Bandiagara : les attaques meurtrières se multiplient

A Bandiagara, les jours se suivent et se ressemblent. Depuis le début de l’hivernage, les populations font face à une série de violence meurtrière. Ce 18 août 2023, c’est le village de Yarou qui a subi une attaque par des hommes armés, ayant fait 22 morts, suivi le 20 août 2023 d’une autre dans le village d’Idiely, ayant fait 1 mort. Face à la situation, la société civile exprime sa préoccupation et sollicite un changement de stratégie.

Les assassinats ou attaques ciblées contre des villages qui se vident de leurs habitants, les vols de bétail sont devenus le lot quotidien des habitants de Bandiagara. Les communes alentour de la région sont devenues les cibles d’attaques récurrentes suscitant la colère des populations. Le 9 août 2023, les forces vives de la région avaient organisé une marche et annoncé une journée ville morte.

Depuis le 5 aout 2023 où l’attaque de Bodio avait fait 15 morts, celle de Gari le 7 août 12 morts, un attentat à la bombe à Dianwéli qui a causé 5 morts et l’attaque à Yarou le 18 août où 22 personnes ont été tuées et des bétails emportés, le climat d’insécurité s’accroît et inquiète les populations.

Alors que les attentes étaient grandes en termes de changement dans la situation sécuritaire, « les résultats sont en deçà de ceux espérés », déplore le président des organisations de jeunes de la région, Adama Djongo. Il appelle donc les autorités à un « changement de stratégie », afin d’associer les populations pleinement à la prise en charge de leur sécurité.  Conscient que l’Armée ne peut atteindre l’intégralité du territoire en même temps, il invite les autorités à mettre à profit l’expérience des groupes d’auto défense, pour contribuer à la sécurisation de leur terroir.

Une population traumatisée qui demande à l’Etat de prendre des mesures urgentes afin de les « rassurer », témoigne un habitant. En attendant et par crainte de représailles, plusieurs habitants des localités visées fuient en direction de la région.

Bandiagara : face à la recrudescence des attaques, le ras-le-bol de la population

Bodio, un village situé dans la commune rurale de Doucombo, cercle de Bandiagara, a été la victime d’une attaque terroriste le 5 août 2023. Bilan : 15 tués, 2 blessés, des dégâts matériels importants et une population traumatisée qui fuit la localité. Une énième attaque qui suscite la colère dans le Pays dogon. Pour manifester leur mécontentement, les « Forces vives » de la zone ont organisé une marche et décrété une journée Ville morte le 9 août 2023 à Badiangara. Ces attaques, devenues récurrentes, sont le symbole d’une insécurité qui gangrène le Pays dogon et au-delà et nécessite une analyse approfondie pour des solutions pérennes.

Le lendemain de l’attaque, entre Bodio et une localité voisine, un tricycle transportant deux chasseurs explose sur un engin explosif, causant la mort de ses deux occupants. Pour exprimer leur désarroi, « toutes les forces vives du Pays dogon, jeunes, femmes, commerçants, chefs de village et élus locaux, ont manifesté pour attirer l’attention des plus hautes autorités sur l’insécurité grandissante ». À l’issue de la marche, qui a dégénéré suite aux échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre, faisant des blessés, un mémorandum a été remis aux autorités. 

Ce regain de violence était prévisible, selon Adama Djongo, Président du Collectif des associations de jeunes du Pays dogon. À l’approche de chaque hivernage, il s’agit d’un moyen pour les « terroristes de maintenir les populations dans la famine en les empêchant de cultiver ». Malgré les différentes alertes, M. Djongo déplore l’insuffisance des actions et demande à l’État « de mobiliser tous ses moyens pour sécuriser les populations ». Les Forces vives ont donc remis dans ce cadre un mémorandum aux autorités. Elles ne veulent plus se contenter des « décomptes macabres », promettant de se faire entendre si rien n’est fait. La population a décidé mercredi 9 août d’une journée ville morte. Une manifestation a également été organisée. Pacifique au début, elle a par la suite dégénéré. Les forces de l’ordre ont effectué des tirs de sommation selon des témoins faisant 11 blessés dont quatre parmi les forces de l’ordre et sept parmi les manifestants dont un grave. Ce dernier a succombé à ses blessures dans la soirée du 10 août. Les forces vives de la région de Bandiagara ont donc décidé de poursuivre la journée ville morte jusqu’à nouvel ordre. Une mesure qui touche tous les secteurs d’activité hormis les services de santé ; l’EDM ; la SOMAGEP et le transport terrestre et aérien.

Les limites du tout sécuritaire

L’absence des autorités dans les localités reculées et la perte des moyens des milices d’autodéfense, qui assuraient leur propre sécurité, constituent pour certains observateurs les causes de cette insécurité persistante. Il faut donc que l’État analyse cette question sécuritaire complexe en redéfinissant « les paradigmes du conflit malien ».

C’est donc une politique à mettre en place et un processus à entretenir. Il faut que l’État soutienne d’abord un plan d’urgence aux populations, nombreuses à se déplacer, et se focalise « sur le dialogue entre les communautés ». Mais les solutions au conflit malien ne peuvent être que communes avec celles du Sahel, indiquent les mêmes analystes. Ces pays doivent se mettre en synergie et « harmoniser leurs stratégies ».

Sécurité : plusieurs attaques contre les FAMa sur l’axe Tenenkou-Macina

Les Forces armées maliennes (FAMa) ont annoncé mardi soir avoir engagé à plusieurs reprises, « de violents combats contre des Groupes Armés Terroristes (GAT) après avoir été victimes de plusieurs incidents à l’engin explosif improvisé ». Les accrochements ont eu lieu sur l’axe Tenenkou-Macina dans la région de Mopti. Une première est intervenue entre les villages de Dia et Diafarabé, ensuite entre Koumara et Macina, indique-t-on dans le communiqué des FAMa. Selon la même annonce, le bilan provisoire était état de trois morts, cinq blessés et trois véhicules immobilisés côté FAMa et de sept terroristes neutralisés. « Les renforts terrestres sont arrivés dans la zone de même que la surveillance aérienne. Il a été réévalué dans un communiqué publié dans la soirée par l’état-major. Le bilan est désormais de 14 morts; 11 blessés et véhicule détruit côté FAMa. 31 terroristes ont été neutralisés en tout indique le communiqué.

L’attaque intervient quelques jours après celles qui ont fait cinq morts ainsi que des dégâts matériels le 2 janvier au poste de secours routier de la protection civile de Markakoungo. En outre, dans la nuit du 8 au 9 janvier dernier, le poste de douane de Didiéni et celui de la Gendarmerie de Sébékoro ont subi des agressions d’hommes armés non identifiés. La double attaque revendiquée par le JNIM ce mardi aurait fait un mort à Sébécoro selon des sources locales.

Violences au centre : La théorie du complot

Depuis les premières lueurs de l’année 2019, le centre du Mali est dans un effroyable tourbillon de violences. Après le massacre de 37 civils peuls du village de Koulogon, trois mois plus tard, la barbarie a atteint son paroxysme avec la tuerie d’au moins 160 autres personnes dans le village d’Ogossagou, indignant toute la Nation. Le cycle allait continuer. Le dimanche 9 juin, 95 habitants, selon certaines sources, ou 35, selon un communiqué du gouvernement, du village dogon de Sobame Kou ont péri dans une attaque armée. Comment en sommes-nous arrivés là ?

37, 160, 95 ou 35 ? Peu importe. Pour la énième fois, des hommes, femmes et enfants innocents ont été massacrés au centre du pays. Le dimanche 9 juin, c’est le village dogon de Sobame Kou qui a subi l’assaut d’individus armés tuant sans ménagement. Une tragédie qui suit celles de Koulogon, le 1er janvier 2019, et d’Ogossagou, le 23 mars dernier. Après chacun de ces crimes, l’émoi et les questions.

Pour Mahamadou Savadogo, spécialiste de l’extrémisme violent et la radicalisation au Sahel, « l’absence de l’État dans cette partie et son manque d’autorité vis-à-vis de certains groupes d’autodéfense » ont concouru à ces raids macabres. « Il y a aussi l’injustice, parce qu’après le massacre d’Ogossagou, il n’y a pas eu de mesures fortes, à part le simple fait d’avoir dissous une milice qui continue depuis de communiquer et d’agir. Le fait que l’État sous-traite un domaine régalien ne fait qu’envenimer les tensions communautaires, puisqu’il n’y a plus personne pour servir de tampon entre les communautés », affirme le chercheur burkinabé.

Pourtant, depuis 2015, des chercheurs maliens et d’ailleurs, ainsi que les médias, ne cessaient d’alerter sur ce qui se tramait dans cette partie du pays, où foisonnent groupes armés djihadistes et milices locales« Ce qui est arrivé était prévisible. Nous avons l’impression que c’est le retour du bâton, puisqu’il y a eu un massacre de Peuls et que là c’est celui de Dogons. C’est un cycle qui va continuer si l’État ne prend pas ses responsabilités en assumant son rôle régalien », prévient  Mahamadou Savadogo.

Prémices explosifs Pour comprendre le chaos au centre, il faut un regard rétrospectif. L’analyse du sociologue et chercheur malien Mahamadou Diouara touche du doigt des paramètres jusqu’ici occultés. Selon lui, c’est en 2012 que tous les ingrédients se sont réunis pour faire du centre ce qu’il est devenu aujourd’hui. « Le centre a été transformé en zone militaire et de guerre en 2012. Au moment où les esprits étaient tournés vers le nord, qui était occupé, le centre, principalement la région de Mopti, était déjà occupé par les troupes militaires qui avaient quitté Gao avec Didier Dacko et s’y étaient installées sans y être affectées. À cela s’ajoute tous les militaires sans ordre de mission qui ne voulaient pas composer avec la junte dirigée par le Capitaine Sanogo», dit-il. La région était devenue le dernier rempart du sud. « En plus de tout cela, il y avait des milliers de jeunes maliens qui voulaient participer à l’effort de guerre et qui ont pu avoir accès à une formation militaire à ciel ouvert et sans conditions, avec l’esprit et le corps fortement militarisés. S’y ajoute toute la horde des déplacés de guerre qui ont quitté le nord pour surpeupler la zone », témoigne le sociologue.

Au même moment, dans certaines parties de la région, « il y avait la présence de groupes terroristes associés à des groupes séparatistes ayant occupé jusqu’à Douentza », fait-il encore remarquer. Ce regroupement d’éléments étrangers a créé des conditions d’une situation explosive et la diversité des acteurs complexifie  l’identification des responsables de ces attaques ignobles. « Dans ces zones, nous sommes confrontés à la présence de groupes armés étrangers. Il y a des bandits armés qui viennent de la Côte d’Ivoire et de la Sierra Leone et qui s’adonnent au pillage. Nous avons arrêté des Nigérians, des Burkinabé et d’autres personnes qui opèrent là », confie un militaire sur le terrain. À défaut d’identifier les coupables, les doigts accusateurs se tournent souvent vers les « terroristes ». Or, une telle posture empêche de traiter le fond du problème, selon le chercheur burkinabé. « À chaque fois, lorsqu’on rejette la faute sur les groupes terroristes, on s’empêche de trouver les vraies solutions, c’est-à-dire à réconcilier les communautés. Il faut qu’on arrête de rejeter à chaque fois la balle sur eux. Même si les groupes terroristes attisent les tensions, il y a des communautés qui s’affrontent », précise Mahamadou Savadogo. Certains analystes, comme Diouara, pensent que certains acteurs tapis dans l’ombre « veulent à tout prix créer un conflit intercommunautaire dans le centre en profitant de la situation. Parce que je sais qu’Ogossagou n’a pas été attaqué par Dana Ambassagou. J’ai été sur le terrain, interrogé les acteurs, les victimes, écouté Dana Ambassagou et ma conclusion est ferme », révèle-t-il.  

Carte du Mali
Carte du Mali

Des mains invisibles ?

Malgré tous les efforts des gouvernements du Président IBK depuis 2013, le peuple malien se réveille chaque jour avec le pire. « L’entente de Bamako du 15 mai 2015, appelée Accord pour la paix et la réconciliation, était pour célébrer la défaite de la France, parce qu’elle avait programmé 2013 pour revenir assurer la sécurité dans les régions sahariennes, afin de permettre à la compagnie nationale minière créée en 2014 de pouvoir exploiter les réserves en terre qu’elle a laissées, selon la loi du 10 janvier 1957 qui a créé l’OCRS. La France, étant en rareté de ressources naturelles,  est retournée au Mali pour avoir accès de façon exclusive à ces ressources », accuse le professeur et chercheur Abdoulaye Niang.  Selon lui, une conférence des Nations Unies aurait dû se tenir juste après la signature de cet accord pour un partage des richesses entre le Mali et certains pays européens.  « Mais comme cela n’a pas été fait, on maintient le statu quo. Et on va de crise en crise, l’extrême violence a avancé du centre au sud », souligne le directeur du centre Senè. Après des années de recherche, il est parvenu à une conclusion. « Aussi longtemps que le Président IBK concentrera le pouvoir économique et politique dans sa main, sans l’application du principe du leadership de prospérité partagé, la progression de l’extrême violence va continuer. C’est une vérité synthétique ». Il met en avant dans cette « guerre économique » la volonté de Nations étrangères de s’accaparer nos terres. « Les terres des régions sahariennes, du Liptako Gourma, de l’Office du Niger, attisent la convoitise des nations européennes. En 1954, elles se sont mises d’accord pour qu’elles appartiennent aux nations chrétiennes. Donc le mot djihadiste est une fabrication. Il y a des forces spéciales d’Europe opposées à des forces arabes et africaines pour le contrôle des terres », poursuit-il.

Cette logique est soutenue par les arguments du chercheur Mahamadou Diouara. « Le Mali est l’objet d’intérêt de beaucoup d’acteurs. La France vient d’installer une base militaire à Gossi. En 2011, nous avions organisé une marche de la Tour de l’Afrique à l’ambassade de France pour dénoncer cette volonté, parce que nous avions déjà des documents qui attestaient d’un certain nombre de choses », affirme-t-il. L’enchaînement des événements alimente de plus en plus l’hypothèse que le Mali est pris en otage par des forces « supérieures ». « Il y a forcément quelque chose qui explique les choses, même si nous n’avons pas tous les éléments pour le certifier. Il y a des signes qui s’associent et qui donnent sens à d’autres éléments obtenus en amont », se convainc-t-il.

La multiplicité d’acteurs aux agendas divergents a créé un bourbier sans précèdent. « Nous avons plus de  53 pays au monde qui ont tous une stratégie Sahel, et parmi eux plus d’une vingtaine ont une stratégie pour le Mali. Quand un État, dans le cadre de la diplomatie, élabore une stratégie pour un pays, c’est en fonction d’intérêts. C’est à notre État d’avoir l’intelligence d’avoir des intérêts conciliables avec les intérêts des autres, ou non conciliables, ce qui requiert des mesures diplomatiques », conclut Diouara, ajoutant « nous savons que nous sommes un État relativement faible dans le concert des Nations aujourd’hui. Mais il faut que nous soyons conscient de ce que nous sommes en position de perdre et de ce que nous sommes en mesure de gagner pour opérer des choix ».