Gabon : des militaires renversent le président Ali Bongo

Un groupe d’une douzaine de militaires gabonais a annoncé mercredi 30 août, dans un communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24, l’annulation des élections et la dissolution de « toutes les institutions de la République ». « Nous mettons fin au régime en place », ont-ils ajouté, peu après l’annonce de la réélection du président sortant Ali Bongo pour un troisième mandat.  Après avoir constaté « une gouvernance irresponsable, imprévisible qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale risquant de conduire le pays au chaos (…) nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », a déclaré l’un de ces militaires, disant s’exprimer au nom d’un « Comité de transition et de restauration des institutions ». Les frontières seront « fermées jusqu’à nouvel ordre », ont assuré à la télévision les militaires responsables du coup d’Etat. Courant la journée de ce mercredi, un autre communiqué du CTRI annonçait la mise en résidence surveillée du président BONGO entouré de sa famille et de ses médecins. D’autres haut responsables ont été arrêtés dont son fils pour « haute trahison ». Dans une vidéo, Ali Bongo qui se dit dans sa résidence appelle ses amis à faire du bruit. L’Union africaine et la France ont condamné le coup d’Etat. La Russie s’est dite préoccupée par la situation, une situation que Washington dit suivre de près. L’autorité nationale en charge du scrutin, le Centre gabonais des élections, a annoncé mercredi matin la victoire du président sortant Ali Bongo Ondimba à la présidentielle de samedi, avec 64,27% des suffrages exprimés. Son opposant, Albert Ondo Ossa, avait dénoncé des « fraudes » dès samedi, et revendiquait aussi la victoire.

Niger : les militaires envisagent de poursuivre Mohamed Bazoum pour haute trahison

Les militaires du CNSP ont annoncé dimanche leur intention de « poursuivre » le président renversé Mohamed Bazoum pour « haute trahison » et « atteinte à la sûreté » du pays. « Le gouvernement nigérien a réuni à ce jour » les « preuves pour poursuivre devant les instances nationales et internationales compétentes le président déchu et ses complices locaux et étrangers, pour haute trahison et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du Niger », a déclaré le colonel-major Amadou Abdramane, un des membres du CNSP, dans un communiqué lu à la télévision nationale. Le gouvernement appuie ses accusations sur des « échanges » de Mohamed Bazoum avec des « nationaux », des « chefs d’Etat étrangers », et des « responsables d’organisations internationales ». À propos du président déchu, le CNSP a appelé à « s’interroger sur la sincérité de sa prétention à soutenir qu’il est séquestré, alors même que les militaires n’ont jamais investi sa résidence présidentielle et qu’il dispose encore de tous les moyens de communication ». Mohamed Bazoum, retenu dans sa résidence présidentielle depuis le 26 juillet – jour du coup d’Etat avec son fils et sa femme, avait déclaré dans plusieurs médias être un « otage », puis privé d’électricité et contraint de ne manger que du riz et des pâtes. Samedi, le président déchu a reçu la visite de son médecin pour une consultation médicale. Ce dernier a par la suite déclaré que les conditions de détention de Bazoum étaient inhumaines.

Ces déclarations surviennent après l’accueil par le CNSP d’une délégation de chefs religieux nigerians musulmans samedi, menée avec l’accord du président nigérian Bola Tinubu, également à la tête de la CEDEAO, pour « apaiser les tensions créées par la perspective d’une intervention militaire » de l’organisation.

Selon un communiqué de la médiation religieuse nigériane, le chef du régime militaire, le général Abdourahamane Tiani, avait « déclaré que sa porte était ouverte pour explorer la voie de la diplomatie et de la paix afin de résoudre » la crise.

Niger : fin de l’ultimatum de la CEDEAO, l’espace aérien fermé

Selon une publication sur le compte officiel des FAMa ce lundi 7 août, le Mali et le Burkina Faso ont envoyé une délégation au Niger conduite par le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale, le Colonel Abdoulaye Maiga. Cette visite intervient alors que l’ultimatum adressé le 30 juillet par la CEDEAO aux militaires pour rétablir dans ses fonctions le président Mohamed Bazoum a expiré hier dimanche. Quelques heures avant la fin de l’ultimatum, le CNSP a annoncé la fermeture de l’espace aérien nigérien face selon eux « face à la menace d’intervention qui se précise à partir des pays voisins ». Le CNSP précise que « toute tentative de violation de l’espace aérien » entraînera « une riposte énergique et instantanée ». Il affirme également qu’un « prédéploiement pour la préparation de l’intervention a été faite dans deux pays d’Afrique centrale », sans préciser lesquels. « Tout Etat impliqué sera considéré comme cobelligérant », ajoute-t-il. Le conseil national pour la défense de la patrie a également lancé un appel aux Nigériens afin de se tenir prêts pour la défense de la patrie. Le même dimanche, près de 30 000 personnes se sont rassemblées dans le plus grand stade de Niamey pour soutenir le coup d’Etat et le CNSP. Vendredi 4 août, à l’issue d’une réunion de trois jours des chefs d’état-major, la CEDEAO a assuré que les contours d’une possible ont été définis. Toutefois, d’après des médias nigérians, le Sénat a appelé le président Bola Tinubu à « encourager les autres dirigeants de la CEDEAO à renforcer l’option politique et diplomatique ». Toujours selon les médias nigérians, une intervention militaire sans l’aval du Sénat serait une violation de la Constitution nigériane. Le président algérien Abdelmadjid  Tebboune rejette également le recours à la force. “L’option militaire n’a jamais été une solution, regardez ce que cela a produit en Syrie et en Libye” a t-il prévenu samedi 5 août. Un nouveau sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation au Niger se tiendra ce 10 août.

CEDEAO – Coups d’État : le tournant Niger ?

Le renversement du pouvoir du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, 4ème coup d’État en Afrique de l’Ouest en 3 ans, plonge la région dans un climat de tension exacerbé par les prises de positions tranchées de certains dirigeants vis-à-vis des nouvelles autorités de Niamey. La CEDEAO, soutenue par une grande partie de la communauté internationale, se montre intransigeante sur un retour immédiat à l’ordre constitutionnel dans le pays. Alors que l’ultimatum donné aux militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) prend fin ce dimanche, les jours prochains  s’annoncent incertains au Niger et dans le Sahel.

Tolérance zéro. C’est le maitre-mot des chefs d’États de la CEDEAO face au putsch du Général Abdourahamane Tchiani, 59 ans, chef de la garde présidentielle du Niger depuis 2011, devenu le nouvel homme fort du pays depuis le 28 juillet 2023. Pour joindre l’acte la parole, les dirigeants ouest-africains n’ont pas hésité le 30 juillet, lors d’un sommet extraordinaire de la CEDEAO, à prendre de sévères sanctions contre les militaires nigériens du CNSP.

Déclarant prendre toutes les mesures au cas où les exigences de la Conférence des Chefs d’États ne seraient pas satisfaites dans un délai d’une semaine pour assurer le rétablissement de l’ordre constitutionnel en République du Niger, ce qui n’exclut pas un usage de la force, ils ont décidé de la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger et de la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres et Niamey.

Outre ces sanctions, les Chefs d’États de la CEDEAO ont également décidé du gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la BCEAO, de celui de toutes les transactions de service, y compris les services publics, ainsi que des avoirs de l’État du Niger et des entreprises publiques et parapubliques logées dans les banques commerciales, de la suspension du Niger de toutes les formes d’assistance financière et de transactions avec toutes les institutions financières, notamment la BIDC et la BOAD, et de l’interdiction de voyage et du gel des avoirs des officiers militaires impliqués dans la « tentative de coup d’État ».

Bola Tinubu, le Président « anti-putsch »

S’il y a un signal fort que la CEDEAO veut désormais envoyer dans la sous-région, c’est l’image d’une institution forte qui ne laissera plus le champ libre aux renversements de pouvoirs démocratiquement installés.

Dès son arrivée à la tête de l’institution sous-régionale, le 9 juillet dernier, le Président nigérian Bola Tinubu, qui a affiché son intransigeance face aux auteurs de coups d’État, avait donné le ton. « Nous ne permettrons pas qu’il y ait coup d’État après coup d’État en Afrique de l’Ouest », avait-il martelé devant ses pairs pour sa première prise de parole en tant que nouveau leader de la communauté. L’un des premiers dirigeants du continent à condamner officiellement le coup d’État contre Mohamed Bazoum, Tinubu, « homme à poigne », est connu pour ses phrases « choc ». Le 30 juillet, à l’ouverture du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, le septuagénaire n’y est pas allé de main morte. « L’un de nous est retenu en otage par sa garde présidentielle. Quelle calamité (…). C’est une insulte pour chacun de nous. Nous devons agir fermement pour restaurer la démocratie », a lâché le Président de la plus grande économie du continent, arrivé au pouvoir en mai dernier après avoir remporté dès le premier tour la présidentielle de février 2023.

Le 31 juillet, le chef d’État-major des armées du Nigéria, Christopher Musa, a réitéré sur un média étranger cette position. « Nous allons faire exactement ce que dit le Président Nous sommes prêts et dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir nous le ferons. Nous sommes absolument sûr de réussir », a-t-il affirmé.

Des mots à l’action, le Chef d’État nigérian, et par ricochet toute la CEDEAO, est attendu au tournant sur le dossier nigérien. Même s’il semble résolument engagé dans une voie de réhabilitation de son homologue déchu, certains analystes soutiennent que Bola Tinubu court le risque de devenir un « tigre de papier », fort sur le discours mais peu influent et pragmatique en réalité. D’autant que les conséquences sécuritaires d’une intervention pourraient s’avérer dramatiques. Les groupes terroristes Boko Haram, État islamique ou encore JNIM pourraient profiter du chaos ambiant pour asseoir leurs emprises et étendre l’hydre terroriste à d’autres pays de l’organisation.

Issues incertaines

Avant la fin de l’ultimatum de la CEDEAO, le 6 août 2023, des actions sont en cours pour une solution à la crise politique au Niger. Après l’échec de la médiation tentée par le Président béninois Patrice Talon, c’est Mahamat Idriss Déby, Président de la Transition au Tchad, qui s’est rendu dans le pays et a rencontré les principaux protagonistes. Mais les lignes n’ont pas bougé suite à cette visite. Une nouvelle délégation de l’instance sous-régionale est depuis ce mercredi à Niamey pour tenter de trouver une issue pacifique.

En attendant de voir ce qu’il pourra se passer à partir de la semaine prochaine et l’expiration de l’ultimatum « ouest-africain », les analystes avancent plusieurs scénarios pour la suite des évènements au Niger. Allant de l’organisation d’un « coup d’État contre le coup d’État » à une intervention militaire de la CEDEAO avec des pays africains comme le Tchad et soutenue par les Européens, en passant par le soutien à un mouvement populaire de protestation interne contre le coup d’État ou encore des négociations avec les militaires du CNSP pour l’instauration d’une transition, les options sont aussi diverses que risquées pour la stabilité du pays et de la région.  Les militaires qui ont renversé Mohamed Bazoum ont envoyé une délégation conduite par le numéro 2 du CNSP, le général Salifou Mody au Mali et au Burkina le 2 août pour rencontrer les autorités de la transition. Les échanges ont porté sur le renforcement de la coopération sécuritaire notamment alors que les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja au Nigéria au même moment pour plancher sur une éventuelle intervention militaire. La Côte d’Ivoire a déjà fait savoir qu’elle enverrait des troupes si l’intervention était actée.

Incidences sur le Mali ?

Bien avant que le Niger ne tombe dans le cercle des pays de la CEDEAO qui sont dans une rupture de l’ordre constitutionnel, l’institution sous-régionale avait commencé par remettre la pression sur les pays en transition dans l’espace communautaire. Elle prévoyait d’envoyer le Président béninois Patrice Talon au Mali, au Burkina Faso et en Guinée pour relancer le dialogue au plus haut niveau avec leurs autorités respectives, en vue du respect des délais impartis aux transitions. Un nouveau sommet allait d’ailleurs être consacré début août à la situation dans ces 3 pays, selon une source proche de la CEDEAO, comme nous l’évoquions dans notre numéro précédent.

Les évènements au Niger vont-ils amener la CEDEAO, qui n’excluait d’ailleurs déjà pas de nouvelles sanctions, à durcir sa position vis-à-vis des autorités de transition maliennes quant au respect du chronogramme arrêté selon laquelle le pouvoir devrait être remis aux civils en février 2024 ?

Les relations entre le Mali, le Burkina Faso et la CEDEAO semblent à nouveau se dégrader. En réaction aux décisions de la Conférence des Chefs d’États de la CEDEAO du 30 juillet, les deux pays ont indiqué dans un communiqué conjoint le 31 juillet 2023, refuser d’appliquer ces « sanctions illégales, illégitimes et inhumaines contre le peuple et les autorités nigériens ».

« Les gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali avertissent que toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali », poursuit par ailleurs le communiqué, dans lequel les deux pays préviennent aussi qu’une intervention militaire contre le Niger entrainerait leur retrait de la CEDEAO et l’adoption de « mesures de légitime défense en soutien aux Forces armées et au peuple du Niger ».

« La CEDEAO, avec le leadership de Bola Tinubu, ne comptait pas tolérer le non-respect du chronogramme de la Transition au Mali et une éventuelle nouvelle prolongation. Avec la nouvelle donne, le cas du Niger et la position des militaires au pouvoir au Mali, elle voudra prendre des mesures pour un retour dans les délais à l’ordre constitutionnel dans le pays, y compris de nouvelles sanctions », glisse un observateur.

Mali – IBK : du Premier ministre à poigne au président de la République contesté

En retrait de la vie politique depuis sa chute du pouvoir en août 2020, le « Kankeletigui » qui était souffrant depuis plusieurs années, s’en est allé définitivement le 16 janvier 2022, laissant derrière lui un parcours politique contrasté. L’homme politique à poigne, rigoureux et ferme, à la réputation forgée en tant que Premier ministre du Mali de 1994 à 2000, a laissé la place à un président de la République contesté, de 2013 à 2020. Retour sur le parcours de celui qui aura consacré sa vie à servir le Mali.

Né le 29 janvier 1945 à Koutiala, Il aurait eu 77 ans le 29 janvier 2022. Mais Ibrahim Boubacar Keita a passé l’arme à gauche 13 jours avant cet anniversaire qui se serait déroulé, s’il avait eu lieu, sobre dans l’intimité familiale de sa résidence privée sise à Sebenikoro. Une résidence héritée de son père, Boubacar Keïta, ancien fondé de pouvoir du Trésor, à laquelle l’ancien président de la République était particulièrement attachée.

Le parcours politique de celui qui a gravi tous les échelons de l’État depuis son retour au pays dans les années 1980, après 26 années passées en France, est assurément le plus abouti et le plus dense de toutes les grandes figures politiques contemporaines du Mali. Il peut se résumer en trois grandes étapes, ponctuées de fortunes diverses. La première, débute lors de sa nomination comme Conseiller diplomatique du président Alpha Oumar Konaré en 1992 et dure jusqu’à l’année 2000, période où il fut successivement ambassadeur en poste à Abidjan, chef de la diplomatie malienne, puis Premier ministre. La seconde démarre en 2002 après sa 1ère défaite à la présidentielle qui le conduit malgré tout à la tête de l’Assemblée nationale (2002-2007), suivie d’une période de traversée du désert. La troisième et dernière grande étape, commence avec son élection à la présidence de la République, en août 2013, pour s’achever au moment du putsch militaire en 2020.

Premier ministre à poigne

En février 1994, quand le président Alpha Oumar Konaré le nomme à la primature, Ibrahim Boubacar Keita, en déplacement à Addis Abeba, n’est à l’époque à la tête de la diplomatie malienne que depuis quelques mois. IBK Premier ministre doit alors faire face à des grèves et une crise scolaire et estudiantine sans précédent, dans un contexte d’ajustement structurel imposé par le FMI et de dévaluation du franc CFA. C’est aussi l’époque où la rébellion touareg sévit. Sur ces différents fronts le chef du gouvernement réussit à trouver des alternatives rigoureuses, procède à de nombreuses arrestations, y compris de leaders estudiantins et religieux, déclare l’année scolaire blanche, et parvient finalement à renouer le dialogue et à restaurer l’autorité de l’Etat. second mandat en 1997.

« Un Premier ministre d’autorité, très convivial, qui avait le sens de l’équipe, qui déléguait et qui assumait et pour le président de la République et pour les ministres ». C’est en ces termes que Moustaph Dicko, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique décrit IBK. « Il a permis de redresser notre pays et de jeter les bases d’une étape démocratique forte (…) Ibrahim Boubacar Keita a été un excellent Premier ministre, qui a rendu à notre pays sa stabilité et a permis de restaurer l’autorité de l’Etat, », ajoute-t-il.

Du perchoir à la traversée du désert

Démissionnaire de la primature en février 2000, IBK pense devoir se préparer pour être le porte-étendard de l’ADEMA à l’élection de 2002. Or, il est mis en minorité au sein de son parti lors d’un congrès qui voit le club des rénovateurs, incarné par le clan CMDT et mené par Soumaïla Cissé, prendre le dessus. IBK démissionne alors avec fracas en octobre 2000 et prend du champ au Gabon, où il compte parmi ses soutiens l’ancien président Omar Bongo Ondimba.

Pour partir à l’assaut de Koulouba, IBK créée le 30 juin 2001 le Rassemblement pour le Mali (RPM) avec de nombreux transfuges de l’ADEMA qui lui sont restés fidèles. Son aura et son bilan à la primature font de lui l’un des favoris à l’élection présidentielle d’avril 2002. A l’issue du 1er tour, arrivé 3ème avec 21,03% des suffrages et seulement 3 500 voix d’écart avec le second, Soumaïla Cissé, ses partisans crient à la fraude électorale suite à l’annulation de plus de 541 000 voix, essentiellement à Bamako, fief d’IBK. Ce dernier appel au calme et apporte son soutien à ATT qui sera éluau 2nd tour.

Dans la foulée, les élections législatives consacrent en juillet 2002 la victoire du RPM qui arrive en tête avec 46 députés sur 147, ce qui permet à son leader d’être consensuellement élu à la tête de l’institution, où il fait office d’allié exigeant du pouvoir exécutif, jusqu’à 2006 et la signature de l’Accord d’Alger, un désaccord profond synonyme d’opposition pour le RPM. Vaincu à la présidentielle de 2007, IBK entame alors sa traversée du désert, malgré sa réélection en tant que député RPM, qui n’en compte plus que 11.

Présidence contestée

Après le coup d’Etat du capitaine Sanogo contre ATT en mars 2012, IBK revient sous les radars. Victimisé, son aura d’homme à poigne intacte, il surfe sur le sentiment d’honneur perdu des Maliens après la débâcle de son armée. « Il apparaissait objectivement comme celui qui, du fait de son parcours, ses réseaux et son expérience, pouvait remettre de l’ordre dans la maison Mali, redresser l’appareil militaire, et mettre fin à la grande corruption », souligne un diplomate en poste à l’époque. Résultat des courses,  « Kankelentigui » est triomphalement élu en aout 2013 avec 77% des voix.

« L’excellent Premier ministre a rappelé au souvenir des maliens le candidat IBK, ils en ont fait le président de la République. Je pense que l’homme est un tout, il a des forces et des faiblesses, IBK n’y échappe pas », résume Moustaph Dicko, tout en nuançant le rôle des militaires et des religieux dans l’accession au pouvoir du Président Keïta.

La rébellion touarègue, la perte de contrôle de pans entiers du territoire, la débâcle de l’armée et la faiblesse de l’appareil de défense, l’apparition du djihadisme, l’affaissement de l’autorité de l’Etat, la corruption endémique, la faillite de l’éducation nationale, et le contexte économique global, sont autant de difficultés dont le président élu a hérité. « Quand il revient en 2013 après une longue traversée du désert, notre pays avait évolué. Notre système institutionnel s’était plus ou moins dévoyé. Il y avait plus l’image de l’individu que l’image du groupe. L’individu ayant pris le pas sur le collectif, de même que les projets personnels sur les projets pour le pays, il n’y avait plus de cohésion au niveau de la gouvernance d’IBK », explique Moustaph Dicko, qui a longtemps cheminé avec lui, un « frère et ami » depuis le congrès constitutif de l’Adema en 1991. « Sa seule personnalité ne suffisait pas, il fallait en plus un projet commun, un engagement commun, une vision commune, ce qui n’a plus existé quand il est revenu au pouvoir ».

Selon l’analyste politique Salia Samaké, il y a « également le facteur âge qui a fait son effet, et dont il faut tenir compte », mais également le choix des hommes, pour lequel le président admettait volontiers qu’il n’avait pas eu « la main heureuse », et une gestion relativement lointaine des affaires de l’Etat. Les scandales provoqués par l’acquisition de l’avion présidentiel et d’équipements militaires, dont les dossiers sont en cours d’instruction par la justice, ont provoqué l’émoi auprès de l’opinion dès la première année de sa présidence, tout comme la perception d’une gestion clanique du pouvoir. Ajoutés aux difficultés à juguler l’insécurité et aux fréquents changements de gouvernement, le président IBK est devenu impopulaire auprès d’un peuple qui l’avait plébiscité, et envers lequel il vouait selon ses propos un « amour fou ». L’émergence du mouvement Antè A bana, qui bloqua le projet de réforme institutionnelle en 2017, en fut l’illustration, tout comme la contestation de sa réélection en 2018.

Un bilan qui reste à écrire

Au chapitre des avancées, la signature d’un accord de paix avec la rébellion armée, le développement de certaines infrastructures économiques (routes, échangeurs, centrales énergétiques, logements sociaux), l’extension de la couverture maladie universelle, tout comme la montée en puissance de l’armée et la relance de la production agricole, sont à l’actif de la gouvernance IBK.

Il est sans doute trop tôt pour dresser un bilan exhaustif des années IBK. Mais jusqu’au bout, le Président, qui sera conduit à sa dernière demeure ce vendredi 21 janvier après des obsèques nationales dus à son rang, aura servi le Mali « de toutes ses forces, pas toujours avec le même bonheur en retour  mais, j’en suis sûr, avec la même volonté », conclut Moustaph Dicko qui regrette la perte d’un homme qui aimait profondément le Mali.

Mohamed Kenouvi

CNT : report en vue pour les projets d’amnistie

Le Conseil national de transition (CNT) est réuni en session extraordinaire. Et, dans le tableau des saisines, deux projets de loi font énormément parler. Celui proposant d’amnistier « de faits survenus et ayant entraîné la démission » de Bah N’Daw et de Moctar Ouane le 24 mai 2021 et celui traitant « des faits en lien avec la démission » du Président Ibrahim Boubacar Kéïta le 18 août 2020. « Ça suscite énormément de débats. On va certainement avoir un rapport de demande de report d’examen de la Commission saisie au fond, surtout avec ce qui vient de se passer en Guinée », explique une source.

Déposé le 4 mai 2021, le projet de loi d’amnistie « des faits en lien avec la démission » du Président Ibrahim Boubacar Kéïta  a déjà fait l’objet de plusieurs reports pour continuation des travaux. Quant au projet de loi d’amnistie « de faits survenus  et ayant entraîné la démission » de Bah N’Daw et Moctar Ouane, il a été déposé le 28 juillet 2021. Et il pourrait également être dans la même situation que le premier. Les deux projets de loi ont été initiés par le ministère de la Justice.

Rappelons que le premier projet, qui avait fuité dans la presse, avait suscité la polémique. Le projet de loi portant ratification de l’ordonnance fixant la grille indiciaire, cause de la crise scolaire, est aussi au menu de cette session extraordinaire.

Transition : Le coup de Jarnac

Décidément, Kati ne finira jamais de faire peur à Bamako. Le 25 mai, le Vice-président a démis de ses fonctions le Président de la transition et le Premier ministre. Décision motivée, selon Assimi Goïta, par le non respect de la Charte de transition, le manque d’inclusivité dans la formation du nouveau gouvernement et la tension sociale. Cette situation plonge le Mali dans une nouvelle crise aux conséquences incertaines.
 
 « Deux êtres nous manquent et tout est dépeuplé ». Voilà ce que pourrait être le soupir des membres de l’ex CNSP (Comité national pour le salut du peuple), à la place d’Alphonse de Lamartine. Les militaires, visiblement mécontents de la mise à l’écart de deux des leurs dans le second gouvernement du Premier ministre Moctar Ouane, n’ont pas tardé à agir. Un gouvernement dont la vie a été écourtée, moins de 24 heures, par le Vice-président de la transition, Assimi Goïta. Parce que les postes de ministres de la Défense et de la Sécurité, initialement occupés par deux ténors de la junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, ont été assignés à deux généraux sans consultation préalable de Goïta. Et le Vice-président, qui est « un légaliste », ne peut tolérer cette « indignité » et ce manque d’inclusivité, qui « viole l’esprit de la Charte de la transition », a-t-il affirmé dans un communiqué. Venu au pouvoir par la voie des armes le 18 août dernier, il « s’est vu dans l’obligation d’agir pour préserver la Charte de transition et défendre la République », en plaçant « hors de leurs prérogatives le Président et son Premier ministre, ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
Coup d’État?
« Coup de force », « coup de pression », « coup d’État », « malentendu », les qualificatifs sur la situation malienne vont bon train et diffèrent selon les acteurs. Pour le Président français Emmanuel Macron, c’est « un coup d’État dans un coup d’État ». La CEDEAO, par contre, adopte un ton moins énergique, parlant de « malentendu lors de la mise en place du gouvernement ».
À Kati depuis le 24 mai, le Président de la transition Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane ont démissionné le 26 mai. Très probablement sous la contrainte, comme ce fut le cas en août 2020 avec le Président Ibrahim Boubacar Keita et le PM Boubou Cissé. Pour l’analyste politique Ballan Diakité, il n’y a pas d’équivoque.
« Ce qui s’est passé est un coup d’État dans un coup d’État. ». Comment en sommes-nous arrivés là ?
«  Dans sa déclaration, le Conseiller spécial du Vice-président Assimi Goïta a fait état du non-respect de la Charte de la transition par le Président Bah N’Daw et son Premier ministre, ce qui serait la raison de leur départ forcé. Mais il faut dire qu’on est dans le non-respect du cadre légal depuis le 18 août. C’est la Constitution qui n’a pas été respectée par les membres du CNSP. Et, aujourd’hui, on se plaint que le Premier ministre et son Président n’aient pas respecté le cadre légal », poursuit Ballan Diakité.
Dr. Boubacar Haïdara, chercheur associé à l’Institut d’études de Bordeaux, abonde dans le même sens. « En agissant ainsi, Assimi Goïta, qui se proclame au pouvoir, respecte-il la Charte de la transition ?  Cette dernière est claire, en aucun cas le Vice-président ne peut remplacer le Président de la transition. Nous ne sommes pas dans un processus légalitaire. On a la junte, qui a des armes et qui fait la loi». Pour Boubacar Salif Traoré, ce qui s’est passé est motivé par l’instinct de survie des ténors de la junte, qui semble menacé. « En les ayant sortis du gouvernement sans leur donner une garantie de protection, en termes de responsabilité ou autre, ils se sont sentis quelque part exposés. Et c’est aussi par instinct de survie qu’il y a eu le processus qui est en cours actuellement ».
Quelles conséquences?
 Il ne reste que neuf mois à la transition pour conduire les grandes réformes politiques et institutionnelles, ainsi que les élections générales, en vue de la normalisation de la situation politique. Et le coup porté par Assimi Goïta et les siens au processus augure de lendemains incertains pour le Mali. Prolongation du délai de la période transitoire, rapports de force avec la communauté internationale, sanctions, crise politico-sociale, la situation est très confuse. La communauté internationale brandit le chiffon rouge des sanctions, qu’elles soient ciblées ou générales. Et, à ce titre, généralement elles sont connues. Des gels de passeports diplomatiques ou des avoirs des ténors de la junte pourraient intervenir. Le Mali pourrait aussi être suspendu des institutions internationales ou sous-régionales et ne plus bénéficier de l’aide internationale au développement, comme cela avait été le cas en août 2020. Le 26 mai, les USA ont déjà suspendu leur aide à l’armée malienne et brandi la menace de sanctions ciblées contre les protagonistes. Après avoir rencontré le Vice-président de la Transition, l’émissaire de la CEDEAO doit rendre compte à Félix Tshisekedi, président de l’Union africaine, et à Nana Akufo-Addo, président de la CEDEAO. Une réunion des dirigeants de la CEDEAO est prévue dans la foulée pour statuer sur le cas du Mali. Cependant, plusieurs facteurs pourraient édulcorer la rigueur de ces sanctions.
« Aujourd’hui, la communauté internationale est beaucoup plus regardante sur plusieurs aspects. On ne peut pas condamner le Mali uniquement pour ce que ses militaires font. On regarde aussi la situation assez critique de la population malienne, qui vit une crise sécuritaire et une situation économique très difficile depuis 2012 », explique Ballan Diakité. Boubacar Salif Traoré est du même avis.
« La communauté internationale n’a pas une très grande marge de manœuvre. Depuis quelques années, elle joue sa crédibilité au Mali. Elle s’est déployée en masse dans le pays et les résultats ne sont pas là. Le pays est en position très fragile. Et la communauté internationale, en voulant adopter une position assez rigide, risque de provoquer un effondrement du peu qui reste, combiné à la situation tchadienne. Le Sahel risque un embrasement généralisé, qui peut avoir des conséquences dramatiques non seulement sur les pays européens mais aussi au-delà, avec des crises migratoires. Donc la communauté internationale a intérêt à trouver des équilibres, à favoriser le dialogue et à trouver un compromis pour permettre à la transition de continuer ».
Les 18 mois de la transition pourrait être prolongés au regard du contexte sociopolitique actuel. Selon le chronogramme électoral initial, le premier tour de l’élection présidentielle, couplée aux législatives, est prévu pour se tenir le 27 février 2022. Dans sa déclaration à la Nation lue par son Conseiller spécial, le commandant Baba Cissé, Assimi Goïta affirme que les élections vont se tenir « courant 2022 ».
Des assurances répétées à l’émissaire de la CEDEAO, Goodluck Jonathan, lors de leur rencontre le 25 mai. Toutefois, des questions demeurent, avec cette instabilité constante. « Ce qui prime à mon avis n’est pas le délai des élections, mais plutôt d’un retour à la normale. La promesse de tenir les élections aux dates indiquées s’éloigne de plus en plus. Parce que la situation qui intervient nous fait revenir à la case départ. Et, comme leur attitude l’a montré, les militaires putschistes n’ont pas intérêt à aller aux élections le plus rapidement possible », explique Dr. Boubacar Haïdara.
« Personnellement, je ne crois pas du tout que des élections puissent se tenir aux dates communiquées, sauf si on nous emmène à faire des élections bâclées. Et une élection bâclée, cela va encore nous emmener dans une situation de crise, comme nous l’avons vécu au temps d’IBK avec les élections législatives », pense pour sa part Ballan Diakité. Selon Boubacar Salif Traoré, « tout va dépendre du temps qui sera pris pour la normalisation de la situation. Si c’est une crise qui perdure, il y a un fort risque à ce que ça soit repoussé.  Et, à mon avis, le second scénario risque de l’emporter sur le premier.»

 

Quel scénario?
 Des tractations sont en cours depuis la nuit du 24 mai. Et, selon plusieurs sources concordantes, le scénario qui se dessine pourrait être celui d’une primature donnée au M5-RFP. Bon ou mauvais choix ? Les militaires ont la main basse sur l’État. Et Bah N’Daw, en voulant s’affranchir de la tutelle d’Assimi Goïta, a tout simplement été écarté, comme Amadou Aya Sanogo l’avait fait en 2012 avec le Premier ministre de la transition Cheick Modibo Diarra. Le M5 est divisé sur la question. Certaines entités qui le composent ont condamné les évènements en cours, mais le Comité stratégique a attendu dans la soirée du mercredi 26 mai pour s’exprimer. Il dit rester attaché à ses 17 mesures contenues dans les 10 points de son mémorandum et maintient son appel à manifestation le 4 juin. «La seule attitude du M5 devrait être tout simplement de condamner ce qui vient de se passer et de n’engager aucune discussion avec le CNSP (officiellement dissout le 25 janvier) en l’état actuel de la situation. Le CNSP a besoin de soutiens et il va les chercher auprès du M5, qui semble n’avoir rien retenu des leçons du passé. Et, même en acceptant la Primature, le M5 est-il sûr de pouvoir mettre en application ses dix recommandations, face à des militaires qui ont la mainmise sur le pouvoir ? », s’interroge le Dr. Boubacar Haïdara. Le chercheur Mohamed Ag Ismaël est du même avis. « Les putschistes tentent de rectifier leur erreur en s’approchant du M5-RFP, des partis politiques et de la société civile, pour légitimer leurs actions et préparer les élections générales. Mais cela dépendra de l’offre proposée ».
Ballan Diakité est optimiste. « La politique est le champ de tous les possibles. Aujourd’hui, le M5 est la seule force politique capable de tenir tête à ces militaires-là, compte tenu de sa constance dans sa dynamique de contestation. Si les autorités militaires veulent quand même travailler avec lui, elles ne doivent pas ignorer l’ensemble de leurs recommandations, notamment la dissolution du Conseil national de transition (CNT) ».
Boubacar Salif Traoré pense que  le bicéphalisme à la tête du pays ne marchera pas. Nommer un Premier ministre civil pour ensuite diriger dans l’ombre provoquera toujours des situations de crise. « Si le Vice-président se sent en mesure d’assumer la responsabilité de la tête de la transition, en concertation avec les acteurs impliqués, je pense que, pour la stabilité du pays, c’est une hypothèse à ne pas écarter. Je suis convaincu que le bicéphalisme à la tête de l’État ne marchera pas». De toutes les façons, depuis le 18 août et la chute d’IBK, la réalité du pouvoir est entre les mains de Goïta.

 

 

Boubacar Diallo

 Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°320 du 27 mai au 02 juin 2021 

IBK : le séjour émirati, un mois après

Le 6 septembre 2020, Ibrahim Boubacar Keita s’envolait pour les Émirats arabes unis pour suivre des soins médicaux, suite à un AVC léger pour lequel il avait été hospitalisé du 1er au 3 septembre à la polyclinique Pasteur de Bamako. Plus d’un mois après, l’ex Président de la République du Mali, qui avait été gardé pendant plusieurs jours au camp militaire de Kati après sa chute, le 18 août dernier, se remet doucement. Depuis Abou Dhabi, il suit les dernières évolutions de la situation politique et est attaché à la réussite de la transition qui va conduire le pays aux prochaines élections.

L’ex locataire du palais de Koulouba a passé les quinze premiers jours de son séjour en terre émiratie à subir une batterie d’examens avant de quitter le 18 septembre la Cleverland clinic. Keita poursuit ses rendez-vous médicaux et, à en croire une source bien renseignée de son entourage, il devrait subir un nouveau contrôle médical aux alentours du 15 octobre. C’est principalement ce rendez-vous qui le retient à Abou Dabi. Selon notre source, l’ex Président devrait être libéré par les médecins si le contrôle atteste que le traitement fonctionne comme prévu.

Depuis sa sortie de l’hôpital, IBK est logé dans un hôtel à Abou Dhabi et totalement pris en charge par les autorités émiraties. Il avait déjà reçu des soins dans ce pays du Moyen-Orient. « Ce sont les mêmes infrastructures qui sont mises à disposition, le même médecin, le même hôtel, le même hôpital », confie son proche.

Parti avec son épouse, deux médecins et l’un de ses proches collaborateurs, IBK est entouré de ces trois personnes au quotidien. L’ancien Directeur de la Sécurité d’État et un autre officier, présents dans le cadre de la coopération avec Abou Dhabi, en ont profité pour aller lui rendre visite. Mais, depuis la désignation de Bah N’Daw, il n’y a pas eu d’autres missions auprès de l’ancien Chef d’État.

Pour IBK, le choix de Bah N’Daw comme Président de la transition « n’est pas mauvais » car « c’est un homme sérieux » et il lui souhaite une pleine réussite, assure son proche.

Celui qui a dirigé le Mali pendant les sept dernières années n’a d’ailleurs pas de regard rancunier sur les hommes qui ont participé à sa chute, parce que, comme l’affirme notre source, ce départ, même s’il ne l’a pas souhaité, a été un soulagement pour le septuagénaire.

 

Mali : Poursuivre le développement malgré la crise

La Troïka de l’Union Européenne, l’Union Africaine, l’Ambassade de l’Algérie au Mali et la CEDEAO ont organisé une table ronde sur les défis de développement malgré la crise politique que traverse le Mali. C’était ce jeudi 27 août à l’école de maintien de la paix de Bamako en présence de plusieurs regroupements politiques et sociaux.

«Pendant que le débat sur la transition accapare toutes les attentions, le pays doit continuer à vivre. Il doit continuer à faire face aux défis de sécurité, de  lutte contre le covid 19, de la crise humanitaire », a déclaré Pierre Buyoya, haut représentant de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel. Il n’en faut pas plus pour résumer le mot d’ordre des participants à cette table ronde.

Le Mali traverse une crise sociopolitique, depuis bientôt quatre mois, ayant conduit au départ du président Ibrahim Boubacar Kéïta suite à l’intervention des forces de défense et de sécurité. Depuis le 20 août, le pays est sous embargo de la CEDEAO qui exige le rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel. Cette situation impacte davantage la population, déjà éprouvée par la crise sociosécuritaire et la pandémie de covid-19. « Nous avons expliqué aux partenaires qu’aujourd’hui le Mali n’est pas un pays ordinaire. Nous leur avons dit qu’il faut la levée immédiate de l’embargo sur le Mali qui est un pays en crise. Les populations ont besoin d’assistance », a plaidé Mme Dembélé Oulématou  Sow, présidente nationale de la Coordination des Associations et ONG Féminines du Mali (CAFO).

 

L’ambassadeur de l’Allemagne au Mali, Dr. Dietrich Reinhold Pohl, a expliqué que « La crise actuelle n’est pas la seule. Elle renforce les défis majeurs qui existent depuis des années et pèse sur les efforts visant à réaliser un développement durable pour tous les Maliens ». C’est dans cette optique qu’il a profité de  cette table ronde pour lancer un appel pour la relance « de façon immédiate, coordonnée et soutenue » de la mise en œuvre de l’Agenda pour le développement du Mali. Cette dernière est dénommée « Cadre de Relance Economique et de Développement Durable 2019-2023-CREED » et sa réalisation coûte 14 650 milliards de Franc CFA.

La troïka est  un groupement composé de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international.

Boubacar Diallo

 

Le Mali, de bon élève de la démocratie à recordman des coups d’État

Comme en 2012 avec ATT, le régime d’IBK a pris fin par un coup d’État militaire le 18 août 2020, suivi de la démission contrainte du désormais ex Président de la République. Le Mali, en l’espace de huit ans, aura connu deux renversements de pouvoirs démocratiquement établis avant l’échéance constitutionnelle. Deux coups de force militaires qui font régresser la démocratie malienne, jadis citée en Afrique de l’ouest en exemple. Pour certains, ce mal récurrent est la grave conséquence d’une gouvernance largement en deçà des aspirations profondes du peuple malien.

« Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a déclaré Ibrahim Boubacar Keita le 19 août 2020, après avoir été arrêté quelques heures plutôt par des militaires à la suite d’une mutinerie.

Ainsi se terminaient des mois de turbulences et de manifestations enclenchées par le M5-RFP pour réclamer la démission du Président de la République. Mais, contre les aspirations des leaders de ce mouvement, et comme en 2012, ce sont les militaires qui ont pris les devants par un coup d’État contre le régime d’IBK, même si, dans la forme, ils ont pu obtenir que le Président de la République sortant annonce lui-même qu’il rendait son tablier.

« Regrettables » mais « compréhensibles »

L’histoire semble se répéter au Mali et, pour certains observateurs, les causes de cette répétition sont légitimes, même si aucun n’applaudit l’interruption anticonstitutionnelle du processus démocratique dans le pays.

Khalid Dembélé, analyste politique au CRAPES, pense que le contexte dans lequel  ATT avait  été déposé en 2012 et celui dans lequel IBK a été contraint à la démission le 19 août ont un point commun : l’incapacité des deux hommes à diriger le pays et à instaurer un système de gouvernance vertueuse.

« En 2020, c’est à la suite de manifestations populaires de citoyens qui semblaient ne pas être d’accord avec le cap fixé par les gouvernants que les militaires ont saisi  l’opportunité de renverser le régime d’IBK », pointe-t-il, avant de souligner que la démocratie est un concept local qui doit d’abord s’adapter aux réalités locales.

« Tant que les gouvernants ne parviendront pas à mettre en place ce genre de système, il va toujours falloir s’attendre à ce que le processus démocratique soit interrompu par des insurrections populaires et bouclé par des coups d’État », regrette M. Dembélé.

Si, pour Bréhima Sidibé, Secrétaire général adjoint des Fare An Ka Wuli, il est fort regrettable que le Mali, qui était « apprécié à travers le monde entier pour sa démocratie », en soit arrivé là aujourd’hui, cela peut toutefois se comprendre.

« Le coup d’État est  désigné comme un crime imprescriptible dans la Constitution de 1992. Mais cela devrait être accompagné de mesures. Il aurait fallu que les hommes politiques, ceux qui ont la lourde responsabilité de conduire les affaires de l’État, le fassent conformément à cette même Constitution et de la façon la plus irréprochable possible. À partir du moment où ce n’est pas le cas, c’est la porte ouverte à toutes les aventures », se désole-t-il.

À l’en croire, dès que ceux qui doivent garantir le respect de la loi sont les premiers à la fouler aux pieds, il est difficile d’échapper à certaines situations. « Nous pouvons avoir les meilleurs textes du monde, s’ils ne sont pas appliqués, ils deviendront pires que de mauvais textes ».

Mauvaise habitude

Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) mis en place par les militaires pour assurer la continuité de l’État a pris un certain nombre de mesures et assure vouloir asseoir une transition civile, qui aboutira à des élections générales dans des « délais convenables ».

Mais certains analystes craignent toujours que le Mali ne soit pas totalement débarrassé du spectre des coups d’État militaires dans les prochaines années, notamment après l’installation d’un nouveau pouvoir démocratiquement élu.

« Je pense qu’après les prochaines élections, il faut que le Président élu soit à la disposition des Maliens et non d’un clan. Le clientélisme et le clanisme sont aujourd’hui à la base de ce que nous vivons », affirme le politologue Bréhima Mamadou Koné.

« Il faut que l’on s’inscrive désormais dans un système où les gouvernants rendent compte au peuple de ce qui est fait en son nom. Tant que nous n’arriverons pas à asseoir un État de droit respectueux des valeurs démocratiques, nous ne serons pas sortis de l’auberge », prévient-il.

Fermeture des frontières : De nombreux impacts

Les mesures  de fermeture des frontières prises par le Comité national de salut du peuple (CNSP) le 19 août 2020 et celles de la CEDEAO suspendant les échanges économiques avec le Mali ont des effets immédiats sur notre économie. Mais l’engagement  du CNSP d’offrir les bases d’un nouveau départ pourrait permettre de juguler les conséquences économiques et sociales de cette situation.

Sur le plan purement financier, fermeture des trois agences de la BCEAO. En termes d’émission de monnaie ou de transfert de fonds entre les banques ou les opérateurs économiques du Mali et ceux de l’extérieur, les opérations pourront enregistrer des retards, tout comme pour ceux qui doivent recevoir des paiements, explique M. Kassoum Coulibaly, économiste.

L’autre risque est constitué par les contraintes pour les ménages à faire face à leurs besoins de consommation. Ce qui un impact direct sur le chiffre d’affaires des entreprises. Pour le Mali, pays importateur par excellence de denrées de première nécessité, la fermeture des frontières pourrait signifier un déficit d’approvisionnement et l’épuisement des stocks disponibles.

La  spéculation et son impact sur les produits pétroliers et le coût de l’énergie pourraient avoir des effets collatéraux ou accentuer les tensions sociales.

Changement positif ?

Les mesures prônées par la CEDEAO peuvent impacter négativement notre économie, mais pas au point de l’asphyxier, assure le Dr Sékou Diakité, enseignant-chercheur à la FSEG. Parce que le pays échange aussi avec deux pays voisins non membres de l’organisation. Mais, pour ne pas nuire à la bonne santé de l’économie, « le pouvoir doit mettre en place une équipe gouvernementale qui rassure tout d’abord le peuple et rouvrir les frontières », ajoute-t-il.

Il faut aussi envisager des mesures de rationnement et sécuriser les provisions en attendant de trouver des mesures de facilitation, suggère M. Coulibaly. Le repli de la communauté internationale et des investisseurs potentiels sont des conséquences à court terme, mais elles pourraient avoir un revers positif si le CNSP donnait des gages de confiance en transmettant le pouvoir aux civils dans la transparence. Une situation qui pourrait conduire à marquer un point dans la lutte contre la corruption dans un pays qui perd environ 100 milliards de FCFA par an à cause d’elle.

Pour inverser ces effets, les partenaires du Mali doivent comprendre qu’ils sont là pour le peuple et que l’amélioration de la gouvernance visée doit être accompagnée, explique le Dr Abdoulaye Touré, économiste. Le peuple doit être aidé afin de réduire ses souffrances.

Coup d’État du 18 août : Réactions de la classe politique

Au lendemain du coup d’État qui a mis fin au régime d’IBK le 18 août 2020, des acteurs de la scène politique nationale ont réagi, condamnant tous le renversement de l’ordre constitutionnel et appelant à un retour rapide à la normalité. Pour Aliou Boubacar Diallo, « on ne peut que regretter et condamner l’intrusion des forces armées dans le jeu démocratique malien, mais on ne peut pas non plus ignorer que le peuple les soutient très massivement ». Le parti Yelema de Moussa Mara condamne également le coup d’État, « perpétré par une partie de la hiérarchie militaire ». Le RPM appelle la communauté internationale et l’ensemble des démocrates et républicains à œuvrer pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel. La Codem lance aussi un appel à la communauté internationale et aux partenaires pour un maintien de la coopération avec le Mali. La CFR invite l’ensemble des forces vives de la Nation à s’impliquer pour un dénouement heureux de la crise sociopolitique par le dialogue et la concertation.

Coup d’État du 18 août : Le film de la journée

Alors qu’un climat de panique s’est installé sur Bamako, réveillé tôt par une mutinerie de militaires au camp Soundiata Kéïta de Kati, le mardi 18 août, au Monument de l’Indépendance se tient un regroupement, semble-t-il spontané, d’une centaine de jeunes, impatients de voir le Président Ibrahim Boubacar Kéïta démissionner. Ibrahim Traoré, mécanicien, habits tâchés d’huile, est convaincu du départ d’IBK cet après-midi. « L’armée républicaine malienne a décidé de prendre les choses en main. Nous sommes derrière elle, parce qu’elle veut nous libérer d’un régime corrompu et dictatorial. Que le peuple malien nous rejoigne massivement pour fêter le départ de ce régime. Un nouveau Mali va naître ce soir à minuit », prédit-il. Dans la nuit du mardi au mercredi, la prophétie d’Ibrahim s’est réalisée. Arrêté à sa résidence privée de Sébénikoro avec son Premier ministre, Boubou Cissé, vers 16h 30, et conduit à la garnison militaire de Kati, le désormais ex Président de la République a, contraint, déclaré sa démission vers minuit. « Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a-t-il déclaré. L’histoire ne cesse de se répéter. Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta venait d’être chassé du pouvoir un mardi, comme ses prédécesseurs Modibo Kéïta et Moussa Traoré.

Kati a encore fait peur à Bamako. Tout est parti de cette ville-garnison, à 15 km de la capitale, tristement célèbre pour son putsch de 2012 contre le Président Amadou Toumani Touré. Le même scénario s’est répété ce mardi 18 août 2020. Très tôt le matin, vers 8 heures, le commandant Abdoulaye Gakou, chef de bataillon adjoint du camp, regroupe les militaires. Même si le coup semble bien préparé en amont, certains militaires présents affirment ne pas savoir ce qui va se passer. Le colonel Malick Diaw, ancien du CNDRE, qui a dirigé un groupement tactique interarmées en 2016, vient s’adresser aux troupes. « Je vous retourne votre vérité aujourd’hui », dit-il aux militaires. Un instant, les mots sortent difficilement de sa bouche, à cause de l’émotion. Rapidement, il se dirige vers sa voiture, une Toyota Corolla de couleur grise, prend son arme, tire en l’air et demande aux militaires d’aller prendre des armes. Les soldats s’exécutent. Le magasin d’armes a été ouvert et les mutins s’arment lourdement. Certains ont été dépêchés à la Poudrière, à moins d’une vingtaine de kilomètres de la ville de Kati. Là, blindés, munitions et autres armes lourdes sont en train d’être acheminés. Pendant ce temps, à Bamako, d’autres éléments procèdent à des arrestations. « Le gros du travail a été effectué par des éléments de la police nationale. Alors qu’on se préparait à Kati, ils arrêtaient des ministres, des députés et autres personnalités. Leur choix pour cette mission n’est pas fortuit. Ils sont toujours avec eux et savent là où ils peuvent être », explique un militaire.  

C’est ainsi que, de la matinée jusqu’à tard dans l’après-midi, plusieurs personnalités politiques et militaires ont été arrêtées. Ce sont, entre autres, le Président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le ministre de l’Économie et des finances, Abdoulaye Daffé, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé, ministre de la Défense et M’Bemba Moussa Keïta, ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile, et plusieurs autres hauts gradés.

La Cité administrative a été interdite d’accès et des forces de sécurité se postent en sentinelle devant les bâtiments.

Colère

À côté des mouvements de militaires, plusieurs jeunes se rassemblent vers 13h au Monument de l’Indépendance pour exprimer leur soutien aux mutins. Ils scandent des slogans et propos hostiles au Président Ibrahim Boubacar Kéïta et à la France. Un vieux tacot supporte péniblement deux enceintes, qui crachent les paroles d’une chanson de Tiken Jah Fakoly « quitte le pouvoir, quitte le pouvoir, je te dis quitte le pouvoir ». « Nous sommes ici pour montrer à l’armée malienne que nous sommes derrière elle. Que tous ceux qui hésitent se joignent au combat. On attend que les militaires viennent nous dire qu’IBK a démissionné, sinon on ne rentrera pas à la maison », prévient Elimane Niang, membre de la jeunesse M5-RFP de la Commune III.

Alors que des rumeurs faisant étant de la démission d’IBK se faisaient entendre, certains sont révoltés. Ils ont peur que les militaires aillent signer un compromis avec lui pour le faire sortir du pays. Ils souhaitent qu’il soit jugé et condamné. « En cet instant, on entend qu’IBK a déposé sa démission. Celle-là, on n’en veut plus. Il doit être arrêté, ainsi que les membres de son régime, et jugé. Ceux qui sont morts ne le seront pas pour rien. Les derniers mots d’un de nos camarades de lutte ont été de ne pas arrêter le combat. Si jamais IBK s’en tire facilement, c’est comme si on l’avait trahi »,  prévient un manifestant, très excité. 

La nature des colères est diverse mais elles se rejoignent toutes au niveau des problèmes de gouvernance, que beaucoup voudraient voir changer dans le futur. Kadiatou Traoré est diplômée sans emploi. Habillée d’un complet wax, foulard rose sur la tête, elle a perdu son père, militaire, sur le théâtre des opérations au nord du Mali. Et elle ne cache pas sa colère contre IBK et son régime. « Qu’IBK s’en aille. Aujourd’hui, je suis contente pour deux choses : Moussa Timbiné est aux mains des militaires ainsi que Karim Kéïta. Et, d’ici à 16 heures, le Président de la République sera arrêté. Ce sont nos pères qui sont morts au front. Même le Pharaon n’a pas gouverné de la façon dont IBK l’a fait. Avec le nouveau pouvoir à venir, j’espère que nous pourrions étudier. Que Dieu nous donne un président qui saura bien diriger le pays et que la France ne se mêle pas des affaires maliennes ».

Oumou N’diaye est habillée aux couleurs du Mali. Membre du M5-RFP, elle tient un balai, une branche de neem avec des feuilles, une tapette et une spatule. « Nous, les femmes, sommes là depuis le 5 juin. Nous exigeons qu’IBK démissionne, avec son régime. S’il ne s’en va pas de gré, il s’en ira de force. Ce sont nos maris et nos enfants qui sont tués au Nord. IBK a fait tuer des innocents jusque dans une mosquée. Il a été maudit par le bon Dieu, c’est pourquoi les militaires se sont levés.  Un Musulman ne fait pas cela. Avec ce balai, on va le balayer avec son régime maléfique, qui tombera à l’image de chacune des feuilles de cette branche qui tombe », déclare-t-elle.

Cris de joie

Jusqu’à 15 heures, tout le monde est dans le flou total. « Assistons-nous à un coup d’État ou juste à une mutinerie de militaires en colère ? ». C’était la grande question. Mais les choses ont bientôt commencé à paraitre plus claires. Plusieurs centaines d’éléments des forces de défense et de sécurité, lourdement armés d’armes de guerre, ont pris la direction de Sébénikoro, résidence du Président Ibrahim Boubacar Kéïta. Arrivés au niveau du Monument de l’Indépendance, ils ont tiré des coups de feu en l’air, sous les hourras des manifestants, qui leur tendent la main. Une pluie a arrosé les manifestants, qui y ont vu un signe divin. « Dieu ne dort pas. Le pouvoir maléfique est parti. Enfin ! », s’exclame un manifestant.

Les putschistes sont arrivés à la résidence d’IBK, à Sébénikoro en même temps que plusieurs manifestants, qui les ont suivis. Embouteillage monstre. Un blindé est posté devant l’accès menant directement à la résidence. Joyeux, les soldats tirent en l’air.  Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta est avec son Premier ministre, Boubou Cissé. Des militaires se présentent à eux et leur demandent de les suivre. IBK est mis dans un Toyota V8 noir et Boubou Cissé dans un blanc. Ils sont escortés par les militaires jusqu’au camp de Kati.

Vandales aux aguets

Les rangs des manifestants ne cessent de grossir. Certains affirment attendre d’investir la maison d’IBK. « Il y a de l’or là-dedans », jurent-ils. Cependant, d’autres ont déjà trouvé une mine, qu’ils exploitent : la maison du fils du président, Karim Kéïta, située seulement à quelques mètres de celle du chef de l’État. La maison est pillée. Tout est emporté. Des tonnes de ciment, déposées dans un magasin, sont enlevées par les habitants du quartier. La piscine, dans l’enceinte de la cour, sert de cadre à une « after party » pour des adolescents. Aux environs de 21 heures, la station Total, près du pont « Woyowayanko », à l’entrée de Sébénikoro, est vandalisée. Les pompes à carburant sont détruites et les marchandises de l’alimentation emportées. Une boutique de mode, dans l’enceinte de la cour de la station Shell, près de la maison d’IBK, est cassée et tous les effets dérobés. Les éléments de la Garde nationale qui assuraient la sécurité de la maison du président, pour mettre fin aux pillages, font des tirs de sommation et lancent des gaz lacrymogènes afin de faire fuir les pilleurs.

Des actes de vandalisme se sont également déroulés en d’autres endroits. Pendant que les uns et les autres étaient impatients, au Monument de l’Indépendance, du départ du Président de la République, certains manifestants en colère se sont attaqués au cabinet du ministre de la Justice du gouvernement restreint, Me Kassoum Tapo, à Bamako-coura. Du monument on pouvait voir une épaisse fumée noire se dégageant du bâtiment. Du mobilier de bureau, des portes, des climatiseurs et bien d’autres objet sont emportés. Des vandales ont été pris au piège au niveau du quatrième étage. Les accès aux escaliers de secours et à ceux menant à la sortie étant condamnés par le feu, certains décident de sauter du balcon.

En bas, le reste des manifestants se donne pour mission de les rattraper à l’aide d’un matelas dérobé. Quatre jeunes sautent du quatrième étage, mais l’un d’entre eux est blessé au bras. Il est rapidement conduit au centre de santé pour des soins. Des manifestants ont aussi essayé de s’attaquer à l’annexe du ministère des Finances, non loin du monument, mais en ont été empêchés par d’autres manifestants.

Dans la nuit du 18 au 19 août, Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé sa démission et celle du gouvernement. Il a également dissout l’Assemblée nationale. L’épilogue d’une longue journée qui a mis fin à sa présidence.

 

Repères : 18 août 2020

8h : Début de la mutinerie au camp Soundiata de Kati

8h : Arrestation du ministre de l’Économie et des finances

Vers 9h : Arrestation du Président de l’Assemblée nationale

13h : Des manifestants investissent le Boulevard de l’Indépendance

Vers 13h : Arrestation des ministres de la Défense et de la Sécurité et de plusieurs haut gradés

16h : Alors que les putchistes sont à Bamako, un communiqué du Premier ministre demande aux militaires de faire taire les armes

16h30 : Le Président de la République et son Premier ministre sont arrêtés à Sébénicoro, puis conduits au camp Soundiata de Kati

00h : Dans un message télévisé, le Président de la République annonce sa démission

Le Mali d’un 22 mars à l’autre : Les paradoxes de la « démocratie »

« Les mêmes causes sont là et, comme on dit les mêmes causes produisent les mêmes effets. La situation aujourd’hui est la même que celle qui prévalait à la veille des évènements de mars 1991, et même pire. Injustice sociale, corruption et attaques contre les libertés. On dirait que nous n’avons pas tiré les leçons du passé ». Le propos de notre interlocuteur, militant associatif, résume l’opinion de nombreux Maliens, qui ne cachent guère leur pessimisme. Les quelques 25 années d’exercice démocratique, obtenues par le sang des martyrs du 22 mars 1991, n’ont pas réussi à mettre le Mali à l’abri du 22 mars 2012. Que va-t-il advenir au pays dont le peuple, en ce 22 mars 2018, se pose des questions sur son vivre-ensemble, ses valeurs communes et cette démocratie, dont les indicateurs ne sont plus au beau fixe ?

« Nul ne peut prédire l’avenir », répond Mariam Guindo. La jeune femme est commerçante à Kalaban Coura et reprend la rhétorique désormais commune à tous les « grins » de Bamako et d’ailleurs au Mali. « La situation est pire qu’avant la démocratie. Mes aînés ont lutté lors des évènements de 1991. Personne ne pouvait imaginer que, des années après, le Mali serait dans une situation pire que du temps de Moussa Traoré. Je comprends ceux qui regrettent cette période, parce que, au moins, les gens avaient peur de voler et de l’injustice », poursuit-elle. Ambroise Dakouo, spécialiste en gouvernance et coordinateur au Mali de l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA) n’est pas tout à fait du même avis. « Les aspirations des années 90, j’irai même plus loin, de 80, se sont estompées, parce qu’entre-temps la pratique de la gouvernance à l’ère de la démocratie en a fait déchanter plus d’un ». Mais il faut pousser plus loin la réflexion et s’interroger sur la situation actuelle, qui est le résultat d’une série de facteurs. « Nous n’avons pas dépassé l’euphorie des lendemains de la chute de Moussa et n’avons pas pu concrétiser nos rêves de démocratie. Le résultat est ce que nous voyons depuis des années et qui a culminé avec le malheureux coup d’État du 22 mars 2012 », poursuit-il.

Journées noires Le 22 mars 1991, Ndiaye Ba était dans la rue avec ses camarades. « C’était difficile. Cette journée est pour moi inoubliable. Ce que je retiens surtout du 22 mars 1991, ce sont les morts. Je me souviens que les jeunes manifestants s’étaient réfugiés dans l’immeuble Sahel Vert… Quelqu’un y a mis le feu et ils ont été brûlés vifs. C’est mon pire souvenir ». La lutte des jeunes maliens, qui sont descendus dans la rue pour réclamer leurs droits et libertés, n’a pas été aussi « facile » que les combats menés aujourd’hui, de nouveau par la jeunesse. « A l’époque, il n’y avait pas de portable, pas de possibilités de communiquer entre nous. On a donc tous été alertés par le bouche-à-oreille et avons vécu cela avec des gens connus aujourd’hui comme Hamidou Diabaté, Me Ibrahim Berthé ou encore Modibo Kadjoké. En 2012, ce sont les mêmes ou presque qui se sont levés pour défendre les valeurs républicaines ». L’évolution des communications, c’est ce qui fait la différence entre mars 1991 et mars 2012. Amara Bathily est commerçant et activiste. Il se fait connaitre sur les réseaux sociaux le 22 mars 2012, en dénonçant vigoureusement, voire violemment, le coup de force qui venait d’être acté au petit matin par les membres du Comité national du redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (CNRDRE, les putschistes). « Mon combat avait commencé en fait en 2011, après les premières allégations sur le Président ATT à l’époque. Il y avait déjà de l’amalgame, des agressions contre les Touareg et les personnes « peau rouge ». J’ai commencé à en parler sur les réseaux sociaux et à alerter des gens qui étaient à l’extérieur, pour faire comprendre qu’il fallait arrêter d’agresser les Touareg. Le 22 mars, j’ai fait une publication dénonçant le putsch. Après, on a continué à en parler, à défendre le Président ATT et à tenter de rétablir la vérité. On a été menacés de mort, mais, heureusement, on avait des proches dans leurs rangs qui nous avertissaient ».

Le 22 mars 2012, alors que le Mali se réveille d’une nuit mouvementée et dans l’incertitude, nombreux sont ceux qui applaudissent les auteurs du coup d’État. « On en avait besoin, les militaires vont remettre les pendules à l’heure ! » se réjouissait un internaute. Les manifestations de soutien se multiplient. Hamadoun Traoré, Secrétaire général du bureau de l’AEEM à l’époque, n’est pas de ceux-là.  « Le 21, c’était une mutinerie. Je ne m’en suis pas inquiété, je pensais qu’on allait trouver une solution. Depuis environ un mois, la situation dans le pays n’était pas stable. Le rôle que nous était de faire tout afin qu’il n’y ait pas d’instabilité à Bamako. Cela aurait empêché les autorités de se concentrer sur ce qui se passait dans le Nord du pays », se souvient-il. « Vers 2 heures du matin, quelqu’un m’a réveillé pour m’annoncer un coup d’État, je n’y croyais pas, tout le monde disait que ce n’était pas possible ». Ce sentiment d’incrédulité, Ndiaye Ba l’a lui aussi ressenti. « Quand j’ai vu ce qui s’est passé dans la nuit du 21 au 22, je me suis souvenu du prix que nous avions payé… Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait encore un coup d’État au Mali. Mais il était hors de question de laisser la situation perdurer. Nous avons donc créé, avec d’autres amis et personnes engagées, le FDR ». Kadiatou Sangaré, militante associative, s’est rapidement mobilisée. « Les coups d’État n’ont jamais porté chance au Mali. En 2012, la situation était d’autant plus dangereuse que c’était des hommes de rang qui avaient mené cette action, sans plan, sans savoir où aller. Si on les avait laissé faire, ça aurait été du pilotage à vue. Je n’ai jamais compris leurs motivations, d’ailleurs. On était à quelques semaines des élections et ils ont ramené le pays dix ans en arrière ».

Tirer les leçons « 2012 a été un réveil brutal » reconnait notre expert en gouvernance. « C’était un mal nécessaire, car ces évènements nous ont montré qu’on s’était fourvoyé en pensant les discours et les volontés proclamées devaient être performants. On n’est pas passé à la réalisation du discours par des actions concrètes », assure-t-il. Autre facteur, « entre 1991 et 2012, on observe que c’est la même élite politique, au cœur du système, qui s’enrichit, accapare le pouvoir, alors que la population est de plus en plus pauvre. Au-delà de tout cela, on n’assiste pas à une véritable évolution économique. Si au plan macro les chiffres sont au vert, cela ne se traduit pas dans le quotidien des populations, de plus en plus vulnérables. C’est aussi un recul sur le plan des libertés, que ce soit la liberté de la presse ou les libertés individuelles ». « Si on continue dans cette dynamique, en camouflant les vraies problématiques et en pensant que ce sont des réformettes ou de petites solutions juxtaposées qui vont être la solution, dans quelques années on aura une crise encore plus grave », prédit un observateur.  Rompre le cercle vicieux et avancer ? C’est l’objectif de nombreux acteurs et regroupements qui initient, ces derniers mois, de nombreuses actions. Conférences et colloques se multiplient, avec des actions de sensibilisation pour « réparer notre socle commun », comme l’explique Kadiatou Sangaré, membre de plusieurs associations créées au lendemain du coup d’état. « L’avenir dépend de nous. Il nous faut nous remettre au travail, nous retrouver autour de nos valeurs communes, choisir les bonnes personnes pour nous conduire. Le changement que nous voulons, nous devons le matérialiser en luttant contre l’incivisme et le manque de patriotisme. Si on s’y met tous, on peut y arriver ». Pour que les Maliens se retrouvent, Ndiaye Ba a la solution. « Pour nous sortir de cette situation aujourd’hui, il faut aller aux élections. Le plus rapidement, pour choisir quelqu’un de fédérateur, qui mettra tout le monde ensemble pour travailler. Après les élections, on devra organiser une conférence nationale de réconciliation et donner la parole au peuple, qui veille et ne se laissera plus faire », conclut-il…

EXCLUSIVITÉ : Derek Matyszak : « Cela semble être la fin de l’ère Mugabe »

Il régnait d’une main de fer sur le Zimbabwe depuis 37 ans, le chef de l’État, Robert Mugabe, 93 ans, a vu sa position de force basculée suite à une intervention militaire, ce matin. Les locaux de la radio nationale ainsi que certains bâtiments publics et officiels ont été pris d’assaut dans la nuit de mardi à mercredi. Ce bouleversement politique intervient après le limogeage de l’ancien vice-président, Emmerson Mnangagwa, pressenti pour succéder à Robert Mugabe. Alors que son épouse vise également la fonction suprême. En exclusivité pour le Journal du Mali, Derek Matyszak, nous accorde cet entretien. Ce consultant de l’Institute for Security, à Pretoria, mais actuellement basé, à Harare est un témoin privilégié de cet événement.

Journal du Mali : Les militaires disent que ce n’est pas un putsch mais comment interpréter cet événement ?

Derek Matyszak : Les militaires ont déclaré qu’ils effectuaient une courte intervention chirurgicale et incisive pour « extraire » les éléments contre-révolutionnaires du parti au pouvoir, le ZANU PF. Ils disent que ce groupe contre-révolutionnaire déstabilise le parti au pouvoir et donc le pays, et qu’ils sont constitutionnellement tenus de le défendre. Ils ont déclaré qu’une fois leur devoir accompli, ils retourneront à la caserne. Cependant, leurs actions constituent clairement une ingérence inconstitutionnelle dans les affaires politiques.

Certaines personnes appartenant à l’entourage de Robert Mugabe ont été arrêtées. Mais qui sont-elles concrètement ?

Les personnes qui ont été arrêtées appartiennent à une faction particulière du Zanu-PF connue sous le nom de G40. Ce groupe a essayé d’empêcher la succession à la présidence par Emmerson Mnangagwa, qui a le soutien de l’armée. Lorsque ce dernier a été limogé par le président Mugabe, le 6 novembre dernier, l’armée a décidé de protéger son statut de successeur.

Le vice-président Mnangagwa est destitué et Grace Mugabe est désignée comme la succeseur de son mari, cette intervention militaire peut être considérée comme un avertissement pour le pouvoir ? Une nouvelle ère pour le paysage politique ?

Cela semble être la fin de l’ère Mugabe. Mnangagwa sera installé en tant que président. La question est de savoir s’il a l’intention de chercher une sorte d’alliance avec les groupements d’opposition pour former un gouvernement technocratique pour sauver l’économie zimbabwéenne qui est au bord de l’effondrement.

 

 

Amadou Haya Sanogo : en attendant la justice

Deux ans jour pour jour après son arrestation, le sort d’Amadou Haya Sanogo, reste indéterminé. L’instruction judiciaire peine à se mettre en place, au moment où le pool d’avocats qui le représente, vient d’adresser une lettre ouverte au Président de la République.

22 mars 2012. Un homme en treillis tient un bâton « magique » à  la main. Pas très grand, il sort de la pièce aménagée au premier étage d’un vieux bâtiment du camp Soundjata Keita de Kati, se met au balcon et salue la foule massée là, curieuse de voir à quoi ressemble celui qui a renversé Amadou Toumani Touré (ATT) et balayé les institutions d’un pays. Interpellé, Amadou Haya Sanogo, le nouvel homme fort du Mali, se laisse aller à  la gloire éphémère d’une après-midi de mars et répond à  ses hôtes d’un signe de la main.

Un règne bref mais agité Quelques mois après cette scène mémorable, l’ex-président du Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (CNRDRE), aura rétabli la constitution malienne sous la pression de la CEDEAO et de la communauté internationale, dès le 1er avril 2012, sans pour autant abdiquer son nouveau pouvoir. Son règne sans partage aura laissé des traces indélébiles : les arrestations extra-judiciaires d’hommes politiques proches du régime d’ATT ou de journalistes, et le pillage par ses hommes des régies financières de l’État et de certaines sociétés publiques. Plus grave, l’entrée en scène de la junte aura précipité la chute du Nord du Mali aux mains des rebelles et des djihadistes en avril 2012. Quant à  l’agression subie par le président de la Transition, Dioncounda Traoré, le 21 mai 2012, elle demeurera l’un des épisodes les plus noirs de l’histoire politique du Mali.

Sa vie de prisonnier Pourtant, la junte a été amnistiée et pardonnée. Ce qui vaut à  son ex-chef d’être incarcéré, C’est son rôle présumé dans l’assassinat d’une vingtaine de bérets rouges le 30 avril 2012, lors de la tentative de contre coup d’état perpétrée par ces derniers, de même que la disparition de plusieurs militaires bérets verts en octobre 2013. Amadou Haya Sanogo, promu général à  la fin de la Transition, a été cueilli le 27 novembre 2015 à Bamako, avant d’être emprisonné à  Sélingué à 160 km de la capitale. Il sera ensuite transféré à Manantali dans le sud-ouest du pays en décembre 2014. Dans cette localité de la région de Kayes, il vit dans des conditions spartiates. Cela dit, « il n’est pas confiné dans une cellule, mais dans un camp et surveillé par une dizaine d’éléments de la gendarmerie nationale. Il dispose d’une télévision, reçoit des visites régulières de ses proches, dont sa femme, et prie beaucoup. De temps à  autres, il lui est permis de faire quelques exercices sportifs et de jouir de la climatisation », précise un porteur d’uniforme sous anonymat. Pour ce qui est de son alimentation, il ne serait pas en privation et recevrait régulièrement des plats envoyés par sa famille depuis Bamako. Si quelques articles de presse ont fait état de problèmes de santé, évoqués par l’une de ses avocates comme une violation flagrante des droits de l’Homme, un autre avocat du pool, joint par téléphone et qui se rend à  Manantali à la demande, déclare : « Il va bien, il a le moral » !

Sa stratégie de défense Sur le plan judiciaire, Sanogo et une dizaine de ses compagnons, dont le capitaine Amadou Konaré et l’adjudant-chef Seyba Diarra, sont poursuivis pour « assassinat, complicité d’assassinat, enlèvement de personnes et séquestration », suite aux affrontements qui opposèrent bérets rouges, les commandos parachutistes restés fidèles à  l’ancien président ATT, et les bérets verts dont est issue l’ex-junte. La découverte d’un charnier à  Diago d’où furent exhumés les corps de 21 soldats, menottés et froidement abattus, scella le sort du général et de ses acolytes. C’est la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bamako, qui examine actuellement le dossier, qui aura à  valider ou pas les conclusions de l’instruction. Son verdict est attendu pour le 22 décembre. S’ensuivra un probable envoi devant la cour d’assises, à  qui il appartiendra de statuer sur leur culpabilité lors d’un procès. Quant aux hauts gradés détenus pour la même affaire, les généraux Ibrahim Dahirou Dembélé, chef d’état-major général des armées au moment des faits, Yamoussa Camara, ministre de la Défense, et Sidi Alassane Touré, directeur de la Sécurité d’État, ils devraient bénéficier d’un non-lieu, faute de preuves de leur culpabilité. À Manantali, l’ex-putschiste de 43 ans prépare patiemment sa riposte, appuyé par les sept avocats qui assurent sa défense. Dans une lettre datée du 16 novembre 2015 et destinée au Président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, que Journal du Mali a pu se procurer, ils reviennent sur l’interpellation du Général Sanogo et insistent sur un « manque de justice et d’équité » dans le traitement du dossier de leur client. Pour eux, il est anormal que lui et ses camarades soient toujours incarcérés, alors que le colonel Abdine Guindo, chef des bérets rouges au moment de la tentative de contre coup d’état, et ses compagnons ont été libérés, leurs mandats de dépôts n’ayant pas été renouvelés à  temps. « Plus d’une trentaine de personnes ont été tuées par les balles des éléments bérets rouges opérant sous la direction du Colonel Abdine Guindo. Nous ne comprenons pas pourquoi, à ce jour, ce dossier n’est toujours pas sur la table de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bamako », explique Me Mariam Diawara, porte-parole des avocats de Sanogo. « Vouloir programmer un jugement des bérets verts sans celui des bérets rouges d’abord, n’est pas juste », ajoute-t-elle. Autre fait notable, la lettre indique qu’aujourd’hui tous les militaires poursuivis dans le groupe d’Abdine Guindo sont en liberté provisoire et déployés dans des services, à  l’intérieur ou à  l’extérieur du pays, en violation de la procédure pénale qui concerne les militaires. À titre d’exemple, Mohamed Lamine Konaré, dit Mala, fils de l’ancien président, à  l’Union africaine ; le colonel Baba Abdel Kader Coulibaly inculpé, en liberté provisoire, est attaché militaire à  l’ambassade du Mali au Maroc ; le Colonel Abdoulaye Cissé, inculpé, en liberté provisoire, est en service en République Centrafricaine. Tous trois « sur décret présidentiel », est-il précisé. « Le Général Amadou Haya Sanogo et les parties civiles sont méprisés dans cette procédure, estime encore Me Diawara, selon qu’on est proche du régime de l’ex-président démissionnaire ou pas, on sera plus ou moins mieux traité ou mal traité ».

En conclusion de leur missive, le collectif des avocats, qui n’a toujours pas obtenu de réponse officielle, dit réclamer plus de « justice et d’équité dans le traitement des dossiers des deux groupes de militaires, pour l’honneur et la dignité de tous ». Ils espèrent « qu’au Mali, certains Maliens ne sont pas au-dessus de la loi ». Reste à  savoir si une défense pour l’instant axée sur la différence de traitement entre les deux parties qui étaient en conflit suffira à  disculper le général. Victime ou bourreau ? Le procès à  venir permettra à la justice de trancher.