Mali – Transition: le Premier ministre Choguel Maiga fait le point face à la Presse

Le Premier ministre de la transition, Choguel Maiga a rencontré la presse nationale et internationale ce lundi 28 juin 2021. Objectif de cette rencontre, décliner le programme du gouvernement. Plusieurs thématiques ont été abordées par l’homme politique: parmi lesquelles les victimes des événements de juillet 2020, la dissolution du Conseil national de transition, l’Accord d’Alger ou encore la durée de la transition.

 

Les maisons détruites aux abords de l’aéroport

Pour le sujet surprise de cette rencontre avec la presse, le Premier ministre estime que les sanctions ou les dédommagements ne doivent pas seulement concerner quelques personnes, mais toutes les parties impliquées. Pour ce faire, il  annonce qu’ « il y aura une commission d’enquête qui va éclaircir » cette affaire à travers un « rapport qui va trancher » sur le sort de ces populations.

Durée de la transition

Pour la durée de la transition, Choguel Maiga rassure que les autorités feront ce qui est en leur pouvoir pour calibrer le programme sur les neuf mois restant afin de respecter le calendrier électoral.

Justice pour les victimes de la lutte du M5

En se penchant sur cette problématique, le Premier ministre de transition explique que la justice est toujours attendue pour ces personnes, car certains ont perdu la vie, d’autres ont perdu leur mobilité et toutes ces victimes doivent être entendues.

Le Conseil National de Transition

La dissolution de l’organe législatif de la Transition demandée par le M5 est aujourd’hui de la compétence des hommes de loi. Seule la justice malienne, précise le Premier ministre est habilitée à trancher. Il ne faut pas perdre de vue que « le temps de la justice n’est pas le temps des  politiques ». En attendant le verdict des autorités compétentes, le gouvernement continuera à travailler en étroite collaboration avec le CNT. Seule la décision de justice dira « si le CNT doit rester comme tel ou doit être remodelé».

Le Premier ministre s’est engagé devant la délégation de la CEDEAO début juin, à présenter au bout de six semaines à compter de sa prise de fonction, sa feuille de route devant le Conseil national de transition. Si le texte est validé, le gouvernement reviendra auprès des Maliens pour plus d’explications afin que « les forces vives adhèrent » massivement au texte.

L’Accord pour la paix et la réconciliation

Il précise que ça sera la même démarche explicative appliquée à la feuille de route, avec les mouvements signataires de l’accord. Il estime d’ailleurs que « l’unité nationale, l’intégrité du territoire, la souveraineté de l’Etat sur l’ensemble du territoire, le caractère laïc et républicain de l’Etat ne doivent pas être négociable quelque soit les conditions. En dehors de cela, tout le reste est négociable» poursuit-il, avant d’ajouter qu’avant de se voir soutenir par la communauté internationale, il est important que les discussions et les consensus soient d’abord trouvés à l’interne par des Maliens, car « la communauté internationale ne peut pas venir résoudre les problèmes » à la place des nationaux.

L’objectif de la transition aujourd’hui est qu’au moins 90% de la population puisse s’identifier à chaque accord signé pour éviter les soulèvements qui ont conduit le pays à la crise actuelle. C’est pourquoi les autorités et les différents acteurs doivent faire preuve de « cohérence, d’objectivité, et surtout de pédagogie». Selon Choguel, l’Accord pour la paix et la réconciliation qui est au centre du débat a été signé par le gouvernement et les mouvements, pourtant « aucun d’entre eux ne s’est donné le temps d’aller l’expliquer et le faire accepter » par les populations. « La majorité des gens l’ont accepté dans l’espoir que ça va ramener la paix » ajoute Choguel Maiga, l’ancien Porte-parole du gouvernement à l’époque de la signature de l’Accord. Il précise avoir demandé à cette époque, la mise sur pied d’une équipe ad hoc chargée d’étudier les éléments de langage afin d’en expliquer aux Maliens et institutions. Mais l’initiative n’a jamais été mise en œuvre: c’est pourquoi pour cette transition, il est important d’avoir une nouvelle méthode. Il ne s’agit pas de tout remettre en cause mais d’apporter du neuf tout simplement parce que l’Etat est une continuité. Ainsi, la Transition va être jugée par sa capacité à organiser les élections, à faire avancer le processus de l’Accord d’Alger et à faire les réformes auxquelles s’attend le peuple malien.

 

 

Les assises nationales de la refondation

Les assises vont être faites sur la base des conclusions du dialogue national inclusif de 2019, la conférence d’entente nationale, les Etats généraux et autres travaux réalisés pour enrichir le débat national et prendre en compte les préoccupations des populations. Le Premier ministre a tenu à préciser que les résultats des assises ne pourront forcément pas tous être pris en compte par la Transition, estimant que d’autres gouvernements pourront poursuivre la mise en œuvre après cette période.

Les doléances de la Maison de la Presse

Même si cette rencontre entre le Premier ministre et la presse , n’était pas une occasion de questions/réponses, la Maison de la Presse a tenu à présenter quelques difficultés que rencontre le secteur. La question du non paiement de l’aide à la presse depuis 2019 a été soulevée. La poursuite de la rénovation de cette enceinte des médias entamée par le dernier gouvernement a été posée sur la table. La dépénalisation des délits de presse, la fiscalité des radios, la refondation de la presse malienne sont quelques points abordés par le président de la Maison de la Presse Bandiougou Danté.

Idelette BISSUU

Mali – Bloc anti CNT : Vers des alliances de circonstances 

Le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif, et le seul qui reste à mettre en place pour achever le tableau des organes de la transition, continue de crisper les attentions. Les remous sur sa mise en place se poursuivent, rapprochant, de loin, les positions des plus grands partis et regroupements politiques de l’arène malienne, qui ont décidé pour beaucoup de ne pas y envoyer de représentants. Pour capitaliser cette convergence apparente, des démarches sont menées pour former un bloc commun, capable d’amener les autorités de la transition à revoir leur copie. Si les portes ne sont pas totalement fermées entre les partis politiques, d’autres paramètres de positionnement ne rendent pas pour autant aussi simple une éventuelle grande alliance entre eux.

Dès le lendemain de la publication au Journal officiel de la République des deux décrets fixant respectivement les modalités de désignation des membres du CNT et sa clé de répartition, le M5-RFP, qui « refuse de servir de faire-valoir à un régime militaire déguisé », a non seulement décidé de ne pas y participer dans le format proposé, mais aussi lancé un appel à toutes les forces patriotiques et politiques, pour « se concerter, entrer en résistance et faire face pour sauver la démocratie et la République ».

Cette prise de position n’en était qu’une parmi les très nombreuses qu’a suscitées l’adoption des deux décrets au sein de la classe politique. Cette dernière, dans sa presque totalité, a fustigé la manière de procéder des autorités de la transition et décidé de boycotter le Conseil national de transition si la procédure n’était pas revue.

Le 12 novembre 2020, après une première réaction la veille, exhortant toute la classe politique à observer le devoir de non-participation, l’alliance de l’ancienne majorité présidentielle Ensemble pour le Mali (EPM) a réitéré, dans une déclaration commune avec d’autres partis et regroupements politiques, à l’instar de la Coalition des forces patriotiques (COFOP), de l’Action républicaine pour le progrès (ARP), de l’Alliance Jiguiya Koura ou encore du parti Yelema, la décision unanime de ne pas siéger au CNT. La conférence des Présidents de ces différents partis a appelé à « une union sacrée pour préserver les acquis démocratiques pour sauver la République ».

Quelles actions communes ?

Le Président de la transition, Chef de l’État, M. Bah N’Daw avait déclaré alors qu’il était récemment en tournée dans la sous-région, vouloir s’en tenir à l’esprit des deux décrets qu’il a signés. Les premières réactions de la classe politique n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à le faire revenir sur ce qui a été décidé.

Mais, le 19 novembre dernier, trois ministres du gouvernement ont rencontré la classe politique dans le cadre de la relance du Cadre de concertation des partis politiques déjà existant entre elle et le gouvernement. La question de la mise en place du CNT n’était initialement pas à l’ordre du jour, mais les politiques n’ont pas manqué l’occasion d’y revenir.

Les émissaires du gouvernement ont alors promis de faire un compte-rendu aux plus hautes autorités, sans pour autant donner la garantie que la procédure allait être revue.

Pour faire adhérer les autorités de la transition à ses exigences, le M5-RFP se met déjà dans une démarche active, pour faire converger les actions au sein de la classe politique.

« Nous avons commencé par prendre des contacts avec les partis de l’ancienne majorité présidentielle puis avec d’autres forces vives. Nous avons un agenda de rencontres cette semaine. Elles ont déjà commencé et nous allons les intensifier, puis faire un front commun dans lequel tout le monde va se retrouver pour imposer une transition vraiment démocratique », affirme Choguel Kokala Maiga, Président du Comité stratégique du M5-RFP.

Pour lui, il ne s’agit même plus pour les « jeunes militaires » de discuter uniquement avec le M5, mais de « parvenir à un accord politique global qui puisse convenir au moins à l’ensemble des forces politiques et sociales ».

Cette vision est partagée à la COFOP, où le Président, Dr. Abdoulaye Amadou Sy, estime qu’il faut nécessairement une concertation avec la classe politique, parce qu’il s’agit de l’intérêt du Mali et non d’un individu et qu’il faut que les fils du pays discutent autour d’une table et décident ensemble de ce qu’il faut faire, dans le cadre des règlements qui sont fixés.

Jeux politiques et grande coalition

Le M5-RFP est résolument tourné vers la réalisation d’une grande coalition des forces politiques et sociales, y compris celles se positionnant du côté de l’ancienne majorité présidentielle. « Nous les avons déjà invitées à des séances de travail. Nous avons eu une première rencontre avec elles pour une prise de contact dans le courant de la semaine passée et nous irons peut-être au-delà cette semaine », confie M. Maiga, pour lequel l’objectif est de réunir tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la façon de faire des autorités de la transition.

Mais, à l’alliance EPM, l’ancienne majorité présidentielle, même si la procédure de la mise en place du CNT est fustigée, le ton semble ne pas être le même que celui du M5, du moins pour le moment, sur l’unicité des actions.

« Le M5 et nous, nous sommes différents et nous n’avons pas les mêmes méthodes pour faire aboutir nos revendications. Nous ne sommes pas dans la défiance de la transition, nous l’accompagnons. Le M5 est par contre dans une posture de défiance de la transition, en disant qu’il est aussi légitime que la transition », précise Me Baber Gano, Secrétaire général du RPM, parti-clé de l’alliance EPM.

« Nous ne sommes pas dans ce schéma. Au contraire, pour nous, il faut accompagner la transition et trouver les meilleures solutions afin de sortir de cette situation », ajoute l’ancien ministre des Transports.

Même avec les partis et regroupements politiques avec lesquels a été signée la déclaration commune du 12 novembre, l’alliance EPM ne voit pas pour le moment une plus large alliance. « C’est juste un partage de vision sur un objectif commun. Le CNT est un organe qui doit regrouper l’ensemble des forces politiques et sociales du pays. Cela veut dire que nous allons tous nous retrouver là-bas. Nous avons donc dit que, pour cet objectif, pour un départ il ne faut plus  se mettre dans une posture d’opposition ou de majorité, c’est surtout pour l’intérêt du Mali », souligne M. Gano, laissant tout de même entrevoir que les portes ne sont pas totalement fermées.

« L’avenir nous le dira. Nous sommes tous des partis politiques qui œuvrent pour la démocratie et si tant est que leur objectif à eux est de consolider la démocratie et l’État de droit, nous allons le poursuivre ensemble », assure-t-il.

Marge de manœuvre réduite 

La situation enchevêtrée, avec une multitude d’acteurs politiques et des positions différentes, fait craindre à certains une faible marge de manœuvre des politiques dans le processus de mise en place du CNT. Il faut préciser qu’en dehors des grands partis et regroupements politiques, qui s’inscrivent dans la posture de boycott, un nombre non négligeable de petits partis est prêt à siéger au sein de l’organe, d’où la multitude de candidatures qui atterriraient sur le bureau du Vice-président de la transition, le colonel Assimi Goita.

Pour l’analyste politique Boubacar Salif Traoré, quand on tient compte de cette situation, il semble difficile qu’un seul bloc politique puisse se former autour de la cause du CNT. D’autant plus, selon lui, qu’il y a déjà une sorte de précampagne en vue de la future présidentielle. « Se mettre ensemble, c’est quelque part renoncer aux différentes candidatures au profit d’un seul candidat, alors qu’aujourd’hui cela parait peu probable ».

D’ailleurs, soutient M. Traoré, « le fait de perdre l’autorité morale de l’Imam Mahmoud Dicko, associé à la fragilisation de la classe politique liée aux mésententes internes, ne leur permet pas de constituer à ce jour une force assez critique ».

Germain KENOUVI