Mahmoud Dicko : Un retour au Mali compromis

Le gouvernement de transition a annoncé le 6 mars 2024 la dissolution de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’Imam Mahmoud Dicko, quelques jours seulement après l’annonce de son retour imminent de l’Algérie, où il séjourne depuis plusieurs semaines. Directement dans le viseur des autorités de transition, pour lesquelles ses « activités subversives » sont susceptibles de troubler l’ordre public, l’Imam de Badalabougou pourrait être contraint de repousser son « come-back » au Mali.

S’il fallait encore un épisode pour confirmer la rupture totale entre les autorités actuelles de la Transition et l’Imam Mahmoud Dicko, il est assurément là. Après le 14 janvier 2023, quand le cortège venu l’accueillir à son retour d’Arabie Saoudite avait été pris pour cible par les forces de l’ordre, et le retrait de son passeport diplomatique le 22 juin 2023, la dissolution annoncée le 6 mars dernier en Conseil des ministres  de la Coordination, mouvements, associations et sympathisants de l’ancienne « autorité morale » du M5-FP, a définitivement sonné le glas du « poumon politique » de l’Imam.

Créée en 2019 pour, entre autres, promouvoir le renforcement de la démocratie, la promotion de la bonne gouvernance, de la paix et de la cohésion sociale et la consolidation de la paix, la CMAS était devenue en effet au fil des années un regroupement de poids, qui conférait à Mahmoud Dicko une grande légitimité dans l’arène politico-sociale. Pour justifier sa décision de dissolution, le gouvernement de transition a non seulement mis en avant certains manquements de l’association mais aussi incriminé son parrain, Mahmoud Dicko.

« La CMAS, créée en vue d’œuvrer pour la stabilité et la paix sociales, s’est transformée en un véritable organe politique de déstabilisation et de menace pour la sécurité publique, comme en témoignent la sortie médiatique de son Coordinateur général le 7 octobre 2023, suite à l’annonce du léger report de l’élection présidentielle, et la tenue de propos de dénigrement des autorités de la transition sur une chaîne de télévision privée », a indiqué le communiqué du Conseil des ministres.

« En outre, le parrain de la CMAS s’adonne clairement à des activités subversives susceptibles de troubler l’ordre public, notamment à travers ses récentes visites à l’extérieur et ses rencontres officielles avec des personnalités de puissances étrangères sur des questions d’intérêt national sans l’autorisation des autorités du Mali », poursuivait le communiqué.

La CMAS, de son côté, a indiqué le 11 mars 2024 surseoir à toutes activités politiques, sociales et humanitaires jusqu’à nouvel ordre à compter du 12 mars 2024 et se réserver « le droit d’user de tous les moyens juridiques et légaux pour l’annulation de sa dissolution, qui s’inscrit dans une violation flagrante de la loi N°04-038 du 5 août 2004 relative aux associations ».

Avertissement ?

Déjà taxé « d’hostile » à la Transition et accusé de « trahison » par les autorités de Bamako après sa rencontre le 19 décembre 2023 avec le Président algérien Abdelmadjid Tebboune, l’Imam Dicko serait-il menacé d’éventuelles prochaines poursuites judiciaires à son retour au Mali ?  La dissolution de la CMAS est-elle un avertissement dans ce sens pour le parrain de l’association ?

« Je ne pense pas en tant que tel. La dissolution, c’est juste pour mettre un frein à l’activité de la  CMAS », répond Boubacar Bocoum, analyste politique. « Je pense que cette dissolution n’est pas totalement liée à la posture de Dicko et n’est pas forcément un avertissement à son égard. Si les autorités ont pris une telle décision, c’est qu’elles ont suffisamment d’informations, en dehors de l’aspect visible, notamment via les services de renseignement à leur niveau », soutient-il.

Le politologue Bréhima Mamadou Koné partage le même avis. Pour lui, on ne peut pas établir de lien direct entre cette dissolution de la CMAS et les  rencontres de l’Imam Dicko en Algérie, non appréciées pas les autorités de transition. « Mais ce qui est évident, c’est que beaucoup d’observateurs, aussi bien que les autorités de la Transition, se sont  interrogés sur les réelles motivations qui ont fait que l’Imam, qui  n’est ni une autorité politique, ni administrative du Mali, ait été reçu par les autorités algérienne pour parler du Mali », glisse-t-il.

Dans une vidéo enregistrée le 25 décembre 2023, Mahmoud Dicko avait démenti toutes les accusations portées sur lui dans le cadre de son déplacement en Algérie, expliquant que les groupes armés rebelles ainsi que les autorités de transition avaient été tous conviés en même temps que lui par le Président algérien.

« J’ai compris à mon arrivée en Algérie que les représentants de Bamako devaient aussi venir. Mais ayant appris que j’étais invité et que je venais aussi, ils ont donc annulé leur déplacement pour ensuite me tendre un piège. À mon arrivée, ils ont annoncé qu’un imam du pays était actuellement en Algérie, qu’il s’entretenait avec les groupes armés rebelles et leur distribuait de l’argent », avait révélé l’Imam Dicko.

« Moi, je ne peux pas être de ceux qui trahissent notre pays. Pour quel intérêt trahirais-je le Mali ? (…) Dieu sait que je ne trahirai jamais mon pays, car je lui dois tout ce que je possède », avait-il ajouté.

Retour « avorté » ?

Même si dans sa vidéo du 25 février 2024, où il annonçait son retour imminent au Mali, l’Imam Mahmoud Dicko n’avait pas précisé de date, le fait qu’il soit directement  incriminé dans la dissolution récente de la CMAS pourrait l’amener à revoir ses plans de retour au pays, au risque, selon certains analystes, de se « jeter dans la gueule du loup ».

« Il me semble clair que par prudence l’Imam ne reviendra pas dans ce contexte aujourd’hui, quand on sait que les militaires peuvent l’interpeller à tout moment. À mon avis, il risque de prolonger encore son séjour algérien un certain temps », confie un analyste qui a requis l’anonymat.

Mais pour Bréhima Mamadou Koné, le retour annoncé au Mali de l’Imam Dicko n’est pas pour autant compromis, parce que « malgré tout ce qui peut être dit, aujourd’hui aucun mandat d’arrêt international n’a été émis contre lui et les autorités n’ont jamais signifié dans leur communication qu’il serait poursuivi par la justice dès son retour au Mali ».

Toutefois, nuance le politologue, l’Imam Dicko  pourrait être entendu par la justice sur  les contours de son séjour en Algérie, où il a été reçu par les autorités algériennes pour parler de l’Accord pour la paix « alors qu’il n’est pas une autorité officielle pour aller porter la voix du Mali ». « Cela peut constituer une charge contre lui, mais pour le moment le gouvernement ne s’est pas prononcé sur la question ».

Timing interrogateur

La décision de dissolution de la CMAS est intervenue 10 jours après l’annonce du retour de l’Imam Mahmoud Dicko au pays, alors que cette association, qui est entre-temps devenue d’ailleurs le fer de lance de la « Synergie d’action pour le Mali », qui s’oppose clairement à la transition, s’apprêtait à lui réserver un accueil en grande pompe.

Les autorités de transition ont-elles voulu couper l’herbe sous les pieds de toute contestation populaire naissant avec la « bénédiction » de l’Imam Dicko, principale figure de proue de la chute du précédent régime ? Pour notre interlocuteur, la réponse est positive. « La Synergie d’action pour le Mali projetait d’organiser des manifestations pour demander une transition civile. Si l’Imam revenait et se mêlait à la danse en appelant à la mobilisation aujourd’hui, dans un contexte où de plus en plus de Maliens semblent à bout par rapport à la crise énergétique que les autorités de transition n’arrivent pas à résoudre, cela risquerait de troubler le sommeil des autorités actuelles. Je pense que tout cela a plus ou moins pesé dans le timing de l’annonce de la dissolution de la CMAS », avance-t-il.

Mali – Transition : La Charte de toutes les questions

Près d’un mois après son adoption, la Charte de la transition n’a toujours pas été officiellement publiée. Elle reste « mystérieuse » pour les Maliens et la CEDEAO, voire les experts qui ont participé à son élaboration.

« La présente Charte entre en vigueur dès son adoption par les forces vives de la Nation », dispose l’article 21 de la Charte de transition adoptée lors des concertations nationalesPrès d’un mois après son adoption, sa publication dans le Journal officiel de la République tarde à venir et des interrogations se posent quant à la nature des actes de droit se fondant sur elle. « Je suis surpris de constater que jusque-là la Charte n’a pas été publiée mais que son application a commencé. Il y a le président qui a été intronisé sur la base de la Charte. Il est en train de prendre des actes sur cette base alors qu’elle n’a pas fait l’objet de publication. Est-ce que l’absence de publication empêche l’application de la Charte ? Je dirais oui », explique le Dr. Fousseyni Doumbia, juriste et coauteur du projet de Charte.

L’acte fondamental du CNSP a continué à s’appliquer. Les séries de nominations à des postes stratégiques en témoignentSi la Charte s’était imposée immédiatement, ces nominations n’auraient pas eu lieu. « Il était important que la Charte soit publiée au Journal officiel. Elle ne l’est pas. Le CNSP prend des actes sur la base de son Acte fondamental, le président a été investi sur la base de la Charte et souvent on est dans la Constitution. Nous sommes dans une incertitude juridique difficile à expliquer », explique un constitutionnaliste.

Discorde

Les prérogatives du vice-président de la transition posent problème à la CEDEAO. Elle refuse que le vice-président Assimi Goïta remplace le président, temporairement ou de façon définitive, en cas d’empêchement. La CEDEAO exige de connaître la version finale de la Charte avant de procéder à la levée des sanctions. Cela pourrait être la cause du retard dans la publication de la Charte. Selon Dr. Fousseyni Doumbia, car « cette disposition n’a pas fait l’objet de modifications ». Alors que la vice-présidence est accepté ailleurs, ce niet s’explique par le profil du tenant du poste. « C’est parce qu’il est militaire. Le protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance s’oppose à tout exercicdu pouvoir par un militaire. La CEDEAO a des principes auxquels elle ne souhaite pas déroger, parce qud’autres États sont potentiellement exposés à une irruption des militaires sur la scène politique. Le problème ne se poserait pas s’il y avait une vice-présidence civile ».

Boubacar Diallo