JNIM : le lucratif business des enlèvements

Même s’il n’en détient pas le monopole, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a érigé au fil des années les enlèvements au Sahel en modus operandi. Depuis que sa rivalité s’est accentuée, à partir de février 2020, avec l’EIGS (État islamique au grand Sahara), le groupe d’Iyad Ag Ghaly a multiplié les rapts. Expatriés européens, nationaux de divers profils, la liste des otages passés, ou qui sont encore dans les mains du JNIM au Mali, est longue. Que tire ce groupe terroriste de ces enlèvements ?

Officiellement, pour la libération le 20 mars 2023 de l’ex-dernier otage français dans le monde, Olivier Dubois, détenu pendant près de deux ans par le JNIM, et de l’humanitaire américain Jeffrey Woodke, enlevé au Niger en 2016, les autorités françaises et américaines sont catégoriques : aucune rançon n’a été versée et aucune libération de prisonniers n’a servi de monnaie d’échange.

Mais difficile de s’en tenir à ces versions quand on sait que dans la plupart des enlèvements d’Occidentaux en Afrique, la libération n’intervient qu’après des paiements de rançons et/ou la remise en liberté de terroristes prisonniers. À en croire certaines sources issues du renseignement malien et relayées par des médias locaux, au moins quelques millions d’euros auraient été versés pour obtenir la libération des deux ex-otages.

L’ancien Président François Hollande reconnaissait en 2016  que des rançons avaient été payées pour certains Français retenus en captivité, en l’occurrence les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, enlevés en Afghanistan en 2009 et libérés en 2011, et  Florence Aubenas, enlevée en 2005 en Irak puis libérée quelques mois après.

Comme pour Olivier Dubois, près de 3 ans plus tôt, Paris a toujours démenti avoir payé, en plus d’échange de prisonniers,  pour la libération de Sophie Pétronin, autre otage française longtemps détenue au Mali et libérée en octobre 2020 en même temps que l’ancien Chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et 2 Italiens, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli.

Dans la foulée, sur RFI, Ahmada Ag Bibi, ancien membre d’un groupe djihadiste qui sert quelquefois d’intermédiaire lors des négociations, affirmait que 2 millions d’euros avaient été versés comme rançon au JNIM  pour l’ancien Président de l’URD, décédé depuis.

De l’argent et des concessions

La manne financière que le JNIM et les groupes terroristes tirent des enlèvements est très importante. Une source spécialiste de ces mouvements djihadistes l’estime à « 40 à 50 milliards de francs CFA perçus de 2003 à aujourd’hui ». « La prise d’otages européens  a fait des djihadistes au Sahel des milliardaires en francs CFA, cela ne fait aucun doute », avance cette source, qui a requis l’anonymat. De son point de vue, c’est d’ailleurs pour cette raison que les Occidentaux, et plus particulièrement les Européens, sont les cibles privilégiées du JNIM, parce que les pays d’où ces derniers sont originaires entament vite des négociations pour obtenir leur libération.

« Lorsqu’ils prennent des Européens et des Africains, ils libèrent plus rapidement les Africains pour deux raisons. D’abord, parce que ces derniers n’ont pas de valeur marchande, leurs États n’ont pas d’argent pour payer. Ensuite parce qu’ils font attention à ne pas enlever des locaux dans les zones qu’ils occupent. Cela pourrait amener des relations difficiles entre eux et les autochtones », explique notre source.

En dehors de l’argent qu’il perçoit à travers les rapts, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaeda, tire d’autres avantages. « Les enlèvements rapportent soit de l’argent, soit une occasion de négocier pour aboutir à des concessions ou obtenir des accords. Souvent, ils enlèvent des chefs de villages pour faire un forcing afin d’obtenir un accord local ou un avantage quelconque », affirme un ex-otage malien.

« Dans le centre du Mali, quand le JNIM enlève des personnalités locales, politiques ou influentes dans un village ou dans une ville, il négocie des concessions qui peuvent être endogènes. Si, par exemple, on les empêche de se ravitailler en carburant dans un village qui fait de l’autodéfense, s’ils y enlèvent quelqu’un ils poussent les pions pour qu’on leur ouvre la route, qu’ils puissent quelquefois venir à la foire se ravitailler en denrées, acheter des engins ou vendre leur bétail », confie celui qui a passé deux mois au centre du Mali en 2018 dans les mains d’un groupe affilié au JNIM.

Selon lui, d’autres profils en dehors des Occidentaux intéressent le groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Administrateurs civils, militaires, politiques ou encore journalistes, « dès  qu’ils jugent pouvoir tirer contrepartie d’une cible, ils n’hésitent pas ». Dans plusieurs cas, les libérations d’otages interviennent aussi après celle de prisonniers, de certaines voies ou encore l’obtention d’une garantie de non coopération avec l’armée de la part des populations.

Manque de ressources ?

C’est inédit. Quatre vidéos de revendication d’otages enregistrées et diffusées sur les réseaux sociaux en l’espace de quelques jours (entre le 28 et le 30 mai 2023). Jamais le JNIM n’avait autant « exhibé » ses captifs dans un délai aussi court. Comme à l’accoutumée dans ce genre de vidéos, le message de fond reste le même. Les otages, 1 Sud-africain et 3 Maliens, appellent les autorités de leurs pays et leurs familles à négocier leur libération.

Dans deux vidéos enregistrées le 26 mai et diffusées deux jours plus tard, le Sud-africain Gert Jacobus van Deventer, 48 ans, demande d’urgence de l’aide ou toute forme d’assistance pour faciliter ou activer toute action qui puisse conduire à sa libération.

Pour sa part Abdou Maïga, ancien député, et proche du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga selon certaines sources, appelle également le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, et le Chef du gouvernement à tout faire pour négocier sa libération, affirmant souffrir de glaucome, de diabète et de tension.

« J’ai été arrêté par les djihadistes le 18 mars 2023 entre Koala et Nara et actuellement je suis en vie. J’étais blessé le jour où l’on m’a arrêté. Actuellement, je suis en bonne santé. Je veux que le gouvernement m’aide pour que je rentre à la maison », implore de son côté, dans une autre vidéo enregistrée le 28 mai, le Caporal Oumar Diakité, élément du 34ème Bataillon du Génie militaire.

Tout comme lui, le même jour, Abdoulaye Kanté, garde forestier enlevé fin mars dans un poste à Kita, demande dans une autre vidéo de l’aide des autorités, à ses collègues et à sa famille pour recouvrer la liberté.

La nouvelle méthode employée par le JNIM, d’autant plus avec des otages relativement peu connus, suscite des interrogations. Le groupe est-il en manque de ressources financières et est-il en train d’activer des leviers de négociations pour le combler ? Est-il en train d’expérimenter une nouvelle stratégie ? Pour l’analyste sécuritaire, spécialiste des groupes djihadistes du centre et du nord du Mali, Yida Diall, la réponse à ces deux interrogations est négative.

« Pour moi, ces vidéos ne sont  pas pour chercher de l’argent, parce que en général les otages africains ne sont pas susceptibles de faire gagner beaucoup aux terroristes. Je pense qu’ils sont en train de le faire pour un autre motif, un échange de prisonniers. Ces derniers mois, ils ont eu certains lieutenants importants arrêtés, certains, pendant que Barkhane était encore là et d’autres avec la montée en puissance de l’armée ».

Quelques otages occidentaux, dont la « valeur marchande » est réputée plus grande, sont toujours aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Parmi eux, entre autres, le quadragénaire roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso puis transféré vers le Mali, et trois Italiens, Rocco Antonio Langone et Maria Donata Caivano, 64 et 62 ans, et leur fils Giovanni, 43 ans, capturés au Mali  le 19 mai 2022.

Centre du Mali: Kouffa, et maintenant ?

La force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené dans la nuit du 22 au 23 novembre une opération d’envergure contre la Katiba Macina dans la forêt de Wagadou, au centre du Mali. Bilan : une  trentaine de morts, dont Amadou Kouffa, prédicateur peul  de renom et chef de cette branche, affiliée à Aqmi. Mais est-ce là la fin des tragédies et des conflits intercommunautaires dans cette zone en ébullition ?

« S’il s’avère aujourd’hui qu’Amadou Kouffa a été éliminé par Barkhane, je ne suis pas sûr que cela résolve le problème du djihadisme au Mali tant qu’Iyad Ag Ghaly est vivant ». Telle est la ferme conviction du Professeur Ali Nouhoum Diallo, l’un des  doyens de la communauté peule, ancien Président de l’Assemblée nationale du Mali. « Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad Ag Ghaly », assure-t-il.

Dans la nuit du 22 au 23 novembre, la force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené une opération « complexe » dans la forêt du Wadagou, au centre du pays. Elle aurait  abouti à la mort d’Amadou Kouffa,  chef de la Katiba Macina et membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dirigé par Iyad Ag Ghaly. Une  trentaine de ses combattants ont également été tués. Annoncée d’abord comme « probable », la mort de celui qui aura semé le chaos dans cette zone a par la suite été « certifiée » par les forces armées maliennes. Mais les spéculations sur la véracité d’une telle nouvelle, fautes de preuves tangibles jusque-là, perdurent. « Kouffa, malgré qu’il soit un terroriste, était adulé dans certaines localités. Mais là où il oppressait les populations et les empêchait d’exercer leurs droits fondamentaux, elles peuvent se réjouir de cette nouvelle », estime Khalid Dembelé, analyste économiste au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Cependant, l’une des figures tutélaires de la communauté peule regrette la fin tragique de celui qui au début n’était qu’un maitre coranique. « Tout soldat qui tombe au Mali, je l’ai dit au temps où c’était la rébellion Kel tamashek qui était au-devant de la scène, qu’il soit blanc ou noir,  c’est un Malien qui meurt », avance le Professeur Ali Nouhoum Diallo. « Je ne peux pas être médecin et me réjouir de la mort d’un homme ».

Un tournant ?

Quoi qu’il en soit, neutraliser la tête de proue de la Katiba Macina ne constitue pas la fin des attaques et assassinats. Ses partisans, loin de le voir comme « un criminel », lui vouaient une allégeance aveugle.  Pour Khalid Dembelé, la disparition de Kouffa, « si elle est avérée, est une étape et non la fin ». « Elle pourra permettre à l’État malien de gagner en autorité sur le terrain et favoriser le retour de l’administration », indique-t-il, rappelant que « Kouffa avait  fermé plusieurs écoles dans cette partie du pays et instauré un certain nombre des lois de fonctionnement dans certaines localités ». L’action constitue tout de même un succès militaire notable et l’anéantissement de ce révolté donne du répit à des populations longtemps harcelées. Tout aussi prudent, Baba Alpha Umar, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel pense que cette élimination pourrait être l’occasion pour l’État d’opérer son retour. « C’est une délivrance pour tous ceux qu’il oppressait et surtout pour les Peuls, dans le sens où les gens étaient entre le marteau et l’enclume », souligne-t-il. Mais il s’interroge : « l’État sera-t-il en mesure de donner aux communautés les possibilités de se sentir en sécurité de manière durable ?». Toujours est-il que les organisations terroristes ont la capacité de se régénérer. « C’est un mouvement très fort sur le plan national et international. Il y aura un successeur à Kouffa si sa mort se confirme », analyse Khalid Dembelé. Des sources sur le terrain croient à  une fin funeste. « Il semble-t-il qu’on l’ait remplacé. S’il était vivant cela ne serait  pas arrivé », dit Sekou Bekaye Traoré,  président du conseil de cercle de Youwarou.

Pour certains analystes, l’acharnement de Kouffa contre l’Occident et son rejet tenace de sa civilisation, combinés à son isolement, ont sonné son glas. Le 8 novembre, il apparaissait dans une vidéo aux côtés d’Iyad Ag Ghaly, chef du GSIM et de l’Algérien Djamel Ockacha dit Yahia Abdoul Hammam, dirigeant d’Aqmi. Amadou Kouffa appelait les musulmans, particulièrement les Peuls, de plusieurs pays de l’Afrique à faire le djihad. Le pas de trop ? « Il était devenu une grande menace pour les autorités françaises. Il menaçait directement les Occidentaux. Il avait fermé des écoles dans lesquelles on enseignait la langue française, or la langue est un outil de domination », explique Khalid Dembelé. 

Quid des conflits intercommunautaires ?

Le phénomène djihadiste dans le centre du Mali a fissuré le tissu social. Malgré les vieilles querelles liées au foncier entre les Peuls et les Bambara ou les Dogons, ces communautés, dans leur majorité, n’ont pas embrassé l’ordre  établi par « le maitre du Centre ». La longue absence de l’État a permis à la Katiba de s’imposer. C’est dans ce désordre violent que sont nées des milices d’autodéfense. La situation s’envenime. « Sa mort va aggraver même la situation ici. Les gens ont peur de ce qui peut arriver », témoigne un habitant de Youwarou sous anonymat. Il y a quelques jours, la milice dogon Dan Nan Ambassagou annonçait la fin de sa trêve. La même semaine, au moins douze Peuls ont été tués dans la commune de Ouenkoro, dans le cercle de Bankass.  « Sa disparition coïncide avec l’apparition d’un mouvement peul  non djihadiste, dirigé par Sekou Bolly, un radié de l’armée malienne. La balle est dans le camp de l’État, s’il sait saisir cette occasion », estime Baba Alpha Umar. Ce nouveau groupe entend se démarquer de toute accointance terroriste. Selon le dernier rapport conjoint AMDH – FIDH, le centre concentre depuis le début de l’année 2018 « environ 40% de toutes les attaques du pays » et est, par conséquent, « la zone la plus dangereuse ». Des crimes odieux se commettent loin des regards. Une situation qui risque de continuer.

À qui le tour ?

« L’attaque contre Kouffa prouve que les maitres du terrain sont les gens de la coalition Mali – France. C’est la preuve qu’elle peut traquer n’importe qui aujourd’hui », prévient Baba Alpha Umar. Cette intervention de Barkhane au centre marque un revirement, elle qui se confinait jusque-là au nord du pays. Iyad Ag Aghaly, leader du GSIM, doit-il désormais s’inquiéter ? « Toucher aujourd’hui Iyad est un risque de mécontenter l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et même la France. Mais, pour justifier sa présence au Mali, Barkhane  attaque Kouffa, le point faible,  pour dire que ce dangereux bonhomme est enfin éliminé », argumente le Professeur Ali Nouhoum Diallo. Selon Khalid Dembelé, « tant qu’Iyad ne sort pas de son domaine de prédilection, il n’aura pas de problèmes ».

La guerre contre le terrorisme  au Mali est un désastre. Dans certaines parties du territoire, les groupes djihadistes continuent de semer la mort. Leur violence attise les conflits intercommunautaires, mettant  à mal la cohésion sociale. Pour le professeur Ali Nouhoum Diallo, la solution est le dialogue. « On a vu la limite de nos armes, il faut discuter avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa ». Il poursuit « je ne permettrai à personne dans ma vie, moi Ali Nouhoum, patriote malien, de me dire vous pouvez parler avec un tel Malien et non avec tel autre », assène cette voix qui défie les âges.  Mais, selon l’analyste Khalid Dembelé « s’il doit y avoir un dialogue, il va falloir changer le qualificatif terroriste », attribué à ces acteurs. Au regard des souffrances endurées, Ourmar Cissé, habitant de Bandiagara, pense « qu’il est trop tard » et que « la seule solution est militaire. »

Mais « le tout sécuritaire » pourra-t-il mettre fin au djihadisme, sans un volet politique ?

Le chef de la Katiba Macina Hamadoun Kouffa serait mort

Le chef de la katiba Macina, Hamadoun Kouffa serait mort, selon un communiqué de Barkhane rendu public ce vendredi. L’opération annonce avoir dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018,  frappé durement un groupe terroriste de la Katiba Macina, dans la région de Mopti.

L’opération qui selon le communiqué a combiné l’action de nombreux moyens aériens : avions Mirage 2000, hélicoptères Tigre et Gazelle appuyés par des drones Reaper, ravitailleur C135 et hélicoptères de manœuvre. Barkhane annonce que à « ce stade de l’évaluation de l’opération, il apparait qu’une trentaine de terroristes a été mise hors de combat, parmi lesquels figurent probablement le chef de la katiba Massina, Hamadoun Kouffa, et ses principaux cadres ».

« la neutralisation probable du chef de la katiba Massina est un nouveau coup très sévère porté au RVIM dont il était un des principaux leaders » ajoute le communiqué.

 

Pr Ali Nouhoum Diallo : « Si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui, je prendrai les armes »

Crise dans le Centre du Mali, ruche bourdonnante et situation actuelle du pays.  Fidèle à ses principes et sans langue de bois, l’ancien Président de l’Assemblée nationale, figure tutélaire du mouvement démocratique et de la communauté peule, le Pr Ali Nouhoum Diallo, dit tout.

Quelle analyse faites-vous de la crise qui sévit au Centre du Mali ?

Je me suis toujours posé la question de savoir ce qu’est le Centre du Mali ? À quelles fins a-t-il été inventé ? J’ai pensé que ceux qui nous gèrent aujourd’hui, car notre pays est sous tutelle, veulent probablement que le Mali devienne une République fédérale. Pour cela, il faut des États. Il y a les irrédentistes, qui ont délimité une portion de notre territoire et l’ont appelée Azawad. Cette République fédérale ne saurait être composée que du Mali et de l’Azawad, comme fonctionne le Cameroun, alors il fallait en trouver un troisième. Les concepteurs du Centre inventent donc le Front de libération du Macina. Amadou Kouffa s’est toujours défendu d’en être l’initiateur, car il ne veut pas « libérer » une portion quelconque du pays, il veut que tout le Mali soit une République islamique. C’est une katiba qu’il dirige, rien d’autre. Ceux qui voulaient un troisième État souhaitaient la mobilisation des ressortissants de l’ancien empire peul du Macina, afin qu’eux aussi revendiquent leur Azawad. J’en étais à cette vision théorique quand un jour un chercheur français de International Crisis Group est venu me voir. Il m’a confié que des militaires français, des Saint-cyriens, disaient que le plus grand danger qui menaçait l’Afrique de l’Ouest dans les années à venir était le djihadisme peul. Les Peuls ne peuvent pas nier que les États qu’ils ont construits étaient islamiques. Me fondant sur le peu que je connais de ces États, je prédis pourtant qu’il n’y aura jamais de radicalisation des peuls. Cela m’étonnerait que l’ensemble des Peuls adhère au djihadisme et qu’il réclame un État, car ils sont un peu partout au Mali.

Nous avons aussi reçu, en tant qu’association ADEMA, le chargé de la division politique de la MINUSMA. Nous pensions qu’il voulait nous parler de la crise multidimensionnelle, mais non. Il était là parce qu’à la MINUSMA ils sont convaincus qu’on ne peut la résoudre sans prendre en compte sa « dimension peule ». Nous étions ahuris. Je lui ai répondu qu’il n’était pas à la bonne adresse. Succinctement, il nous dit que les Ifoghas avaient leur mouvement politique, leur groupe armé. Il en est de même des Arabes du MAA, et c’est également pareil pour les Imghads. Ils ont du mal, à la MINUSMA, à croire que les Peuls ne font rien, ou alors ils cachent ce qu’ils font réellement. Il est revenu me voir et j’avais convié des cadres peuls à la rencontre. L’envoyé de la MINUSMA a tenu les mêmes propos. Nous nous sommes concertés, avons rédigé un mémo et ne sommes plus jamais retournés à la MINUSMA. Nous avions compris la gravité des projets qu’on nourrissait pour le Mali, vouloir coûte que coûte que les Peuls aient une armée, un groupe politique. Nous avons jugé nécessaire de rendre compte au gouvernement, avons été reçus par le Premier ministre Modibo Kéita et lui avons notifié par écrit nos craintes. Nous avons également écrit à toutes les institutions du pays en demandant audience. Seuls les Présidents du Conseil économique, social et culturel et de l’Assemblée nationale nous ont reçus. Pour le reste, pas de réponse, silence total. Nous avons pu mesurer la délicatesse de la question.

Beaucoup de Peuls accusent l’État de vouloir les exterminer en ne désarmant pas les Dozos. Partagez-vous ce sentiment ?

Je suis profondément convaincu que si l’État ne joue pas son rôle on ne pourra pas mettre fin à la crise. C’est fort de cela que j’ai interpellé à travers la presse le Président IBK et son Premier ministre Boubèye Maiga afin qu’ils impliquent les forces de défense et de sécurité du pays pour que les massacres intercommunautaires cessent. S’ils ne le font pas, les honnêtes gens vont penser que ce sont eux-mêmes qui initient le phénomène des Dozos pour résoudre la crise du djihadisme au Mali, dont ils ne sont pas les initiateurs mais qu’ils ne peuvent pas maitriser. Dans ce cas, les gens penseront qu’ils ne contrôlent plus rien et nous irons au-devant d’une guerre civile. Quand des Peuls voient des Dozos circuler à moto avec leurs armes alors que cela a été interdit dans toute la cinquième région, quand ils voient le Président de la République, au motif de journées culturelles recevoir les Dozos, et que, par malheur, l’un de ses chargés de mission déclare à la télévision que les Dozos sont une formidable force d’appoint dans la lutte contre les djihadistes, quand vous savez que les Peuls se disent que ce sont eux maintenant que ce mot désigne, vous comprendrez que les Peuls finissent par se dire qu’ils sont abandonnés par leur État.  Ce sont des faits, et quand des faits de ce type s’accumulent, beaucoup se posent des questions sur la politique gouvernementale. Des personnes viennent chez moi à longueur de journée me faire part de leurs inquiétudes et m’assurent que des membres de leur famille se font enlever par des éléments de l’armée. C’est une tragédie qu’un État enlève ses propres fils et demande des rançons pour leur libération. Je me suis mobilisé quand les Arabes et les Kel Tamasheqs étaient stigmatisés. Je ne peux pas avoir fait cela à l’époque et refuser de m’impliquer aujourd’hui parce que cela serait perçu comme du communautarisme. Si je ne le faisais pas, ce serait de la lâcheté. J’ai horreur de voir les faibles de la nation abandonnés à eux-mêmes et les Peuls sont les faibles aujourd’hui. Ils ont refusé d’aller à l’école, refusé l’armée, refusé la police, ils ont suivi leurs bêtes et ils sont devenus des bêtes. Ils en sont réduits à pleurnicher tout le temps, mais ils doivent comprendre qu’ils sont des hommes. C’est mon tempérament. J’ai été élevé à la dure et je ne peux accepter certaines choses. Il arrive qu’on me pose la question de savoir ce que je ferais si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui ? Je réponds que je prendrai les armes, pour que les Kel Tamasheqs comprennent qu’ils ne peuvent pas seuls manier les armes et qu’ils n’ont pas seuls le monopole de la violence.

La création du mouvement Alliance pour le Salut est-elle la conséquence de l’inaction de l’État ?

J’avoue que je n’en sais rien. Je me suis tout d’abord demandé si ce n’était pas un montage des « services ». Dans la situation grave que nous connaissons aujourd’hui, ceux qui veulent vraiment combattre ne se montrent plus. Puisqu’il y avait Dana Amba Sagou, dont les Peuls demandaient le désarmement, tout d’un coup, des Peuls supposés intelligents déclarent qu’ils ont eux aussi créé une milice. Je n’y crois pas.

On vous disait prêt à négocier avec Kouffa, est-ce toujours le cas ?

Négocier avec Kouffa était une construction laborieusement faite. J’étais en France pour raisons médicales quand j’ai appris par RFI que Kouffa disait qu’il ne parlerait à personne d’autre qu’à moi. J’ai éclaté de rire. Nous ne nous connaissons pas. Puis la Conférence d’entente nationale s’est tenue et, parmi ses quatre conclusions, la dernière dit que l’Accord pour la Paix n’a pas mis fin à la crise. Dès lors, il fallait négocier avec tous ceux qui pouvaient arrêter les effusions de sang des Maliens. Nous sommes habitués à ne pas bavarder pour rien. Quand une conférence se termine sur ces recommandations, il faut les appliquer. Bien que le Président de la République ait déclaré que l’on n’a jamais parlé de négocier avec Iyad ou Kouffa, alors que cela figurait dans les actes de la conférence, dont nous disposons, nous sommes sentis investis d’une mission. Nous sommes allés à Mopti, où des disciples de Kouffa ont pris la parole. L’un d’eux a dit que Kouffa était un homme de vérité. Je lui ai demandé d’aller dire à Kouffa que lui et moi pouvions nous entendre, parce que je déteste les mensonges et que je suis prêt à discuter avec lui. Il est venu me dire qu’il n’avait pas vu que Kouffa lui-même, mais ses proches collaborateurs, et que ceux-ci disaient que Kouffa ne tenait pas à me rencontrer. Si c’était sur le plan doctrinal, que je lui envoie l’imam Mahmoud Dicko ou l’imam Cheick Oumar Dia, car il ne pouvait pas discuter de doctrine avec moi. Si je voulais discuter politique et organisation du pays, il fallait que je m’adresse à Iyad, car c’est lui son chef politique. J’ai demandé au messager de m’apporter des preuves de ses dires. Entretemps, de jeunes gens se disant envoyés par Kouffa sont venus chez moi. Ils m’ont rapporté que Kouffa voulait bien discuter avec moi, mais que même si lui et moi nous mettions d’accord et que je convainquais IBK de la justesse de la discussion, il suffirait que la France dise non pour que cela ne s’appliquera pas. Comme le Président IBK et moi-même sommes des esclaves de la France, de l’Occident, disaient-ils, si nous voulions prouver le contraire il nous fallait mettre la MINUSMA et Barkhane hors du Mali. À ce moment-là, ils pourraient discuter avec moi. Je leur ai rétorqué que même si j’arrivais à convaincre IBK, si Iyad n’était pas d’accord cela ne se ferait pas, car Kouffa était esclave de Iyad, de Belmoktar, de l’Algérie, des Arabes en général et de l’Orient. Ce message lui a été transmis. Un jour ils m’ont appelé pour que je confirme que je leur avais bien envoyé un messager, ainsi que le contenu du message. Je l’ai fait. Plus tard, le même messager est revenu me voir avec une cassette. Dans l’enregistrement Kouffa me traite de mécréant et dit qu’il n’est pas l’esclave des Arabes, juste celui du Prophète Mohamed (PSL). Comme il dit lui-même que toute discussion politique doit être menée avec Iyad, nous avons cessé tout contact. Nous avons envoyé ces éléments de preuve au Procureur en charge de la lutte anti-terroriste et au ministre de la Justice.

Quelle est selon vous la bonne approche pour mettre fin aux affrontements intercommunautaires dans le Centre ?

Le dialogue. Malheureusement, quand les hommes prennent les armes les uns contre les autres, tant que les protagonistes ne prennent pas conscience que la plaie d’autrui n’est pas seulement rouge mais qu’elle fait mal aussi, tant que chacune des parties croit que l’autre la méprise, il est difficile que les gens s’écoutent et se parlent. J’ai souvent dit que le fameux sinankuya malien a dû naitre de situations de conflit. Chacune des parties a dû se dire que s’il elle n’arrêtait pas ce serait l’extermination de part et d’autre, et on a trouvé un compromis.

Nous venons de fêter les trois ans de l’Accord pour la paix. Quel est votre sentiment personnel ?

Je suis toujours obsédé par la nécessité de sauvegarder l’unité nationale et l’intégrité territoriale. J’avais coutume de dire, quand j’étais Président de l’Assemblée nationale, que la rébellion était essentiellement kel tamasheq et arabe et qu’à chaque fois qu’une personne tombait, qu’elle soit blanche ou noire, c’était un Malien de moins, une ressource humaine de moins. Entre ceux qui veulent couper mon pays en deux et ceux qui coupent des bras, je préfère les seconds, car je pourrai les maitriser, les dompter. Mais ceux qui veulent la partition du pays, c’est un problème très difficile à résoudre. Les exemples de la Corée, de l’Érythrée ou encore du Soudan me donnent raison. Lorsque je vois les risques de diviser le Mali en deux, voire davantage, je dis qu’il faut discuter avec tous ceux qui sont responsables du sang malien qui coule. Si nous avons signé l’Accord de Bamako, comme je l’appelle (Accord pour la paix issu du processus d’Alger), mais que le sang continue de couler, c’est soit nous que n’avons pas signé avec les bonnes personnes, soit que ceux avec lesquels nous signé sont bien les bonnes personnes mais elles sont de mauvaise foi. Je dis qu’il faut donc négocier avec Iyad et ses sous-fifres. Le jour où nous maitriserons la situation dans l’Adrar, soit en éliminant Iyad, soit en négociant avec lui, nous le sécuriserons et par là même le problème du Centre sera résolu. Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad.

Quelle est la situation du parti ADEMA aujourd’hui ?

Comme depuis sa création, nous sommes dans l’épreuve, ce n’est pas la première fois. Depuis Alpha Oumar Konaré, investi à l’unanimité, toutes les fois où il y a eu des élections nous avons connu des scissions. Nous avons perdu des camarades très solides, tels les fondateurs du MIRIA. L’état de santé du parti n’est pas celui que je souhaite.

Comprenez-vous la décision de Dioncounda de ne pas se présenter alors qu’il faisait l’unanimité au sein du parti ?

Non. L’un de mes traits de caractère est que j’ai toujours de la peine à parler de mes camarades. C’est sûr qu’il a créé un problème et j’ai peur que l’histoire ne retienne qu’il a tenté d’assassiner son parti avant de partir, même si il a fait beaucoup pour l’ADEMA. Je n’ai pas compris sa décision et je ne sais pas si lui-même a réalisé dans quelle situation il mettait la Ruche et même la démocratie malienne. Sans l’ADEMA, la stabilité et la démocratie du pays connaitront des problèmes. Il n’est pas évident que la Ruche suive le mot d’ordre des gestionnaires actuels du parti.

Certains cadres s’étaient désolidarisés de la primaire, affirmant que le jeu était truqué. Le scénario actuel leur donne-t-il raison ?

Nous avons vu venir tous ces évènements. Dès lors que la direction du parti n’a pas appliqué à la lettre les recommandations de la 15ème conférence, on pouvait s’attendre à tout. Comme affronter les militants qui voulaient une candidature interne aurait été extrêmement difficile, les puissants du parti ont louvoyé comme ils ont pu. Ce que je reproche à Kalfa Sanogo, qui est un ami, c’est de ne pas s’être maintenu, sachant que tout ceci n’était fait que pour empêcher une candidature interne. S’il s’était maintenu, immédiatement après le désistement de Dioncounda Traoré nous nous serions mis d’accord pour le proclamer candidat. Il n’est pas exclu, mais personne ne peut dire à l’heure actuelle qu’il est le candidat de l’ADEMA. Moi, Ali Nouhoum, je demanderai à tout le monde de voter Kalfa Sanogo. Dans ma tête, bien qu’il soit indépendant, c’est Kalfa le candidat ADEMA. Pour certains c’est plutôt Dramane Dembélé, mais nous, les fondateurs, pouvons difficilement être derrière Dramane. Nous avons accepté une fois de le faire et nous avons vu où cela nous a conduits, nous n’avons obtenu que 9% en 2013. Je serai derrière Kalfa et, comme il a signé une alliance avec Soumaila Cissé, s’il n’est pas au second tour nous voterons tous Soumaila.

Comment voyez-vous l’avenir de votre parti ?

J’ai grand espoir que ceux qui ont vu fonctionner le parti se disent que c’est l’ADEMA originel qu’il nous faut. Le parti ne sera pas un éternel accompagnateur. Ceux qui tiennent aux idées sociaux-démocrates, au patriotisme, au dévouement, vont se secouer et dire qu’il faut que le parti revive.

Vous disiez que des élections bâclées nous plongeraient dans une crise plus grave que celle nous connaissons aujourd’hui. Avons-nous la capacité de tenir des élections crédibles et transparentes ?

Je suis sceptique. Je ne pense pas que l’on puisse le faire sur toute l’étendue du territoire, et je ne suis pas le seul. Les autorités disent qu’elles le peuvent. La meilleure option est de prendre le pouvoir par les urnes, mais si ce n’est pas le cas, cela ouvre la porte à beaucoup de dérives, y compris un coup d’État. Telle que je vois la classe politique malienne, l’opposition comme la majorité sont dans le schéma « ou je gagne ou je gagne ». Si la communauté internationale, la France, l’Algérie, ne disent pas à ceux qui perturbent l’Adrar de laisser faire les élections, elles n’auront pas lieu. Si, comme je l’entends de plus en plus, les élections se font dans un cercle et qu’on dise que toute la région a voté, par une convention, toutes les parties doivent être d’accord, sinon ce n’est pas faisable. Nous travaillons à éviter une crise, mais il n’est pas sûr que nous réussissions.

Le mot d’ordre de cette présidentielle semble être l’alternance. Partagez-vous cette vision ?

Il est évident que je fais partie de ceux qui ont peur. Il aurait été souhaitable que mon très cher ami IBK imite Nelson Mandela, qui, bien qu’ayant droit à un autre mandat, a décidé de renoncer. Il aurait pu également prendre exemple sur son ami François Hollande. L’honneur du Mali, il l’avait promis. Si je m’en tiens à ce que j’entends, le travail effectué n’a pas fait en sorte que les Maliens se sentent fiers. Il est évident que les patriotes que nous sommes souhaitent l’alternance. Ceci dit, entre notre souhait et les vœux du peuple il y a une différence. Dans le contexte actuel, avec tous ces chroniqueurs qui sont devenus des hommes politiques, avec les religieux et les militaires qui sont politisés, l’atmosphère fait redouter des crises majeures. Et surtout, si d’aventure le camp de la majorité, avec des élections truquées, s’auto proclame élu, j’ai peur. Je ne suis pas sûr que l’opposition accepte de s’incliner pour éviter au Mali la violence.

Comment jugez-vous le bilan du Président IBK ?

L’histoire le jugera.