GSIM – MSA : ce qui se joue derrière « l’alliance» de circonstance

Un peu plus de deux ans après sa dernière apparition, le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda, Iyad Ag Ghaly, s’est montré dans une vidéo le 22 janvier dans la région de Ménaka. Selon plusieurs sources, il y était pour accepter l’allégeance de notables issus de tribus de la zone et membres du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). Ce ralliement, qui conforte un peu plus l’ancrage Al-Qaïda dans la zone, pourrait affaiblir le MSA et présager de nouveaux combats contre le groupe État islamique.

Selon nos informations, ces nouveaux membres du GSIM sont des notables de la communauté Daoussahak de la région de Ménaka. Une communauté issue de la tribu Tamasheq géographiquement présente dans une grande partie de la région de Ménaka et une partie du cercle d’Ansongo.

L’État islamique au Grand Sahara Sahel (EIGS) mène une offensive dans la région de Ménaka depuis mars 2022. Cette offensive, qui a conduit à des affrontements armés avec le GSIM, a occasionné des attaques non seulement contre les civils daoussahaks mais aussi contre les groupes armés, dont le MSA.

Systématiquement ciblés par l’État islamique depuis mars dernier (plusieurs tués) ceux-ci auraient préféré s’allier à « l’ennemi de leur ennemi », le GSIM, pour se défendre contre ces attaques.

L’analyste sécuritaire Ibrahim Maiga expliquait dans nos colonnes en avril dernier que les divergences entre les Daoussahaks, qui constituent le fer de lance du MSA, et la communauté peul Tolebe, fortement représentée au sein de l’EIGS, alimentaient le conflit entre le MSA et l’EIGS, au-delà des querelles d’ordre idéologique entre les deux camps.

« Ces derniers mois, ils (la communauté Daoussahak, ndlr) ont été meurtris par les attaques des groupes djihadistes, en l’occurrence l’État islamique. Pour sauver leur tête ils ont adhéré au GSIM. Iyad Ag Ghaly serait dans la zone depuis un moment et ils ont profité de cette présence pour lui prêter allégeance », explique Abdoul Nassir Idrissa, journaliste de la région. Il précise que ce n’est pas l’aile politique du MSA, mais plutôt « des notables, des chefs de tribus et fractions qui se sentent chaque jour persécutés ».

Le MSA impacté ?

Cette allégeance d’anciens membres du MSA au chef du GSIM n’a que peu surpris. Mais elle aura plusieurs implications dans l’évolution de la dynamique des forces en présence sur le terrain dans cette zone en proie à des combats pour son contrôle depuis des mois.

« Iyad Ag Ghaly marque sa présence à Ménaka. On sait tous qu’Al-Qaïda y était présent, mais d’une manière très timide, et c’est à la faveur de la guerre avec l’État islamique que le groupe s’est impliqué de plus en plus là-bas, à cause des échecs des autres factions face à l’État islamique. C’est sa façon à lui de montrer qu’il est soutenu dans la guerre contre l’État islamique », analyse une source spécialiste des mouvements djihadistes.

Si le chef terroriste y gagne dans l’ancrage d’Al-Qaïda dans la région de Ménaka, le MSA en revanche risque de s’affaiblir et de voir son influence réduite sur le terrain. Selon Abdoul Nassir Idrissa, la jeunesse daoussahak, qui constitue la branche armée du MSA, pourrait le déserter au profit du GSIM et le MSA pourrait devenir une coquille vide.

« Ces notables vont donner la majorité des jeunes daoussahak du MSA au GSIM et donc à Iyad Ag Ghaly », craint-il, soulignant aussi que le ralliement aux groupes terroristes de certains membres des groupes armés pro-gouvernement va créer « d’autres situations plus compliquées » sur le terrain.

Combats en vue

En relative accalmie depuis quelques semaines, les combats entre le GSIM et l’EIGS dans les régions du Nord pourraient reprendre très prochainement. Ce qui justifierait le renforcement des rangs du GSIM, qui, tout comme le groupe rival, a perdu beaucoup de combattants.

Dans une lettre attribuée à l’émir du GSIM de la région de Tombouctou en date du 16 janvier, ce dernier demande aux habitants de la localité d’Acharane (10 km de Tombouctou) de quitter les lieux pour ne pas être des victimes collatérales lors d’éventuels futurs affrontements.

Ménaka : au moins 40 personnes tuées par des hommes armés

 

 

Les affrontements entre la coalition MSA/ GATIA et des groupes armés dans la région de Ménaka ne cessent de faire des victimes de part et d’autre. En 48 heures, 43 personnes de la communauté Daoussahak, étoffe principale du MSA,  ont été tuées par des hommes dans cette zone.  Terrorisme ou guerre communautaire ?

Dans l’après-midi du  vendredi 27 avril, plusieurs sources locales et  ainsi qu’au  près du Mouvement pour le Salut de l’Azawad  font état de 31 personnes  tuées de la communauté Daoussahak dans la région de Ménaka  près d’Infoukaretane, non loin de la frontière nigérienne.  L’évènement  a eu lieu dans la localité de Wakassa où des hommes armés  ont  abattu dans un campement un  nombre important de civiles. « Il y a douze personnes qui ont été tuées hier à Aklaz vers Anderanboukane et  31 autres  aujourd’hui   à Wakassa », confirme Mohamed Ag Albachar, porte-parole du MSA. La communauté ciblée, les Daoussahak , sont l’âme même du mouvement que dirige Moussa Ag Acharatoumane, le MSA . En coalition avec le Groupe d’Autodéfense Touareg Imghad et Alliés (GATIA), les deux groupes  affrontent depuis des mois des groupes dits ‘’terroristes’’ ou ‘’criminels’’ sévissant dans cette zone entre la frontière malienne et nigérienne. Ils ont maintes fois sollicité l’aide de la communauté internationale et du gouvernement malien pour faire face à leurs ennemis.  La force française Barkhane les a finalement ralliées dans la lutte. Des bombardements et des renseignements ont été décisifs dans les récents affrontements meurtriers  à l’ouest de Ménaka.

Accusée d’exactions sur 93 personnes dans plusieurs localités de la région, l’un des dirigeants de cette coalition, notamment Moussa Ag Acharatoumane a démenti instantanément le directeur de la division des droits de l’homme de la MINUSMA, auteur des révélations, Guillaume N’guefa.  Pour le secrétaire du mouvement, le combat qu’ils mènent vise  des ‘’criminels’’ et se refuse de le qualifier autrement. Il avait aussi avancé qu’il s’agissait de défendre leur communauté de ces genres d’attaques barbares.

Toutefois, le contentieux existant entre la communauté Daoussahak et celle des peuls dans cette partie pourrait être aussi la cause de tous les débordements.  Une thèse,  même si écartée jusque-là  par certains, reste très plausible. «  C’est la mafia qui opère le long de la frontière avec le Niger. Il y a une rencontre entre  toutes  les communautés de la zone frontalière, organisée par   l’ONG HD, à Niamey. Je pense que  l’objectif est de la saboter », suppose le porte-parole du MSA. De tout temps, ces responsables du mouvement n’ont  qualifié ceux avec qui ils sont en guerre  ni des terroristes ni des djihadistes.

Dans un communiqué  datant du 27 avril, le MSA dit condamner ‘’ avec la plus grande fermeté les crimes de masse perpétrés par des criminels sanguinaires, sans foi ni loi contre des populations civiles IDAKSAHAK sans défense. ‘’  Il invite par cette occasion la division de droits de l’homme de la MINUSMA et les autres organisations du même domaine à mener des enquêtes pour situer les responsabilités.

Le contexte sécuritaire complexe, avec la présence de l’émir de l’Etat islamique dans le Grand Sahara qui s’appuie sur un recrutement local complique davantage une issue heureuse à la situation.  Une certitude, le sang n’a pas fini de couler dans cette nouvelle région qui aspire pourtant à la paix et au développement.

 

 

Talataye : Vivre dans la peur

Depuis une dizaine de jours, la commune rurale de Talataye, une localité isolée située dans le cercle d’Ansongo, est en proie à de vives tensions. Terrorisme ou conflit interethnique, enjeu sécuritaire et jeux d’intérêts entre groupe armés, ont installé un climat délétère dans cette commune, restée longtemps dans le giron de la CMA et qui vit depuis des années comme repliées sur elle-même.

En ville, quand ils sortent, les gens ne s’attardent plus, le marché de Talataye d’habitude très fréquenté qui attire les samedi, forains, éleveurs et commerçants des alentours, comme du Niger et de l’Algérie a désempli, la peur et l’incertitude ont gagné la population depuis l’attaque par des hommes armés non-identifiés, le 2 février dernier, du village voisin d’Inwelane, qui a fait 4 victimes, dont l’imam de la mosquée pris en otage puis égorgé par les assaillants. La présence d’un important contingent du Mouvement pour le Salut de l’Azawad ( MSA ) épaulé par le GATIA ( Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés ), qui ont pris en chasse ces hommes armés qualifiés de djihadistes, au lieu d’amener la sécurité et l’apaisement semble avoir exacerbé les tensions. « Le MSA, après avoir pourchassé les présumés djihadistes, est revenu en armes à Talataye quatre jours plus tard. Ils nous ont dit que ceux qui ont attaqué Inwelane étaient des djihadistes et qu’ils avaient été guidés par des gens de Talataye. Ils cherchaient 5 personnes, mais ils ne les ont pas trouvées, car la plupart des hommes apeurés ont quitté le village ne laissant que les femmes et les enfants. C’est là que le harcèlement, les arrestations et les violences ont commencé et ont duré 3 jours », confie amèrement ce commerçant, affecté psychologiquement et qui songe depuis ces événements à quitter la commune. Pour le MSA, dans cette localité où l’on tient à la mosquée des prêches rigoristes, où on contraint les femmes à ne pas se rendre au marché et à se vêtir convenablement, la proximité de certains habitants avec les djihadistes ne semblait faire aucun doute.

Pourtant, dans la commune, bien que l’on ne sache pas réellement qui sont les assaillants, la thèse d’une attaque commise par des éléments djihadistes ne convainc pas vraiment. Les regards se tournent plutôt vers Inwelane où quelques semaines auparavant un éleveur peul a été assassiné et son bétail volé par des hommes armés du village, un état de fait loin d’être rare dans la zone.

Djihadistes ou conflit interethnique ?

« Les gens d’Inwelane et de Talataye appartiennent à la même communauté, les Daoussahak. La majorité des combattants du MSA viennent du village d’Inwelane et ils sont tous armés là-bas. Les gens de Talataye ont désapprouvé l’assassinat de ce Peul, ils en ont même appelé à la justice pour dire qu’ils ne veulent pas de ça chez eux, qu’ils ne veulent pas de problème avec d’autres communautés, une position qui n’a pas vraiment été appréciée à Inwellane. Je pense que cette attaque était surtout un règlement de compte. Si le MSA préfère dire que ce sont des terroristes, c’est peut-être qu’en disant cela ils pensent pouvoir obtenir un soutien du gouvernement ou de la communauté internationale», affirme cet habitant de la commune sous anonymat.

Un avis partagé par Salah Ag Ahmed, le maire de Talataye : « Je ne peux pas dire que ceux qui ont attaqué Inwelane sont des terroristes. Mais ils étaient majoritairement composés de Peuls et malheureusement les gens, dans l’ignorance, considèrent que tous les Peuls sont avec les terroristes. Quand les gens ont appris qu’un Peul avait été assassiné et volé, ils ont tout de suite su qu’il y aurait une réaction et ça n’a pas tardé », explique-t-il.

En dehors de cette attaque qui semble être à forte connotation ethnique, un autre enjeu, en forme de bras de fer, oppose la population de Talataye au MSA : la sécurisation de la commune, dans laquelle le mouvement armé aimerait implanter un poste de sécurité.

Sécurité et jeux d’intérêts

À Talataye, on voit d’un très mauvais œil l’installation d’une force armée dans le village, qui pourrait remettre en question la paix relative qui règne dans la commune. « La population de Talataye était en parfaite entente avec tous ses voisins, l’arrivée d’un groupe armé va créer plus de problèmes. S’il y a des attaques, la population dans sa grande majorité préfère que ce soit résolu d’une autre manière que par la force, parce qu’avec la force des représailles s’ensuivront. », soutient le maire de la commune. « Je n’ai aucune confiance dans les groupes armés, car ils sont comme les terroristes, ils ne suivent aucune loi, ils font ce qu’ils veulent », assène cet autre habitant.

Reste que la commune de Talataye demeure une zone convoitée par les groupes armés car elle est en quelque sorte une plaque tournante entre l’Algérie et le Niger. Le marché y est très important d’un point de vue économique et ces retombées conséquentes pourraient permettre à ces groupes de financer certaines de leurs activités. « C’est une zone qui a longtemps échappé au contrôle des mouvements armés qui sont vers Ménaka, le GATIA et le MSA , ça devient même un défi pour eux de la contrôler », explique Salah Ag Ahmed

« Moussa Ag Acharatoumane, le Général Gamou, Alghabass Ag Intalla, ils sont tous venus à Talataye, ils ont fait des réunions avec les responsables de la localité. ils veulent avoir leur part dans la gestion de la commune, car c’est une zone importante. Je pense que la population préférerait être sécurisée par le HCUA ( Haut conseil pour l’unité de l’Azawad ) puisque le maire est de ce mouvement. Il habite à Kidal et vient très rarement ici. Il doit certainement y avoir une rivalité entre la CMA ( Coordination des mouvements de l’Azawad ) et le MSA pour contrôler la zone », ajoute cet élu d’un village voisin.

À Talataye, un des villages où le drapeau du MNLA ( Mouvement national de libération de l’Azawad ) a flotté pour le première fois avant même l’éclatement de la rébellion, cette question de la sécurisation de la commune a pour le moment engendré un statu quo. Le MSA est parti avec armes et bagages, en début de semaine, en direction d’Indelimane, mais la population sait déjà qu’ils reviendront. La gestion de cette petite localité du cercle d’Ansongo reste un enjeu pour ces groupes armés qui ne semblent considérer la population que comme un faire-valoir à sécuriser, posant par la même des questions qui pour le moment restent sans réponse : peut-on protéger une population contre son gré ? et qui protégera cette population de ses protecteurs ?