Tombouctou : insécurité grandissante dans la région

Voilà bientôt un mois que l’insécurité croît dans la 6ème région administrative du Mali. Des attaques à répétition et un blocus visant les populations font vivre à Tombouctou des heures difficiles.

S’il fallait un énième incident sécuritaire sur les voies menant à Tombouctou pour prendre au sérieux la volonté des terroristes d’isoler la ville, il a eu lieu. Dans la nuit du 1er au 2 septembre dernier, le Fihroun Ag Alinsar, l’un des bateaux express de transport de passagers de la Compagnie malienne de navigation fluviale (COMANAF), a été victime d’une attaque dans le cercle de Youwarou alors qu’il venait de Mopti pour rejoindre la ville de Kabara, près de Tombouctou. L’attaque, perpétrée à l’arme lourde, a causé la mort d’un enfant de 12 ans et fait plusieurs blessés et des dégâts matériels.

La Cité des 333 Saints est depuis quelques semaines soumise à une pression de la part des Groupes armées terroristes (GAT), notamment le JNIM, qui, selon des sources locales, imposent un blocus à la ville depuis trois semaines.

« Tombouctou est bien sous blocus depuis mi-août. Les denrées de première nécessité n’entrent plus depuis maintenant deux semaines », assène Mohamed Ag Alher Dida, journaliste-blogueur local. « Ça a commencé d’abord par des menaces, à travers des messages vocaux, qui n’ont pas été prises au sérieux au début. Mais nous qui avons vécu la crise ici savons que les terroristes mettent généralement leurs menaces à exécution. Aujourd’hui, Tombouctou est prise en étau, de telle sorte que la ville ne se ravitaille plus via les zones frontalières vers l’Algérie et la Mauritanie. Les voies sont carrément bloquées », ajoute-t-il.

Les camions en provenance des pays frontaliers, mais aussi des voies routières passant par Bambara Maoudé ou Soumpi, qui ravitaillent la ville sont bloqués en pleine brousse ou même incendiés. Le 27 août dernier, l’un d’eux a été calciné en plein jour par des hommes armés à quelques dizaines de kilomètres du quartier d’Albaradjou. Depuis, ils sont nombreux à stationner dans les rues de Tombouctou, comme en attestent des images authentifiées qui ont largement circulé sur les réseaux sociaux le 2 septembre dernier. Sous blocus, la Ville mystérieuse est également prise pour cible. Le JNIM a revendiqué le 30 août dernier des tirs d’obus visant la zone aéroportuaire de la localité. Quelques jours après, le samedi 2 septembre, c’est le cœur de Tombouctou qui a subi les affres du terrorisme. Des obus lancés en pleine ville par les GAT ont fait un mort. « Certains disent qu’il n’y a pas de blocus sur Tombouctou, mais nous, qui vivons dans la ville, savons quelle réalité nous vivons. Les GAT trompent souvent la vigilance des gens. Pendant une à deux semaines ils ne font rien, mais après ils reprennent leurs attaques », explique une source locale, selon laquelle la situation s’est fortement dégradée suite à l’entrée récente des FAMa à Ber.

Face à la situation « dangereuse », les ressortissants de la région se mobilisent. Outre les dénonciations sur les réseaux sociaux, des rencontres « pour trouver une solution » sont en cours sur place et également à Bamako.

Le lundi 9 septembre 2023, l’Association des ressortissants pour le développement du cercle de Tombouctou (ARDCT) et l’ensemble des Présidents des associations de ressortissants des cercles de Diré, Goundam, Niafunké et Gourma-Rharous, avec plusieurs leaders communautaires, ont rencontré le Premier Ministre, Choguel Kokalla Maïga autour de la situation de Tombouctou. Les organisations locales réclament, entre autres, « la pleine implication des structures et des acteurs locaux dans la recherche de toutes les solutions idoines à la situation actuelle que vit la région, le ravitaillement normal des populations en denrées alimentaires et en produits pharmaceutiques, le plein soutien à la COMANAF et à SKY-Mali, en vue de leur permettre d’assurer le transport des personnes et des biens en toute sécurité, et la sécurisation des axes routiers en renforçant le dispositif sécuritaire en place ».

Insécurité : Regain de tension au Centre et au Nord

Les régions du Centre et du Nord du Mali font face depuis quelques semaines à une multiplication d’attaques de groupes armés terroristes (GAT), non seulement contre les emprises des Forces armées maliennes (FAMa) mais également, et de plus en plus, contre des villages civils.  Un regain de violences qui inquiète au moment où la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) se retire du pays.

État d’alerte dans la région de Bandiagara, dans le centre du Mali. Après « l’attaque terroriste lâche et barbare » du village de Bodio, dans la commune rurale de Doucoumbo, ayant fait 17 morts et 2 blessés le 5 août 2023, 2 chasseurs ont trouvé la mort le jour suivant, après avoir heurté un engin explosif improvisé (EEI) entre le village de Bodio et Anakanda.

Le 7 août, le village de Gani, dans la commune de Bara Sara, a été attaqué à son tour et incendié. Bilan : 5 morts et plusieurs blessés.

« Forcer l’allégeance »

Pour Adama Diongo, Porte-parole du Collectif des associations des jeunes du Pays dogon, cette situation dans la région s’expliquerait en partie par la période de l’hivernage. « Les terroristes sont dans la logique de faire en sorte que le début de l’hivernage soit saboté, pour perturber la campagne agricole. Leur objectif principal est d’affamer la population pour qu’elle se voit obligée de signer des accords d’allégeance avec eux », expliquait-il dans notre parution du 14 juillet dernier.

Face à la persistance des attaques terroristes, occasionnant, outre des pertes en vies humaines, des maisons incendiées, des animaux emportés et un nombre croissant de déplacés dans les grandes agglomérations de la région, les forces vives de Bandiagara ont organisé une marche dans la foulée, le 9 août, pour « dénoncer une fois de plus le silence total de nos plus hautes autorités ».

Tensions vives

À l’instar de celle de Bandiagara, les régions de Mopti et de San font aussi face à des attaques similaires de groupes armés terroristes depuis le mois de juin. En outre,  dans la région de Tombouctou, les tensions se sont exacerbées depuis le 10 août et le début de la remise du camp de la Minusma de la localité de Ber à l’armée malienne.

Les affrontements qui s’en sont suivis, d’une part entre les Forces armées maliennes et les groupes armés terroristes et d’autre part avec les combattants de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), ont entraîné également des déplacements de populations de la zone, même si le contexte diffère de celui de l’insécurité globale, en hausse dans le Centre et dans le Nord.

La CMA, qui considère la zone comme étant sous son contrôle, estime que l’État, à travers l’armée, viole l’Accord pour la paix et la réconciliation en s’accaparant de l’ancienne emprise de la Minusma dans la région.

« Depuis l’annonce de la décision du départ des forces internationales, certains mouvements armés avaient manifesté leur inquiétude par rapport à l’après Minusma. Il est important de rappeler que ces forces jouaient un rôle politique important en matière du respect du cessez-le feu et de respect des engagements. Depuis la signature de l’Accord, il n’y a pas eu de belligérance entre les Fama et les groupes signataires », souligne Ibrahima Harane Diallo, chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises au Sahel.

Avant de prendre possession du camp de Ber, le 13 août, l’armée a fait face à de nombreux incidents ayant entravé le mouvement de ses unités. Un communiqué de l’État-major daté du même jour a fait état d’un bilan de 6 morts et de 4 blessés dans les rangs des Fama et de 24 terroristes neutralisés.

Quelques jours plus tôt, dans plusieurs messages audio diffusés sur WhatsApp le 8 août, Talha Abou Hind, Émir du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans, appelait ses hommes à stopper l’arrivée des camions en provenance d’Algérie et de Mauritanie dans la ville de Tombouctou.

Bandiagara : face à la recrudescence des attaques, le ras-le-bol de la population

Bodio, un village situé dans la commune rurale de Doucombo, cercle de Bandiagara, a été la victime d’une attaque terroriste le 5 août 2023. Bilan : 15 tués, 2 blessés, des dégâts matériels importants et une population traumatisée qui fuit la localité. Une énième attaque qui suscite la colère dans le Pays dogon. Pour manifester leur mécontentement, les « Forces vives » de la zone ont organisé une marche et décrété une journée Ville morte le 9 août 2023 à Badiangara. Ces attaques, devenues récurrentes, sont le symbole d’une insécurité qui gangrène le Pays dogon et au-delà et nécessite une analyse approfondie pour des solutions pérennes.

Le lendemain de l’attaque, entre Bodio et une localité voisine, un tricycle transportant deux chasseurs explose sur un engin explosif, causant la mort de ses deux occupants. Pour exprimer leur désarroi, « toutes les forces vives du Pays dogon, jeunes, femmes, commerçants, chefs de village et élus locaux, ont manifesté pour attirer l’attention des plus hautes autorités sur l’insécurité grandissante ». À l’issue de la marche, qui a dégénéré suite aux échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre, faisant des blessés, un mémorandum a été remis aux autorités. 

Ce regain de violence était prévisible, selon Adama Djongo, Président du Collectif des associations de jeunes du Pays dogon. À l’approche de chaque hivernage, il s’agit d’un moyen pour les « terroristes de maintenir les populations dans la famine en les empêchant de cultiver ». Malgré les différentes alertes, M. Djongo déplore l’insuffisance des actions et demande à l’État « de mobiliser tous ses moyens pour sécuriser les populations ». Les Forces vives ont donc remis dans ce cadre un mémorandum aux autorités. Elles ne veulent plus se contenter des « décomptes macabres », promettant de se faire entendre si rien n’est fait. La population a décidé mercredi 9 août d’une journée ville morte. Une manifestation a également été organisée. Pacifique au début, elle a par la suite dégénéré. Les forces de l’ordre ont effectué des tirs de sommation selon des témoins faisant 11 blessés dont quatre parmi les forces de l’ordre et sept parmi les manifestants dont un grave. Ce dernier a succombé à ses blessures dans la soirée du 10 août. Les forces vives de la région de Bandiagara ont donc décidé de poursuivre la journée ville morte jusqu’à nouvel ordre. Une mesure qui touche tous les secteurs d’activité hormis les services de santé ; l’EDM ; la SOMAGEP et le transport terrestre et aérien.

Les limites du tout sécuritaire

L’absence des autorités dans les localités reculées et la perte des moyens des milices d’autodéfense, qui assuraient leur propre sécurité, constituent pour certains observateurs les causes de cette insécurité persistante. Il faut donc que l’État analyse cette question sécuritaire complexe en redéfinissant « les paradigmes du conflit malien ».

C’est donc une politique à mettre en place et un processus à entretenir. Il faut que l’État soutienne d’abord un plan d’urgence aux populations, nombreuses à se déplacer, et se focalise « sur le dialogue entre les communautés ». Mais les solutions au conflit malien ne peuvent être que communes avec celles du Sahel, indiquent les mêmes analystes. Ces pays doivent se mettre en synergie et « harmoniser leurs stratégies ».