Seidik Abba : « en dépit des réticences, la CEDEAO pourrait engager une confrontation »

Journaliste, chercheur et auteur spécialiste du Sahel, Seidik Abba répond à nos questions sur la situation au Niger.

Alors que l’ultimatum de la CEDEAO a expiré et que la voie diplomatique est à la peine, croyez-vous possible une intervention militaire au Niger ?

Comme l’ont indiqué le Président en exercice de la CEDEAO, Bola Tinibu, et la Commission de la CEDEAO elle-même, tout porte à croire qu’une intervention militaire n’est pas à exclure. Pour l’instant, l’option diplomatique et la solution politique n’ont pas prospéré et la junte au pouvoir au Niger est restée sourde aux différents appels pour rétablir lePprésident Mohamed Bazoum. À mon avis, elle ne le fera pas. Pour la CEDEAO, le Niger est le coup d’État de trop, et si elle laisse faire elle craint que la contagion régionale, qui était présentée comme une possibilité, ne devienne une réalité. Avec tous ces éléments, on ne peut que sérieusement envisager une confrontation militaire, même si elle présente aujourd’hui beaucoup de risques. En dépit des réticences exprimées ici et là, la CEDEAO pourrait l’engager. Le deuxième sommet à Abuja (10 août) pourrait consacrer l’urgence. Certains pays sont déterminés à ce que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger, y compris par la force.

Le Mali et le Burkina Faso menacent d’entrer en guerre en cas d’intervention au Niger. Comment interpréter cette position ?

Cette annonce ne me surprend pas. Il y a un front du refus de la CEDEAO et de ses ingérences qui se forme. À mon avis, le fait d’annoncer la possibilité d’engager des hommes pour soutenir les autorités au Niger relève plus du registre de la rhétorique et du positionnement que de la réalité elle-même. Les armées du Burkina Faso et du Mali ont d’autres urgences, comme on le constate avec les récentes attaques, que de s’engager contre la CEDEAO au profit du Niger. Si elles le faisaient, ce serait une occasion pour les groupes terroristes d’en profiter. C’est pour cela que considère que c’est une rhétorique.

Concrètement, les deux pays peuvent-ils se le permettre ?

Ni le Mali, ni le Burkina Faso n’ont les moyens de s’engager dans une guerre autre que contre le terrorisme. S’ils le faisaient, leur présence serait symbolique. Je ne les vois pas mobiliser des bataillons entiers alors qu’ils ont des difficultés à contrôler leurs territoires. La frontière entre le Mali et le Niger n’est occupée que par les terroristes, ils sont libres d’aller et venir entre les deux pays. C’est la même situation avec le Burkina Faso, qui n’a ni la volonté, ni l’effectif, ni les moyens pour mener une autre lutte que celle contre le terrorisme.

Niger : la CEDEAO ordonne le déploiement de la force en attente

Les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont de nouveau réunis ce jeudi à Abuja pour évoquer la situation au Niger. Le président de la commission de la CEDEAO, Omar Touray, a déclaré après un sommet d’urgence au Nigeria que les membres avaient décidé « d’ordonner le déploiement de la force en attente de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger ».

Au début du sommet, Bola Tinubu avait  reconnu que l’ultimatum qu’ils avaient lancé lors du premier sommet n’a pas donné les résultats escomptés. Le président Tinubu avait aussi assuré  que la négociation avec le régime militaire au Niger doit être le « socle de leur approche

Tous les présidents de la CEDEAO ont participé à ce sommet hormis ceux de la Gambie, du Libéria et du Cap-Vert, qui ont envoyé des représentants. Le président déchu Mohamed Bazoum était aussi représenté par son ministre d’Etat, ministre des affaires Etrangères, M. Massoudou Hassoumi. De retour à Abidjan après le sommet, le président ivoirien Alassane Ouattara a affirmé que les chefs d’État ouest-africains avaient donné leur feu vert pour qu’une opération militaire « démarre dans les plus brefs délais » afin de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Alassane Ouattara a indiqué que la Côte d’Ivoire fournirait « un bataillon » de 850 à 1.100 hommes, aux côtés du Nigeria et du Bénin notamment, et que « d’autres pays » les rejoindront. « Les putschistes peuvent décider de partir dès demain matin et il n’y aura pas d’intervention militaire, tout dépend d’eux » a t-il réaffirmé. Paris soutient « l’ensemble des conclusions adoptées à l’occasion du sommet extraordinaire » de la CEDEAO à Abuja, y compris la décision d’activer le déploiement d’une « force en attente », a signifié le ministère français des Affaires étrangère

Dans le communiqué final après le sommet, la conférence des chefs d’Etat a lancé un avertissement solennel aux Etats membres dont les actions directes ou indirectes ont pour effet d’entraver le règlement pacifique de la crise au Niger. Sans les nommer, l’avertissement s’adresse certainement au Mali et au Burkina Faso qui ont apporté leur soutien aux militaires du CNSP. Toutefois, la CEDEAO assure aussi de sa détermination à maintenir ouvertes toutes les options en vue d’une règlement pacifique de la crise.