Niger : les militaires envisagent de poursuivre Mohamed Bazoum pour haute trahison

Les militaires du CNSP ont annoncé dimanche leur intention de « poursuivre » le président renversé Mohamed Bazoum pour « haute trahison » et « atteinte à la sûreté » du pays. « Le gouvernement nigérien a réuni à ce jour » les « preuves pour poursuivre devant les instances nationales et internationales compétentes le président déchu et ses complices locaux et étrangers, pour haute trahison et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du Niger », a déclaré le colonel-major Amadou Abdramane, un des membres du CNSP, dans un communiqué lu à la télévision nationale. Le gouvernement appuie ses accusations sur des « échanges » de Mohamed Bazoum avec des « nationaux », des « chefs d’Etat étrangers », et des « responsables d’organisations internationales ». À propos du président déchu, le CNSP a appelé à « s’interroger sur la sincérité de sa prétention à soutenir qu’il est séquestré, alors même que les militaires n’ont jamais investi sa résidence présidentielle et qu’il dispose encore de tous les moyens de communication ». Mohamed Bazoum, retenu dans sa résidence présidentielle depuis le 26 juillet – jour du coup d’Etat avec son fils et sa femme, avait déclaré dans plusieurs médias être un « otage », puis privé d’électricité et contraint de ne manger que du riz et des pâtes. Samedi, le président déchu a reçu la visite de son médecin pour une consultation médicale. Ce dernier a par la suite déclaré que les conditions de détention de Bazoum étaient inhumaines.

Ces déclarations surviennent après l’accueil par le CNSP d’une délégation de chefs religieux nigerians musulmans samedi, menée avec l’accord du président nigérian Bola Tinubu, également à la tête de la CEDEAO, pour « apaiser les tensions créées par la perspective d’une intervention militaire » de l’organisation.

Selon un communiqué de la médiation religieuse nigériane, le chef du régime militaire, le général Abdourahamane Tiani, avait « déclaré que sa porte était ouverte pour explorer la voie de la diplomatie et de la paix afin de résoudre » la crise.

Niger : la CEDEAO ordonne le déploiement de la force en attente

Les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont de nouveau réunis ce jeudi à Abuja pour évoquer la situation au Niger. Le président de la commission de la CEDEAO, Omar Touray, a déclaré après un sommet d’urgence au Nigeria que les membres avaient décidé « d’ordonner le déploiement de la force en attente de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger ».

Au début du sommet, Bola Tinubu avait  reconnu que l’ultimatum qu’ils avaient lancé lors du premier sommet n’a pas donné les résultats escomptés. Le président Tinubu avait aussi assuré  que la négociation avec le régime militaire au Niger doit être le « socle de leur approche

Tous les présidents de la CEDEAO ont participé à ce sommet hormis ceux de la Gambie, du Libéria et du Cap-Vert, qui ont envoyé des représentants. Le président déchu Mohamed Bazoum était aussi représenté par son ministre d’Etat, ministre des affaires Etrangères, M. Massoudou Hassoumi. De retour à Abidjan après le sommet, le président ivoirien Alassane Ouattara a affirmé que les chefs d’État ouest-africains avaient donné leur feu vert pour qu’une opération militaire « démarre dans les plus brefs délais » afin de rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Alassane Ouattara a indiqué que la Côte d’Ivoire fournirait « un bataillon » de 850 à 1.100 hommes, aux côtés du Nigeria et du Bénin notamment, et que « d’autres pays » les rejoindront. « Les putschistes peuvent décider de partir dès demain matin et il n’y aura pas d’intervention militaire, tout dépend d’eux » a t-il réaffirmé. Paris soutient « l’ensemble des conclusions adoptées à l’occasion du sommet extraordinaire » de la CEDEAO à Abuja, y compris la décision d’activer le déploiement d’une « force en attente », a signifié le ministère français des Affaires étrangère

Dans le communiqué final après le sommet, la conférence des chefs d’Etat a lancé un avertissement solennel aux Etats membres dont les actions directes ou indirectes ont pour effet d’entraver le règlement pacifique de la crise au Niger. Sans les nommer, l’avertissement s’adresse certainement au Mali et au Burkina Faso qui ont apporté leur soutien aux militaires du CNSP. Toutefois, la CEDEAO assure aussi de sa détermination à maintenir ouvertes toutes les options en vue d’une règlement pacifique de la crise.

Niger : fin de l’ultimatum de la CEDEAO, l’espace aérien fermé

Selon une publication sur le compte officiel des FAMa ce lundi 7 août, le Mali et le Burkina Faso ont envoyé une délégation au Niger conduite par le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale, le Colonel Abdoulaye Maiga. Cette visite intervient alors que l’ultimatum adressé le 30 juillet par la CEDEAO aux militaires pour rétablir dans ses fonctions le président Mohamed Bazoum a expiré hier dimanche. Quelques heures avant la fin de l’ultimatum, le CNSP a annoncé la fermeture de l’espace aérien nigérien face selon eux « face à la menace d’intervention qui se précise à partir des pays voisins ». Le CNSP précise que « toute tentative de violation de l’espace aérien » entraînera « une riposte énergique et instantanée ». Il affirme également qu’un « prédéploiement pour la préparation de l’intervention a été faite dans deux pays d’Afrique centrale », sans préciser lesquels. « Tout Etat impliqué sera considéré comme cobelligérant », ajoute-t-il. Le conseil national pour la défense de la patrie a également lancé un appel aux Nigériens afin de se tenir prêts pour la défense de la patrie. Le même dimanche, près de 30 000 personnes se sont rassemblées dans le plus grand stade de Niamey pour soutenir le coup d’Etat et le CNSP. Vendredi 4 août, à l’issue d’une réunion de trois jours des chefs d’état-major, la CEDEAO a assuré que les contours d’une possible ont été définis. Toutefois, d’après des médias nigérians, le Sénat a appelé le président Bola Tinubu à « encourager les autres dirigeants de la CEDEAO à renforcer l’option politique et diplomatique ». Toujours selon les médias nigérians, une intervention militaire sans l’aval du Sénat serait une violation de la Constitution nigériane. Le président algérien Abdelmadjid  Tebboune rejette également le recours à la force. “L’option militaire n’a jamais été une solution, regardez ce que cela a produit en Syrie et en Libye” a t-il prévenu samedi 5 août. Un nouveau sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation au Niger se tiendra ce 10 août.

Niger : Mohamed Bazoum appelle à l’aide, échec de la mission de la CEDEAO

Le coup d’Etat au Niger pourrait avoir des conséquences « dévastatrices » pour le monde et faire passer la région du Sahel sous « influence » de la Russie, via les « mercenaires » du groupe Wagner, a écrit le président déchu Mohamed Bazoum dans une tribune parue jeudi dans le Washington Post. « J’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel », écrit-il, « à titre d’otage ». Tard jeudi, dans un communiqué lu à la télévision, les militaires du CNSP ont dénoncé « les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec la France ». La France a un contingent de 1500 militaires déployés au Niger. Le CNSP a aussi promis une « riposte immédiate » à « toute agression » de la part d’un pays de la CEDEAO, hors  membres « amis » suspendus (Mali, Burkina Faso, Guinée) eux aussi dirigés par des militaires.

Arrivée jeudi à Niamey pour trouver une sortie de crise au Niger, la délégation de la CEDEAO conduite par l’ancien président du Nigeria Abdulsalami Abubakar est repartie quelques heures plus tard, sans avoir rencontré le chef du CNSP. Le président du Nigeria Bola Tinubu, aussi président en exercice de la CEDEAO qui se montre intransigeant avait toutefois demandé à la délégation, de « tout faire » pour trouver une « résolution à l’amiable ». L’organisation, qui a notamment suspendu les transactions financières avec le Niger, a dit se préparer à une opération militaire, même si elle a souligné qu’il s’agissait de « la dernière option sur la table ». Les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja jusqu’à vendredi. Plusieurs armées ouest-africaines, dont celle du Sénégal, se disent prêtes à intervenir si l’ultimatum n’est pas respecté dimanche.

Transition : Le coup de Jarnac

Décidément, Kati ne finira jamais de faire peur à Bamako. Le 25 mai, le Vice-président a démis de ses fonctions le Président de la transition et le Premier ministre. Décision motivée, selon Assimi Goïta, par le non respect de la Charte de transition, le manque d’inclusivité dans la formation du nouveau gouvernement et la tension sociale. Cette situation plonge le Mali dans une nouvelle crise aux conséquences incertaines.
 
 « Deux êtres nous manquent et tout est dépeuplé ». Voilà ce que pourrait être le soupir des membres de l’ex CNSP (Comité national pour le salut du peuple), à la place d’Alphonse de Lamartine. Les militaires, visiblement mécontents de la mise à l’écart de deux des leurs dans le second gouvernement du Premier ministre Moctar Ouane, n’ont pas tardé à agir. Un gouvernement dont la vie a été écourtée, moins de 24 heures, par le Vice-président de la transition, Assimi Goïta. Parce que les postes de ministres de la Défense et de la Sécurité, initialement occupés par deux ténors de la junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, ont été assignés à deux généraux sans consultation préalable de Goïta. Et le Vice-président, qui est « un légaliste », ne peut tolérer cette « indignité » et ce manque d’inclusivité, qui « viole l’esprit de la Charte de la transition », a-t-il affirmé dans un communiqué. Venu au pouvoir par la voie des armes le 18 août dernier, il « s’est vu dans l’obligation d’agir pour préserver la Charte de transition et défendre la République », en plaçant « hors de leurs prérogatives le Président et son Premier ministre, ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
Coup d’État?
« Coup de force », « coup de pression », « coup d’État », « malentendu », les qualificatifs sur la situation malienne vont bon train et diffèrent selon les acteurs. Pour le Président français Emmanuel Macron, c’est « un coup d’État dans un coup d’État ». La CEDEAO, par contre, adopte un ton moins énergique, parlant de « malentendu lors de la mise en place du gouvernement ».
À Kati depuis le 24 mai, le Président de la transition Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane ont démissionné le 26 mai. Très probablement sous la contrainte, comme ce fut le cas en août 2020 avec le Président Ibrahim Boubacar Keita et le PM Boubou Cissé. Pour l’analyste politique Ballan Diakité, il n’y a pas d’équivoque.
« Ce qui s’est passé est un coup d’État dans un coup d’État. ». Comment en sommes-nous arrivés là ?
«  Dans sa déclaration, le Conseiller spécial du Vice-président Assimi Goïta a fait état du non-respect de la Charte de la transition par le Président Bah N’Daw et son Premier ministre, ce qui serait la raison de leur départ forcé. Mais il faut dire qu’on est dans le non-respect du cadre légal depuis le 18 août. C’est la Constitution qui n’a pas été respectée par les membres du CNSP. Et, aujourd’hui, on se plaint que le Premier ministre et son Président n’aient pas respecté le cadre légal », poursuit Ballan Diakité.
Dr. Boubacar Haïdara, chercheur associé à l’Institut d’études de Bordeaux, abonde dans le même sens. « En agissant ainsi, Assimi Goïta, qui se proclame au pouvoir, respecte-il la Charte de la transition ?  Cette dernière est claire, en aucun cas le Vice-président ne peut remplacer le Président de la transition. Nous ne sommes pas dans un processus légalitaire. On a la junte, qui a des armes et qui fait la loi». Pour Boubacar Salif Traoré, ce qui s’est passé est motivé par l’instinct de survie des ténors de la junte, qui semble menacé. « En les ayant sortis du gouvernement sans leur donner une garantie de protection, en termes de responsabilité ou autre, ils se sont sentis quelque part exposés. Et c’est aussi par instinct de survie qu’il y a eu le processus qui est en cours actuellement ».
Quelles conséquences?
 Il ne reste que neuf mois à la transition pour conduire les grandes réformes politiques et institutionnelles, ainsi que les élections générales, en vue de la normalisation de la situation politique. Et le coup porté par Assimi Goïta et les siens au processus augure de lendemains incertains pour le Mali. Prolongation du délai de la période transitoire, rapports de force avec la communauté internationale, sanctions, crise politico-sociale, la situation est très confuse. La communauté internationale brandit le chiffon rouge des sanctions, qu’elles soient ciblées ou générales. Et, à ce titre, généralement elles sont connues. Des gels de passeports diplomatiques ou des avoirs des ténors de la junte pourraient intervenir. Le Mali pourrait aussi être suspendu des institutions internationales ou sous-régionales et ne plus bénéficier de l’aide internationale au développement, comme cela avait été le cas en août 2020. Le 26 mai, les USA ont déjà suspendu leur aide à l’armée malienne et brandi la menace de sanctions ciblées contre les protagonistes. Après avoir rencontré le Vice-président de la Transition, l’émissaire de la CEDEAO doit rendre compte à Félix Tshisekedi, président de l’Union africaine, et à Nana Akufo-Addo, président de la CEDEAO. Une réunion des dirigeants de la CEDEAO est prévue dans la foulée pour statuer sur le cas du Mali. Cependant, plusieurs facteurs pourraient édulcorer la rigueur de ces sanctions.
« Aujourd’hui, la communauté internationale est beaucoup plus regardante sur plusieurs aspects. On ne peut pas condamner le Mali uniquement pour ce que ses militaires font. On regarde aussi la situation assez critique de la population malienne, qui vit une crise sécuritaire et une situation économique très difficile depuis 2012 », explique Ballan Diakité. Boubacar Salif Traoré est du même avis.
« La communauté internationale n’a pas une très grande marge de manœuvre. Depuis quelques années, elle joue sa crédibilité au Mali. Elle s’est déployée en masse dans le pays et les résultats ne sont pas là. Le pays est en position très fragile. Et la communauté internationale, en voulant adopter une position assez rigide, risque de provoquer un effondrement du peu qui reste, combiné à la situation tchadienne. Le Sahel risque un embrasement généralisé, qui peut avoir des conséquences dramatiques non seulement sur les pays européens mais aussi au-delà, avec des crises migratoires. Donc la communauté internationale a intérêt à trouver des équilibres, à favoriser le dialogue et à trouver un compromis pour permettre à la transition de continuer ».
Les 18 mois de la transition pourrait être prolongés au regard du contexte sociopolitique actuel. Selon le chronogramme électoral initial, le premier tour de l’élection présidentielle, couplée aux législatives, est prévu pour se tenir le 27 février 2022. Dans sa déclaration à la Nation lue par son Conseiller spécial, le commandant Baba Cissé, Assimi Goïta affirme que les élections vont se tenir « courant 2022 ».
Des assurances répétées à l’émissaire de la CEDEAO, Goodluck Jonathan, lors de leur rencontre le 25 mai. Toutefois, des questions demeurent, avec cette instabilité constante. « Ce qui prime à mon avis n’est pas le délai des élections, mais plutôt d’un retour à la normale. La promesse de tenir les élections aux dates indiquées s’éloigne de plus en plus. Parce que la situation qui intervient nous fait revenir à la case départ. Et, comme leur attitude l’a montré, les militaires putschistes n’ont pas intérêt à aller aux élections le plus rapidement possible », explique Dr. Boubacar Haïdara.
« Personnellement, je ne crois pas du tout que des élections puissent se tenir aux dates communiquées, sauf si on nous emmène à faire des élections bâclées. Et une élection bâclée, cela va encore nous emmener dans une situation de crise, comme nous l’avons vécu au temps d’IBK avec les élections législatives », pense pour sa part Ballan Diakité. Selon Boubacar Salif Traoré, « tout va dépendre du temps qui sera pris pour la normalisation de la situation. Si c’est une crise qui perdure, il y a un fort risque à ce que ça soit repoussé.  Et, à mon avis, le second scénario risque de l’emporter sur le premier.»

 

Quel scénario?
 Des tractations sont en cours depuis la nuit du 24 mai. Et, selon plusieurs sources concordantes, le scénario qui se dessine pourrait être celui d’une primature donnée au M5-RFP. Bon ou mauvais choix ? Les militaires ont la main basse sur l’État. Et Bah N’Daw, en voulant s’affranchir de la tutelle d’Assimi Goïta, a tout simplement été écarté, comme Amadou Aya Sanogo l’avait fait en 2012 avec le Premier ministre de la transition Cheick Modibo Diarra. Le M5 est divisé sur la question. Certaines entités qui le composent ont condamné les évènements en cours, mais le Comité stratégique a attendu dans la soirée du mercredi 26 mai pour s’exprimer. Il dit rester attaché à ses 17 mesures contenues dans les 10 points de son mémorandum et maintient son appel à manifestation le 4 juin. «La seule attitude du M5 devrait être tout simplement de condamner ce qui vient de se passer et de n’engager aucune discussion avec le CNSP (officiellement dissout le 25 janvier) en l’état actuel de la situation. Le CNSP a besoin de soutiens et il va les chercher auprès du M5, qui semble n’avoir rien retenu des leçons du passé. Et, même en acceptant la Primature, le M5 est-il sûr de pouvoir mettre en application ses dix recommandations, face à des militaires qui ont la mainmise sur le pouvoir ? », s’interroge le Dr. Boubacar Haïdara. Le chercheur Mohamed Ag Ismaël est du même avis. « Les putschistes tentent de rectifier leur erreur en s’approchant du M5-RFP, des partis politiques et de la société civile, pour légitimer leurs actions et préparer les élections générales. Mais cela dépendra de l’offre proposée ».
Ballan Diakité est optimiste. « La politique est le champ de tous les possibles. Aujourd’hui, le M5 est la seule force politique capable de tenir tête à ces militaires-là, compte tenu de sa constance dans sa dynamique de contestation. Si les autorités militaires veulent quand même travailler avec lui, elles ne doivent pas ignorer l’ensemble de leurs recommandations, notamment la dissolution du Conseil national de transition (CNT) ».
Boubacar Salif Traoré pense que  le bicéphalisme à la tête du pays ne marchera pas. Nommer un Premier ministre civil pour ensuite diriger dans l’ombre provoquera toujours des situations de crise. « Si le Vice-président se sent en mesure d’assumer la responsabilité de la tête de la transition, en concertation avec les acteurs impliqués, je pense que, pour la stabilité du pays, c’est une hypothèse à ne pas écarter. Je suis convaincu que le bicéphalisme à la tête de l’État ne marchera pas». De toutes les façons, depuis le 18 août et la chute d’IBK, la réalité du pouvoir est entre les mains de Goïta.

 

 

Boubacar Diallo

 Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°320 du 27 mai au 02 juin 2021 

Conseil national de transition : la présidence de toutes les questions

Le visage concret du Conseil national de la transition (CNT) se dessine, avec la clé de répartition de ses membres désormais connue. Avec 22 représentants des Forces de défense et de sécurité, le plus gros quota, l’armée se taille une place de choix au sein de cette institution, qui sera l’organe législatif de la transition. Une situation qui vient renforcer les fortes suspicions autour du CNSP, accusé de vouloir « offrir » la présidence du CNT à son premier Vice-président, le colonel Malick Diaw.

Les 121 sièges du Conseil national de transition ont été répartis entre ses différentes composantes par un décret signé du Président de la transition, Chef de l’État, Bah N’Daw, le 9 novembre 2020. Il a été publié le lendemain au Journal officiel.

Après les Forces de défense et de sécurité, ce sont, entre autres, les partis et regroupements politiques, les organisations de la société civile, le M5, les ordres professionnels, les syndicats libres et autonomes et les Maliens établis à l’extérieur qui auront le plus de représentants au CNT. Une répartition, qui, à en croire la plupart des regroupements membres, a été faite unilatéralement par les autorités de la transition, sans consultations préalables.

« Nous n’avons pas été consultés pour quoi que ce soit. Nous l’avons appris au même moment que tout le monde, sur les réseaux sociaux, alors que le ministère de l’Administration pouvait écrire aux différents partis politiques et associations pour leur soumettre un document officiel d’une telle envergure », s’indigne Mamadou Traoré du parti Union, membre de la Coalition des forces patriotiques (COFOP).

Même son de cloche au M5-RFP, où l’imam Oumarou Diarra, membre du comité stratégique, déclare que ce dernier n’a été approché « ni de près ni de loin » par rapport au CNT.

Malick Diaw aux commandes ?

L’article 14 de la Charte de la transition stipule que « le Conseil national de Transition est présidé par une personnalité civile ou militaire élue en son sein ». Le colonel Malick Diaw du CNSP, même s’il n’a pas officiellement déclaré son intention de diriger le CNT, est vu comme un potentiel candidat, d’autant plus qu’il est le seul parmi les militaires responsables du CNSP à ne pas encore assumer de fonction officielle dans la transition.

Mais, entrave de poids, le M5-RFP revendique aussi cette présidence et un consensus parait difficile à être obtenu entre les deux grands camps. À en croire l’Imam Oumarou Diarra, le colonel Malick Diaw a convoqué, puis annulé par la suite, il y a moins d’un mois, une réunion avec le Comité stratégique du M5, pour « rapprocher les lignes entre le M5 et le CNSP ».

« Je ne doute pas des compétences du Colonel Malick Diaw, mais je pense qu’aujourd’hui le Mali a beaucoup plus besoin de lui à un autre poste, beaucoup plus stratégique que la présidence du CNT », glisse Oumarou Diarra.

En revanche, le premier Vice-président du CNSP bénéficie déjà de quelques soutiens. Au Mouvement populaire et démocratique (MDP) du Dr. Oumar Mariko, aucune éventualité n’est écartée.

« Malick Diaw, c’est quelqu’un que nous respectons beaucoup. Nous ne savons pas pour le moment qui serait en face de lui s’il se présentait, mais si nous devions choisir entre lui et quelqu’un d’autre, et si cette personne n’atteint pas le même degré d’intégrité que lui, nous n’allons pas hésiter à choisir Malick », clame Dora Cheick Diarra, membre du Secrétariat permanent du MDP.

« Nous soutiendrons l’éventuelle candidature de Malick Diaw. Nous ne voulons en aucun cas qu’un politique préside aux destinées de cette institution », martèle également Hama Ag Mohamed, Secrétaire général de la Coordination des chefs traditionnels et coutumiers touareg du Mali. « Le CNT est plutôt politique et les militaires ne sont pas des politiques », rétorque Mamadou Traoré

Dans tous les cas, avec un système de désignation du Président du CNT identique à celui du Président de l’Assemblée nationale, élu à la majorité absolue des députés, le numéro 2 du CNSP a, a priori, la voie dégagée pour prendre les rênes de l’institution, s’il se positionne pour ce poste.

Mali – Transition : La Charte de toutes les questions

Près d’un mois après son adoption, la Charte de la transition n’a toujours pas été officiellement publiée. Elle reste « mystérieuse » pour les Maliens et la CEDEAO, voire les experts qui ont participé à son élaboration.

« La présente Charte entre en vigueur dès son adoption par les forces vives de la Nation », dispose l’article 21 de la Charte de transition adoptée lors des concertations nationalesPrès d’un mois après son adoption, sa publication dans le Journal officiel de la République tarde à venir et des interrogations se posent quant à la nature des actes de droit se fondant sur elle. « Je suis surpris de constater que jusque-là la Charte n’a pas été publiée mais que son application a commencé. Il y a le président qui a été intronisé sur la base de la Charte. Il est en train de prendre des actes sur cette base alors qu’elle n’a pas fait l’objet de publication. Est-ce que l’absence de publication empêche l’application de la Charte ? Je dirais oui », explique le Dr. Fousseyni Doumbia, juriste et coauteur du projet de Charte.

L’acte fondamental du CNSP a continué à s’appliquer. Les séries de nominations à des postes stratégiques en témoignentSi la Charte s’était imposée immédiatement, ces nominations n’auraient pas eu lieu. « Il était important que la Charte soit publiée au Journal officiel. Elle ne l’est pas. Le CNSP prend des actes sur la base de son Acte fondamental, le président a été investi sur la base de la Charte et souvent on est dans la Constitution. Nous sommes dans une incertitude juridique difficile à expliquer », explique un constitutionnaliste.

Discorde

Les prérogatives du vice-président de la transition posent problème à la CEDEAO. Elle refuse que le vice-président Assimi Goïta remplace le président, temporairement ou de façon définitive, en cas d’empêchement. La CEDEAO exige de connaître la version finale de la Charte avant de procéder à la levée des sanctions. Cela pourrait être la cause du retard dans la publication de la Charte. Selon Dr. Fousseyni Doumbia, car « cette disposition n’a pas fait l’objet de modifications ». Alors que la vice-présidence est accepté ailleurs, ce niet s’explique par le profil du tenant du poste. « C’est parce qu’il est militaire. Le protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance s’oppose à tout exercicdu pouvoir par un militaire. La CEDEAO a des principes auxquels elle ne souhaite pas déroger, parce qud’autres États sont potentiellement exposés à une irruption des militaires sur la scène politique. Le problème ne se poserait pas s’il y avait une vice-présidence civile ».

Boubacar Diallo

Boubacar Haidara : « Ce n’est pas une transition civile, elle est purement et simplement militaire »

Le colonel-major à la retraite Bah N’Daou, nommé l21 septembre Président de la transition par un collège mis en place par le CNSP, prêtera serment ce vendredi. Le chercheur Boubacar Haidara nous livre son analyse sur cette nomination et sur la tournure que prend la transition.

Que pensez-vous du choix de Bah N’Daou comme Président de la transition ?

C’est une personnalité que je ne connaissais pas. Les renseignements que j’ai pu obtenir sur lui ont quand même tendance à converger sur le fait que ce soit une personne dbonne moralité. Mais sur la forme de sa désignation, il y a à redire. Dès l’annonce, il a été dit par le M5 et l’Imam Dicko, qui a fait partie du collège, que ce n’était pas un choix issu d’un débat entre les principales personnes qui en étaient membres. Cela ressemble plutôt à une main basse de l’armée sur le pouvoir. Les concertations nationales n’étaient rien d’autre qu’une entourloupe.

Est-ce une transition militaire camouflée?

Ce n’est rien d’autre qu’une transition militaire. Ce n’est pas une transition civile, elle est purement et simplement militaire. Dès le départ, quand les militaires tournaient en rond, je me suis dit qu’ils ne voulaient pas lâcher le pouvoir et qu’ils allaient trouver tous les moyens pour le garder. Ils y sont parvenus. Aujourd’hui, le pouvoir est bien militaire.

Selon vous, quelle va être la relation entre Bah N’Daou et Assimi Goita ?

J’ai appris que le président de la transition avait démissionné de son poste de ministre de la Défense parce qu’il y avait quelque chose qui ne lui plaisait pas. C’est assez rare au Mali que de voir des ministres partir d’eux-mêmes. Cela laisse penser que c’est une personne qui ne se laissera peut-être pas faire. Mais on ne peut pas préjuger de ce qui va arriver. Peut-être qu’ils seront tous les deux de bons dirigeants, mais en l’état actuel des choses, la manière ressemble plus à une perpétuation du système. J’espère que le Vice-président Assimi Goita ne va pas continuer à diriger et que le Président N’Daou ne serait pas fantoche.

Cette nomination ne semble pas avoir l’aval du M5-RFP. Est-ce que cela pourra jouer sur le président et la réussite même de la transition ?

Je pense que, finalement, la marge de manœuvre du M5-RFP semble être réduite, dans la mesure où le CNSP est parvenu à le fissurer. La désignation de Bah N’Daou est actée et je pense qu’il ne va pas subir de contestations. Choguel Maiga est à bout, mais je ne pense pas que cela fera effet. L’Imam Dicko a pris acte, même s’il affirme que ce n’est pas le choix du collège.

M5-RFP : l’implosion

Le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) n’est plus aussi uni que le laissent paraître certains membres de son Comité stratégique. La divergence fondamentale de vues sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la transition et du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) agite ce mouvement hétéroclite, dont les composantes se positionnent aujourd’hui selon leurs intérêts propre, l’objectif commun de la démission de l’ex-président IBK étant atteint. Alors qu’une partie du Comité stratégique se démarque de la Charte de la transition, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’Imam Dicko, entité importante du mouvement, s’inscrit dans une dynamique d’accompagnement du CNSP et certaines autres composantes du M5 adhèrent à cette vision.

« Ceux qui étaient opposés au changement, ce sont eux qui se sont ligués contre ceux qui se sont battus pour le changement. Nous n’accepterons pas cela. Nous continuerons de mener notre combat sereinement, de façon démocratique, jusqu’à ce qu’on nous entende. Ceci n’est pas acceptable. J’espère que les organisateurs de ces concertations nationales vont se ressaisir, qu’ils vont remettre ce document en débat et que nous pourrons en débattre sereinement », s’est offusquée Mme Sy Kadiatou Sow, très remontée à la fin de la Concertation nationale sur la transition, le 12 septembre 2020 au CICB.

Cette position été officialisée dans la foulée par un communiqué du Comité stratégique du M5-RFP, qui affirme : « le document final lu lors de la cérémonie de clôture n’était pas conforme aux délibérations issues des travaux des différents groupes » sur certains points, notamment le choix majoritaire d’une transition dirigée par une personnalité civile  et celui d’un Premier ministre civil également.

Le M5-RFP a également condamné « la non prise en compte unilatérale de très nombreux points du document qui n’avaient fait l’objet ni de rejet ni même de réserves dans aucun groupe » et s’est par conséquent démarqué du document final, qui ne  « reflète pas les points de vue et les décisions du peuple malien ».

« La volonté d’accaparement et de confiscation du pouvoir au profit du CNSP ne saurait justifier les méthodes employées, qui affaiblissent le processus de transition », s’est indigné le M5.

La CMAS satisfaite

Entièrement opposé à l’attitude du Comité stratégique du M5, Issa Kaou Djim, Coordinateur général de la CMAS et membre de ce comité, affirme être satisfait du document. « Le M5-CMAS se reconnait dans ce qui a été adopté. C’est une satisfaction et un soulagement », a-t-il clairement signifié au sortir des travaux.

Selon lui, aujourd’hui, les forces ont des intérêts qui ne sont pas convergents, pour des raisons évidentes. « Les partis politiques ont la prétention d’arriver aux affaires, les syndicats veulent faire aboutir les revendications de leurs adhérents et les religieux doivent jouer leur partition. Mais le peuple malien s’est battu pour une raison simple, que les choses changent, et aujourd’hui je pense que le CNSP doit fédérer tout le monde pour faire aboutir cette revendication ».

La veille, déjà, il avait annoncé la « mort » du M5-RFP, n’acceptant pas que les politiques du mouvement se mettent dans des calculs politiciens que la CMAS ne saurait tolérer. Des propos sur la « belle mort » du M5-RFP qu’il nous a réitérés, prenant à témoin une déclaration de l’URD en date du 14 septembre indiquant « prendre acte des conclusions issues des concertations nationales sur la transition ».

« Si l’URD, qui est la colonne vertébrale du FSD (Front pour la sauvegarde de la démocratie), dit prendre acte des décisions issues des concertations nationales, c’est  que le parti les valide. Si vous enlevez l’URD du FSD il ne reste plus grand-chose. Le MPR et le CNID n’ont pas eu d’importants suffrages lors de la présidentielle. Ce n’est pas ça, le peuple », tacle celui qui était surnommé le N°10 du M5.

« Personne ne peut contester qu’aujourd’hui la majorité des Maliens est d’accord avec la Charte de la transition », clame-t-il, avant d’ajouter « on ne peut pas rester dans une posture de contestation, rien que pour contester, alors qu’il y a des urgences ». À l’en croire, la CMAS se démarque de cette position d’une partie du M5-RFP.

Ensemble mais « opposés »

La plateforme Espoir Mali Koura (EMK), membre fondateur du M5-RFP, n’a pas encore, selon son porte-parole Pr. Clément Dembélé, consulté sa base en Assemblée générale, comme c’est sa règle, pour dégager une  position officielle sur la Charte. Mais elle a  démenti une information d’une chaine de radio étrangère imputant à son Coordinateur,  Cheick Oumar Sissoko, un soutien au document adopté.

Toutefois, ce dernier n’a pas été aperçu aux côtés de ses collègues du Comité stratégiques du M5 lors du point de presse du 15 septembre, au siège de la CMAS. Point de presse dont se sont également absentés Issa Kaou Djim, Mohamed Ali Bathily, Oumar Mariko ou encore Clément Dembélé.

Ce dernier, se prononçant personnellement, sans engager la plateforme EMK, partage la vision de la CMAS portée par Issa Kaou Djim. « La CMAS ne veut pas entrer dans un jeu de manipulation par les politiques. Je pense qu’il faut respecter cette vision de dialogue et de paix et non les calculs politiciens consistant à utiliser le M5 comme ascenseur pour atteindre des objectifs personnels par tous les moyens », indique t-il.

« Le M5 n’est pas la propriété politique de certains. Il représente le peuple malien et nous ne laisserons personne en faire une récupération personnelle pour des calculs opportunistes. Que ceux qui pensent que le M5 est un moyen d’accéder au pouvoir, attendent les élections  pour y parvenir, c’est aussi simple que cela », prévient –il.

À en croire Clément Dembélé, Issa Kaou Djim est toujours dans l’esprit philosophique de base du M5, qui consistait à faire partir IBK et à travailler dans un cadre organisé pour faire des propositions de solutions pour une sortie de crise honorable au Mali.

« Jamais il n’a été question de dire qu’après IBK nous devions occuper les postes et que nous devions continuer à remplir les rues pour contester à chaque fois et menacer de bloquer la bonne marche des choses », rappelle Pr. Dembélé.

Mais le Comité stratégique du M5-RFP, en prenant ces positions « courageuses et patriotiques, qu’il assume », n’entendait ni rompre ni entrer en conflit avec le CNSP, qui, encore une fois, a « parachevé la lutte qu’il a engagée pour obtenir la démission de M. Ibrahim Boubacar Keita et de son régime ».

Jeu d’intérêts

Pour l’analyste politique Khalid Dembélé, les divergences de position qui secouent le M5-RFP sont le fruit de son hétérogénéité, symbole de plusieurs tendances internes. Selon lui, les partis politiques qui le composent savent qu’ils ne peuvent pas conquérir le pouvoir ensemble et le fait de se démarquer par des déclarations çà et là s’inscrit dans le jeu politique normal.

« Chacun essaye, selon l’intérêt de son parti, de se tracer un chemin propre, pour avoir une assise en vue des futures échéances électorales », pense M. Dembélé, qui est par ailleurs très sceptique sur la disparition du M5. « Cela m’étonnerait beaucoup que le M5-RFP disparaisse. Cela peut arriver dans une année, peut-être, mais aujourd’hui ils ont tous intérêt à le garder, ne serait-ce que pour maintenir un peu de pression sur le CNSP », soutient-il.

D’ailleurs, pour Mme Sy Kadiatou Sow, très convaincue du fait, même secoué par des divergences internes, le mouvement survivra assurément. « C’est au moment où tout le monde pense que le M5-RFP est au bord de l’implosion qu’il surprend le plus, en montrant qu’il est plus uni que jamais ».

Transition : le CNSP fait le point du sommet avec la CEDEAO

Après le compte-rendu du mini sommet extraordinaire du 15 septembre fait par plusieurs chefs d’Etat, c’est désormais au tour du CSNP de se prêter à l’exercice. Le comité a organisé une conférence de presse ce mercredi pour faire le point sur le déplacement à Accra. « Nous étions à Accra avec deux objectifs: partager avec les chefs d’Etat de la CEDEAO les conclusions des concertations nationales et voir avec eux la levée des sanctions sur le Mali ». Les chefs d’Etat de la communauté ont conditionné la levée des sanctions à la désignation d’un président et d’un Premier ministre civils pour conduire la transition. Le CSNP a bien tenté de plaider une autre voie, en vain. « Nous avons dit à la CEDEAO que nous sommes au service du peuple. Dans la mesure où la majorité a parlé d’une transition militaire, nous avons suggéré que l’on puisse aller dans ce sens. La CEDEAO a refusé » confie le colonel-major Ismael Wague, porte-parole du CNSP. La communauté a brandi la menace d’un embargo total pouvant rapidement asphyxier le pays. Ce à quoi les militaires ont répondu : « nous avons compris, mais nous ne pouvons décider sur place ». Le colonel-major a conclu en affirmant que leur « intention avouée est d’être du coté de la majorité du peuple mais cette possibilité dépendra d’autres facteurs que nous comprenons et avons intégré ».

Mali – Transition : le CNSP rencontre différents acteurs ce lundi

Après la rencontre avortée du samedi 29 août, le CNSP rencontre ce lundi 31 août les forces vives de la nation pour préparer les assises sur le format de la transition. Une journée marathon où des responsables du CNSP épaulés par des officiers d’Etat-major vont s’entretenir avec des partis politiques, des centrales syndicales, le patronat, les représentants de la Diaspora, les religieux…

Une synthèse de ces rencontres sera faite en fin de journée.

Mali : Assimi Goïta, nouveau chef de l’Etat selon l’acte fondamental du CNSP

Le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) a désormais une base juridique. Son acte fondamental a été publié, jeudi 27 août, dans le numéro spécial du journal officiel du Mali. Il en ressort que pour l’heure le Colonel Assimi Goïta, président du CNSP, assure les fonctions de chef de l’Etat.

« Le Comité national pour le Salut du Peuple désigne en son sein un Président qui assure les fonctions de Chef de l’Etat », dispose l’article 32 de l’acte fondamental du CNSP. Ainsi, c’est le Colonel Assimi Goïta qui devient le nouveau chef de l’Etat du Mali avec toutes ses prérogatives. Il nomme aux emplois civils et militaires, signe les ordonnances et les décrets adoptés, accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès d’autres pays et ceux de l’étranger sont accrédités auprès de lui.

L’acte fondamental ne se contente pas uniquement d’avoir une base juridique au CNSP, mais fait aussi montre de sa légitimité. Dans le préambule, les nouvelles autorités militaires se fondent sur la Constitution du Mali et qualifie de populaires « les événements du 18 août 2020 ayant conduit à la démission du président de la République Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA ». Elles indiquent que c’est « conscient de l’urgence de doter le Mali d’organes de transition pour la conduite des affaires publiques » que l’acte fondamental a été adopté.

L’acte fondamental préserve également les droits et devoirs de la personne humaine, la souveraineté de l’Etat et de l’unité africaine. Et ce sont ses dispositions « qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celles de la Constitution du 25 février 1992 » avant l’adoption d’une Charte pour la transition

Mali : Le général Mahamane Touré pressenti pour présider la transition

Alors que les discussions se poursuivent entre la CEDEAO et le CNSP, le nom du général de brigade Mahamane Touré est évoqué pour présider la transition. Âgé de 64 ans, le général Touré est né dans la région de Ségou. Il entre dans l’armée en 1972 après avoir été admis au concours d’entrée à l’école militaire interarmes de Koulikoro. Le général Touré a suivi de nombreuses formations militaires notamment aux Etats-Unis et occupé plusieurs postes au sein de l’administration malienne. Dans les années 1990, l’officier a été directeur des douanes maliennes, avant d’exercer des responsabilités au ministère de la Défense, puis, de 2006 à 2012, la fonction de commissaire chargé des Affaires politiques, de la paix et de la sécurité à Abuja, au siège CEDEAO. Le 8 novembre 2013, il est nommé chef d’état-major de l’armée. Il remet sa démission le 29 mai 2014 après la déroute des FAMA à Kidal mais reste finalement en poste. Il est admis à la retraite le 29 juin 2016 avant d’être nommé ambassadeur du Mali au Niger en juillet 2018. Poste qu’il occupera une année. Il est depuis le 13 août 2019, directeur du Centre d’Etudes stratégiques.

Fermeture des frontières : De nombreux impacts

Les mesures  de fermeture des frontières prises par le Comité national de salut du peuple (CNSP) le 19 août 2020 et celles de la CEDEAO suspendant les échanges économiques avec le Mali ont des effets immédiats sur notre économie. Mais l’engagement  du CNSP d’offrir les bases d’un nouveau départ pourrait permettre de juguler les conséquences économiques et sociales de cette situation.

Sur le plan purement financier, fermeture des trois agences de la BCEAO. En termes d’émission de monnaie ou de transfert de fonds entre les banques ou les opérateurs économiques du Mali et ceux de l’extérieur, les opérations pourront enregistrer des retards, tout comme pour ceux qui doivent recevoir des paiements, explique M. Kassoum Coulibaly, économiste.

L’autre risque est constitué par les contraintes pour les ménages à faire face à leurs besoins de consommation. Ce qui un impact direct sur le chiffre d’affaires des entreprises. Pour le Mali, pays importateur par excellence de denrées de première nécessité, la fermeture des frontières pourrait signifier un déficit d’approvisionnement et l’épuisement des stocks disponibles.

La  spéculation et son impact sur les produits pétroliers et le coût de l’énergie pourraient avoir des effets collatéraux ou accentuer les tensions sociales.

Changement positif ?

Les mesures prônées par la CEDEAO peuvent impacter négativement notre économie, mais pas au point de l’asphyxier, assure le Dr Sékou Diakité, enseignant-chercheur à la FSEG. Parce que le pays échange aussi avec deux pays voisins non membres de l’organisation. Mais, pour ne pas nuire à la bonne santé de l’économie, « le pouvoir doit mettre en place une équipe gouvernementale qui rassure tout d’abord le peuple et rouvrir les frontières », ajoute-t-il.

Il faut aussi envisager des mesures de rationnement et sécuriser les provisions en attendant de trouver des mesures de facilitation, suggère M. Coulibaly. Le repli de la communauté internationale et des investisseurs potentiels sont des conséquences à court terme, mais elles pourraient avoir un revers positif si le CNSP donnait des gages de confiance en transmettant le pouvoir aux civils dans la transparence. Une situation qui pourrait conduire à marquer un point dans la lutte contre la corruption dans un pays qui perd environ 100 milliards de FCFA par an à cause d’elle.

Pour inverser ces effets, les partenaires du Mali doivent comprendre qu’ils sont là pour le peuple et que l’amélioration de la gouvernance visée doit être accompagnée, explique le Dr Abdoulaye Touré, économiste. Le peuple doit être aidé afin de réduire ses souffrances.

Coup d’État du 18 août : Le film de la journée

Alors qu’un climat de panique s’est installé sur Bamako, réveillé tôt par une mutinerie de militaires au camp Soundiata Kéïta de Kati, le mardi 18 août, au Monument de l’Indépendance se tient un regroupement, semble-t-il spontané, d’une centaine de jeunes, impatients de voir le Président Ibrahim Boubacar Kéïta démissionner. Ibrahim Traoré, mécanicien, habits tâchés d’huile, est convaincu du départ d’IBK cet après-midi. « L’armée républicaine malienne a décidé de prendre les choses en main. Nous sommes derrière elle, parce qu’elle veut nous libérer d’un régime corrompu et dictatorial. Que le peuple malien nous rejoigne massivement pour fêter le départ de ce régime. Un nouveau Mali va naître ce soir à minuit », prédit-il. Dans la nuit du mardi au mercredi, la prophétie d’Ibrahim s’est réalisée. Arrêté à sa résidence privée de Sébénikoro avec son Premier ministre, Boubou Cissé, vers 16h 30, et conduit à la garnison militaire de Kati, le désormais ex Président de la République a, contraint, déclaré sa démission vers minuit. « Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a-t-il déclaré. L’histoire ne cesse de se répéter. Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta venait d’être chassé du pouvoir un mardi, comme ses prédécesseurs Modibo Kéïta et Moussa Traoré.

Kati a encore fait peur à Bamako. Tout est parti de cette ville-garnison, à 15 km de la capitale, tristement célèbre pour son putsch de 2012 contre le Président Amadou Toumani Touré. Le même scénario s’est répété ce mardi 18 août 2020. Très tôt le matin, vers 8 heures, le commandant Abdoulaye Gakou, chef de bataillon adjoint du camp, regroupe les militaires. Même si le coup semble bien préparé en amont, certains militaires présents affirment ne pas savoir ce qui va se passer. Le colonel Malick Diaw, ancien du CNDRE, qui a dirigé un groupement tactique interarmées en 2016, vient s’adresser aux troupes. « Je vous retourne votre vérité aujourd’hui », dit-il aux militaires. Un instant, les mots sortent difficilement de sa bouche, à cause de l’émotion. Rapidement, il se dirige vers sa voiture, une Toyota Corolla de couleur grise, prend son arme, tire en l’air et demande aux militaires d’aller prendre des armes. Les soldats s’exécutent. Le magasin d’armes a été ouvert et les mutins s’arment lourdement. Certains ont été dépêchés à la Poudrière, à moins d’une vingtaine de kilomètres de la ville de Kati. Là, blindés, munitions et autres armes lourdes sont en train d’être acheminés. Pendant ce temps, à Bamako, d’autres éléments procèdent à des arrestations. « Le gros du travail a été effectué par des éléments de la police nationale. Alors qu’on se préparait à Kati, ils arrêtaient des ministres, des députés et autres personnalités. Leur choix pour cette mission n’est pas fortuit. Ils sont toujours avec eux et savent là où ils peuvent être », explique un militaire.  

C’est ainsi que, de la matinée jusqu’à tard dans l’après-midi, plusieurs personnalités politiques et militaires ont été arrêtées. Ce sont, entre autres, le Président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le ministre de l’Économie et des finances, Abdoulaye Daffé, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé, ministre de la Défense et M’Bemba Moussa Keïta, ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile, et plusieurs autres hauts gradés.

La Cité administrative a été interdite d’accès et des forces de sécurité se postent en sentinelle devant les bâtiments.

Colère

À côté des mouvements de militaires, plusieurs jeunes se rassemblent vers 13h au Monument de l’Indépendance pour exprimer leur soutien aux mutins. Ils scandent des slogans et propos hostiles au Président Ibrahim Boubacar Kéïta et à la France. Un vieux tacot supporte péniblement deux enceintes, qui crachent les paroles d’une chanson de Tiken Jah Fakoly « quitte le pouvoir, quitte le pouvoir, je te dis quitte le pouvoir ». « Nous sommes ici pour montrer à l’armée malienne que nous sommes derrière elle. Que tous ceux qui hésitent se joignent au combat. On attend que les militaires viennent nous dire qu’IBK a démissionné, sinon on ne rentrera pas à la maison », prévient Elimane Niang, membre de la jeunesse M5-RFP de la Commune III.

Alors que des rumeurs faisant étant de la démission d’IBK se faisaient entendre, certains sont révoltés. Ils ont peur que les militaires aillent signer un compromis avec lui pour le faire sortir du pays. Ils souhaitent qu’il soit jugé et condamné. « En cet instant, on entend qu’IBK a déposé sa démission. Celle-là, on n’en veut plus. Il doit être arrêté, ainsi que les membres de son régime, et jugé. Ceux qui sont morts ne le seront pas pour rien. Les derniers mots d’un de nos camarades de lutte ont été de ne pas arrêter le combat. Si jamais IBK s’en tire facilement, c’est comme si on l’avait trahi »,  prévient un manifestant, très excité. 

La nature des colères est diverse mais elles se rejoignent toutes au niveau des problèmes de gouvernance, que beaucoup voudraient voir changer dans le futur. Kadiatou Traoré est diplômée sans emploi. Habillée d’un complet wax, foulard rose sur la tête, elle a perdu son père, militaire, sur le théâtre des opérations au nord du Mali. Et elle ne cache pas sa colère contre IBK et son régime. « Qu’IBK s’en aille. Aujourd’hui, je suis contente pour deux choses : Moussa Timbiné est aux mains des militaires ainsi que Karim Kéïta. Et, d’ici à 16 heures, le Président de la République sera arrêté. Ce sont nos pères qui sont morts au front. Même le Pharaon n’a pas gouverné de la façon dont IBK l’a fait. Avec le nouveau pouvoir à venir, j’espère que nous pourrions étudier. Que Dieu nous donne un président qui saura bien diriger le pays et que la France ne se mêle pas des affaires maliennes ».

Oumou N’diaye est habillée aux couleurs du Mali. Membre du M5-RFP, elle tient un balai, une branche de neem avec des feuilles, une tapette et une spatule. « Nous, les femmes, sommes là depuis le 5 juin. Nous exigeons qu’IBK démissionne, avec son régime. S’il ne s’en va pas de gré, il s’en ira de force. Ce sont nos maris et nos enfants qui sont tués au Nord. IBK a fait tuer des innocents jusque dans une mosquée. Il a été maudit par le bon Dieu, c’est pourquoi les militaires se sont levés.  Un Musulman ne fait pas cela. Avec ce balai, on va le balayer avec son régime maléfique, qui tombera à l’image de chacune des feuilles de cette branche qui tombe », déclare-t-elle.

Cris de joie

Jusqu’à 15 heures, tout le monde est dans le flou total. « Assistons-nous à un coup d’État ou juste à une mutinerie de militaires en colère ? ». C’était la grande question. Mais les choses ont bientôt commencé à paraitre plus claires. Plusieurs centaines d’éléments des forces de défense et de sécurité, lourdement armés d’armes de guerre, ont pris la direction de Sébénikoro, résidence du Président Ibrahim Boubacar Kéïta. Arrivés au niveau du Monument de l’Indépendance, ils ont tiré des coups de feu en l’air, sous les hourras des manifestants, qui leur tendent la main. Une pluie a arrosé les manifestants, qui y ont vu un signe divin. « Dieu ne dort pas. Le pouvoir maléfique est parti. Enfin ! », s’exclame un manifestant.

Les putschistes sont arrivés à la résidence d’IBK, à Sébénikoro en même temps que plusieurs manifestants, qui les ont suivis. Embouteillage monstre. Un blindé est posté devant l’accès menant directement à la résidence. Joyeux, les soldats tirent en l’air.  Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta est avec son Premier ministre, Boubou Cissé. Des militaires se présentent à eux et leur demandent de les suivre. IBK est mis dans un Toyota V8 noir et Boubou Cissé dans un blanc. Ils sont escortés par les militaires jusqu’au camp de Kati.

Vandales aux aguets

Les rangs des manifestants ne cessent de grossir. Certains affirment attendre d’investir la maison d’IBK. « Il y a de l’or là-dedans », jurent-ils. Cependant, d’autres ont déjà trouvé une mine, qu’ils exploitent : la maison du fils du président, Karim Kéïta, située seulement à quelques mètres de celle du chef de l’État. La maison est pillée. Tout est emporté. Des tonnes de ciment, déposées dans un magasin, sont enlevées par les habitants du quartier. La piscine, dans l’enceinte de la cour, sert de cadre à une « after party » pour des adolescents. Aux environs de 21 heures, la station Total, près du pont « Woyowayanko », à l’entrée de Sébénikoro, est vandalisée. Les pompes à carburant sont détruites et les marchandises de l’alimentation emportées. Une boutique de mode, dans l’enceinte de la cour de la station Shell, près de la maison d’IBK, est cassée et tous les effets dérobés. Les éléments de la Garde nationale qui assuraient la sécurité de la maison du président, pour mettre fin aux pillages, font des tirs de sommation et lancent des gaz lacrymogènes afin de faire fuir les pilleurs.

Des actes de vandalisme se sont également déroulés en d’autres endroits. Pendant que les uns et les autres étaient impatients, au Monument de l’Indépendance, du départ du Président de la République, certains manifestants en colère se sont attaqués au cabinet du ministre de la Justice du gouvernement restreint, Me Kassoum Tapo, à Bamako-coura. Du monument on pouvait voir une épaisse fumée noire se dégageant du bâtiment. Du mobilier de bureau, des portes, des climatiseurs et bien d’autres objet sont emportés. Des vandales ont été pris au piège au niveau du quatrième étage. Les accès aux escaliers de secours et à ceux menant à la sortie étant condamnés par le feu, certains décident de sauter du balcon.

En bas, le reste des manifestants se donne pour mission de les rattraper à l’aide d’un matelas dérobé. Quatre jeunes sautent du quatrième étage, mais l’un d’entre eux est blessé au bras. Il est rapidement conduit au centre de santé pour des soins. Des manifestants ont aussi essayé de s’attaquer à l’annexe du ministère des Finances, non loin du monument, mais en ont été empêchés par d’autres manifestants.

Dans la nuit du 18 au 19 août, Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé sa démission et celle du gouvernement. Il a également dissout l’Assemblée nationale. L’épilogue d’une longue journée qui a mis fin à sa présidence.

 

Repères : 18 août 2020

8h : Début de la mutinerie au camp Soundiata de Kati

8h : Arrestation du ministre de l’Économie et des finances

Vers 9h : Arrestation du Président de l’Assemblée nationale

13h : Des manifestants investissent le Boulevard de l’Indépendance

Vers 13h : Arrestation des ministres de la Défense et de la Sécurité et de plusieurs haut gradés

16h : Alors que les putchistes sont à Bamako, un communiqué du Premier ministre demande aux militaires de faire taire les armes

16h30 : Le Président de la République et son Premier ministre sont arrêtés à Sébénicoro, puis conduits au camp Soundiata de Kati

00h : Dans un message télévisé, le Président de la République annonce sa démission