Gao et Tombouctou : comment s’adapter au couvre-feu ?

Les couvre-feux instaurés à Gao et Tombouctou par les différents gouverneurs ont été prorogés le 9 octobre. Comment s’adaptent les populations et comment accueillent-elles cette prorogation ?

Après l’attaque du bateau de la COMANAV en provenance de Gao le 7 septembre dernier, avec 49 morts civils et 15 militaires maliens, et l’attaque le lendemain du camp de Gao par des groupes armés terroristes, un couvre-feu nocturne a été instauré dans la ville de Gao jusqu’au 9 octobre, reconductible. Presque dans la foulée, à Tombouctou, alors que la ville est soumise à un blocus et cible de tirs d’obus de la part du JNIM, le gouverneur de la région, le Commissaire divisionnaire Bakoun Kanté, a instauré également un couvre-feu allant du 11 septembre au 10 octobre 2023, de 20h à 6h du matin. Ces mesures ont été prorogées alors que les populations essayent encore de s’adapter. À Tombouctou, elles ont été un peu allégées, passant de 20h à 21h. Même si elle est contraignante, la majorité des habitants de Tombouctou approuvent la décision, selon des sources sur place. « La ville a besoin de sécurité, il faut moins de personne dans les rues, surtout la nuit, pour que les forces de l’ordre puissent faire leurs opérations de sécurisation à travers la ville », assure Tandina El Hadj Beyt’allah, blogueur de la Cité des 333 Saints. Il ajoute qu’il n’y a pas eu de grand changement dans les habitudes des Tomboctiens, « les gens s’habituent au couvre-feu, ils rentrent le soir à la maison avec des provisions ». À Gao, où le couvre-feu dure de 22h à 6h du matin, avec un allègement de 2 heures par rapport au mois dernier, les commerçants soufflent un peu mais réclament plus. Souley Ibrahim, un résident de Gao, affirme que depuis l’instauration du premier couvre-feu « la sécurité de la ville s’est nettement améliorée. Il n’y a pratiquement plus d’enlèvements et les habitants se sentent plus en sécurité ». Abdoul Karim Samba, Président d’une association locale de la société civile, affirme qu’un seul cas de braquage a été recensé durant la période du premier couvre-feu. Si la mesure est appréciée sur ce point, elle n’enchante pas une partie de la population, surtout les commerçants et les boutiquiers, qui sont obligés de fermer leurs structures dès 21h ou 22h. Une situation intenable, qui joue sur l’économie de la ville, selon la même source, car il y a plusieurs petits commerçants qui ne gagnent réellement que pendant la nuit. Avec le couvre-feu, il est difficile pour eux d’obtenir de quoi subvenir à leurs besoins.

La population des deux régions se dit résiliente, tout en espérant que cette situation ramène la sécurité et la paix sur leurs territoires.

Lutte contre le Covid-19 : Faux sur toute la ligne ?

Alors qu’il peine à faire appliquer la plupart des mesures prises dans le cadre  de la lutte contre la propagation du Covid-19 au Mali et que les cas de contamination continuent de grimper à travers le pays, le gouvernement a opté, à l’issue du Conseil extraordinaire de défense nationale du 8 mai dernier, pour la levée du couvre-feu et l’instauration du port obligatoire du masque dans les lieux publics. De nouvelles mesures dictées par un concours de circonstances qui a abouti à un climat socio-politique délétère, mais qui viennent mettre à mal la cohérence dans la gestion de cette crise sanitaire, où l’État semble de plus en plus tâtonnant.

Il était attendu pour durcir les actions de prévention contre le coronavirus, près d’un mois et demi après l’apparition des premiers cas dans le pays. Mais le gouvernement a vu sa volonté d’aller vers des mesures plus restrictives se heurter à un enchainement de manifestations à travers le Mali, allant des contestations des résultats des élections législatives au rejet catégorique du couvre-feu et à l’expression d’autres mécontentements sociaux.

Dos au mur, l’État a pris du recul et décidé de la levée du couvre-feu, qui était en vigueur depuis le 26 mars 2020, alors que la propagation de la maladie est en nette augmentation.

Une levée hâtive ?

« Le mal sévit parmi nous », reconnaissait le Premier ministre Boubou Cissé dans son allocution du 9 mai, s’appuyant sur le rapport du Conseil scientifique qui constatait qu’à des degrés divers le virus se trouvait pratiquement dans toutes les régions administratives. Conseil scientifique qui avait auparavant demandé d’isoler Bamako et Kayes, épicentres du virus, avis devant lequel le gouvernement s’est montré balbutiant. « L’agenda technique et scientifique s’est heurté à l’agenda politique. Et le politique a pris le dessus. Les travers ont commencé au moment où le gouvernement  s’est entêté à organiser les élections législatives nonobstant la menace de la maladie dans le pays », pointe le sociologue Mahamadou Diouara.

Pour lui, cela veut dire que c’est l’État qui a commencé à ôter aux mesures préventives tout leur crédit, à travers un comportement contradictoire qui s’est ajouté aux abus dénoncés des forces de l’ordre durant le couvre-feu, qui ont cristallisé la population dans une posture de défiance, Il était donc obligé de reculer et de lever le couvre-feu, en contradiction avec le principe et la logique mêmes qui avaient commandé son instauration.

« La décision de lever le couvre-feu a été hâtive, mais elle se comprend. Il y a eu la connexion de plusieurs éléments, qui ont convergé de telle sorte que si l’État n’avait pas desserré l’étau cela aurait pu aboutir à une sorte de désobéissance civile généralisée, qui pouvait se terminer mal pour le pouvoir », souligne également Bouréma Touré, socio-anthropologue à l’Université des Lettres et sciences humaines de Bamako.

Propagation accrue ?

Le confinement général de la population malienne n’étant pas adapté au contexte socio-économique du pays, beaucoup pensent que l’instauration du couvre-feu participait considérablement à la limitation de la propagation de la maladie, les heures passées dehors étant réduites au moins pendant la nuit. Avec ce verrou qui saute, la vitesse de propagation de la maladie pourrait augmenter à bien des égards. Des bars ont par exemple rouvert dans la foulée, alors que leur fermeture court toujours.

« Pendant la journée, les gens sont soumis à une certaine pudeur et à une certaine retenue dans les contacts physiques. Mais avec la promiscuité dans certains lieux la nuit, le taux de contamination pourrait augmenter à une vitesse exponentielle », craint Mahamadou Diouara du cabinet Gaaya.

« C’est vrai qu’avec l’augmentation du temps passé dehors avec d’autres, le risque de contamination pourrait augmenter. Toutefois, les mesures préventives doivent être respectées normalement, de jour comme de nuit. Il en va de la responsabilité personnelle de chacun », relativise Dr. Abdoulaye Niang, analyste et Président de l’association « Joko Ni Maya ».

Une fin de Ramadan à risques

La levée du couvre-feu coïncide avec l’entame des dix derniers jours du Ramadan pour la communauté musulmane. Des jours marqués par l’intensification des prières surérogatoires dans les mosquées, de très tard la nuit jusqu’au petit matin.

Pour Mahamadou Diouara, il serait judicieux que les mosquées soient fermées pendant cette période, parce qu’il y a de fortes chances que ces jours se passent avec une intermittence de pluies, ce qui pourrait augmenter le taux d’humidité qui favoriserait la propagation du virus.

Par ailleurs, à en croire Thierno Hady Cheick Omar Thiam, Président du Conseil fédéral national des adeptes de la Tarîqa Tidjaniya (Confenat) et 2ème Vice-président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), le « nafila » n’est pas obligatoire, que ce soit avant, pendant ou après le Ramadan.

« Il est interdit en Islam que quelqu’un prie avec d’autres lors du « nafila ». Durant les dix derniers jours du Ramadan, cette prière était obligatoire uniquement pour le Prophète (PSL), pour qu’il veille pour Dieu. Elle n’est pas obligatoire pour les musulmans », explique le religieux.

« Il faut aujourd’hui donc sensibiliser pour que la majorité comprenne que tous les « nafilas » ne sont pas obligatoires et que prier ensemble durant cette période de coronavirus, dans les rues et dans les mosquées, ne fait que propager la maladie », préconise-t-il.

Selon le Président du Confenat, il appartient aujourd’hui à chaque Malien de savoir où se trouve son intérêt, parce que « la religion est là pour le bien-être de l’homme. À chacun de prendre ses responsabilités ».

Changer de cap

L’une des mesures également prise à l’issue du Conseil de défense nationale du 8 mai est le port obligatoire du masque dans les espaces publics, qui vient s’ajouter à la liste déjà longue des décisions prises sur le papier mais dont l’application peine à être effective.

Dans le domaine des transports, en l’occurrence, le laisser-aller est tout simplement criard. Quant aux cérémonies de mariages et de baptêmes, elles continuent à rassembler du monde au-delà de la cinquantaine de personnes autorisée.

« La décision rendant le port du masque obligatoire dans les espaces publics ne pourra pas être strictement appliquée. Même si l’État se mettait à distribuer des masques dans chaque carré, les gens les prendraient mais ne les utiliseraient pas », affirme Dr. Niang, pour lequel le programme « un Malien, un masque » relève plus d’une déclaration politique que de la statistique.

Cette attitude de certaines personnes résulte du fait que jusqu’à présent elles ne croient pas à l’existence du coronavirus au Mali, ce qui, selon le socio-anthropologue Bouréma Touré, est à imputer en partie à la défaillance de l’État en matière de sensibilisation.

« Il faut d’abord s’employer à rendre les gens conscients du problème. Ce n’est qu’après avoir gagné ce pari que les uns et les autres s’approprieront les mesures de prévention », suggère-t-il.

Pour reprendre la main dans la gestion de cette crise sanitaire au Mali, le gouvernement aurait grand intérêt à apporter d’importants changements stratégiques qui conduiraient l’ensemble des populations à se soumettre aux mesures prises, selon certains analystes.

« Je pense qu’il serait plus bénéfique de laisser le ministère de la Santé avoir le leadership dans toute la communication relative à cette pandémie. Les populations seront plus enclines à écouter ses messages que ceux des acteurs éminemment politiques », propose Mahamadou Diouara.

« Il faut absolument changer la façon de gérer cette crise, parce que telles que les choses se présentent aujourd’hui, l’attitude de l’État est plus que décevante », déplore aussi Dr. Touré, qui est convaincu que ce changement n’est malheureusement pas près d’arriver.

Lutte contre le Covid-19 : Les FDS ont-elles les moyens de leur mission ?

Dans la lutte contre la propagation du Covid-19 au Mali, le gouvernement a pris plusieurs mesures dont l’effectivité implique largement les Forces de défense et de sécurité (FDS). Mais, pour mener à bien ces missions, ont-elles les moyens et les effectifs nécessaires ?

Déjà quelques semaines que la plupart des mesures sont entrées en vigueur et un constat se dégage : dans le domaine des transports, difficile de faire appliquer certaines décisions.

Contrairement à la limitation à la moitié du nombre de passagers prévus sur la carte grise du véhicule et la prise en compte de la distance d’un mètre entre ces personnes,  les Sotramas continuent de faire le plein et les motocyclistes à rouler à deux, en violation de la disposition qui limite leur nombre à un seul.

Moyens adéquats ?

S’il y a une mesure où les forces de défense et de sécurité se déploient à fond, c’est le couvre-feu. Les patrouilles de jour continuent toujours, mais la nuit il est la priorité. « Nous avons mobilisé l’effectif que nous avons. Nous ne pouvons pas faire mieux, parce qu’il n’y a pas eu de  recrutement spécial pour le couvre-feu. Nous faisons donc avec les moyens du bord », explique le Directeur régional de la Police du district de Bamako, le contrôleur général Siaka Bouran Sidibé.

« Le carburant est renforcé quotidiennement et pour les mesures d’accompagnement, le Président vient juste d’annoncer des primes. Mais on ne peut pas encore en parler pour l’heure ».

Pour le responsable régional de la police, ses éléments n’auraient pas besoin de moyens extraordinaires pour faire appliquer les mesures si chaque citoyen faisait preuve de civisme.

Protection requise

Mais, pour être sur le terrain et faire appliquer les mesures du gouvernement, les forces de défense et de sécurité doivent d’abord elles-mêmes être suffisamment protégées. Dans un courrier en date du 2 avril au ministre de la Sécurité et de la protection civile, le Syndicat autonome de la police nationale (SAP) demandait que « les policiers, sans distinction de grade et de corps, soient dotés en matériel de protection ».

« Aujourd’hui, nos demandes ont été satisfaites à 70%. Nous avons reçu quelques kits de protection à Bamako, mais nous sommes en train de vérifier si c’est le cas dans les régions », confie Bougouna Baba Dembélé, Président du SAP.

Germain KENOUVI

Nuit calme à Abobo sous couvre-feu

Aucun coup de feu ni détonation n’a été entendu selon des habitants des quartiers d’Abobo et Anyama (nord), o๠un couvre-feu nocture a été instauré depuis mercredi. « Cette nuit on n’a rien entendu », a déclaré l’un d’eux. Le couvre-feu a été « institué dans les communes d’Abobo et d’Anyama » de 19H00 à  06H00 et sera en vigueur jusqu’à  vendredi, selon un décret du président sortant Laurent Gbagbo, lu à  la télévision publique ivoirienne. Fief d’Alassane Ouattara, rival de M. Gbagbo pour la présidence, Abobo (nord d’Abidjan) a été ces deux dernières nuits le théâtre de violents affrontements entre des éléments armés et des membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) fidèles à  M. Gbagbo. Le chef d’état-major des FDS a accusé le camp Ouattara d’être à  l’origine de ces « attaques armées assimilées à  des actes de guerre », qui placent ses forces en position de « légitime défense ». Dans la nuit de mardi à  mercredi, six policiers, « attaqués » au lance-roquettes RPG 7, et un civil ont été tués, selon un bilan donné par le ministère de l’Intérieur. Deux civils et deux membres des FDS avaient été tués la nuit précédente. La même nuit à  Abobo, trois Casques bleus de la force onusienne en Côte d’Ivoire (Onuci) ont été « légèrement blessés » dans une « embuscade » tendue par les forces pro-Gbagbo, a affirmé l’Onuci. Quatre véhicules calcinés, dont deux camionnettes des forces de sécurité, gisaient sur le bord d’une voie express. Ces violences illustrent un peu plus la persistance de la crise dans laquelle la Côte d’Ivoire est plongée depuis l’élection présidentielle du 28 novembre, pour laquelle tant Laurent Gbagbo qu’Alassane Ouattara reconnu par la communauté internationale revendiquent la victoire. Elles interviennent alors qu’une nouvelle médiation africaine est attendue ce week-end à  Abidjan, avec la venue du Premier ministre kényan Raila Odinga. Après un entretien à  Nairobi avec le président de la commission de l’Union africaine Jean Ping, M. Odinga a « une nouvelle fois » estimé que le recours à  la force contre M. Gbagbo devait être considéré comme un dernier recours. Par ailleurs, hier mercredi, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a adressé un nouvel avertissement au camp du président sortant ivoirien Laurent Gbagbo dans un communiqué o๠il se dit profondément préoccupé par les événements en cours dans le quartier d’Abobo à  Abidjan. Le président Gbagbo est sous la menace d’une opération militaire, actuellement en préparation au niveau de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), s’il ne cède pas le pouvoir à  son adversaire. Mais les présidents guinéen Alpha Condé et bissau-guinéen Malam Baca௠Sanha ont appelé à  un « règlement pacifique ». La force n’est « pas la solution », a aussi jugé le président tchadien Idriss Deby, tout en considérant M. Ouattara comme vainqueur de l’élection. Dans un entretien à  la chaà®ne de télévision française Canal+, M. Gbagbo a affirmé que « la Côte d’Ivoire n’est pas au bord d’un bain de sang, n’est pas au bord d’une guerre civile, n’est pas au bord d’un génocide ».