Féminisme à la malienne

Le féminisme milite pour l’égalité des sexes, la dé- fense du droit des femmes, avec pour cible le patriarcat, qui place l’homme comme dépositaire de l’autorité au sein de la famille et fait de la femme une subordonnée. Il n’y a pas un féminisme mais des féminismes. Au Mali, il en existe un avec une voie bien à lui.

« Je suis féministe ! J’assume un féminisme africain. L’homme n’est pas un adversaire pour moi, c’est un partenaire qu’il faut éduquer ou sensibiliser », déclare Fatoumata Siré Diakité, présidente de l’Association pour le progrès et la défense des droits des femmes (APDF), qui milite depuis 25 ans pour l’amélioration des conditions de vie de ses concitoyennes. Ce féminisme, influencé par le contexte social dans lequel il est né, a commencé à  se tailler une place et à  imposer ses idées dans la société malienne. Il prône l’autonomie financière, l’accès à  l’éducation, l’égalité et l’équité pour les femmes.

Pour Mariam Diallo Dramé, présidente de l’Association femmes leadership et développement durable (AFLED), « avec ces mouvements féministes, il n’y a pas de « mais », on doit être féministe c’est tout et accepter tout ce qui va avec ! Je me dis féministe, mais, je veux apporter des changements pour les femmes avec une charte adaptée à nos valeurs et qui ne soit pas un copié-collé des chartes occidentales. Une Malienne ne pourra jamais être une Occidentale ! ». Ce qui semble différencier le féminisme occidental de celui pratiqué au Mali, c’est une certaine pudeur. Pas question de choquer, comme les Femen en Europe, par exemple. Si les revendications et les combats sont effectifs, certaines règles culturelles ou traditionnelles se doivent d’être respectées. « Il faut accepter nos différences par rapport aux hommes. Il faut rester réaliste, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Derrière notre engagement, nous recherchons le bien-être général. C’est à  nous les femmes d’aujourd’hui, de savoir comment respecter nos valeurs, notre culture et rester dans notre cadre pour nous réaliser », explique la présidente de l’AFLED.

Des femmes majoritaires avec des droits minoritaires Les femmes au Mali, constituent plus de la moitié de la population. Elles sont pour la plupart victimes de décrochage scolaire, évoluent dans le secteur informel et ont un pouvoir d’achat très faible. Dans le milieu rural, elles travaillent souvent de 4h du matin à  22h. Elles doivent s’occuper de la maison, des enfants, chercher de l’eau, travailler au champ toute la journée, et c’est l’homme qui vend la récolte et la paye comme il veut. « Dans les campagnes, la femme c’est la bonne ! Les hommes restent assis à  causer et boire le thé. Notre société insiste tellement sur le poids du patriarcat que l’on n’a plus de compassion pour les femmes », déplore Mariam Diallo Dramé. Pour elle, le vrai problème est que les hommes ont tendance à  abuser de leur pouvoir, ce qui les rend inflexibles et peut mener à  la violence qui détruit des familles. « Il faut que les femmes se prennent en charge économiquement. Ce n’est qu’ainsi qu’elles pourront échapper à  la violence. Une femme qui dépend à  100 % d’un homme sur le plan économique, ne peut pas quitter le foyer car personne ne la prendra en charge », explique Madame Diakité, qui a été l’Ambassadeur du Mali à  Berlin.

Autre problème évoqué, l’islam, accaparé par les leaders et les associations religieuses, dont l’interprétation des textes favoriserait les hommes. « Dans la religion musulmane, il est dit clairement que l’oisiveté n’est pas conseillée, donc, dire à  une femme de ne pas travailler ça contredit nos textes. Il est dit aussi que l’homme ne doit pas agir sans demander la permission à  sa femme, cela aussi est passé sous silence. Nous les femmes devons connaître notre religion pour être capable d’argumenter et de nous défendre », explique Mariam Diallo Dramé. Néanmoins les mentalités commencent à  changer chez les hommes comme chez les femmes et même au niveau des décideurs. « Ne pas prendre en compte la femme et ne pas lui donner plus de droit, est un frein au développement. Pour que le Mali progresse, il faut que les hommes et les femmes soient sur le même pied d’égalité », assène Fatoumata S. Diakité. Pour la journée du 8 mars, ces associations féministes seront mobilisées, même si elles déplorent que l’on fasse la part belle au folklore et aux discours au détriment de la réflexion et des revendications. « J’aimerais qu’avec cette journée, les femmes prennent conscience qu’elles doivent être les actrices de leur propre changement et arrêtent d’attendre les drames pour se sentir concernées. Mais une seule journée par an pour cela, n’est évidemment pas suffisant », conclut Mariam Diallo Dramé.

La Marche Mondiale des Femmes : 1998-2008, dix ans de lutte féministe internationale.

Wilhelmina Trout, est une femme énergique, cheveux courts, la peau basanée, elle nous vient d’Afrique du Sud. Dans la salle du palais des Congrès de Bamako, elle étire ses bras vers le ciel et enjoint les autres femmes à  faire de même. Au milieu de thématiques lourdes, comme les violences faà®tes aux femmes ou leur autonomie financière, s’octroyer un moment de détente est une nécessité absolue. Ensuite, entre deux interventions de déléguées venues du continent, Wilhelmina raconte ses motivations aux «Sisters » : « Comprenons-nous ! Pour réussir la Grande Marche des Femmes en 2010, nous devons proposer des actions créatives, lancer des idées, n’est-ce pas les filles ? ». Applaudissements dans la salle ! Adèle, la représentante de la Marche Mondiale pour la République Démocratique du Congo, prend le relais, pour défendre la cause des femmes du Sud-Kivu, puis Véronique esquisse quelques pas de danse traditionnelle et remue le bassin avec grâce. Constance Okeke, venue elle d’Abuja au Nigeria, réitère elle le rôle capital des médias dans la bonne marche de l’opération. La Marche mondiale des femmes de 2010, voilà  l’objet de cette rencontre africaine, qui s’est tenue à  Bamako du 28 au 30 mai 2009. Accueillies par la CAFO (la coordination des Associations et ONG féminines du Mali), les femmes d’Afrique, du Brésil, du Congo, d’Algérie, du Bénin et même de la République Sahraouie, ont fait le déplacement à  Bamako, pour se rencontrer, échanger, imaginer, proposer des actions concrètes pour améliorer le sort des autres femmes dans le monde. Partout o๠leurs libertés et leurs droits les plus élémentaires sont bafoués, elles se concertent pour agir! C’’est le cas des femmes violées au Sud Kivu, celles qui subissent la violence domestique au quotidien, ou encore celles qui croupissent dans la pauvreté… Vaste programme ! Les pionnières de la lutte féministe au Mali Ce combat des femmes si long soit-il, fait écho aux revendication des pionnières de la lutte féministe et de la promotion de la femme au Mali. Du foyer à  la scène publique, elles ont de tout temps réclamé le droit de la femme à  l‘autonomie et à  l‘indépendance économique, sans toutefois bafouer leurs traditions séculaires au pied. Sira DIOP, première femme bachelière du Mali, issue de l’école des jeunes de filles de Rufisque à  Dakar, présidente de l’Union Nationale des Femmes du Mali, enseignante, directrice d’école et dont le CV est kilométrique, fait figure de proue et reste un exemple vivant. Aoua Keita, première femme député du Mali, née en 1912, a gravi un à  un les échelons de la politique. l’étudiante en médecine, entre en politique, en 1935 grâce à  l’appui de son mari, un jeune docteur qui partagera ses idées politiques avec sa femme. Plus tard, membre de l’Union Soudanaise – Rassemblement Démocratique Africain (USRDA), Aoua Keita, écrira dans son autobiographie :  » «Â Bien que les réunions du parti, se passaient alors entre hommes… mon époux m’a toujours considéré en égale » (p.50). Après elles, d’illustres femmes Maliennes se démarqueront dans les arts, la science, la politique, l’humanitaire, l’écriture ou le combat intellectuel à  l’instar d’Aminata Dramane Traoré, ex ministre de la culture du Mali ou encore d’Aminata Sidibé, première femme candidate aux élections présidentielles de 2007. Aujourd’hui, les femmes investissent tous les pans de la société, en public ou en privé, la Marche Mondiale des femmes est le mouvement qui les rassemble inexorablement. La rencontre de Bamako Au calendrier de ce forum, plusieurs thèmes furent évoqués : «Â La paix et la Démilitarisation », car les femmes devront jouer un rôle clé dans la résolution des conflits et dont elles sont les premières victimes. En second lieu, leur «Â Autonomie Financière » car la pauvreté les rends vulnérables et les exposent à  toute sortes de dérives. Et Wilhelmina Trout, pointe du doigt la légalisation de la prostitution, prévue pour la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, un sujet auquel la Marche Mondiale s’intéressera de même qu’aux droit des travailleurs sociaux en situation précaire. Les violences faà®tes aux femmes, constituent un axe incontournable dans la politique de la MMF, explique Myriam Nobre, la coordinatrice Internationale de la Marche à  Sao Paulo au Brésil. D’ ailleurs, Myriam n’en est pas à  son premier voyage en terre malienne. Le Mali est même devenu une seconde patrie pour la jeune brésilienne qui connaà®t bien les thématiques liées aux femmes: « Pour nous la Marche a permis d’améliorer beaucoup de choses, le simple fait de s’affirmer, de réclamer ses droits est le début d’un changement. Au Brésil, par exemple, nous avons pu obtenir que le gouvernement, revalorise les salaires des femmes, ce qui constitue une belle avancée ». Le bilan de dix ans d’actions soutenues pour le droit des femmes Dix ans de lutte suffisent-ils depuis qu’existe la Marche Mondiale des Femmes, pour tout régler ? : « Dans les textes, explique, Nana Aicha Cissé, coordinatrice francophone de la Marche, les droits de la femme ont été définis, mais dans la pratique, ils sont quotidiennement violés ! » La violence domestique reste un problème crucial au Mali et nos cellules d’écoute et de conseil, accueillent chaque jour des femmes en détresse… ». Pour Nana Aicha Cissé, le combat reste quotidien et ne saurait se faire seul. Instituée par la conférence de Beijing en 1996, le mouvement de la Marche Mondiale des Femmes est parti de Montréal au Canada en 1998 et s’est poursuivi à  la conférence des Nations Unies à  New-York en 2000. A la prestigieuse tribune, une forte délégation de femmes Africaines a témoigné de la nécessité de créer une vaste organisation féminine. Wilhelmina s’en rappelle avec émotion : «Â  J’étais vraiment heureuse, enthousiaste de voir toutes ces femmes Africaines, vêtues de belles couleurs, se rassembler. Pour moi, nous étions des sœurs qui se retrouvaient pour défendre la même cause… ». Le mouvement continue de susciter l’engouement : celui des femmes modernes mais aussi rurales. Les femmes Maliennes ont ainsi entamé une marche symbolique, le 30 mai 2009, du Centre Aoua Keita (Première femme député au Mali), elles ont remonté le Boulevard de l’Indépendance, jusqu’à  la Bourse du travail, vêtue de couleurs festives ! « So-so-so- Solidarité ! Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous continuerons à  marcher !  » Un slogan porteur d’un élan, celui d’un monde o๠les femmes éprises de liberté et de justice seront toutes entendues. Le 8 mars 2010, la Marche Mondiale des Femmes sera de nouveau sur les rails ! A l’instar des grands rassemblements comme le Forum Social Africain ou les Journées Mondiales de la Jeunesse, un peu partout en Afrique, et dans le monde, des manifestations seront organisées. Le 17 octobre 2010, rendez-vous au Sud Kivu, en République du Démocratique du Congo pour soutenir les femmes et rien qu’elles !