Transition : Le silence intriguant des acteurs politiques

Relégués dans l’ombre depuis le début de la Transition dirigée par les militaires, les acteurs politiques peinent de plus en plus à donner de la voix. Si quelques-uns continuent tant bien que mal à prendre position sur des sujets-clés, la plupart font profil bas.

Qu’il est loin le temps où les hommes politiques s’exprimaient et critiquaient la gestion des affaires publiques sans s’attirer d’ennuis! Sous la Transition, les voix politiques critiques se sont tues au fil du temps.

S’ils n’ont pas complètement démissionné de leur rôle de veille de la conduite des affaires, les partis politiques se contentent désormais de quelques prises de positions mesurées, dans des communiqués, sans que les leaders ne montent au créneau dans les médias pour s’exprimer comme par le passé.

Figures politiques en retrait

Il était l’un des rares hommes politiques à s’exprimer sous la Transition. Mais, depuis quelques semaines, il semble avoir disparu des radars. Housseini Amion Guindo se fait de plus en plus discret, même si son parti, la Codem, continue de se prononcer régulièrement sur la situation sociopolitique du pays. Habituellement fréquent dans les médias, l’ancien ministre de l’Éducation a visiblement changé de posture.

De son coté, l’ancien ministre de la Justice Mohamed Aly Bathily, membre du Comité stratégique du M5-RFP Malikura, connu pour ses déclarations tapageuses, fait également profil bas depuis un moment. Très critique envers les autorités de transition lors de la campagne référendaire de juin dernier, où il appelait à voter  « non », le Président du Front africain pour la solidarité et la démocratie (Fasode) se montre depuis très réservé sur la conduite de la Transition. L’une de ses dernières sorties médiatiques remonte à septembre 2023, quand il accusait plusieurs dignitaires du régime IBK d’être impliqués dans des spéculations foncières. Depuis, silence radio.

Quant à l’ancien Premier ministre Cheick Modibo Diarra, il n’a jamais véritablement donné de la voix depuis le début de la Transition, même si son parti, le RpDM, a appelé à voter « non » lors du référendum du 18 juin 2023, exprimant de profondes inquiétudes concernant le processus. La position de Cheick Modibo Diarra n’est pas surprenante, confie un analyste, qui rappelle que l’ancien Premier ministre de transition ne se signale que lorsque les échéances électorales se profilent, notamment la présidentielle.

L’ancien chef de la diplomatie malienne Tiébilé Dramé est également porté disparu sur la scène politique, en dépit de quelques prises de position de son parti, le Parena. Pour le Dr. Mahamadou Konaté, Président de la plateforme « Reconstruire Baara ni Yiriwa » et actuel Président en exercice du Comité stratégique du M5-RFP Malikura, « les homme politiques sont silencieux en raison d’un manque de courage qui n’est pas nécessairement lié au contexte actuel ». « Certains sont dans des calculs personnels, d’autres aspirent à certains avantages. Ce sont les appétits personnels qui frappent la plupart des hommes politiques, sinon, ce n’est pas le contexte politique actuel qui les empêche de s’exprimer », soutient-il.

Si certains leaders ou partis politiques continuent de s’exprimer, ils ne sont pas souvent dans une posture critique des autorités de la Transition, mais plutôt d’accompagnement de leurs actions. C’est le cas entre autres de Gouagnon Coulibaly de l’URD, d’Aliou Boubacar Diallo de l’ADP Maliba ou encore d’Abdoul Karim Konaté de l’Adema-Pasj.

Au sein de la classe politique, parmi les « opposants » à la Transition, seuls le M5-RFP Malikura et le parti Yelema semblent se démarquer et donnent encore de la voix. Les deux entités ont d’ailleurs signé en décembre dernier une déclaration commune de partenariat pour le « Renouveau Politique au Mali », dans laquelle ils exigeaient des autorités de la Transition l’organisation d’élections transparentes et crédibles auxquelles elles ne se présenteraient pas. Les positions du parti Yelema se confondent souvent avec celles de son Président d’honneur et fondateur Moussa Mara, qui est lui dans une dynamique « d’accompagnement » de la Transition.

« Situation de peur »

Selon certains observateurs, ce silence de la classe politique résulte de la peur des hommes politiques de subir le même sort que certains leaders d’opinions qui se sont montré critiques à l’égard de la Transition.

Parmi eux, le chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath, arrêté le 13 mars 2023 pour avoir déclaré que l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, mort en détention sous la Transition, avait été « assassiné ». Depuis, il croupit en prison pour des faits « d’association de malfaiteurs », « atteinte au crédit de l’État, crime à caractère religieux et raciste », même s’il a été relaxé le 11 juillet 2023 pour les faits de simulation d’infractions pour lesquels il était initialement poursuivi.

De son côté, Adama Ben Diarra dit Ben le cerveau, dont le délibéré du jugement en appel du 15 janvier 2024 a été repoussé au 19 février prochain, a été lui aussi condamné à deux ans de prison, dont un ferme, le 14 septembre 2023 pour atteinte au crédit de l’État, après avoir insisté dans une émission radio sur la nécessité du respect du délai de la Transition avec l’organisation de l’élection présidentielle aux dates initialement prévues.

« Les affaires judiciaires visant des politiques et les ayant poussés à l’exil, le décès en détention de Soumeylou Boubeye Maiga ou encore la grande popularité du Colonel Assimi Goïta contraignent les politiques à la prudence », confiait récemment sous anonymat un analyste dans nos colonnes. Pour sa part, Issa Kaou N’djim, Président du parti ACRT- Faso Ka wele, estime que la classe politique est inaudible « tout simplement parce qu’elle est dans une situation où il n’est pas facile de prendre position ».

« Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans un système démocratique, alors que les partis politiques tirent d’abord leur légitimité du jeu démocratique qui leur donne des droits et des devoirs et leur permet de s’exprimer sur toutes les questions en toute liberté sans être poursuivis, inquiétés ou menacés », se lamente l’ancien 4ème Vice-président du CNT, lui-même condamné à 6 mois de prison avec sursis en 2021 pour « atteinte au crédit de l’État et trouble à l’ordre public ». Pour lui, les politiques s’expriment peu parce que « nous sommes dans une situation où nous avons peur ».

« D’autres leaders se réservent en raison de leurs ambitions politiques, parce qu’aujourd’hui il y a une véritable équipe de propagande qui est là pour détruire toute personne qui ose aller à l’encontre de la Transition. Or les hommes politiques ne veulent pas se mettre à dos l’opinion », poursuit l’ancienne figure du M5-RFP.

Un avis que partage Ismaël Sacko, Président de l’ancien parti PSDA, dissous en juin dernier sur requête du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation pour « trouble à l’ordre public » et « atteinte à la souveraineté nationale ».

« De plus en plus de leaders sont envoyés en prison. Mais il y a aussi des leaders qui font la politique du ventre, qui guettent des nominations avec le régime. D’autres ont fait des choses et sont obligés de se taire pour ne pas subir de représailles. Et il est même difficile de tenir certaines critiques dans les médias », expliquait-il en décembre dernier dans une interview accordée à un média étranger.

Une « opposition » qui peine à s’installer

Le silence observé dans la classe politique rend difficile l’émergence d’une « opposition » aux autorités de la Transition. Alors qu’il a longtemps incarné cette voix discordante vis-à-vis des autorités transitoires, le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques d’abord pour une transition réussie, puis par la suite pour un retour à l’ordre constitutionnel, n’a jamais réussi à faire tourner le rapport des forces en sa faveur et s’est par la suite effrité, avec le départ de plusieurs partis et regroupements de partis-clés.

L’Appel du 20 février pour sauver le Mali a ensuite pris le relais mais s’est également essoufflé lorsque ses Coordinateurs, les anciens magistrats Chérif Mohamed Koné et Dramane Diarra, se sont mis en retrait pour se défendre suite à leur radiation de la Magistrature.

Secoué ces dernières semaines par des dissensions internes, le mouvement semble reprendre du poil de la bête avec ses prises de positions récentes, notamment sa réaction suite à l’annonce du retrait sans délai du Mali de la CEDEAO, qu’il a qualifié de « nul et non avenu ».

Mali : des passeports diplomatiques de plusieurs personnalités annulés

 

Le gouvernement de transition a annoncé mercredi 22 février l’annulation de passeports diplomatiques en cours de validité pour des personnalités parmi lesquelles d’anciens ministres et leurs proches.

La décision, notifiée par le ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale aux Missions diplomatiques et postes consulaires accrédités au Mali, concerne 15 personnalités. Parmi elles, les anciens ministres du gouvernement de transition avant la rectification en Mai 2021, Kadiatou Konaré, ex-ministre de la Culture, Doulaye Konaté, ex-ministre de l’Education nationale, Mohamed Salia Touré, ex-ministre de la Formation professionnelle et de la Construction citoyenne, Mohamed Sidda Dicko, ancien ministre de la Justice, actuel Directeur de cabinet du Premier ministre Choguel Kokalla Maiga, Makan Fily Dabo, ancien ministre des Transports et des Infrastructures.

L’ancien 4ème vice-président du CNT, Issa Kaou Djim et l’ancien ministre sous IBK, Housseini Amion Guindo, tous deux opposés à la conduite actuelle de la Transition notamment sur le projet de Nouvelle Constitution et demandant le respect des engagements prises pour le respect du délai de la Transition, sont également parmi les personnes visées par l’annulation.

Le 20 février dernier, les mouvements politiques qu’ils dirigent,  l’ACRT Faso Ka Wele et la Plateforme Alliance Nouvelle -Jigiya Kura, aux côtés d’autres organisations politiques et de la société civile ont lancé un « appel pour sauver le Mali », remettant en cause la gestion du gouvernement de Transition.

« Rien de politique »

Selon  nos informations, la décision d’annulation des passeports n’aurait  « rien de politique ». L’Article 13 du décret N2020-0338/P-RM du 6 août 2020, stipule que les « détenteurs de passeport diplomatique ou de passeport de service ayant cessé la fonction pour laquelle ils ont bénéficié de ce document doivent le restituer à l’autorité de délivrance, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’autorité administrative, diplomatique ou consulaire la plus proche ».  Sauf que les 15 personnes concernées n’étant plus en fonction, ne l’ont pas restitué malgré la demande à plusieurs reprises du gouvernement.

« Le gouvernement avait émis au moins deux communiqués pour demander à ces anciens bénéficiaires de passeports diplomatiques de le restituer. Mais les concernés ne l’ont pas fait », explique une source proche du dossier.  « Par la suite, ils ont été appelés, mais toujours sans suite. Généralement l’Etat donne un temps d’observation pour d’éventuels contraintes qui  empêcheraient les concernés de rendre les passeports  mais au bout d’un moment, il prend ses responsabilités et  procède purement à l’annulation des passeports dans le système. C’est ce qui a été fait », poursuit-elle.

Des annulations de passeports ont déjà eu lieu par le passé, de façon inaperçue. A en croire notre source,  une ambassade aurait, pour cette fois, fait fuiter la décision sur les réseaux sociaux, donnant lieu à plusieurs interprétations de la décision dans un contexte politique délétère.

 

Candidature d’Assimi Goïta : vraiment probable?

Le Mouvement Appel citoyen pour la réussite de la transition (ACRT) d’Issa Kaou Djim appelle à la candidature d’Assimi Goïta, Vice-président de la transition, à la prochaine élection présidentielle. Cette demande fait débat, suscitant des interrogations quant aux motivations d’Issa Kaou Djim et aux implications d’une telle candidature.

« L’imperturbable et le patriote Assimi Goïta » osera-t-il briguer la présidentielle prochaine ? C’est la grande question du moment au Mali et le vœu pieux d’Issa Kaou Djim. Cependant, l’idée de voir le Vice-président de la transition se porter candidat à la présidentielle prochaine soulève beaucoup de questions et, à la limite, fait polémique. La Charte de la transition lui interdit de prendre part aux prochaines échéances électorales. Ballon d’essai, intention inavouée des ex-putschistes ou demande unilatérale du 4ème Vice-président du CNT ? Les supputations vont bon train. « Cela ne peut pas être une demande esseulée et personnelle d’Issa Kaou Djim. C’est fortement sous-tendu par une théorie des ex-putschistes. Issa Kaou Djim est en mission, mais il faut comprendre que c’est une diversion que de dire qu’Assimi Goïta sera candidat. Et, pendant que les gens seront dans ce débat stérile, ils vont passer à autre chose. Assimi Goïta ne peut pas être techniquement candidat. Mais certainement ils vont influencer celui qui sera leur candidat pour cette période post transition. Donc il est important pour Kaou Djim et ses alliés d’être dans une dynamique de collaboration », pense Boubacar Bocoum, politologue.

Selon Ballan Diakité, cette demande pourrait être un ballon d’essai, « pour permettre à Assimi Goïta de faire un petit sondage sur une possibilité de candidature qui serait acceptée favorablement ou défavorablement ». Néanmoins, le politologue n’écarte pas la probabilité d’une candidature. « La Charte de la transition interdit à ceux qui vont la diriger d’être candidats aux prochaines échéances. Cependant, elle n’est pas la consécration de la Constitution du Mali. Donc cela laisse entendre qu’il y a de fortes possibilités que certains dirigeants de la transition dérogent aux exigences qui ont été données par la Charte de la transition », explique Ballan Diakité.

Mais il prévient qu’une éventuelle candidature du vice-président de la transition présagerait « d’un fiasco total » de l’élection présidentielle, « tant on sait bien qu’ils ont nommé des gouverneurs de région. Et les partis politiques n’accepteront pas cela ».

Mali-Seydou Oumar Cissé : « Il n’y a pas deux CMAS »

La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS) traverse une crise sans précédent. Des membres du Bureau exécutif national ont fait scission et débarqué le Coordinateur général Issa Kaou N’djim. Depuis, le bras de fer continue. Seydou Oumar Cissé, Secrétaire politique du nouveau Bureau exécutif national, revient pour Journal du Mali sur les motivations et les perspectives.

Pouvons-nous dire qu’il y a aujourd’hui deux CMAS ?

Beaucoup de gens parlent ci et là, mais rassurez-vous, il n’y a pas deux CMAS mais une seule. Elle travaille en étant guidée par les idéaux de l’Imam Mahmoud Dicko et est dirigée par le nouveau Coordinateur Youssouf Daba Diawara, que tout le Bureau exécutif et les coordinateurs des régions et des communes soutiennent aujourd’hui.

Comment en sommes-nous arrivés à cette crise ?

Nous en sommes arrivés là par la cupidité d’un homme qui pensait être l’Alpha et l’Omega d’un groupe au nom duquel il parlait, sans consultations. C’est un homme qui a mis un mouvement en place non pour soutenir la transition mais pour soutenir une personne, en l’occurrence le Vice-président Goïta. Nous, nous sommes dans la logique de soutenir la transition, mais avec les idéaux de l’Imam Mahmoud Dicko. C’est tout cela qui nous a poussé à nous défaire de cet homme, qui a violé tous les textes de la CMAS.

L’homme dont vous parlez, Issa Kaou Djim, juge que vous êtes dans un processus illégal et illégitime. Que répondez-vous ?

Nous connaissons tous les textes. Nous avons des juristes parmi nous et d’autres intellectuels. Dans ses dernières sorties médiatiques, il nous demande de mettre les formes dans ce que nous avons fait, d’aller le voir comme pacha et de lui adresser une lettre lui demandant de partir de la coordination. Nous lui répondons non. Il ne nous a pas respectés quand il prenait ses décisions unilatéralement. S’il pense qu’être membre du CNT est une sommet, nous autres ne sommes pas dans cette dynamique.

Qu’avez-vous en perspective ?

D’abord, nous allons disséminer le manifeste de l’Imam Mahmoud Dicko, qui n’a aucune ambition présidentielle, contrairement à ce que prétendent certains. Ensuite, nous procéderons à la mise en place des structures CMAS à l’intérieur du pays et à l’international. Nous allons également réclamer justice pour les victimes des manifestations des 10,1 1 et 12 juillet 2020. Le début du mois de Ramadan est probablement prévu pour le 13 avril. Et d’ores et déjà la vie coûte cher. C’est pourquoi aujourd’hui la CMAS va rencontrer les autorités de la transition pour qu’elle revoie le prix des denrées de première nécessité.

Propos recueillis par Boubacar Diallo