Annulation de spectacles : quels coûts ?

Les annulations de spectacles sont la hantise des organisateurs. Plusieurs facteurs, aussi divers qu’inattendus, les expliquent et elles sont l’occasion de pertes rarement couvertes. Une plus grande solidarité et une meilleure organisation du secteur semblent être les défis à relever.

Pandémie de Covid-19, intempéries, deuils nationaux ou autres cas de force majeure, les acteurs du monde du spectacle ont dû reporter ou tout simplement annuler beaucoup de manifestations ces dernières années.

« Compte tenu des réactions très mitigées depuis l’annonce de la tenue du spectacle, nous, opérateurs culturels maliens et ivoiriens, responsables et soucieux de créer un environnement de paix à travers l’Art, décidons de reporter le concert de Didi B à une date ultérieure », ont indiqué les organisateurs du concert de l’artiste ivoirien prévu pour le 24 septembre prochain. Une annulation de plus, qui intervient quelques semaines après celle du concert de l’artiste malienne Mariam Bah à Abidjan.

« En  termes  de pertes, cela représente beaucoup, parce qu’il y a des choses que l’on ne peut plus récupérer », explique Ismaël Ballo, dit Ballody, PDG de Prestige Consulting. Par exemple, pour la communication, les sommes investies dans la  stratégie, les publicités et autres ne peuvent être récupérées. Et, sur le plan logistique, certains frais engagés ne seront pas remboursés, poursuit-il. En avril 2021, après l’annulation du concert de Wizkid à la dernière minute, à cause des mesures prises par le gouvernement pour contrer la Covid-19, l’influençeur Ballinu Montana, qui organisait le concert, nous confiait avoir engagé 138 millions de francs CFA, dont 33 pour affréter un jet privé, et le reste pour la location des équipements, les cachets et la communication. Sommes non remboursées, assurait-il. Même si leurs causes sont différentes, les conséquences des annulations sont les mêmes. Les pertes occasionnées sont inestimables, surtout lorsque l’annulation intervient à quelques jours de l’évènement programmé.

Mais l’impact peut être plus ou moins grand en fonction des acteurs. « Certains artistes peuvent accepter des dédommagements parce que l’inexécution était indépendante de la volonté de l’organisateur. Mais ceux qui louent les salles de spectacle peuvent être moins compréhensifs », affirme un promoteur. Rien n’oblige les prestataires à rembourser, mais c’est surtout l’absence de mécanisme idoine qui touche le monde du spectacle, déplore-t-il.

L’assurance pour ces événements n’est pas une pratique usuelle ici. Le domaine est méconnu, même du secteur bancaire, qui ne lui fait pas confiance, explique Ballody, alors que les organisateurs de spectacles créent des emplois directs et indirects. Selon Aminata Bocoum, Directrice de l’Agence Influyence, les assurances ne s’occupent pas des annulations et gèrent seulement les éventuelles blessures qui pourraient survenir.

Show-biz : Le Mali peine à attirer les superstars

Beyonce, Justin Bieber, Jay-z ou encore Rihanna. Nombreux sont les fans maliens de ces superstars planétaires qui aimeraient  les voir se produire un jour sur une scène. Si l’envie ne manque pas, il faut reconnaitre que les moyens des promoteurs culturels du pays pour réaliser ces « gros coups » sont encore  limités.

Le show-biz malien, à en croire ses acteurs, est gangrené de maux récurrents qui handicapent sa totale éclosion. Il est vrai qu’il y a déjà eu de grands concerts. Des artistes de renom se sont produits dans le pays. Davido, Wizkid, Dadju, Tekno, MHD, Maitre Gims, pour ne citer que ceux-là, ont déjà réussi des shows de grande envergure à Bamako. Mais, à y regarder de près, un palier reste toujours à franchir. Celui des stars américaines et d’autres grands noms du vieux continent. Où se situent les blocages ?

Faible sponsoring

« C’est tout simplement dû au manque de sponsoring. Si vous demandez aujourd’hui  aux sponsors de vous accompagner, le plus gros vous donnera 10 ou 15 millions et c’est difficile de s’en sortir dans ces conditions. On ne peut pas s’endetter à coups de millions », répond Abou Guiteye, directeur général de Africa Scène. « À Abidjan, un sponsor officiel couvre un évènement au moins à 90%. Au Mali, il est difficile d’avoir même 1% du budget d’un évènement pris en charge par un sponsor », ajoute-t-il.

Selon lui, cette réticence est aussi une question de mentalité, parce que les  personnes qui occupent les postes de responsables de la communication ne voient pas l’utilité d’injecter de l’argent dans des spectacles, pensant que culturellement c’est « un milieu à éviter ».

Il semble en effet difficile dans ces conditions de faire venir de très grandes stars américaines, dont les exigences ne sont pas aisées à combler. Déjà, la plupart ont des cachets qui ne sont pas en dessous de 200 ou 300 millions. Mais d’autres paramètres doivent aussi être pris en compte. « Il n’y a pas que les cachets. Elles ont d’autres demandes spécifiques, relatives aux véhicules, à l’hôtel et à la restauration. Il n’y a pas beaucoup d’opérateurs culturels qui peuvent investir dans cela sans accompagnement conséquent », confie Idrissa Soumeylou Maiga, directeur général de COMAF (Communication Afrique).

Le constat est amer. Les difficultés sont de taille et elles entravent la venue au Mali de très grands artistes. « Aujourd’hui, aucun promoteur culturel malien n’oserait miser 60 millions sur un artiste, à lui tout seul. Quand cela arrive, c’est souvent parce que d’autres personnes (en l’occurrence de grands commerçants) se servent de certaines relations pour rassembler la somme », confie Ismaël Ballo dit Ballody, directeur général de Prestige Consulting. Mais, dans ces conditions, se désole-t-il, « les vrais organisateurs ne sont pas aux affaires ».

Changer la donne

Pour faire bouger les lignes, il faut, à en croire les acteurs, que les sponsors comprennent qu’il est nécessaire de communiquer et d’injecter de l’argent dans la communication à travers de grands évènements. « Les millions qui sont injectés dans la télé, s’ils l’étaient dans des spectacles, susciteraient plus d’attention pour les marques et permettraient de générer du chiffre d’affaires pour ces activités. En retour, nous pourrions faire venir de grosses pointures et les gens recommenceraient à prendre goût au grand spectacle », souligne M. Guiteye. L’une des solutions serait aussi de « créer des partenariats stratégiques et de pousser davantage du côté des entreprises minières ou d’autres sociétés qui ne sont pas forcément dans les actions de jeunesse ou qui n’investissent pas encore dans la culture », ajoute pour sa part Idrissa Soumeylou Maiga.

Assurément, dans le milieu, les acteurs ne baissent pas les bras. Ils œuvrent afin que la situation évolue. Ballody pense qu’au-delà d’un soutien de l’État, qu’il appelle d’ailleurs de tous ces vœux, il faudrait aussi et surtout que les promoteurs culturels s’organisent et s’entendent. « Ce n’est qu’ensemble qu’on peut le faire. Individuellement, c’est difficile d’y parvenir », conclut-il.