Transition : Le silence intriguant des acteurs politiques

Relégués dans l’ombre depuis le début de la Transition dirigée par les militaires, les acteurs politiques peinent de plus en plus à donner de la voix. Si quelques-uns continuent tant bien que mal à prendre position sur des sujets-clés, la plupart font profil bas.

Qu’il est loin le temps où les hommes politiques s’exprimaient et critiquaient la gestion des affaires publiques sans s’attirer d’ennuis! Sous la Transition, les voix politiques critiques se sont tues au fil du temps.

S’ils n’ont pas complètement démissionné de leur rôle de veille de la conduite des affaires, les partis politiques se contentent désormais de quelques prises de positions mesurées, dans des communiqués, sans que les leaders ne montent au créneau dans les médias pour s’exprimer comme par le passé.

Figures politiques en retrait

Il était l’un des rares hommes politiques à s’exprimer sous la Transition. Mais, depuis quelques semaines, il semble avoir disparu des radars. Housseini Amion Guindo se fait de plus en plus discret, même si son parti, la Codem, continue de se prononcer régulièrement sur la situation sociopolitique du pays. Habituellement fréquent dans les médias, l’ancien ministre de l’Éducation a visiblement changé de posture.

De son coté, l’ancien ministre de la Justice Mohamed Aly Bathily, membre du Comité stratégique du M5-RFP Malikura, connu pour ses déclarations tapageuses, fait également profil bas depuis un moment. Très critique envers les autorités de transition lors de la campagne référendaire de juin dernier, où il appelait à voter  « non », le Président du Front africain pour la solidarité et la démocratie (Fasode) se montre depuis très réservé sur la conduite de la Transition. L’une de ses dernières sorties médiatiques remonte à septembre 2023, quand il accusait plusieurs dignitaires du régime IBK d’être impliqués dans des spéculations foncières. Depuis, silence radio.

Quant à l’ancien Premier ministre Cheick Modibo Diarra, il n’a jamais véritablement donné de la voix depuis le début de la Transition, même si son parti, le RpDM, a appelé à voter « non » lors du référendum du 18 juin 2023, exprimant de profondes inquiétudes concernant le processus. La position de Cheick Modibo Diarra n’est pas surprenante, confie un analyste, qui rappelle que l’ancien Premier ministre de transition ne se signale que lorsque les échéances électorales se profilent, notamment la présidentielle.

L’ancien chef de la diplomatie malienne Tiébilé Dramé est également porté disparu sur la scène politique, en dépit de quelques prises de position de son parti, le Parena. Pour le Dr. Mahamadou Konaté, Président de la plateforme « Reconstruire Baara ni Yiriwa » et actuel Président en exercice du Comité stratégique du M5-RFP Malikura, « les homme politiques sont silencieux en raison d’un manque de courage qui n’est pas nécessairement lié au contexte actuel ». « Certains sont dans des calculs personnels, d’autres aspirent à certains avantages. Ce sont les appétits personnels qui frappent la plupart des hommes politiques, sinon, ce n’est pas le contexte politique actuel qui les empêche de s’exprimer », soutient-il.

Si certains leaders ou partis politiques continuent de s’exprimer, ils ne sont pas souvent dans une posture critique des autorités de la Transition, mais plutôt d’accompagnement de leurs actions. C’est le cas entre autres de Gouagnon Coulibaly de l’URD, d’Aliou Boubacar Diallo de l’ADP Maliba ou encore d’Abdoul Karim Konaté de l’Adema-Pasj.

Au sein de la classe politique, parmi les « opposants » à la Transition, seuls le M5-RFP Malikura et le parti Yelema semblent se démarquer et donnent encore de la voix. Les deux entités ont d’ailleurs signé en décembre dernier une déclaration commune de partenariat pour le « Renouveau Politique au Mali », dans laquelle ils exigeaient des autorités de la Transition l’organisation d’élections transparentes et crédibles auxquelles elles ne se présenteraient pas. Les positions du parti Yelema se confondent souvent avec celles de son Président d’honneur et fondateur Moussa Mara, qui est lui dans une dynamique « d’accompagnement » de la Transition.

« Situation de peur »

Selon certains observateurs, ce silence de la classe politique résulte de la peur des hommes politiques de subir le même sort que certains leaders d’opinions qui se sont montré critiques à l’égard de la Transition.

Parmi eux, le chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath, arrêté le 13 mars 2023 pour avoir déclaré que l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, mort en détention sous la Transition, avait été « assassiné ». Depuis, il croupit en prison pour des faits « d’association de malfaiteurs », « atteinte au crédit de l’État, crime à caractère religieux et raciste », même s’il a été relaxé le 11 juillet 2023 pour les faits de simulation d’infractions pour lesquels il était initialement poursuivi.

De son côté, Adama Ben Diarra dit Ben le cerveau, dont le délibéré du jugement en appel du 15 janvier 2024 a été repoussé au 19 février prochain, a été lui aussi condamné à deux ans de prison, dont un ferme, le 14 septembre 2023 pour atteinte au crédit de l’État, après avoir insisté dans une émission radio sur la nécessité du respect du délai de la Transition avec l’organisation de l’élection présidentielle aux dates initialement prévues.

« Les affaires judiciaires visant des politiques et les ayant poussés à l’exil, le décès en détention de Soumeylou Boubeye Maiga ou encore la grande popularité du Colonel Assimi Goïta contraignent les politiques à la prudence », confiait récemment sous anonymat un analyste dans nos colonnes. Pour sa part, Issa Kaou N’djim, Président du parti ACRT- Faso Ka wele, estime que la classe politique est inaudible « tout simplement parce qu’elle est dans une situation où il n’est pas facile de prendre position ».

« Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans un système démocratique, alors que les partis politiques tirent d’abord leur légitimité du jeu démocratique qui leur donne des droits et des devoirs et leur permet de s’exprimer sur toutes les questions en toute liberté sans être poursuivis, inquiétés ou menacés », se lamente l’ancien 4ème Vice-président du CNT, lui-même condamné à 6 mois de prison avec sursis en 2021 pour « atteinte au crédit de l’État et trouble à l’ordre public ». Pour lui, les politiques s’expriment peu parce que « nous sommes dans une situation où nous avons peur ».

« D’autres leaders se réservent en raison de leurs ambitions politiques, parce qu’aujourd’hui il y a une véritable équipe de propagande qui est là pour détruire toute personne qui ose aller à l’encontre de la Transition. Or les hommes politiques ne veulent pas se mettre à dos l’opinion », poursuit l’ancienne figure du M5-RFP.

Un avis que partage Ismaël Sacko, Président de l’ancien parti PSDA, dissous en juin dernier sur requête du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation pour « trouble à l’ordre public » et « atteinte à la souveraineté nationale ».

« De plus en plus de leaders sont envoyés en prison. Mais il y a aussi des leaders qui font la politique du ventre, qui guettent des nominations avec le régime. D’autres ont fait des choses et sont obligés de se taire pour ne pas subir de représailles. Et il est même difficile de tenir certaines critiques dans les médias », expliquait-il en décembre dernier dans une interview accordée à un média étranger.

Une « opposition » qui peine à s’installer

Le silence observé dans la classe politique rend difficile l’émergence d’une « opposition » aux autorités de la Transition. Alors qu’il a longtemps incarné cette voix discordante vis-à-vis des autorités transitoires, le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques d’abord pour une transition réussie, puis par la suite pour un retour à l’ordre constitutionnel, n’a jamais réussi à faire tourner le rapport des forces en sa faveur et s’est par la suite effrité, avec le départ de plusieurs partis et regroupements de partis-clés.

L’Appel du 20 février pour sauver le Mali a ensuite pris le relais mais s’est également essoufflé lorsque ses Coordinateurs, les anciens magistrats Chérif Mohamed Koné et Dramane Diarra, se sont mis en retrait pour se défendre suite à leur radiation de la Magistrature.

Secoué ces dernières semaines par des dissensions internes, le mouvement semble reprendre du poil de la bête avec ses prises de positions récentes, notamment sa réaction suite à l’annonce du retrait sans délai du Mali de la CEDEAO, qu’il a qualifié de « nul et non avenu ».

Cheick Modibo Diarra : que devient-il ?

Le 13 janvier 2022, il invitait les militantes et militants de son parti, le Rassemblement pour le développement du Mali (RpDM) à « participer massivement » à la mobilisation générale du 14 janvier pour « soutenir le peuple malien », aux lendemains des sanctions imposées par la CEDEAO. Depuis, l’ancien candidat à la présidentielle, en 2013 et 2018, communique peu. Pour autant, assurent ses proches, Cheick Modibo Diarra reste pleinement engagé pour son parti et surtout pour le Mali.

En déplacement privé aux États-Unis depuis quelques semaines, Cheick Modibo Diarra  se garde de se prononcer depuis un moment sur la vie politique nationale, notamment la conduite de la Transition. Mais, contrairement à ce que cette attitude pourrait faire croire, l’ancien astrophysicien de la NASA n’as pas encore pris sa « retraite politique ».

Cheick Modibo Diarra continue de présider les réunions hebdomadaires du RpDM,  chaque jeudi et dernier samedi du mois au siège du parti, pour plancher sur « toutes les grandes questions qui concernent la Nation malienne ».

S’il n’est pas en déphasage avec les autorités actuelles du pays, le silence apparent de l’ancien Premier ministre de Transition est un choix qu’il assume, à en croire ses proches. « Cheick Modibo Diarra a fait le choix de ne pas entrer dans le populisme. Le Malien lambda croit que faire de la politique actuellement revient à faire des sorties médiatiques sur les différents réseaux sociaux, mais il n’est pas de ce genre. Chaque acte qu’il pose est uniquement dans l’intérêt supérieur de la Nation », clame Yagaré Baba Diakité, Vice-président du RpDM.

« En tant que démocrate, il a beaucoup de retenue sur certaines situations et, à partir du moment où certains ont la destinée du pays en mains, il peut intervenir en donnant son opinion mais pas en abordant le moindre sujet sur les réseaux sociaux », ajoute-t-il.

Candidat en 2024 ?

Porté par la « Coalition CMD 2018 » à la dernière élection présidentielle, Cheick Modibo Diarra était arrivé 4ème au 1er tour. Si le prochain rendez-vous, à la fin de la Transition en 2024 n’est pas encore à l’ordre du jour, l’ancien Premier ministre tient toujours la route pour porter les couleurs du RpDM.

« Nous ne pouvons pas nous prononcer pour l’instant sur une éventuelle candidature, mais il n’y a aucune opposition au leadership de Check Modibo Diarra au sein du RpDM, c’est sûr », glisse Yagaré Baba Diakité. Son seul souci aujourd’hui est de « rendre au Mali ce que le pays lui a donné ».

Cheick Modibo Diarra : « Je n’ai pas d’autre choix que d’aller au chevet du Mali »

Nommé Premier ministre le 17 avril 2012, aux premières heures chaotiques de la transition, Cheick Modibo Diarra, ancien de la Nasa et de Microsoft Afrique, s’est vu confier la difficile mission de rétablir l’intégrité territoriale, de sortir le Mali des troubles insurrectionnels dans le nord, et d’organiser une élection présidentielle transparente. De ses neufs mois à la Primature, les Maliens retiendront, entre autres, le paiement régulier des salaires des fonctionnaires et le maintien des denrées de première nécessité à des prix abordables, alors que le pays était sous embargo. Fortement critiqué par la classe politique se disant écartée, taxé d’abuser de ses « pleins pouvoirs » au détriment du président Dioncounda Traoré, il fut arrêté par les putschistes du capitaine Sanogo le 11 décembre 2012, et contraint à la démission. Après une diète médiatique qui aura suivi sa défaite à l’élection présidentielle, Cheick Modibo Diarra, 63 ans, est de retour pour dynamiser ses troupes et mettre son parti, le RpDM, en ordre de bataille pour les prochaines échéances électorales. Très en verve, il nous livre dans une interview exclusive, sa vision pour un Mali nouveau et révèle quelques secrets…

Vous avez démissionné du gouvernement en décembre 2012, puis on a plus entendu parler de vous après l’élection présidentielle de 2013. Aujourd’hui vous revenez en politique. Qu’avez-vous fait durant cette période ?

Le rythme auquel je travaillais pendant la transition était infernal. J’étais devenu une sorte de couteau suisse, sur tous les fronts, je n’arrêtais pas. Cela m’a fatigué physiquement et émotionnellement. Lorsque l’on m’a forcé à  démissionner, j’étais en partance pour la France afin de me faire soigner pour une infection respiratoire inexpliquée. J’ai été contraint de rester au Mali, pendant presque 45 jours, et la maladie a pris de l’ampleur. Quand j’ai pu enfin gagner la France et être hospitalisé, il ne me restait que 40 % de ma capacité respiratoire. Après toutes ces épreuves, j’ai presque tout laissé tomber ici et ailleurs, y compris les conseils d’administration, j’ai tout annulé. Pendant 3 ans, j’étais à  Bamako. J’en ai profité pour me vider un peu la tête, trouver le moyen de redevenir positif par rapport à  la situation du pays et par rapport à  mes compatriotes dont certains ont eu des attitudes détestables. Toute cette digestion a pris du temps pour ne pas en sortir aigri. Ensuite, j’ai dû reprendre toutes les activités que j’avais laissé tomber. Voilà  pourquoi vous ne m’avez pas beaucoup vu, ni entendu. Vous avez été un Premier ministre de « pleins pouvoirs » durant la transition, contraint de démissionner.

Vous avez été candidat à  la dernière élection présidentielle sans succès. Qu’est-ce qui motive votre envie de revenir sur la scène politique aujourd’hui ?

Ce qui me motive, c’est l’envie de partager ce que j’ai appris avec les autres, de partager ma vision pour le Mali. Un projet de société n’est qu’un projet complexe, la gestion d’un projet de ce type demande des techniques, ça ne se fait pas au hasard. Je suis un pur produit de cette éducation malienne. Je n’ai jamais travaillé dans ce pays, je n’ai jamais dépendu de ce pays pour quoi que ce soit, mais c’est ce pays qui m’a donné la vie, qui m’a donné mon éducation de base, qui m’a donné une bourse et donc tout ce que je sais faire, toutes les personnes que je connais dans le monde, mon carnet d’adresses, tout cela appartient à  ce pays qui est dans une situation très difficile actuellement. Je n’ai pas d’autre choix que d’aller à  son chevet, pour l’aider à  traverser cette période sombre. Voilà  ce qui motive mon retour sur la scène politique.

Comment vous définir aujourd’hui ? Êtes-vous un technocrate, un politicien, un homme d’État ?

Je suis d’abord un cultivateur. Beaucoup de gens ne le savent pas, mais dès l’âge de neuf ans j’ai dû aller cultiver les rizières pour mon père, pour nourrir ma famille. Je suis un ingénieur, je suis aussi un très bon technocrate. On ne vous met pas à  la tête de Microsoft Afrique pendant 6 ans si vous n’êtes pas un bon gérant qui gère avec rigueur. Et je suis un politicien car j’ai eu à  gérer les problèmes de la cité. Je suis ces trois-là  ! Je ne sais pas si je serai un homme d’État, parce qu’un homme d’État n’a pas besoin d’être chef d’État. Si Nelson Mandela n’avait pas été président de l’Afrique du Sud, il aurait néanmoins été un homme d’État. Un homme d’État c’est quelqu’un qui a la capacité d’influencer ses concitoyens pour tracer une ligne durable pour son pays, dans le but d’amener la prospérité à  tout le monde, quelqu’un qui réfléchit à  moyen et à  long terme et pas de période électorale en période électorale. Si vous voulez me caractériser, voyez-moi comme un soldat du développement. Quand l’armée à  laquelle j’appartiens me met de garde quelque part, je tiens ce poste du mieux que je peux. Je suis comme un couteau suisse, car nos problèmes sont nombreux.

Est-ce à  dire que les leaders maliens ne prennent pas les bonnes décisions pour le pays ?

Comme je l’ai dit, la gestion d’une société, c’est la gestion d’un problème complexe, et quand vous n’avez pas l’expérience pour gérer des projets complexes, la première réaction, quand vous avez des ressources limitées, c’est faire du saupoudrage. Le peu que vous avez, vous le mettez un peu partout, et quand vous faites ça, 10 ans après, rien n’est achevé, rien n’est résolu. Avec les moyens qu’on a aujourd’hui, on ne peut pas résoudre tous les problèmes en même temps. Il faut se concentrer sur ce qui va nous permettre d’augmenter nos ressources. Nous ne pouvons pas continuer comme nos politiciens l’on fait depuis les indépendances, à  faire du saupoudrage. Si vous êtes un homme d’État au lieu d’être un politicien, ce qui vous importe c’est que la génération qui viendra dans 50 ans trouve un pays développé. Cette génération se souviendra qu’à  un moment donné quelqu’un a placé l’intérêt de la nation avant ses propres intérêts, car cette nation-là  est plus grande que la vie d’un individu, et que les choses ont été faites pour permettre au pays de prendre un élan irréversible.

Lors de la période de transition, vous avez pu maintenir le pays alors que toute l’aide internationale était suspendue. Comment avez-vous fait?

Lorsque j’ai été Premier ministre du Mali, je me suis assis, j’ai regardé dans quel état était le pays, et j’ai compris que dans cette période de chaos, il n’avait pas besoin de politicien. Il avait besoin de personnes compétentes qui détiennent les bons outils pour travailler dans des domaines précis. Beaucoup de gens ne savent pas que pendant la transition, nous avons géré le pays avec quelque chose comme 17 % du budget national, pas plus. En réalité c’était une question de choix : dans cette période difficile, il fallait faire en sorte que les gens puissent garder l’espoir. Nous avons dit à  la population que nous allions trouver une solution pour tout le monde. Je n’ai pas pour habitude de penser que ce qu’il y a dans les caisses de l’État soit là  pour améliorer la condition de vie du fonctionnaire. Le fonctionnaire est un citoyen comme les autres. La chose qui est commune à  tous les citoyens, c’est la nourriture. Nous avons alors décidé que tous ceux qui font des affaires, pouvaient tous rentrer de la nourriture dans le pays, hors taxe. Nous leur avons donné des exonérations, la nourriture est rentrée dans le pays, la concurrence a fait le reste, et les gens ont pu manger à  leur faim malgré l’embargo. Il y a eu suffisamment de nourriture pour tenir 6 mois. Tout est une question de choix ! à€ chaque problème qui se pose, il y a une opportunité qui se présente. Faire le bon choix, résoudre le problème et ouvrir d’autres horizons.

Quelles sont vos solutions, votre vision politique pour sortir le pays de l’ornière ?

Il y a deux problèmes prioritaires à  traiter au Mali. Le problème de la sécurité pour tous les citoyens, parce que sans sécurité on ne peut pas travailler, on ne peut pas attirer les investisseurs, rien n’est possible. Il faut trouver le moyen de sécuriser ce pays, c’est le premier point. Le deuxième point, si on veut que le Mali aille de l’avant, C’est de développer tout ce qui est zone rurale d’abord. Nous avons un avantage comparatif et compétitif qui est quand même l’agriculture, l’élevage, la pêche. Nous avons des vastes terres avec de l’eau partout. Si le rural est développé, le reste du pays se développera, parce qu’il y aura suffisamment des ressources pour faire tout le reste. II faut en faire une priorité. C’est la priorité des priorités.

Le RpDM est un nouveau parti. Quelle est son implantation au Mali ?

Le RpDM est nouveau sur la scène politique mais a quand même 5 ans d’ancienneté. Son degré d’implantation est variable parce que nous avons commencé à  l’implanter dans les grandes villes et en brousse. La plupart des partis politiques n’ont pas de militants, ce sont des machines électorales qu’on réveille la veille des élections. Le pays a 14 millions d’habitants et plus de 170 partis politiques. Certains candidats alignent derrière eux une cinquantaine de partis pour dire au reste du monde : vous voyez j’ai du soutien ! Mais chacun de ces partis ne pèse peut-être que 100 personnes maximum. Il faut que les gens sachent que notre parti défend la démocratie, la vraie démocratie. Nous n’achetons pas de voix, jamais ! Aller payer des gens pour qu’ils viennent voter pour vous, nous considérons que c’est une insulte à  notre constitution et à  la République du Mali. C’est pour cela que nous disons que nous voulons faire de la politique autrement. Le RpDM est l’un des rares partis où les adhérents achètent leur carte de membre. Nous avons vendu plus de 500 000 cartes à  100 francs CFA et les sections continuent d’en imprimer. À la fin de 2017, nous avons comme objectif que le RpDM soit, en nombre de militants, le plus grand parti du Mali. Le RpDM fait partie de la majorité présidentielle mais vous n’êtes pas très visible à  ce titre sur l’échiquier politique. Pourquoi Aux dernières élections présidentielles nous avons décidé de supporter IBK. Nous l’avons fait et avec nos propres moyens, pour transmettre à  tous les militants le message. Cela fait de nous un parti de la majorité présidentielle. Mais même si vous aidez à  élire un président, il est bon, si vous lui donnez votre vote, de lui donner de l’espace pour qu’il puisse mener sa politique et réussir sa mission. Les partis politiques, quand ils soutiennent un président, sont ensuite après lui pour quémander des postes. Nous, nous ne lui avons jamais demandé quoi que ce soit, même pas un poste de directeur. On n’impose rien mais on attend des résultats.

Quel est votre regard sur la gouvernance actuelle du président IBK ?

Je pense que le problème de sécurisation du pays va trop lentement. J’aurais souhaité que cela aille beaucoup plus vite. Il vaut mieux avoir quelque chose qui n’est pas parfait, avec la possibilité de réajuster les choses, que de ne rien avoir du tout et d’être dans l’impasse. Ce genre de choses, plus ça traîne, plus ça pourrit et plus d’autres problèmes viennent se greffer dessus. En laissant trop de temps à  ces groupes, même ceux avec qui nous sommes tombés d’accord, ils vont se casser en de petits groupes qui auront encore d’autres revendications et le problème ne finira jamais. Il faut battre le fer quand il est chaud ! C’est la condition siné qua non pour faire quoi que ce soit dans ce pays. Au moment de la signature de l’Accord, on aurait dû immédiatement s’y atteler, de façon à  empêcher les groupes de faire marche arrière, ce qui est un risque aujourd’hui. Il y a aussi un problème de gouvernance. Je constate trop souvent une mauvaise gestion de la chose publique. Cela ne crée pas une bonne image et affaiblit le gouvernement. C’est un problème qui est en train de nous miner.

Vous êtes le gendre de l’ancien chef d’État Moussa Traoré. A-t-il aidé à  vous lancer en politique ? Quels liens entretenez-vous avec lui ?

J’ai épousé la fille du général Moussa Traoré en 1993. Il n’était plus président. Pour faire ma carrière, je n’ai pas eu besoin d’une lettre de recommandation de la République du Mali, à  aucun moment. Entre le général Moussa Traoré et moi, il y a énormément d’affection, énormément de respect mutuel et énormément de confiance. Quand il y a eu le coup d’à‰tat de mars 2012, j’étais bloqué Dakar. Les militaires du capitaine Sanogo, qui voulaient me proposer la primature, sont allés trouver le président Moussa Traoré pour le convaincre de me parler. Il leur a répondu qu’il n’y avait pas ce genre de relation entre nous et leur a conseillé d’aller me trouver directement. En mars 2012, le coup d’à‰tat qui a renversé le président Amadou Toumani Touré accélère votre carrière politique.

Comment avez-vous été choisi pour devenir Premier ministre ?

J’ai été présenté au comité militaire du capitaine Sanogo. Ils avaient réfléchi et le consensus était tombé sur moi. J’ai été choisi parce que je n’étais pas un ennemi déclaré de qui que ce soit et parce que je n’avais jamais fait de politique au Mali. J’ai accepté sous trois conditions préalables : ne pas interférer dans ma politique, ne pas interférer dans mes décisions de nomination, et enfin que les fonds publics soient respectés et qu’ils n’y touchent pas. Ce n’était pas négociable. Ils ont été d’accord. Le premier ordre que j’ai donné en tant que Premier ministre, dès le lendemain matin, c’est que tous les prisonniers politiques soient libérés.

Vos relations avec le général Amadou Haya Sanogo étaient au beau fixe, en tout cas au début de cette période de transition. Quand et comment se sont-elles détériorées ?

Je vais vous surprendre, mais je ne savais même pas que nos relations s’étaient dégradées, pour la simple raison que nous avions convenu qu’il ne devait pas interférer dans ma politique. Ce n’est pas moi qui allais à  Kati tout le temps, mais les politiciens. Le jour o๠j’ai compris que la situation s’était dégradée, c’est quand les militaires sont venus armés de mitraillettes chez moi. Ils m’ont emmené voir le général Sanogo à  Kati. Jusque-là , je ne savais pas ce qu’il se passait et comme je vous l’ai dit, je n’étais pas en très bonne santé. Je me suis retrouvé dans une salle avec beaucoup de gens, des militaires en armes. Sanogo était présent. Ce que je peux vous dire, c’est que c’était très tendu et très désagréable, mais pas violent. Je pense qu’ils s’attendaient à  ce que je tente de les faire changer de décision. Ce que je n’ai pas fait. Je leur ai dit que j’acceptais de démissionner. Pour moi, le pays était déjà  sauvé, car malgré l’opposition de tout le monde, j’ai pu aller aux Nations unies et j’étais convaincu que les résolutions du chapitre VII allaient être votées à  l’unanimité. Elles ont été votées deux fois à  l’unanimité. Mon travail était fait. Le pays a eu besoin de moi à  une période difficile et j’ai fait mon devoir. Je leur ai demandé de m’apporter un papier et j’ai signé. Ce sont eux qui m’ont appelé et nommé Premier ministre, et ce sont les mêmes, en consensus, qui ont voulu que je parte.

Le général Sanogo vous a reproché de ne pas avoir fait ce qu’il fallait pour renforcer et équiper les forces armées, pour leur permettre de libérer le Nord du Mali. Qu’en est-il ?

J’ai donné 15 % d’augmentation à  l’armée, à  la police et à  la gendarmerie. Une telle augmentation d’un seul coup n’avait jamais été faite. 90% de ce que ces forces ont comme armes aujourd’hui, c’est moi qui les ai commandées. À l’époque, il y avait un embargo sur l’armement au Mali. J’ai fait envoyer des personnalités dans un certain pays avec un message de ma part. On a fait arrêter la ligne de commande en armes d’autres pays, pour mettre le Mali en tête, et elles ont fini par être livrées à  l’aéroport de Bamako. Quand je voyageais dans les pays voisins, je demandais qu’on me donne des armes, on me les refusaient. Mais on me donnait de l’argent et je me débrouillais pour les acheter. C’est comme ça que ça s’est passé. La libération du Nord était une de mes priorités, mais la plupart des pays qui pouvaient nous aider, comme les États-unis, sont limités par leur constitution, qui leur interdit d’intervenir dans un pays où il y a un coup d’État. Or, vous savez que si vous organisez des élections dans certaines conditions, la légitimité du président élu sera en question. C’étaient des discussions et des va-et-vient sans fin. Il fallait en même temps que je fasse en sorte qu’un pays comme l’Afrique du Sud nous cède ses drônes, je devais parler avec un pays comme le Nigeria pour obtenir le soutien de leur armée de l’air à  partir des informations des drônes sud-africains, aller convaincre le Tchad pour qu’il puisse se joindre à  l’armée du Mali pour faire le nettoyage au sol et qu’on puisse se débarrasser finalement de tous ces narcotrafiquants et djihadistes, différents de nos compatriotes qui se sont rebellés. La situation était très complexe. On a dit que votre cohabitation avec le président de la transition, Dioncounda Traoré, était difficile et que vous vous conduisiez en chef d’État alors qu’il était le Président de la République.

Quels étaient vos rapports ?

La constitution, l’article 36 en particulier, dit que le Président de la République par intérim n’a aucun pouvoir, même pas d’accepter la démission d’un ministre. J’étais le Premier ministre avec les « pleins pouvoirs », et pourtant j’ai consulté Dioncounda sur tout, même sur la nomination des ministres lors de la constitution du gouvernement d’union nationale. Je suis allé systématiquement tous les mardis chez Dioncounda déjeuner avec lui, discuter de tous les dossiers du Conseil des ministres. La seule chose sur laquelle on ne s’est pas entendu et qui a été laissée à  sa volonté, c’est la « feuille de route ». Tous ceux qui nous aidaient voulaient une feuille de route. Je lui ai dit qu’il fallait la ratifier en Conseil des ministres et l’envoyer à  l’Assemblée. Lui, disait que les militaires voulaient une conférence nationale. Jusqu’au dernier Conseil des ministres, il a dit non. Mais après ma démission, ce même document a été ratifié en Conseil des ministres sans changer une virgule et a été envoyé à  l’assemblée comme je l’avais demandé. Vous savez j’ai été très atteint quand le président Dioncounda Traoré a été agressé. C’est moi qui ai pu le sortir et l’emmener à  l’hôpital. Comme je ne pouvais faire confiance à  personne, je l’ai amené chez moi pour sa sécurité. J’ai monté la garde avec les gendarmes chez moi. Tous les soirs jusqu’à  4h du matin avec mon propre Beretta à  la ceinture, pendant 3 jours. Et c’est moi qui l’ai emmené à  l’aéroport dans ma voiture pour qu’il aille à  Paris se faire soigner. Les militaires refusaient que l’avion parte. Je leur ai donné 10 minutes pour qu’il décolle, après ça je serai allé moi-même le sortir de l’avion pour le ramener chez moi. Il n’y a qu’une seule personne qui soit allé le voir, en dehors de moi et de mon gouvernement, quand il était à  l’hôpital, c’est Younoussi Touré qui était à  l’époque le vice-président de l’Assemblée nationale. C’est le seul qui se soit déplacé. Personne de son parti, ni de l’Assemblée nationale n’est venu le voir. Alors que vous avez été pendant neuf mois Premier ministre avec « les pleins pouvoirs », tout le mérite de la transition a été donné à  Dioncounda Traoré et à  Django Cissoko.

Comment l’avez-vous vécu ?

Vous savez, en tout honnêteté, je n’ai pas besoin de ce genre de chose. Peu m’importe qu’on m’accorde du crédit ou pas. Après tout, un gouvernement c’est la continuité. Je ne suis pas sorti amer de tout ça. Dans le domaine de la politique faites ce que vous avez à  faire, ne vous préoccupez pas de savoir qui le sait et qui va dire quoi. L’histoire va l’enregistrer. Un peuple a une mémoire. Tout finit par se savoir.

Vous voulez que le RpDM soit une force politique majeure fin 2017. Êtes-vous d’ors et déjà  candidat pour la prochaine élection présidentielle ?

Vous savez, à  la prochaine élection présidentielle, je ne sais pas quels seront les défis du Mali. Nous jugerons des challenges auxquels le pays est confronté et nous verrons dans notre groupe qui est la personne la mieux indiquée pour trouver des solutions à  ces problèmes mais aussi pour nous attirer un maximum de votes pour gagner. Nous n’avons pas l’intention d’être le parti qui va recycler le même candidat sur 20 ou 25 ans. Depuis la révolution de 91, ce sont les mêmes candidats que l’on voit sur la scène politique. Pour un pays c’est presque honteux. J’essaye d’éviter que le parti devienne redevable à  une seule personne. Nous voulons éviter ça. Nous travaillons dans ce sens pour que les gens puissent venir chez nous et s’épanouir, pour que ce soit un parti de toutes les possibilités pour tout un chacun, avec l’objectif d’aider et de donner à  la Nation.