagement, 3 drones, 7 avions de chasse, 19 hélicoptères, 6 à 10 avions de transports tactiques et stratégiques, 260 véhicules blindés lourds, 360 véhicules logistiques et 210 véhicules blindés légers, la France avait mis les gros moyens et, après son départ, certaines zones doivent être réoccupées. « Quoiqu’il en soit, elle était un gros dispositif avec de nombreux hommes et  du matériel assez impressionnant. D’où l’étonnement des populations quant au fait qu’elle n’ait pas eu beaucoup de succès. Forcément, un vide sera créé et ce vide va être comblé par l’armée malienne, qui fait déjà un travail remarquable », analyse Boubacar Salif Traoré.
Alors que la France a annoncé son départ, l’enseignant-chercheur Dr Amidou Tidjani, aussi avocat au Barreau de Paris, n’en est pas convaincu. « La France n’est pas partie et elle n’a pas l’intention de partir. Elle restera en embuscade en espérant un pro français aux affaires à Koulouba pour revenir », dit-il. Les soldats qui ont quitté le Mali se sont redéployés au Niger, où le gouvernement a accepté de les accueillir.
Vide sécuritaire
Dans certaines régions, dont Ménaka, où étaient présents les soldats français, les terroristes gagnent du terrain et étaient à la date du 16 août « très proches de la ville », selon des sources locales. D’où la nécessité de combler le vide.
« Il faudrait une force intégrée au niveau africain pour coordonner la lutte contre le terrorisme du Mali jusqu’au Cameroun, une riposte transnationale face à une menace transfrontalière, comme le disait Amadou Toumani Touré. Mais, aujourd’hui, cela paraît peu réalisable. Dans ces conditions, la seule alternative c’est le renforcement de l’armée malienne par des moyens de surveillance, des moyens d’intervention rapide et la construction d’un État fort », plaide Dr Amidou Tidiani.
Pour combler le vide sécuritaire, le gouvernement malien s’emploie à occuper les anciens camps de l’armée française. En outre, le 9 août, il a réceptionné de nouveaux moyens aériens. Sur un autre plan, l’intégration sur une période de 2 ans de 26 000 ex combattants des mouvements rebelles et d’autodéfense est annoncée. « Il y a plusieurs stratégies qui sont en cours d’élaboration, mais, à mon avis, il faut déjà identifier des zones prioritaires. Aussi, comme on le conseille en diplomatie, il faut veiller à la classification des partenaires, comme la Russie qui se manifeste de plus en plus. Mais cela ne suffira pas. Il faut d’autres partenaires, comme l’Algérie, qui est impliquée. Ainsi sera comblé le vide laissé par les forces françaises », soutient Boubacar Salif Traoré.

Dialogue avec les chefs djihadistes : Amadou Kouffa incontournable ?

L’idée de dialogue avec les leaders djihadistes comme piste de solution à l’épineux problème du terrorisme au Mali reçoit de plus en plus l’assentiment de l’État malien. Après son Haut représentant pour les régions du centre, Dioncouda Traoré, qui a assuré leur avoir envoyé des émissaires, le Président de la République lui-même, après plusieurs refus, est désormais favorable à d’éventuels échanges avec eux. Mais Amadou Kouffa, l’un des interlocuteurs visés par l’État est, selon de nombreux observateurs, actuellement fragilisé par des dissidences au sein de la Katiba Macina et menacé par la montée de l’État islamique au grand Sahara (EIGS).

« J’ai le devoir et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, nous parvenions à un apaisement. Le nombre de morts dans le Sahel devient exponentiel. Je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées (…). Nous ne sommes pas des gens butés, bloqués ou obtus », déclarait Ibrahim Boubacar Keita le 10 février dernier à Addis Abeba, en marge du 33ème sommet de l’Union Africaine.

Pour la première fois, le Chef de l’État, longtemps opposé à toute négociation avec les chefs terroristes et djihadistes, se montrait ouvert à une telle initiative. Mais, si dialogue il doit y avoir, encore faut-il que ce soit avec les bons interlocuteurs. Si Iyad Ag Ghaly parait incontournable, vu sa grande emprise au sein des organisations djihadistes dans le pays, principalement au nord, Amadou Kouffa semble de son côté loin de pouvoir endosser le même costume dans le centre.

Kouffa pas si incontournable ?

« Amadou Kouffa peut être l’un des interlocuteurs. Mais l’idée serait de ne pas s’arrêter à l’individu, et beaucoup plus de s’intéresser à son histoire. On sait d’où il est venu, comment il a eu cette audience qui a prospéré au sein de certaines communautés. Le plus intéressant, au-delà de sa personne, est le combat qu’il a fait sien, sa trajectoire, le discours qui l’a promu et comment les communautés ont adhéré à ce discours », estime Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS Africa).

Pour lui, même si un dialogue est instauré avec Amadou Kouffa, sans que les griefs et les frustrations des communautés dont il est porteur ne soient traités et que tous les autres acteurs ne soient impliqués, il sera difficile de venir à bout de l’insécurité caractérisée par l’activisme des groupes terroristes djihadistes.

Le Professeur Bakary Sambe, Directeur du think thank Timbuktu Institute, assure que Kouffa a perdu de son influence. « Il n’a plus l’emprise sur la Katiba Macina, dont certains éléments ont commencé à rejoindre l’État islamique au grand Sahara, notamment à cause des différents l’opposant au groupe de Mamadou Mombo ».

Du point de vue de Mohamed Elkhalil, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, l’idée même d’entreprendre des échanges avec Amadou Kouffa et ses alliés au centre serait carrément suicidaire pour le Mali.

« Négocier avec Kouffa, c’est juste signer la mort du Mali. Cela va pousser l’État malien  dans une position de faiblesse, alors qu’avec la nouvelle opération Maliko qui vient d’être lancée et une bonne coopération en renseignements des populations au centre, il peut parvenir à neutraliser ce leader terroriste sans négociations », croit-il.

Le géopolitologue Abdoulaye Tamboura est pour sa part convaincu de la légitimité de Kouffa à être un interlocuteur important dans un quelconque dialogue avec les autorités maliennes.

« Amadou Kouffa ne parle pas au nom d’une région. Il parle au nom d’une Charia qu’il veut étendre sur toute l’étendue du territoire malien. Sa vision ne se limite pas au Macina ou au Gourma et il tire sa légitimité du soutien de son mentor, Iyad Ag Ghaly, sans lequel il ne peut rien entreprendre en terme de négociations. Pour moi, il est un interlocuteur incontournable aujourd’hui si dialogue il doit y avoir », soutient-il.

Mahamadou Sawadogo : « Il serait intéressant d’élargir le G5 Sahel à des pays plus attractifs »

Mahamadou Sawadogo, chercheur burkinabé spécialiste de l’extrémisme violent dans le Sahel répond à nos questions sur la situation sécuritaire.

La France a annoncé le renforcement de Barkhane, qui va passer de 4 500 à 5 100 soldats. Qu’est-ce que cela peut apporter concrètement sur le terrain, notamment dans la zone dite des trois frontières ?

Cela peut avoir un impact positif sur la zone, qui est l’épicentre de la violence. C’est de là que l’État islamique attaque les trois pays (Mali, Burkina Faso, Niger). Cela permettra de stabiliser la zone, mais les groupes terroristes ne vont sûrement pas attendre le déploiement de Barkhane pour continuer leurs assauts. Il y a donc le risque que leurs attaques soient dirigées ailleurs. Pour le Burkina, ce sera peut-être désormais vers l’est ou l’ouest, pour le Mali, ils vont remonter vers le centre.

Ce renforcement devrait aider au déploiement de la force Takuba, mais peu de pays européens semblent enclins à l’intégrer. Existe-t-il un risque qu’elle devienne une Arlésienne, comme le G5 Sahel ?

Oui, évidemment. Ce ne sont toutes les armées qui peuvent se déployer au Sahel. Ce sont des conditions assez particulières, difficiles et un risque d’enlisement n’est pas à exclure. Pour ce qui est du G5 Sahel, les pays qui le composent n’attirent pas vraiment les investisseurs. Il serait donc intéressant de l’élargir le G5 à d’autres pays plus attractifs, le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Ghana.

Ces pays pourraient être bloqués par la crainte d’être pris pour cibles…

Oui, mais s’ils ne le font pas, ils seront des cibles quand même. Je suis convaincu que des terroristes s’y trouvent déjà. Autant unir les forces pour en venir à bout, au lieu d’être attentistes. Lorsque le Mali était le seul ciblé, le Burkina ne s’est pas trop préoccupé. Nous voyons le résultat.

Des observateurs affirment que les groupes terroristes qui se confrontent sur d’autres théâtres se tolèrent et coopèrent même au Sahel. Comment l’expliquer ?

Ils ont des combattants ayant servi plusieurs les mêmes groupes. Ainsi, Ansarul Islam a été dissout. Une partie des combattants s’est retrouvée dans l’État islamique et une autre dans le JNIM. Ils sont comme des frères et ont également compris que, dans le cas du Sahel, ils avaient tout intérêt à s’entendre, parce que cela leur donne de la puissance. Ils se complètent. Certains sont plus tactiques et techniques, d’autres sont en nombre et connaissent parfaitement le terrain. Certaines fois, ils ont des revendications hors nature, si je puis dire : un groupe vient revendiquer le territoire identifié d’un autre, cela leur permet de brouiller les pistes.

Le chef de la Katiba Macina Hamadoun Kouffa serait mort

Le chef de la katiba Macina, Hamadoun Kouffa serait mort, selon un communiqué de Barkhane rendu public ce vendredi. L’opération annonce avoir dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018,  frappé durement un groupe terroriste de la Katiba Macina, dans la région de Mopti.

L’opération qui selon le communiqué a combiné l’action de nombreux moyens aériens : avions Mirage 2000, hélicoptères Tigre et Gazelle appuyés par des drones Reaper, ravitailleur C135 et hélicoptères de manœuvre. Barkhane annonce que à « ce stade de l’évaluation de l’opération, il apparait qu’une trentaine de terroristes a été mise hors de combat, parmi lesquels figurent probablement le chef de la katiba Massina, Hamadoun Kouffa, et ses principaux cadres ».

« la neutralisation probable du chef de la katiba Massina est un nouveau coup très sévère porté au RVIM dont il était un des principaux leaders » ajoute le communiqué.

 

Attaques terroristes : baroud d’honneur ou montée en puissance ?

Depuis 2012, le Mali est confronté à un phénomène devenu mondial : le terrorisme. Malgré l’assistance des forces internationales, le pays continue d’être endeuillé par des attaques djihadistes. Le 30 septembre, AQMI,  membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, diffuse une vidéo de propagande. Elle met en scène plusieurs attaques perpétrées au Mali, et des   menaces à  l’Occident. Parallèlement, les embuscades se multiplient sur le terrain. Fanfaronnade ou ascension ?

« Et la bataille continue… ». C’est l’intitulé de cette vidéo produite par Az-Zallaqa, un organe de propagande terroriste. Elle a été diffusée dimanche 30 septembre par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), fidèle au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). D’une durée de plus de trente minutes, elle revient sur les  différentes attaques opérées par ce mouvement dirigé par Iyad Ag Ghaly depuis mars 2017. « Elle relate plusieurs attaques ayant eu lieu depuis la création du nouveau groupe. Il y a celle de Boulkessi en mars 2017, de Sevaré, de Gao, et d’autres contre la MINUSMA ou les FAMA », décortique Wassim Nasr, analyste des mouvements djihadistes et auteur du livre : « Etat Islamique, le fait accompli ». « Mais le plus important c’est qu’elle est labélisée avec tous les labels d’Al-Qaïda et AQMI », révèle-t-il, ajoutant qu’« on y voit aussi les préparatifs de l’attaque complexe de l’aéroport de Tombouctou le 14 avril 2018». L’attentat avait enregistré un mort et une vingtaine de blessés. Les djihadistes, avant de passer à l’opération, s’étaient déguisés en soldats maliens, en casque bleus et en soldats français. Une stratégie de plus en plus utilisée.

Pour Yvan Guichaoua, enseignant chercheur à la Brussels School of International Studies (Université de Kent), « en dehors de la glorification de l’engagement militaire, la vidéo convoque les leaders intellectuels d’Al Qaïda et axe le discours sur la guerre entre l’Islam et l’Occident». Entretenir la terreur, créer la panique et la psychose aussi bien au nord et au centre du Mali qu’au-delà, semble être le souci de cette organisation terroriste.

Des groupes en puissance ? Avec l’intervention en 2013 de la force Serval (devenue Barkhane) pour stopper la progression djihadiste vers le sud du pays, les différents groupes ont été dispersés. Mais la déliquescence de l’Etat leur avait permis de se réorganiser au fil des années. En mars 2017, Iyad Ag Ghaly crée le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, une fusion d’Ansar Dine, d’Al Qaïda, de la  Katiba du Macina et d’Almourabitoune. « Ils sont en train de monter en puissance parce qu’Iyad Agaly a réussi à les réunir après la débandade de 2013 », précise une source sécuritaire bien introduite. Depuis, les attaques sont menées avec audace et  professionnalisme. Voiture piégée, mines ensevelies, embuscades, tirs d’obus, attaques frontales, les djihadistes usent de tous les moyens nuisibles pour détruire leurs cibles. La MINUSMA, la force Barkhane, les forces armées maliennes sont toutes, aux yeux du GSIM,  des « ennemis » à saigner.

L’initiative de l’attaque est finalement devenue la leur. Le 26 septembre, sept soldats maliens et un civil ont été tués entre Bambara-Maoudé et Douentza suite à des  engins explosifs improvisés. Des actes tragiques inombrables. « Ces récentes attaques sont une manière de défier la communauté internationale. Ces djihadistes sont de plus en plus forts », souligne Mohamed Abdellahi Elkhalil, spécialiste des questions d’insécurité sociale et sécuritaire du Sahel. Malgré les opérations de la force Barkhane dans le Sahel, la menace selon Mahamadou Savadogo, spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel, va grandissant. « Il y a une montée en puissance et un changement des stratégies de ces groupes terroristes. Au Burkina, ils sont en train de faire basculer les populations dans l’extrémisme violent en s’intégrant et en se confondant à elles », souligne-t-il. Les initiatives prises jusque-là par le Mali et ses partenaires n’ont pas permis de contrer le fléau. Le mal semble plus profond.

Mais tout de même, il n’y a « ni baroud d’honneur ni montée en puissance », selon Yvan Guichaoua. « Les djihadistes travaillent leurs objectifs politiques dans la durée et la défaite militaire fait partie de leur routine », dit-il, ajoutant que « lorsque la tendance est négative pour eux, ils font le dos rond, se redéploientg4, se restructurent, patientent, et exploitent politiquement les erreurs de leurs adversaires ».  Les bavures  et massacres de l’armée sur les populations civiles comme à Boulkessi sont ainsi mises à profit par les djihadistes. De plus en plus, ils  se montrent résilients  face aux situations. « Pour les prendre en défaut, il faut plus que de la pression militaire », mais « aussi  persuader les populations parmi lesquelles ils évoluent qu’il existe des modèles de société plus attractifs que le leur », indique le chercheur.

Barkhane et G5 Sahel : pour quels résultats ? Face au flux terroriste et aux attaques asymétriques, les Etats du Sahel sont mis à rude épreuve. La présence de  la Force Barkhane, autrefois Serval, a affaibli les différents groupes terroristes au Sahel. Des chefs djihadistes sont ciblés et des armes détruites. Fin août, dans la région de Ménaka, Barkhane a neutralisé un certain Mohamed Ag Almouner, un des chefs du groupe Etat Islamique au Grand Sahara. Selon la ministre française des Armées, Florence Parly, sur les antennes de RFI le  8 octobre, « plus de 130 terroristes » ont été neutralisés par Barkhane depuis le début de l’année. Concomitamment, cette force soutient l’armée malienne avec laquelle elle mène souvent des patrouilles sur le terrain. Son bilan reste malgré tout de même « mitigé ». Cela s’explique. « Elle a infligé des très lourdes défaites aux mouvements djihadistes, notamment dans la zone de Ménaka. Mais on constate que ces groupes parviennent à se redéployer pour continuer à harceler les forces maliennes et étrangères, tout en maintenant la pression sur  les populations civiles et les groupes signataires, par le biais d’assassinats ciblés », étaye Yvan Guichaoua, enseignant chercheur à la Brussels School of International Studies. Plusieurs paramètres rentrent aussi en jeu. « La machine organisationnelle contre-terroriste est toujours  plus lourde à faire fonctionner que celle des djihadistes », indique le chercheur. Par jour, la Force coûte à la France 1 million d’euros (soit 655 millions de francs CFA).

Quant à la Force du G5 Sahel, sa mission, en plus du développement, est de combattre le terrorisme tout le long des frontières des Etats membres. Plus d’une année après sa création, cette initiative n’a pas répondu aux urgences. Pire, elle a été attaquée dans ses fondements par les terroristes.  Au problème de financement s’ajoute « la qualité des ressources humaines ». « Les groupes terroristes ont anticipé sur les opérations annoncées par le G5 en élargissant au maximum le front », note Mahamadou Savodogo. Selon lui, « le fait d’annoncer les opérations sans les exécuter contribue plutôt à renforcer la résistance et l’adaptation des groupes terroristes ».  Depuis août, au moins 36 personnes ont été tuées dans des actes terroristes au Burkina Faso, dans sa partie frontalière avec le Niger et le Mali.

Incidence communautaire Bien que certains membres des groupes djihadistes soient des étrangers, force est de reconnaitre qu’ils opèrent avec des éléments locaux. D’où le traitement aussi complexe que sensible du sujet. Les rivalités communautaires anciennes sont le plus souvent vivifiéespar les accointances supposées avec des groupes terroristes. Des affrontements intercommunautaires, comme ce fut le cas entre les Daoussahak et les Peuls dans la région de Ménaka,  les Dogons et les Peuls au centre du pays et même au sein d’une même tribu (Iboguilitane et Idarfan) récemment à Ménaka. Les dernières  violences ont fait  plus de quarante morts parmi les civils. Pour Yvan Guichaoua, « il faut être prudent sur les causes qui peuvent être liées à des vendettas personnelles ou des affaires criminelles ». Aussi bien pour les groupes terroristes que pour les forces qui les combattent, les populations sont la matière à conquérir. « Chaque camp tente, dans son registre, de « gagner les cœurs et les esprits» des populations, fait savoir M. Guichaoua.

Les victimes du terrorisme se comptent chaque jour davantage et le quotidien des populations est ombrageux. Au regard du bourbier, l’horizon n’augure pas la fin prochaine des épreuves.