Représentativité politique : les femmes à l’épreuve de l’émergence

Le Mali connait des avancées ces dernières années en matière de promotion des droits des femmes. L’institution de certaines mesures a permis une augmentation de leur représentation dans les organes de prises de décisions. Mais du chemin reste encore à parcourir pour une émergence plus importante des femmes dans la sphère politique.

Depuis son adoption, même si elle peine à être strictement appliquée, la Loi N°2015-052 du 18 décembre 2015 instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives a favorisé l’accès d’un plus grand nombre de femmes aux postes électifs.

De 9% de femmes élues aux communales de 2009 elles sont passées à 25% en 2016 et de 9,52% aux législatives de 2013 à 28,57% en 2020. 227 conseillers communaux sur 670 (33,8%) sont également des femmes. Le Conseil national de Transition, l’organe législatif, compte 42 femmes sur 147 membres, soit 25,61%.

Difficile accès aux nominations

Si le nombre de femmes ayant accès aux postes électifs a augmenté dans les 7 dernières années, au niveau des fonctions nominatives, elles peinent à atteindre les 20%. Selon l’Annuaire statistique sur les fonctions nominatives et électives des services publics du Mali, en 2021 les femmes n’étaient pas  représentées dans les fonctions de Gouverneurs, tandis qu’elles représentaient seulement 15,4% des Directeurs de services centraux et 11,1% des Ambassadeurs.

En revanche, sur la même période, au niveau de l’administration le nombre de femmes nommées aux fonctions de Préfets et de Sous-préfets s’est  nettement amélioré. Pour Mme Maiga Oumou Dembélé, Porte-parole du Cadre de concertation des femmes des partis politiques, la faible représentativité des femmes au sein des instances de prises de décisions n’est liée qu’à la volonté et à une décision politique de la part des autorités dirigeantes.

« Dans le cas des postes électifs, les femmes s’en sortent. Mais, par rapport aux  nominations, nous ne sommes pas au courant. Nous les apprenons seulement et ce ne sont souvent que des hommes », se plaint-elle, saluant toutefois la nomination récente de 5 femmes sur 9 comme Chargées de mission à la Primature.

Accélérer l’émergence féminine

Malgré des acquis à capitaliser dans la situation des droits des femmes au Mali en général et dans celle de leur représentativité en politique, le combat doit se poursuivre, s’accordent plusieurs observateurs. Pour des associations féminines telles que le Réseau des femmes africaines ministres et parlementaires  (REFAMP), le Collectif des femmes du Mali (COFEM) et la Coordination des Associations et ONG féminines du Mali  (CAFO), cela passera indéniablement par une application effective de la Loi 052, qui « constitue l’une des alternatives pour inverser la tendance et corriger la faible représentation de la femme dans les instances de prises de décisions ».

En collaboration avec le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, l’ambassade de Grande Bretagne au Mali et le cabinet ACE-Conseil, elles ont lancé début mars une campagne de  mobilisation visant  à interpeller tous  « à faire bloc »  pour  que lors des prochaines consultations électives, telles que les élections  des  députes à l’Assemblée nationale, des membres du Haut Conseil des Collectivités ou des Conseillers des Collectivités territoriales, « aucune liste présentée par  un parti politique, un groupement de partis politiques ou regroupement de candidats indépendants ne soit validée si elle ne respecte pas  le quota de 30% au moins et 70% au plus de femmes ou d’hommes ».

Au Cadre de concertation des femmes des partis politiques, l’accent est mis sur le plaidoyer auprès des pouvoirs publics qui sont les seuls à pouvoir changer la donne, selon Mme Maiga Oumou Dembélé. « Les décisions politiques n’émanent pas de nous. Il faut que les décideurs aient la volonté de changer les choses pour que cela bouge. Nous, en tant que femmes, nous ne pouvons que plaider pour cette cause, mais nous n’y pouvons pas grand-chose. Nous pouvons juste mener des plaidoyers pour que la loi soit respectée », se résigne la Porte-parole de la plus grande faitière des femmes politiques du Mali.

Revenus : les femmes à la traîne dans le secteur informel

Selon les données de l’indice Gini, qui permet de mesurer l’inégalité des revenus dans un pays, le Mali est le pays le moins inégalitaire en Afrique de l’ouest en termes de revenus entre hommes et femmes. Mais si le secteur formel est relativement épargné de la disparité salariale entre travailleurs de sexes différents,  dans l’informel l’écart se creuse.

Au Mali, le Code du travail garantit des salaires égaux pour un travail de valeur égale, quels que soient l’origine, le sexe, l’âge et le statut des travailleurs. Dans la fonction publique de l’État, cela est appliqué : à diplôme égal, salaire égal, même si certains avantages non discriminatoires, liés à la fonction, peuvent créer un écart entre les salaires masculins et féminins.

Mais dans le secteur informel, qui représente plus de 96% des emplois selon un rapport  de Friedrich Ebert Stiftung publié en 2022, cette égalité de revenus n’est pas toujours respectée. Dans ce domaine où pourtant il y a une forte présence de femmes dans la main d’œuvre, on constate une disparité salariale entre femmes et hommes ou garçons et filles, les emplois masculins étant mieux rémunérés que les emplois féminins.

« De manière globale, il n’y a pas vraiment pas d’inégalités salariales significatives entre les hommes et les femmes au Mali pour l’emploi salarié. Paradoxalement, c’est au niveau de l’emploi non salarié que les inégalités se creusent entre les hommes et les femmes », explique l’économiste Cheick M’Baye.

« Quand on prend par exemple le secteur de l’orpaillage traditionnel, les hommes creusent essentiellement des galeries et font remonter la terre. Quant aux femmes, elles exercent des tâches multiples. Elles assurent le transport de la terre, font la corvée d’eau, tamisent des quantités importantes de terre qu’elles trient à la recherche de pépites d’or. Mais elles sont moins rémunérées que les hommes », ajoute Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré, Consultante Genre en égalité hommes – femmes.

« Au sein des ménages, C’est le même constat. Le chauffeur est mieux rémunéré qu’une aide-ménagère qui assure pourtant des tâches multiples », poursuit-elle.

Réduire l’écart

Selon Cheick M’Baye, l’économie malienne se porterait mieux si l’État arrivait à réduire les inégalités salariales entre hommes et femmes, parce que plus les femmes auront accès à un emploi bien rémunéré plus elles contribueront à la production de richesses.

Pour y parvenir, Mme Cissé Oumou Ahmar Traoré pense que l’accent doit être mis sur la sensibilisation au niveau des ménages et dans la société. « Dans le secteur informel, il y a lieu de sensibiliser les employeurs, d’attirer leur attention sur les disparités salariales et d’informer les travailleurs eux-mêmes. C’est par la prise de conscience que le changement peut intervenir », recommande la spécialiste.